Chapitre 3

 

 

Cornélius Griffin pivota sur sa selle et regarda les bœufs gravir péniblement la pente raide. Le premier des dix-sept chariots avait atteint la crête. Les autres peinaient le long de la pente.

Griffin était fatigué. La poussière volcanique lui brûlait les yeux. Il étudia le terrain. À cette hauteur il était à bonne distance. Aussi loin que la vue portait, le sable volcanique noir s’étendait d’un sommet déchiqueté à un autre.

Ils voyageaient depuis cinq semaines après s’être joints à la caravane de douze chariots de Jacob Madden, au nord de Rivervale. Depuis, ils n’avaient vu ni cavaliers ni Brigands. Pourtant, Griffin se méfiait. Il avait plusieurs cartes de la région dans ses sacoches. Leurs indications concordaient rarement, mais elles étaient toutes d’accord sur un point. Au-delà de l’étendue de lave vivait une bande de Brigands de la pire espèce : des mangeurs de chair humaine.

Griffin avait essayé de préparer au pire les gens de sa caravane. Aucune famille n’avait été autorisée à partir si elle ne possédait pas au moins un fusil ou un revolver. Il y avait actuellement plus de vingt armes dans le convoi, assez pour repousser n’importe quel raid de Brigands.

Cornélius Griffin était un homme prudent et, comme il s’en vantait souvent, un excellent chef de convoi. C’était le troisième qu’il organisait en onze ans. Il avait survécu à la sécheresse, à la peste, aux attaques de Brigands, aux tempêtes et à une inondation. Les gens disaient qu’il était chanceux. Mais lui savait que la chance était le résultat d’une bonne réflexion et d’un travail acharné. Chacun des chariots de vingt-deux pieds de long équipés d’une roue et d’un axe de rechange accrochés derrière les hayons transportait soixante livres de farine, trois sacs de sel, quatre-vingts livres de viande séchée, trente livres de fruits secs et six tonneaux d’eau. Deux chariots contenaient des marchandises réservées aux échanges commerciaux : des marteaux, des clous, des couteaux, des lames de scie, des pioches, des couvertures et des vêtements. Griffin se targuait de ne rien laisser au hasard.

Les colons qui voyageaient sous ses ordres étaient durs et intrépides. Malgré ses manières bourrues, Griffin les aimait tous. Des gens de bien, forts, courageux, loyaux et prêts à tout risquer pour réaliser leurs rêves de lendemains meilleurs.

Griffin regarda le chariot des Taybard s’attaquer à la pente. La femme, Donna, l’intriguait. Elle était à la fois dure comme de l’acier et douce comme de la soie, un contraste fascinant. Le chef de convoi se laissait rarement aller aux élans du cœur, mais si Donna Taybard avait été libre, il aurait volontiers transgressé ses propres règles. Le fils, Éric, courait à côté des bœufs, les faisant avancer avec une badine. Un garçon calme, mais Griffin l’aimait bien. Rapide et intelligent, il apprenait vite. L’homme était une autre affaire…

Griffin avait toujours su évaluer les gens. C’était vital pour un chef. Mais la personnalité de Jon Taybard lui échappait, même s’il avait deviné qu’il utilisait un nom d’emprunt. La relation entre Éric et lui était tendue. Le garçon l’évitait autant que possible, sauf aux repas. Mais Taybard savait s’y prendre avec les chevaux et ne rechignait jamais devant les tâches que lui confiait Griffin.

Le chariot des Taybard arriva au sommet de la colline, suivi par celui du vieux savant Peacock. L’homme était si maladroit que son véhicule s’arrêta à mi-pente. Griffin le rejoignit et sauta sur le siège du conducteur, laissant son cheval courir à son gré.

— Vous n’apprendrez donc jamais, Ethan ? dit-il en prenant les rênes et le fouet de l’homme.

Il fit claquer la lanière de cuir au-dessus des oreilles du bœuf de tête. L’animal avança et le chariot s’ébranla.

— Vous êtes sûr de ne pas savoir lire, Cornélius ? demanda Peacock.

— Pourquoi vous mentirais-je, érudit ?

— Je vous demande cela parce que cet imbécile de Phelps m’exaspère prodigieusement ! Je le soupçonne de lire seulement les parties qui confirment son opinion.

— J’ai vu Taybard avec une Bible, dit Griffin. Demandez-lui.

Le chariot dépassa le sommet de la colline. Griffin grimpa sur le marchepied et siffla son cheval. L’étalon alezan arriva aussitôt.

Griffin remonta en selle.

Le chariot de Maggie Ames fut le deuxième à s’arrêter au milieu de la pente, une roue arrière coincée par un rocher. Griffin descendit de cheval et délogea le rocher. Un sourire éblouissant le récompensa. Il la salua et s’éloigna. Maggie était une jeune veuve, donc une femme dangereuse.

Tout l’après-midi, le convoi s’échina sur la pente poussiéreuse. Les bœufs étaient fatigués. Griffin partit en éclaireur pour trouver un endroit où dresser le camp.

