Chapitre 8

 

 

Samuel Archer attendit dans l’entrée pendant que les deux guerriers sortaient les cadavres et les jetaient le long d’un mur. Il n’y avait aucune dignité dans la mort, pensa-t-il. Les sphincters des Zélotes s’étaient relâchés et la puanteur agressait ses narines, même à travers la pluie.

Certains Gardiens étaient considérés comme des soldats, des hommes d’action. Pourtant, Archer n’en connaissait aucun qui ait le calme glacial de l’Homme de Jérusalem. Comment avait-il entendu les assassins arriver au beau milieu d’un orage ? Archer en était sidéré. Sans la Pierre qui lui avait permis de se dissimuler sous un rideau d’invisibilité, il serait mort, assis près du feu. Ni Shannow ni Batik n’avaient mentionné le nuage de fumée rouge, dont Sam était assez fier. Il avait distrait les Zélotes et donné le temps aux guerriers de réagir. Il décida d’en parler quand l’occasion se présenterait.

Le palais sentait la poudre et la mort. Archer monta les marches qui menaient au balcon. Il y avait une mare de sang près de la rambarde. Archer se souvint que Batik y était un peu plus tôt, et qu’il avait fait basculer un corps dans le vide.

Shannow entra et retira son manteau de cuir. Il s’agenouilla quelques instants près du feu, se réchauffant les mains. Puis il sortit sa Bible de sa sacoche.

— Vous cherchez des indices pour trouver le chemin de Jérusalem ? demanda Archer.

— Non. Lire me repose l’esprit. (Il ferma la Bible.) J’ai vu Pendarric en rêve, la nuit dernière. Il m’a dit qu’il avait inondé le monde en utilisant les Pierres de Sang, et il m’a prévenu que cela arriverait de nouveau.

— À cause des Enfants de l’Enfer ?

— Oui, je crois. Y a-t-il dans l’Arche quelque chose qui pourrait m’aider à éliminer Abaddon ?

— Ce n’est pas mon domaine, maître Shannow. Je suis un chercheur de secrets. Mais je sais qu’il y a des armes.

— Et des connaissances ?

— Oui.

— Je viendrai avec vous. Maintenant, laissez-moi lire tranquille.

Archer gagna la porte et regarda la pluie tomber. Batik le rejoignit.

— Impossible de lui parler quand il est de cette humeur. Pour un croyant, il est peu disposé à partager son dieu.

— Beaucoup de choses pèsent sur son esprit, Batik.

— Peu m’importe, tant qu’il entend les assassins dans la nuit ! C’est un homme remarquable. Toute ma vie, on m’a appris à redouter les Zélotes, les plus grands guerriers du monde. À côté de lui, ce sont des enfants.

— Resterez-vous avec lui ?

— Quelque temps… Je n’ai pas l’intention de retourner à Babylone et de suivre Shannow quand il attaquera seul le palais.

— Étrange attitude, de la part d’un ami.

— Nous ne sommes pas amis, Archer. Il n’en a aucun. Il n’en a pas besoin. Regardez-le, immobile comme un rocher. Je suis un guerrier, et pourtant je reste secoué par l’attaque. Je me demande combien d’autres ennemis approchent de nous en ce moment. Et lui ? Il lit sa Bible.

— S’il avait besoin de vous, le suivriez-vous ?

— Non. Que m’importe qu’Abaddon conquière le monde ? J’ai fait une erreur quand j’ai voulu sauver ma sœur. Sinon, je serais sans doute à la tête d’une compagnie !

— Pensez-vous qu’il réussira seul ?

— Je l’ignore. Mais laissez-moi vous dire une chose : je n’aimerais pas le savoir à mes trousses, même si j’étais dans une forteresse entourée de gardes. Il y a en lui quelque chose d’inhumain. Il refuse de reconnaître qu’il existe des situations où on ne peut pas gagner. Vous auriez dû le voir quand les Zélotes ont attaqué. Il s’est tourné et il a pointé ses armes sur la porte de derrière bien avant que les trois autres types entrent. Il savait qu’ils arrivaient. Tout ce que j’entendais, c’était le bruit des coups de feu, et je voyais seulement les hommes devant moi. Si j’étais Abaddon, je ne dormirais pas tranquille.

— Il ne connaît pas Shannow aussi bien que vous.

— Non, mais il comptera les cadavres !

Archer regarda derrière lui. Shannow avait cessé de lire. Il était couché la tête sur sa selle, ses couvertures enroulées autour de lui. Mais son bras droit en sortait.

Et il avait un revolver à la main.

— Foutue façon de dormir, dit Batik. En tout cas, évitez de faire du bruit cette nuit !

 

Shannow était réveillé. Les paroles des deux hommes arrivaient à ses oreilles comme des murmures dans le vent. Batik le connaissait si peu ! Mais c’était normal. Jon avait appris depuis longtemps que la force réside dans la solitude. Un homme qui a besoin de s’appuyer sur les autres laisse une faille dans ses défenses. Un solitaire est à l’abri derrière ses murs.

Besoin d’amis ? Shannow savait que personne ne pouvait tout avoir. Question d’équilibre. La Nature était avare de ses dons. Longtemps auparavant, Shannow avait connu un champion de course. Pour conserver sa force, l’homme avait renoncé à tous les aliments qu’il aimait, et il s’entraînait tous les jours. C’était la même chose pour lui. Seul, il était un roc qui ne se fiait à personne pour se défendre.

Pendant quelque temps, il avait connu une autre vie, en compagnie de Donna. Et cela avait été agréable…

Maintenant, il était revenu à son état normal.

Et Jérusalem devrait attendre.

Il entendit ses compagnons s’installer pour la nuit et se leva.

— Tu crois prudent que nous dormions tous ? demanda-t-il à Batik.

— Tu suggères que je devrais monter la garde ?

— C’est mieux que se réveiller morts !

— Je n’ai rien à dire contre ça.

Shannow ferma de nouveau les yeux. Il plongea dans un sommeil sans rêve et se réveilla quand Batik rampa vers lui, trois heures plus tard.

— On entendrait une fourmi péter. C’est très calme, dehors.

Shannow se leva et s’étira, puis se posta près de la porte. La nuit était tranquille et la pluie avait cessé. Il sortit du palais, examinant les bâtiments déserts qui brillaient au clair de lune. Il entendit, au loin, le rugissement d’un lion en chasse, et le hurlement d’un loup dans les montagnes.

Un bruit le fit pivoter, revolver au poing. Archer leva les mains, inquiet.

— Ce n’est que moi, murmura-t-il. Je ne pouvais pas dormir.

Shannow rabattit le chien de son arme et secoua la tête.

— Vous êtes un idiot, Archer. Pour vous, la différence entre la vie et la mort est si petite qu’elle serait impossible à mesurer.

— Je vous prie de m’excuser. Mais j’ignore pourquoi vous avez réagi ainsi. Vous n’étiez pas en danger.

— C’est faux. Un jour, j’ai tué quelqu’un qui était derrière moi à un moment où il ne fallait pas. Je n’ai pas envie de recommencer. Mais si vous aviez été un Zélote, cette fraction de seconde d’hésitation aurait signifié ma mort. La prochaine fois que j’entendrai un bruit, je me demanderai si c’est vous ou un ennemi. Et je risque de mourir. Vous avez saisi ?

— Inutile d’insister lourdement. Je n’approcherai plus jamais de vous sans m’annoncer.

