CHAPITRE XIV

Les choses n'empirèrent pas immédiatement, pas trop. Après une nuit passée dans un hangar vide, au camp militaire, où ils avaient été nourris, les prisonniers commencèrent leur marche à travers l'île. Elle dura deux jours. Mais après une traversée dans une mer démontée vers le continent, il y eut encore sept jours de marche pour atteindre Haut-Royth, la capitale.

Ce fut au cours de cette marche-là que tout alla de plus en plus mal. Certains pirates moururent d'épuisement, ou de froid, ou bien ils s'écroulaient et les soldats les achevaient. Blade, cependant, continuait d'avancer obstinément, se forçait à mettre un pied devant l'autre avec une résolution têtue. Il ouvrait aussi les yeux et les oreilles, ce qui lui permit d'apprendre beaucoup de choses.

L'influence d'Indhios augmentait encore. On lui avait octroyé la seigneurie d'Ayesh depuis trois mois à peine. Le grand chancelier était déjà bien trop puissant à son goût et sa puissance ne faisait que croître de jour en jour.

Par une grise matinée neigeuse, les trente-cinq survivants déguenillés aux pieds en sang franchirent en traînant la jambe la porte ouest de Haut- Royth, passèrent sur le Pont-Central et pénétrèrent dans la citadelle. Là, Blade et Brora furent séparés du reste de l'équipage de la Foudre et on leur accorda le douteux privilège d'une cellule bien à eux.

A part le pain et l'eau qu'on leur apportait deux fois par jour, les deux hommes restèrent seuls avec la vermine et l'humidité pendant près de deux semaines. Ces loisirs forcés donnèrent à Blade l'occasion de tirer des plans.

Il s'apprêtait à passer sa quinzième nuit sur la paille moisie quand une clé grinça dans la serrure et la lourde porte s'ouvrit en gémissant de tous ses gonds rouillés.

— Euh ! capitaine, y'a là quelqu'un qui veut t'emmener, grogna le geôlier.

Derrière la silhouette trop familière une autre apparut, menue, mince, vêtue de rouge sombre. Qui était-ce ? Pas Alixa, elle était bien plus grande. Pas Indhios, si le chancelier était aussi gros qu'on le disait...

Blade s'enroula dans sa couverture, son unique vêtement depuis que ses habits de marin étaient tombés en loques, se leva et franchit le seuil. Sans un mot, la personne en rouge lui fit signe de la suivre. La main était petite mais gantée, et n'apprenait rien sur le sexe ou l'âge de celui ou de celle à qui elle - appartenait.