Shannow s’assit sur un muret et rengaina son arme. Puis il sourit.

— Pardonnez-moi, Archer, j’ai montré trop de suffisance ! Je suis sur les nerfs, mais ça passera. Combien de temps nous faudra-t-il pour arriver à l’Arche ?

— Deux jours. Peut-être trois. Vous pourrez vous y détendre. Et je vous montrerai une bibliothèque qui ne sera pas créée à partir de rien.

— M’indiquera-t-elle le chemin de Jérusalem ?

— Qui sait ? Je pourrai vous faire voir des images de la Jérusalem qui a existé autrefois. Comme ça, le jour venu, vous la reconnaîtrez. Enfin, si Dieu a utilisé le même architecte.

Une ombre d’exaspération traversa le visage de Shannow, mais il se força à la chasser.

— Je pense qu’il l’a fait, maître Archer.

Il regarda longuement autour de lui.

— Vous pensez qu’il y a d’autres Zélotes à votre poursuite ? demanda le Gardien.

— Bien entendu. Jusque-là, nous avons eu de la chance. Leur arrogance les a trahis, mais ils seront plus prudents…

— Je voudrais ne pas avoir fait un sermon à Batik au sujet de sa Pierre. Vous n’imaginez pas à quel point la mienne me manque. J’ai l’impression d’être un enfant dans l’obscurité.

— Il y a un aspect positif à la peur, dit Shannow. Elle aiguise les sens et vous tient en alerte.

— Je crois que vous aimez le danger.

— Ne vous laissez pas abuser par les apparences. Je ne suis pas inhumain, comme le pense Batik. Moi aussi, je tremblais, après l’attaque. Voilà pourquoi je lis ma Bible : pour oublier la fureur et la peur. Maintenant, allez dormir, maître Archer, et soyez assuré que rien ne dérangera votre sommeil. Si vous voulez, empruntez un de mes revolvers de rechange.

— Non, merci. Je suis incapable de tuer un homme.

— J’aimerais que plus de gens pensent comme vous. Bonne nuit.

Peu après l’aube, les trois hommes sellèrent leur monture et quittèrent la ville, prenant la direction du nord-ouest. À l’est, des lions dormaient derrière un chêne tordu. À côté, la carcasse d’un buffle attirait les mouches. Les félins étaient satisfaits et somnolents.

Soudain, leur chef, un grand mâle à la crinière rousse, sursauta comme si on l’avait piqué. Puis il se leva et se tourna vers l’ouest. Cinq autres jeunes mâles se levèrent aussi.

Trois cavaliers chevauchaient vers les montagnes.

Les six lions les suivirent en silence.

 

Debout sur les remparts de la tour, au-dessus de son palais, Abaddon regardait la ville. Il écoutait le rythme régulier des machines de la fabrique d’armes, et regardait la fumée sombre qui sortait des trois cheminées.

Vêtu d’une tunique noire brodée d’un dragon, il se sentait presque en paix en observant la nation sur laquelle il veillait depuis si longtemps.

Un seul doute le tourmentait.

Le grand prêtre, Achnazzar, approcha de lui et s’inclina.

— Ils ont trouvé Shannow, sire, ainsi que le renégat Batik, dit le religieux au nez d’oiseau de proie, son crâne chauve luisant de sueur. Ils voyagent avec un Gardien.

— Je le sais.

— Voulez-vous qu’ils soient tous tués ?

— C’est nécessaire.

— Vous aviez dit, sire, que nous devions laisser les Gardiens tranquilles.

— Je sais ce que j’ai dit, Achnazzar.

— Très bien, sire. Il sera fait selon vos ordres.

— C’est toi, prêtre, qui m’a parlé de Shannow. Tu as affirmé que c’était un danger. Il aurait dû être tué à Rivervale, mais il a abattu notre agent. Plus tard, il aurait dû mourir dans le camp de Karitas. Mais il a conduit un raid qui a coûté la vie de dizaines de nos jeunes gens, tués pendant leur sommeil. Et combien de Zélotes a-t-il assassinés ? Non, ne m’ennuie pas avec des chiffres ! Réponds plutôt à ceci : si je ne peux pas me fier à toi pour faire exécuter un seul homme, comment pourrais-je te charger de me bâtir un empire ?

— Mon seigneur, dit Achnazzar, tombant à genoux, vous pouvez compter sur moi jusqu’à la mort et au-delà. Je suis votre esclave.

— J’ai de nombreux esclaves. Ce que je veux de toi, ce sont des résultats !

— Vous les aurez, sire. Je vous le promets, sur ma vie.

— Je te prends au mot, murmura Abaddon.

Achnazzar pâlit et recula.

— Ce sera fait, sire.

— Et nous aurons besoin de Donna Taybard sur le grand autel, pendant la Nuit des Sorcières. As-tu revérifié les cartes stellaires ?

— Oui.

— Les résultats sont-ils identiques ?

— Oui. Encore plus prometteurs, même.

— Il ne faut faire aucune erreur. Il ne doit rien lui arriver de mal avant cette nuit. Le pouvoir qui est en elle devra être maîtrisé pour notre seul bénéfice.

— Je m’en assurerai…

— Pour le moment, tout ce que j’ai, ce sont des promesses.

— L’armée envahit le Sud. Elle rencontre peu de résistance.

— Tu as hésité sur le mot « peu », souligna Abaddon.

— Il semble que vingt de nos hommes aient succombé dans une embuscade, près des monts Yeager. Mais une force a été envoyée pour châtier les attaquants.

— Qui ?

— Une bande de Brigands menée par un homme appelé Daniel Cade. Mais ils ne nous poseront pas de problèmes, je vous l’assure, sire.

— Trouve tous les renseignements que tu pourras sur cet homme. Il m’intrigue.

 

Daniel Cade regarda les hommes et les femmes rassemblés sur les flancs de la montagne, à ses pieds. Au dernier recensement, il y avait six cent soixante-dix réfugiés, dont quatre-vingt-quatre enfants.

Cade s’était brossé les cheveux et il avait nettoyé sa redingote noire à revers de cuir. Appuyé sur une canne élégamment sculptée, il étudia la foule et lut de la suspicion sur de nombreux visages, et de la haine sur d’autres.

Il inspira à fond et s’éclaircit la voix.

— Vous me connaissez tous, dit-il d’une voix basse mais sonore. Je suis Daniel Cade. Cade le Brigand, le tueur, le voleur. Nombre d’entre vous ont de bonnes raisons de me haïr. Et je ne vous blâme pas. J’ai été un mauvais homme.

— Tu l’es toujours, Cade ! cria un type dans la foule. Arrête ton baratin, et dis-nous ce que tu veux.

— Rien. Je désire que vous soyez en sécurité.

— Qu’est-ce que cela nous coûtera ? demanda un autre homme.

— Rien. Laissez-moi parler, puis je répondrai à vos questions. Il y a dix jours, quelque chose a changé ma vie. J’étais sur cette montagne, là-bas, à la limite des neiges, quand une voix est venue du ciel. Une lumière éblouissante m’a frappé. « Cade, a dit la voix, tu es un mauvais homme et tu mérites la mort. »

— La voix avait sacrément raison sur ce point ! cria un autre type.

— Oui, dit Cade. Je reconnais que j’ai supplié d’être épargné. Je savais que Dieu me parlait, et que j’étais perdu. Mes forfaits me sont revenus à l’esprit. J’ai pleuré pour tout le mal que j’ai fait. Puis il m’a dit : « Cade, l’heure est venue de ta rédemption. Mon peuple, que tu as persécuté, est en danger. Une nation démoniaque assaille ses frontières. » « Je ne peux rien faire, Dieu, ai-je dit. Je ne puis combattre des armées. »

» Alors, il m’a dit : J’ai fait sortir mon peuple élu d’Israël malgré le pouvoir de Pharaon. J’ai donné la Terre promise à Josué. J’ai donné Goliath à David. À toi, je donnerai les Enfants de l’Enfer. » « Je n’en suis pas capable, ai-je dit. Prends ma vie, et que tout se termine ici. »

» Mais il a refusé. « Sauve mon troupeau, m’a-t-il dit. Amène-le dans les monts Yeager. Que mes petits soient en sécurité. » Le voile est tombé de mes yeux, et je lui ai dit : « Ces gens me haïssent. Ils me tueront. » Il a répondu : « Ils te haïssent à juste titre. Quand je t’aurai amené à vaincre les Enfants de l’Enfer, tu répareras le tort que tu as fait à tous ces gens. » Je me suis levé, et je lui ai demandé comment nous pourrions battre les Enfants de l’Enfer. Sa voix a tonné sur la montagne. Je ne l’oublierai jamais, aussi longtemps que je vivrai. « Tu les frapperas avec leurs propres armes. » Il m’a appris qu’il y avait un convoi de chariots au nord. J’ai envoyé Gambion et quarante hommes. Ils ont pris les chariots et les ont apportés ici. Savez-vous ce qu’ils contenaient ? Des fusils, des revolvers, des cartouches et de la poudre. Deux cents armes !

» Elles sont à vous. Gratuitement. En échange, je demande seulement que vous me permettiez d’obéir à mon dieu et de vous conduire à la bataille contre les rejetons de Satan.

Cade fit signe à Gambion d’avancer. Il se fraya un chemin dans la foule, plusieurs fusils sur les bras et il les distribua aux hommes du premier rang.

Un jeune fermier que Cade reconnut sans se souvenir de son nom, prit un fusil et demanda à Gambion comment on l’armait. Le Brigand barbu lui montra.

Le fermier pointa son arme sur Cade, les yeux brûlant de colère.

— Cade, donne-moi une seule raison de ne pas te tuer ! Et ne me parle pas de Dieu, parce que je ne suis pas croyant.

— Il n’y a aucune raison, mon frère… Je mérite la mort, et je n’essaierai pas d’y échapper.

Cade retint son souffle, mais il ne bougea pas. L’homme rendit le fusil à Gambion.

— Un homme si peu effrayé par la mort est forcément sincère, dit-il. Mais si tu ne l’es pas…

— Fais confiance au Seigneur, mon frère. Tu n’as aucune raison de douter de ma sincérité. En voici la preuve : le Seigneur m’a visité hier, et il m’a dit : « Trois cents cavaliers se dirigent vers tes montagnes, Cade, mais je les ferai tomber entre tes mains. » Combien d’entre vous viendront m’aider à détruire le peuple du Diable ?

Des bras se levèrent et un rugissement jaillit de la foule.

Cade revint en boitillant à l’endroit où Lisa l’attendait, une gourde à la main. Elle lui essuya le visage avec une serviette, étonnée de voir qu’il transpirait à grosses gouttes.

— On dirait que tu reviens de l’Enfer, dit-elle en l’embrassant sur la joue.

— Tu ne crois pas si bien dire ! Quand ce gamin a pointé le fusil sur moi, j’ai cru que c’était fichu. Mais je les tiens, Lisa. Par Dieu, je les tiens !

— J’aurais préféré que tu ne mentes pas au sujet de Dieu. Cela me fait peur.

— Il n’y a rien à craindre… Qui peut savoir ? Dieu est peut-être vraiment venu me rendre visite. C’était son idée que je m’attaque aux Enfants de l’Enfer. Et même si ça ne l’était pas, je crois qu’il aimera que j’extermine ces salauds. Quel mal y a-t-il à ça ?

— C’est se moquer de Dieu, Daniel.

— J’ignorais que tu étais croyante.

— Je le suis ! Et ne te fiche pas de moi.

Il lui prit la main et sourit.

— Pas de plaisanterie, je te le promets. Mais j’ai lu la Bible la nuit dernière, et je t’assure qu’il y a du pouvoir dans ce livre. Pas les miracles, mais plutôt la façon dont un seul homme peut réunir les gens en prétendant qu’il est le porte-parole de Dieu. Ils se battront comme des démons s’ils pensent que Dieu est de leur côté.

— Mais ce n’est pas Dieu qui t’a parlé du convoi, c’est Sébastian !

— Et qui a conduit Sébastian au convoi ?

— Ne joue pas avec les mots, Daniel. J’ai peur pour toi !

Avant qu’il puisse répondre, Lisa posa un doigt sur ses lèvres, l’avertissant de se taire.

Il vit Sébastian monter la colline. Le jeune homme s’assit à côté de lui.

— Était-ce vrai, Dan ?

— Quoi, petit ?

— Ce que tu as dit sur Dieu et sur le convoi ?

Il avait les yeux brillants. Cade regarda Lisa, soudain mal à l’aise.

— Bien sûr, c’était vrai, Sébastian.

— Oh, par l’Enfer ! lança Sébastian, rayonnant.

Il sourit à Lisa et redescendit la pente en courant.

— Qui l’aurait cru ? dit Cade.

— Pas moi, répondit Lisa. Mais lui, oui !

— Que veux-tu dire, Lisa ?

— As-tu vu son visage, Daniel ? Il était extatique ! Maintenant, il regarde le ciel et il voit Dieu lui sourire.

— C’est une si mauvaise chose ?

— Je ne crois pas que tu mesures le pouvoir que procure une telle tromperie.

— Je veux le pouvoir, Lisa. Et cela ne fera pas de mal à Sébastian de penser que Dieu l’aime.

— Je n’en suis pas si sûre… Nous verrons bien. Je m’inquiète surtout à ton sujet. Que leur diras-tu quand quelque chose tournera mal ? Comment leur expliqueras-tu que Dieu t’a menti ?

Cade gloussa.

— Tout cela était aussi dans la Bible, Lisa. C’est un livre très intelligent ! Quand tout va bien, c’est l’œuvre de Dieu. Quand ça se gâte, c’est parce que Dieu a été trahi ou que son peuple a péché. Il ne perd jamais. Et moi non plus. Dieu et moi, nous nous comprenons. Fais-moi confiance.

— Je te fais confiance, Daniel. Je t’aime. Tu es tout ce que j’ai, et tout ce que je veux.

— Je mettrai le monde à tes pieds, Lisa. Tu verras !

 

Deux jours plus tard, Cade et Gambion, campés dans la plaine au-delà des monts Yeager, regardaient les colonnes d’Enfants de l’Enfer se diriger vers eux.

— C’est le moment de filer, Daniel ?

— Pas encore, dit Cade, sortant son fusil et l’armant.

Il se pencha, visa le cavalier de tête et appuya sur la détente.

L’homme tomba de sa selle.

Des balles sifflèrent à leurs oreilles.

— Maintenant, Daniel ?

— Fichtre, oui !

Ils firent tourner bride à leurs chevaux et foncèrent vers le col.

Cade jura, conscient qu’il avait attendu un peu trop longtemps. Une balle tua sa monture, qui s’écroula, l’éjectant de sa selle. Il atterrit lourdement et hurla quand son genou cogna contre un rocher. Gambion était presque à l’abri, mais il revint sur ses pas, sortit son revolver et tira. Par miracle, il ne fut pas atteint. Il tendit une main, saisit Cade par le col et le hissa en travers de sa selle.

Le cheval de Gambion, touché deux fois, continua pourtant à galoper et entra dans le col. Puis, du sang coulant de ses naseaux, il s’effondra. Gambion se dégagea, hissa Cade sur ses épaules et courut vers les rochers. Des balles frôlèrent les deux hommes. Les Enfants de l’Enfer se rapprochaient dangereusement.

Cachés dans les rochers, les fermiers armés de fusils visèrent. Ils ne pouvaient pas encore tirer, car Gambion et Cade étaient quasiment au milieu des ennemis.

Gambion tira, faisant tomber deux cavaliers de leur monture. Mais une balle le frappa à l’épaule. Il s’écroula, laissant tomber Cade, à demi assommé.

Daniel roula sur lui-même et fit face aux gueules des fusils et des revolvers des Enfants de l’Enfer. Il regarda les guerriers, leurs plastrons noirs brillants et leurs casques bizarres.

— Que Dieu vous damne ! dit-il.

Un coup de feu retentit. Cade sursauta, mais le tir venu du col arracha un cavalier de sa selle.

Une salve de coups de feu éclaircit les rangs ennemis. Le vacarme se répercuta dans les montagnes comme l’écho de la colère de Dieu. Quand la fumée se dissipa, la dizaine d’Enfants de l’Enfer survivants détala sans demander son reste.

Cade boita jusqu’à l’endroit où gisait Gambion. Le géant était vivant. La balle avait sectionné un muscle au-dessus de sa clavicule.

Il prit le bras de Cade.

— Je n’avais jamais rien vu de tel, Daniel, murmura-t-il. Jamais ! Je croyais que tu avais menti à ces fermiers, mais maintenant, je contemple la vérité de mes yeux. Les Enfants de l’Enfer n’ont pu t’atteindre, alors que tu étais à terre et sans armes. Puis tu as appelé Dieu à la rescousse…

— Reste tranquille, Ephram. Il faut que j’arrête l’hémorragie.

— Qui l’aurait cru ? Daniel Cade, choisi par Dieu !

— Oui, dit tristement Cade. Qui pourrait le croire ?

 

L’esprit de Donna Taybard échappa à son contrôle dans un tourbillon de lumière qui lui fit tourner la tête. Ses pensées étaient incohérentes et des milliers de voix agressaient son âme.

Voyant les étoiles passer à côté d’elle comme des comètes, elle se jeta dans le cœur de cent soleils, insensible à la chaleur et au froid pendant sa course folle pour échapper aux voix.

Une main toucha la sienne. Elle hurla, mais la main ne la lâcha pas, la tira vers elle, et les voix se turent.

— Calme-toi, mon enfant. Je suis avec toi. Mon nom est Karitas.

— Je ne peux pas supporter ça plus longtemps. Que m’arrive-t-il ?

— C’est la terre, Donna. À mesure que ton enfant grandit en toi, le pouvoir se développe aussi.

— Je n’en veux pas !

— La question n’est pas là. Il faut le maîtriser. Tu ne vaincras pas la peur en la fuyant.

Ils flottèrent tous les deux au-dessus d’une planète bleue et paisible et regardèrent les nuages tourbillonner autour.

— Je ne suis pas capable d’assumer ça, Karitas. Je perds tout sens de la réalité.

— Tout est réel. La vie de la chair et le pouvoir de l’esprit. Ceci est réel. Cornélius Griffin est réel. Abaddon est réel.

— Il m’a couverte de ses ailes noires. Il a dit qu’il me capturera quand il l’aura décidé.

— C’est un menteur de génie. Qui sait où ton pouvoir te conduira ?

— Je suis incapable de le contrôler, Karitas. J’étais assise à la maison, à m’occuper de Jacob et à panser ses blessures, quand il a ouvert les yeux et n’a pas réussi à me voir. J’ai compris que mon corps était endormi dans un fauteuil près du feu et que j’étais allée près de lui en esprit. J’ignore comment j’ai fait !

— Mais tu apprendras. Je te le promets. Et je t’aiderai.

— Que suis-je devenue, Karitas ? Que vais-je devenir ?

— Tu es une femme. Une très jolie jeune femme. Avec quelques siècles de moins, et si je n’étais pas mort, je t’aurais fait la cour !

Elle sourit. Une partie de sa tension la quitta.

— Que sont les voix ?

— Les âmes des dormeurs en train de rêver… Imagine que tu nages dans une rivière d’âmes. Des voix de rencontre… Elles ne sont pas dirigées contre toi. Tu dois apprendre à les filtrer, comme le bruit du vent dans les arbres.

— Ma grossesse est la cause de tout cela ?

— Oui et non. Le bébé et la terre travaillent ensemble.

— Sera-t-elle blessée par ce qui m’arrive ? Sera-t-elle modifiée ?

— Elle ?

— C’est une fille.

— Je l’ignore, Donna. Nous verrons.

 Allez-vous me ramener chez moi ?

— Non. Tu dois trouver le chemin toute seule.

— Je ne peux pas, je suis perdue !

— Essaie. Je te suivrai.

Donna vola vers la planète bleue. Elle effleura les montagnes et traversa d’immenses lacs scintillants et des prairies vallonnées. Elle ne reconnut rien mais vit des villages de tentes, des maisons de pierre, des cabanes, des huttes et même des grottes aménagées en habitations. Elle traversa un océan et regarda des vaisseaux aux voiles triangulaires se battre contre les vents et les récifs. Puis elle arriva au-dessus d’un monde gelé, où les glaciers étaient aussi hauts et imposants que des palais.

— Je ne trouve pas le chemin, dit-elle.

— Ferme les yeux et pense que tu es rentrée chez toi.

Elle essaya. Quand elle rouvrit les yeux, elle était sous la mer, où des requins nageaient autour de la tête d’une immense statue. Paniquée, elle s’enfuit. Karitas la rattrapa.

 Écoute-moi, Donna. La peur et l’angoisse sont tes ennemies. Traite-les avec dédain. Ce sont les servantes d’Abaddon. Chasse-les de ton esprit. Ta maison est une cabane bien chaude où ton mari et ton fils t’attendent. Laisse-toi attirer par leur amour. Tu exploreras plus tard les cités englouties.

Elle ferma les yeux de nouveau et pensa à Cornélius Griffin. Mais le visage de Jon Shannow lui vint à l’esprit. Elle l’effaça, et imagina la tignasse rousse de Griff, assis près de son corps endormi. Il lui tenait la main et de l’inquiétude se lisait sur son visage. Elle s’approcha et ouvrit ses yeux physiques.

— Cornélius, murmura-t-elle.

— Tu vas bien ?

— Oui.

Elle leva la main, lui toucha la joue et se figea.

Ses deux mains reposaient sur ses genoux. Elle l’avait caressé avec son esprit. Ses yeux s’emplirent de larmes.

— Je n’arrive pas à le contrôler, dit-elle. Aucune chaîne ne me retient plus à mon corps.

— Je ne comprends pas. Es-tu malade ?

— Non !

Elle se concentra et se leva. Elle avait l’impression que son âme devenait liquide et que son corps était une éponge incapable de la retenir. Griffin l’aida à regagner son lit. Dans l’autre pièce, Rachel, la femme de Madden, était assise à son chevet, surveillant son sommeil.

Madden s’agita. Il avait perdu beaucoup de sang, mais ses forces revenaient. Il ouvrit les yeux et vit le visage rongé par l’inquiétude de Rachel.

— Ne t’en fais pas pour moi, petite. Je serai sur pied en un rien de temps !

— Je le sais, dit-elle, lui tapotant la main.

Il se rendormit. Rachel remonta les couvertures sous son menton et le laissa. Elle alla rejoindre Griffin près du fourneau à bois.

— Que nous arrive-t-il, Cornélius ? demanda-t-elle.

L’homme regarda les rides de son visage fatigué. Il l’imagina telle qu’elle devait être dix ans plus tôt. Une femme mince et jolie aux grands yeux marron, une apparence fragile cachant sa force. Maintenant, ses cheveux grisonnaient, sa peau avait pris la texture du cuir usé et des cernes noirs soulignaient ses yeux.

— Ce ne sont pas des temps faciles. Mais nous sommes toujours vivants, et prêts à nous battre.

— Nous n’étions pas venus ici pour nous battre. Cornélius, vous nous aviez promis Avalon.

— Je suis désolé.

— Moi aussi.

Il versa du thé.

— Avez-vous faim ?

— Non. Je ferais mieux de rentrer à la maison. Quand pourrons-nous l’y transporter ?

— Dans un jour ou deux.

— Comment va Donna ?

— Elle dort.

— Soyez prudent avec elle, Cornélius. La grossesse perturbe souvent l’esprit des femmes.

— Souvent ?

Elle détourna le regard.

— Non, pas très souvent, mais je l’ai entendu dire.

— Il n’y a pas de problème avec son esprit, Rachel. Sans les pouvoirs de Donna, Jacob serait mort.

— Sans vous, il ne se serait pas fait tirer dessus !

— Je ne peux pas le nier, mais j’espère que vous ne me haïrez pas à cause de cela.

— Je ne vous hais pas, Cornélius. Je vous considère seulement un peu moins comme un ami.

Il la reconduisit à la porte et retourna près du feu.

Les événements échappaient à son contrôle, lui donnant l’impression d’être une feuille ballottée par le vent. Donna était aux prises avec quelque chose que Griffin ne comprenait pas, et les Enfants de l’Enfer encerclaient la vallée.

Mais pourquoi n’attaquaient-ils pas ? Que voulaient-ils ?

Griffin frappa violemment le bras du fauteuil.

Il avait promis Avalon à ces gens…

Et il les avait conduits au Purgatoire.

 

À une heure de la ville en ruine, un nouvel orage se déclencha. La pluie leur cinglait le visage et un vent violent soufflait derrière eux, pareil à un mur invisible. Shannow sortit son grand manteau de cuir de sous sa selle et le jeta sur ses épaules. Le vêtement se gonfla comme une cape, et il eut du mal à glisser ses bras dans les manches. Le hongre baissa la tête et continua à avancer. Shannow noua un foulard autour de son chapeau quand la violence du vent augmenta encore.

Près d’eux, un arbre explosa, foudroyé. Jon essaya de ne pas penser au métal qu’il transportait. Batik se tourna vers lui et cria quelque chose, mais il ne comprit pas ses paroles, avalées par le vent.

La piste montait régulièrement et rétrécissait, devenant une corniche étroite. Shannow fermait la marche. Il sentait son étrier de gauche effleurer la paroi rocheuse tandis que sa jambe droite pendait au-dessus du bord. Impossible de revenir sur leurs pas, car les chevaux ne pouvaient pas tourner.

Des éclairs jaillirent. Le hongre se cabra. Shannow lutta pour le calmer. Dans la lumière étrange des éclairs, l’Homme de Jérusalem regarda en bas, vers le torrent, où des eaux vives couraient au-dessus de rochers pointus.

Il y eut de nouveaux éclairs. Une intuition le poussa à se retourner et scruter la piste.

Six lions chargeaient dans l’orage, pareils à des démons. Ses mains glacées saisirent ses revolvers, mais il était trop tard. Le lion de tête, une énorme bête à la crinière rousse, bondit sur le dos du hongre, ses griffes arrachant la peau et les muscles. Le revolver de Shannow trouva la tête du lion. Il appuya sur la détente. La balle entra dans l’œil de la bête au moment où le hongre, affolé de douleur, sautait de la corniche.

Le coup de feu alerta Batik. Il tira son arme et la vida sur les animaux, qui se détournèrent et s’enfuirent. N’ayant pas la place de descendre de sa monture, l’Enfant de l’Enfer se pencha et regarda le torrent.

Il n’y avait plus trace de l’Homme de Jérusalem.

 

Quand le hongre bascula dans le vide, Shannow eut à peine le temps de sauter de selle et de tendre les bras pour ralentir sa chute. Les rochers l’attendaient, mortels comme des pointes d’épées. Il tomba, incapable de contrôler ses mouvements et toucha l’eau entre deux rochers. Sous le choc, ses poumons se vidèrent. Il lutta pour remonter à la surface, inspira à fond et fut de nouveau entraîné sous l’eau. Son manteau et son ceinturon le tiraient vers le bas. Des rochers blessèrent ses jambes et ses bras pendant qu’il bataillait contre le courant. De temps en temps, quand il avait l’impression que ses poumons allaient éclater, il parvenait à atteindre la surface, puis il était attiré de nouveau sous les flots.

Il se battit obstinément pour sa vie. Puis il fut projeté par-dessus une chute d’une trentaine de pieds de haut. Cette fois, il contrôla son plongeon et entra dans l’eau sous un bon angle. La rivière, de l’autre côté de la chute, était beaucoup moins agitée. Il nagea vers la berge et sortit péniblement de l’eau, épuisant ce qu’il lui restait de force.

Il saisit une racine et y resta accroché un moment, haletant, les jambes toujours dans la rivière. Après quelques minutes de repos, il se traîna dans le sous-bois. Épuisé, il dormit pendant plus d’une heure, puis se réveilla, glacé et frissonnant, des crampes dans les bras. Il s’assit péniblement et vérifia ses armes. Il avait perdu son revolver de gauche pendant sa chute, mais l’autre était toujours dans son étui, protégé par la lanière qui tenait le chien. Et il avait encore dans sa ceinture l’arme prise aux Enfants de l’Enfer. Son hongre gisait à quarante pas sur sa droite. Il tituba jusqu’au cadavre et récupéra ses sacoches, qu’il jeta par-dessus son épaule.

Un lion mort flottait près de là, à demi submergé. Shannow eut un sourire sinistre, espérant que le Zélote qui avait possédé l’animal était mort avec lui.

L’orage faisait toujours rage, et Jon n’avait aucune idée de la direction qu’il devait prendre. Il trouva un refuge précaire dans une faille et s’y blottit pour échapper au vent.

Sentant des bleus s’étendre sur ses bras et ses jambes, il se réjouit de la chaleur qu’ils généraient. Il fouilla dans ses sacoches et en sortit sa cartouchière en cuir huilé. Il prit six balles, vida son revolver et le rechargea. Puis il ramassa quelques brindilles sur le sol, près de son abri. C’était un peu plus sec à cet endroit.

Jon construisit soigneusement une petite pyramide de bois mort. Il ouvrit les balles qu’il avait retirées du revolver, vida la poudre à la base de la pyramide et sortit son briquet à silex. L’amadou était trempé et inutilisable. Il le jeta. Mais il nettoya le silex et actionna plusieurs fois le levier jusqu’à ce que des étincelles jaillissent.

Tenant le briquet le plus près possible de la pyramide, il alluma la poudre. Deux brindilles s’embrasèrent. Il s’accroupit et souffla doucement sur les flammes. Ensuite, il ramassa des branches plus épaisses et s’assit à côté du feu, y jetant du bois jusqu’à ce que la chaleur le force à reculer. Alors, il ôta son manteau et le posa sur un rocher pour le faire sécher.

Une lumière frémissante apparut et prit la forme de Ruth. Translucide au début, son corps devint solide et elle s’assit à côté de lui.

— Je vous cherche depuis des heures, dit-elle. Vous êtes un homme robuste.

— Les autres vont bien ?

— Oui. Ils se sont abrités dans une caverne. Les Zélotes ont fui quand vous êtes tombé de la corniche. Je crois que leur but principal était de vous tuer. Batik les intéresse beaucoup moins.

— Ma foi, ils ont échoué, mais pas de beaucoup. Mon cheval est mort… Le meilleur que j’aie jamais eu. Il courait comme le vent. Et il était courageux. S’il avait eu la place de se retourner, il aurait affronté les lions et les aurait repoussés à coups de sabots.

— Qu’allez-vous faire ?

— Trouver l’Arche, puis Abaddon.

— Et vous le tuerez.

— Oui, si Dieu le veut.

— Comment pouvez-vous parler de Dieu en même temps que d’un meurtre ?

— Pas de sermon, femme ! cria Shannow. Nous ne sommes pas dans votre Sanctuaire, où la magie emplit l’esprit d’un homme de fleurs et d’amour. Ici, c’est le monde réel. Violent et incertain. Abaddon est une obscénité aux yeux de Dieu et des hommes. Un meurtre ? On ne peut pas assassiner la vermine. Il a renoncé à tous ses droits d’humain.

— « La vengeance m’appartient », dit le Seigneur.

— Œil pour œil, dent pour dent, répliqua Shannow. Ne cherchez pas à polémiquer avec moi. Abaddon a décidé de sacrifier la femme que j’aimais. Il m’a nargué avec ça. Je ne peux pas l’arrêter, Ruth. Une nation nous sépare. Mais si le Seigneur est avec moi, je débarrasserai le monde de sa présence.

— Qui êtes-vous pour décider de la mort d’un homme ?

— Qui êtes-vous pour décider de sa vie ? On ne réfléchit pas quand un chien enragé tue un enfant : on abat l’animal. Lorsqu’un homme commet les péchés les plus noirs, pourquoi faire des sermons et rationaliser ? J’en ai assez, Ruth. J’ai perdu le compte du nombre de villages et de villes qui ont fait appel à moi pour les débarrasser des Brigands. Et quand j’ai fini, que disent-ils ? « Étiez-vous obligé de les tuer, maître Shannow ? » « Une telle violence était-elle nécessaire ? » C’est une question d’équilibre… Si un homme jette sa nourriture dans le feu, qui aura pitié de lui quand il se plaindra de mourir de faim ? Il en va de même avec les Brigands. Ils vivent de la violence et de la mort, du vol et du pillage. Et je ne leur accorde aucune pitié. Je ne vous blâme pas, femme. Vous défendez votre époux. Mais je ne vous écouterai pas.

— Ne me prenez pas de haut, maître Shannow, dit Ruth. Vos arguments sont simplistes, mais ils ont du poids. Toutefois, je ne plaide pas pour mon époux. Je ne l’ai pas vu depuis deux siècles et demi et il ignore que je suis en vie. Et s’il le savait, il s’en ficherait ! Je m’inquiète à votre sujet. Je ne suis pas un prophète, et pourtant je devine qu’une terrible catastrophe approche. Et je sens que vous ne devriez pas continuer sur la même voie.

Shannow s’adossa au rocher.

— Si je ne suis pas fou, Ruth, et que ce n’est pas seulement un rêve, je peux vous dire quel est ce danger. Le monde est sur le point de basculer de nouveau.

Il lui raconta sa rencontre avec Pendarric, et parla de la malédiction que charriaient les Pierres de Sang.

Elle écouta en silence, le visage fermé. Quand il eut terminé, elle détourna le regard et ne parla pas tout de suite.

— Je ne suis pas omnipotente, pourtant je sens qu’il manque quelque chose au tableau. La catastrophe correspond à mes craintes. Mais les Pierres de Sang des Enfants de l’Enfer ? Ce sont seulement des fragments, leur pouvoir est minuscule. Déchirer le tissu même de l’univers demanderait une montagne de Sipstrassi et l’utilisation d’un pouvoir maléfique colossal.

— N’essayez pas de faire coller les faits à vos théories, Ruth. Examinez-les tels qu’ils sont. Pendarric a dit que la mort et le sang libèrent le pouvoir des Pierres. Abaddon a envoyé ses armées dans le Sud. Où serait le mal, sinon là ?

Elle haussa les épaules.

— Je l’ignore. Je sais seulement que je me sens très vieille. Je me suis mariée dix-huit ans avant la Chute. J’avais des rêves si romantiques… Et Lawrence n’était pas mauvais, à cette époque.

» Bien que passionné d’occultisme, il était plein d’esprit, courtois et très bien accueilli dans les cercles les plus huppés. Nous avions une fille, Sarah. C’était une enfant adorable ! (Elle se tut. Shannow ne la dérangea pas et attendit.) Elle a été tuée à l’âge de cinq ans, dans un accident. Sa mort a brisé Lawrence. Elle l’a blessé si profondément que personne n’a vu la cicatrice. J’ai pleuré, puis appris à vivre avec ma douleur. Mais il a plongé plus profondément dans l’occultisme. Et il a découvert le satanisme juste avant la Chute.

» Quand la Terre a basculé, nous avons survécu avec trois cents compagnons. Puis ils ont commencé à mourir dans la mer de boue qu’était devenu notre monde. Lawrence les a ralliés sous sa bannière. Il les a aidés à survivre. Il était merveilleux, charismatique, compréhensif, fort et attentionné.

» Pendant trois ans, nous avons été presque heureux. Puis les rêves ont commencé. Il voyait Satan lui parler. Il nous a quittés un temps, errant seul dans les terres sauvages. Puis il est revenu avec une Pierre de Daniel, et l’ère des Enfants de l’Enfer a commencé.

» Je suis restée avec lui huit ans de plus. Mais un jour où Lawrence était parti faire un raid sanglant, j’ai quitté le village avec huit autres femmes. Nous ne l’avons jamais regretté. De temps en temps, j’entends parler de la nouvelle nation et du fou qui s’est donné le nom d’Abaddon. Mais le vrai désastre a eu lieu il y a quatre-vingts ans, quand il a rencontré un homme qui lui a donné les clés du pouvoir. Lui aussi était un survivant de la Chute. Il avait exercé une autre profession, mais son passe-temps, c’était les armes. Abaddon et lui ont réinventé l’armurerie.

— Qu’est-il arrivé à l’homme qui fabriquait les armes ?

— Il y a soixante ans, il était aussi mauvais qu’Abaddon. Mais il s’est repenti. Il a fui l’abomination qu’il avait aidé à créer. Devenu Karitas, il a tenté de se construire une nouvelle vie au sein d’un peuple pacifique.

— Ainsi, je devrais épargner Abaddon, au cas où il se repentirait ? Pas question !

— Pourquoi vous moquer de moi ? Selon vous, Dieu ne peut pas changer le cœur d’un homme ? Vous estimez ses pouvoirs si limités ?

— Je ne mets jamais en question ses pouvoirs ou ses actions. Ce n’est pas à moi de le faire. Peu m’importe qu’il ait exterminé les hommes, les femmes et les enfants de Canaan, ou qu’il ait provoqué Armageddon. C’est son monde. Il est libre de faire ce qu’il veut. Mais je ne vois pas Abaddon emprunter la route de Damas…

— Et Daniel Cade ?

— Que voulez-vous dire ?

— Le voyez-vous prendre pareil chemin ?

— Soyez claire, Ruth. Ce n’est pas le moment de parler par énigmes.

— Le chef des Brigands est maintenant à la tête de la résistance des peuples du Sud contre les Enfants de l’Enfer. Il dit qu’il est guidé par Dieu, et qu’il fait des miracles. Les gens se rassemblent sous sa bannière. Que pensez-vous de cela ?

— De tout ce que vous avez pu me dire, ma dame, c’est ce qui me réjouit le plus. Daniel Cade est mon frère aîné. Croyez-moi, il ne prêchera pas le pardon. Il éliminera les Enfants de l’Enfer, comme le dit le Livre. Par les cieux, ils verront qu’il est encore plus difficile à tuer que moi !

— Je prêche pour une cause perdue, souffla Ruth. Mais dans l’histoire, l’amour est toujours passé au second plan. Nous parlerons de nouveau, maître Shannow.

Ruth se détourna.

Et disparut.

 

Daniel Cade eut plusieurs chocs au cours de la campagne de printemps. Pour commencer, il devint un homme solitaire. Les gens s’approchaient de lui avec une déférence troublante, même ceux qu’il connaissait depuis des années. Quand il arrivait près des feux de camp, les blagues lubriques cessaient de pleuvoir et les gens détournaient le regard, gênés. Lorsque des hommes juraient en sa présence, ils s’excusaient aussitôt. Il s’en était d’abord amusé, persuadé que ces fantaisies cesseraient au bout de quelques jours. Mais ce ne fut pas le cas.

Le deuxième choc vint de Sébastian.

Cade était dans sa cabane avec Lisa quand il entendit crier. Il sortit et vit des hommes descendre la pente à la rencontre d’un petit groupe de réfugiés. Son genou le faisant souffrir, il utilisa sa canne pour avancer plus vite. Une femme d’âge moyen avait pris la tête du groupe, suivie par quatre adolescentes et une dizaine d’enfants. Ils conduisaient par la bride un cheval sur le dos duquel gisait un cadavre.

Quand la femme aux cheveux gris vit Cade, elle courut vers lui et s’agenouilla à ses pieds. La foule recula. Beaucoup de fermiers conservaient une certaine méfiance vis-à-vis de l’ancien Brigand. Ils se turent en voyant la femme pleurer à ses pieds. Cade avança et la releva. Leurs yeux se rencontrèrent.

— Vos ennuis sont terminés, ma sœur…

— Grâce à vous et à la main de Dieu, dit-elle d’une voix tremblante.

— Que t’est-il arrivé, Abigaïl ? demanda un homme.

— C’est toi, Andrew ?

— Oui. Nous pensions que vous étiez perdus !

La femme se laissa tomber sur le sol et l’homme s’agenouilla à côté d’elle. Cade se sentit perdu et étrangement seul.

Puis Lisa le rejoignit et lui prit le bras.

— Nous avions emmené les enfants dans les collines pour un pique-nique, dit Abigaïl. Mais des cavaliers ont envahi la vallée. Nous savions que nous ne pourrions pas y retourner. Pendant des jours, nous nous sommes cachés dans les cavernes. Nous avons mangé des baies, des racines et de la soupe d’ortie. À la fin, la jeune Mary a suggéré d’essayer de rallier les monts Yeager.

» Pendant deux jours, nous avons voyagé de nuit. Le troisième, nous avons couru le risque de traverser les grands pâturages. C’est là que les cavaliers nous ont trouvés. Des hommes mauvais, au regard froid et à l’esprit ignoble. Il y en avait six. Je jure qu’ils n’étaient pas humains !

La femme se tut. Les gens du camp étaient assis en cercle autour d’elle avec les réfugiés. Sauf Cade, que son genou raide empêchait de se baisser.

— Terrifié, un des enfants s’évanouit. Les cavaliers mirent pied à terre et retirèrent leurs casques noirs. Cela augmenta notre peur, car leurs visages affichaient une expression bestiale qui nous glaça le sang.

» L’un d’eux me frappa et je tombai sur le sol. Je ne vous dirai pas ce qu’ils ont fait à certains d’entre nous, mais je vous assure qu’il n’y a aucune honte pour ceux qui l’ont subi, parce qu’il nous était impossible de nous défendre.

» Un homme a sorti un grand couteau, annonçant qu’ils allaient couper la gorge des enfants. Si nous voulions survivre, il faudrait boire leur sang et jurer allégeance à leur dieu démoniaque. Je savais qu’ils mentaient. C’était écrit sur leurs visages. Je les ai suppliés d’épargner les petits, et ils se sont moqués de moi. Puis nous avons entendu un bruit de sabots. Les six monstres se sont retournés. Un cavalier arrivait. Il y eut deux explosions violentes, et – béni soit Dieu – les balles touchèrent deux hommes, qui s’écroulèrent. Les quatre autres ouvrirent le feu. Le cavalier, touché à la poitrine, tomba de sa selle.

» Ils n’ont pas regardé leurs camarades blessés. Le chef s’est tourné vers moi. « Ta mort sera très lente, vieille sorcière ! » a-t-il dit.

» Un autre coup de feu retentit. Du sang coulant à flots de sa poitrine, le jeune homme avança en titubant. Les Enfants de l’Enfer lui tirèrent dessus à plusieurs reprises, mais il continua à riposter, chaque coup faisant une nouvelle victime. Cela s’est passé si vite ! Pourtant, je revois chaque seconde comme si elle avait duré une heure. Le jeune homme, les dents serrées, luttait contre la douleur, refusant de mourir avant que nous soyons sauvés. Le chef fut le dernier à périr, le cœur transpercé par une balle…

» J’ai couru vers notre sauveur, et j’ai fermé les yeux devant ses blessures. Son dos avait éclaté, ses côtes semblables à des fragments d’ailes brisées. Le sang bouillonnait dans sa gorge, mais ses yeux étaient clairs et il me sourit, comme s’il était heureux d’être couché là comme une poupée déchirée.

» J’avais du mal à le voir à travers mes larmes quand il parla. « Daniel Cade m’a envoyé », murmura-t-il. « Comment savait-il que nous étions là ? » ai-je demandé. « Nous sommes l’armée de Dieu…»

» Puis il est mort. Son visage était si paisible et joyeux ! J’ai compté ses blessures. Il y en avait quatorze. Aucun homme n’aurait pu survivre aussi longtemps si la main du Tout-Puissant ne l’avait pas touché.

» Nous l’avons soulevé de terre et posé sur son cheval. Il ne pesait pas plus qu’un enfant. Nous sommes venus ici, comme nous en avions l’intention, et personne ne s’est dressé en travers de notre chemin. Nous avons croisé des patrouilles de cavaliers noirs, mais ils ne nous ont pas vus, alors que nous ne nous cachions pas. Protégés par l’esprit de ce jeune homme, nous l’avons ramené pour qu’il soit enterré près de son peuple. Mais nous ne savons pas son nom.

La femme s’arrêta de parler et regarda Cade.

— Il s’appelait Sébastian, et il avait dix-neuf ans…

Il se tourna pour partir, mais un fermier l’interpella.

— Ce gamin était un tueur, un violeur et un voleur. Je connaissais les salauds avec qui il était, et il n’avait jamais rien fait d’honnête de sa vie.

— C’est impossible ! cria Abigaïl.

— Par Dieu, je jure que c’est vrai, dit le fermier. Mais j’aiderai à creuser sa tombe, et je serai fier de lever ma pelle. (Il se tourna vers Cade.) Je ne m’explique pas cela, et je n’ai jamais cru ni en Dieu ni au Diable. Mais si un garçon comme Sébastian peut donner sa vie ainsi, il doit y avoir quelque chose. Je serai honoré que vous m’acceptiez à votre prochaine réunion de prières.

Cade hocha la tête. Lisa l’accompagna jusqu’à leur cabane. Il tremblait quand ils y arrivèrent. Elle fut étonnée de voir des larmes couler sur ses joues.

— Pourquoi ? dit-il. Pourquoi a-t-il fait ça ?

— Tu l’as entendu, Daniel. Il appartenait à l’armée de Dieu.

— Ne commence pas avec ça ! Je ne lui ai pas dit qu’il y avait une femme et des enfants. Je lui avais seulement demandé de voir s’il trouvait des réfugiés.

— Ce que tu lui as dit pour l’impressionner, c’est que Dieu t’avait ordonné de l’envoyer à l’Ouest pour chercher des réfugiés.

— Quelle différence ? Je ne lui ai pas précisé à quel endroit exact ils étaient !

— Pour un homme aussi intelligent et rusé, tu me surprends. Tu envoies un des tiens chercher au hasard, mais pour Dieu, il n’existe pas de hasard. Dans l’esprit de Sébastian, les réfugiés étaient forcément là. Ils avaient besoin de lui. Et il est arrivé à les sauver, même en étant criblé de balles.

— Que m’arrive-t-il, Lisa ? Tout va de travers.

— Au contraire. Que vas-tu faire au sujet de la réunion de prières ?

— Quelle réunion ?

— Tu n’as pas fait attention, n’est-ce pas ? Le fermier a demandé s’il pouvait participer à la prochaine, et une cinquantaine d’autres hommes ont approuvé. Ils veulent t’entendre parler. Ou plutôt, être présents quand Dieu parlera par ta bouche.

— Je ne peux pas faire ça. Tu le sais !

— Je le sais. Mais tu dois le faire. Tu as lancé cette mascarade, et il faut vivre avec. Tu leur as donné de l’espoir. Maintenant, trouve un moyen de le nourrir.

— Je ne suis pas un prêtre ! Par le Christ ! Je n’y crois même pas.

— Cela n’a plus d’importance. Tu es Daniel Cade le Prophète, et tu vas mettre en terre ton premier martyr. Personne ne voudrait rater ton oraison funèbre.

Lisa avait raison.

Ce soir-là, Gambion vint trouver Cade et lui annonça qu’ils enterreraient Sébastian au sommet d’une colline. Il lui demanda de prononcer quelques mots. Quand l’ancien Brigand monta sur la colline, le soleil couchant illuminait les montagnes, à l’ouest. Six cents personnes étaient réunies autour de la tombe fraîchement creusée.

Cade ouvrit sa Bible et inspira à fond.

— Il y a bien longtemps, dit-il, on demanda au Seigneur Jésus d’expliquer comment, dans les derniers jours, le bon grain serait séparé de l’ivraie. Sa réponse fut de celles que Sébastian aurait aimé entendre. Elle ne prétendait pas qu’il fallait avoir été bon toute sa vie. Heureusement, parce que c’était un garçon au sang chaud. Il avait commis quelques méfaits qu’il aurait préféré oublier.

» Quand le Seigneur en est arrivé aux gens destinés au feu éternel et à la damnation, il a dit : « Retirez-vous loin de moi, vous que Dieu a maudits, et allez dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’ai souffert de la faim, et vous ne m’avez rien donné à manger. J’ai eu soif, et vous ne m’avez rien donné à boire. J’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli chez vous. J’étais nu, et vous ne m’avez pas donné de vêtements. J’étais malade et en prison, et vous n’avez pas pris soin de moi. »

» Ils répondirent par ces mots : « Mais, Seigneur, quand t’avons-nous vu souffrant de la faim ou de la soif ; quand t’avons-nous vu étranger, nu, malade ou en prison, et avons-nous négligé de te rendre service ? » Il leur a répondu : « Vraiment, je vous l’assure : chaque fois que vous n’avez pas fait cela au moindre de ceux que voici, c’est à moi que vous avez manqué de le faire. »

» Voulez-vous savoir ce que ça signifie ? Si vous répondez « oui », regardez dans votre propre cœur. Sébastian le savait. Il a vu les faibles en danger et il a chevauché jusqu’en Enfer pour les en ramener. Il est allé aux frontières de la mort, mais l’ennemi n’a pas pu l’arrêter. Maintenant, alors que le soleil se couche, il est en route pour la gloire.

» Quand il arrivera au ciel et que quelqu’un soulignera qu’il a été mauvais, le Seigneur mettra son bras autour des épaules de Sébastian et dira : « Cet homme est mien car il a pris soin de mes agneaux. »

Cade s’arrêta et essuya la sueur qui coulait sur son visage. Il avait fini son discours, mais devinait que les gens attendaient toujours. Quelque chose manquait.

Il leva les bras.

— Prions !

Tout le monde tomba à genoux.

Cade déglutit péniblement.

— Ce soir, nous sommes réunis pour dire adieu à notre frère Sébastian, et implorer le Seigneur Tout-Puissant de l’accueillir pour l’éternité. Et nous demandons, quand viendront des heures sombres, que le courage de Sébastian soutienne celui de chaque homme et de chaque femme. Quand la peur frappera dans la nuit, pensez à Sébastian. Quand les Enfants de l’Enfer attaqueront, pensez à Sébastian. Et quand l’aube semblera trop loin, pensez au jeune homme qui a donné sa vie pour que d’autres survivent.

» Seigneur, nous sommes votre armée, et nous existons pour accomplir votre volonté. Soyez avec nous à tout jamais. Amen.

Trois hommes soulevèrent le corps de Sébastian et le couchèrent doucement dans sa tombe, lui couvrant le visage avec un morceau de lin. Cade regarda le corps, luttant contre des larmes qu’il ne comprenait pas. Gambion lui serra l’épaule et sourit.

— Où irons-nous après, Daniel ?

— Nulle part.

— Je ne comprends pas.

— L’ennemi approche. Des milliers d’hommes…