Il n’y avait pas d’eau dans le secteur. Il ordonna aux chariots de s’arrêter sur une butte, au-dessus de la plaine, à l’ombre d’une falaise impressionnante. Griffin enleva la selle de son alezan et l’étrilla. Puis il remplit d’eau son chapeau en cuir et fit boire l’animal.

Dans le camp, chacun s’occupait de ses bêtes, essuyant la poussière des naseaux des bœufs et les abreuvant. En voyage, les animaux étaient plus que des bêtes de trait. Ils représentaient la survie.

Le cocher de Griffin, un vieil homme taciturne appelé Burke, avait allumé un feu et faisait cuire un ragoût à l’odeur peu appétissante. Griffin s’assit en face de l’homme.

— Encore une longue journée, dit-il.

Burke grogna.

— Ce sera pire demain.

— Je sais.

— Nous ne tirerons pas grand-chose de plus de ces bêtes. Elles ont besoin d’au moins une semaine de repos et de bons pâturages.

— Tu as vu de l’herbe quelque part, aujourd’hui, Jim ? demanda Griffin, sarcastique.

— N’empêche, elles en ont besoin.

— D’après la carte, nous devrions trouver des prairies dans les trois prochains jours.

— De quelle carte s’agit-il ?

— Celle de Cardigan. Elle me paraît la plus fiable.

— Ouais… C’est bien le type qui a rencontré les mangeurs d’humains ? Ils ont fait rôtir vivant ses compagnons, c’est ça ?

— C’est ce qu’il a dit. Parle moins fort, Jim !

Burke montra la silhouette corpulente d’Aaron Phelps, le spécialiste des arcanes, qui approchait du chariot de Peacock.

— Il ferait un bon repas pour ces Brigands !

— Cardigan est passé par ici il y a vingt ans. Pourquoi ces Brigands seraient-ils toujours là ? La plupart des fauteurs de troubles sont des nomades.

— Je suppose que tu as raison, Cornélius, dit Burke. Mais nous devrions tout de même envoyer Phelps en avant-garde. Il nourrirait une tribu entière !

— Je préférerais t’y envoyer, Jimmy. Tu les dégoûterais à tout jamais de la chair humaine. Depuis cinq ans que je te connais, tu n’as pas pris un bain !

— L’eau donne des rides, dit Burke. Je me souviens de ça, quand j’étais jeune. L’eau vous ratatine !

Griffin prit le bol de ragoût que lui tendit Burke. Le goût était encore pire que l’odeur, mais il mangea, terminant le repas par du pain et du sel.

— Je me demande comment tu arrives à préparer des plats aussi mauvais…

Burke sourit.

— Je n’ai pas les ingrédients qu’il faudrait. Mais si tu me donnais Phelps…

Griffin se leva. Roux et de grande taille, il paraissait plus que ses trente-deux ans. Il avait de larges épaules et un début de bedaine en dépit des talents culinaires limités de Burke.

Il se promena entre les chariots, discutant avec les familles réunies autour des feux. Il ignora Phelps et Peacock, qui se disputaient comme d’habitude. Il s’arrêta près du chariot des Taybard.

— Je voudrais vous parler, maître Taybard.

Jon Shannow posa son assiette et se leva, suivant Griffin sur la piste. Le chef de convoi et lui s’assirent sur des rochers, face à face.

— Les jours à venir pourraient être difficiles, maître Taybard, annonça Griffin.

— De quelle manière ?

— Il y a quelques années, cette région était infestée de Brigands. Quand nous arriverons dans la plaine, nous devrions trouver de l’eau et de l’herbe. Nous serons obligés de nous arrêter une semaine, au moins. Pendant ce temps, nous serons peut-être attaqués.

— Comment puis-je vous aider ?

— Vous n’êtes pas un fermier, maître Taybard. J’ai le sentiment que vous seriez plutôt un chasseur. J’aimerais que vous vous chargiez des reconnaissances.

Shannow haussa les épaules.

— Pourquoi pas ?

Griffin remarqua que son interlocuteur n’avait pas demandé qui étaient ces Brigands , ni de quelles armes ils disposaient.

— Vous êtes un homme étrange, maître Taybard.

— Mon nom n’est pas Taybard, mais Shannow.

— J’ai entendu parler de vous, Shannow. Mais je vous appellerai Taybard tant que vous ferez partie de notre convoi.

— Comme vous voulez.

— Pourquoi m’avez-vous révélé votre identité ?

— Je n’aime pas mentir.

— La plupart des gens mentent pourtant sans problèmes. Mais vous n’êtes pas un homme ordinaire. On m’a rapporté le travail que vous avez fait à Allion.

— Il n’a servi à rien. Les Brigands sont revenus dès que j’ai eu tourné le dos.

— Là n’est pas la question.

— Que voulez-vous dire ?

— Vous avez montré le chemin aux habitants. À eux de le suivre ! Les gens d’Allion ont été stupides : on ne jette pas le balai quand on a fini de nettoyer une pièce !

Shannow sourit. Griffin s’aperçut qu’il se détendait.

— Êtes-vous un lecteur de la Bible, maître Griffin ?

Le chef de convoi sourit à son tour.

— Je dis aux gens que je ne sais pas lire. En fait, j’ai étudié le Livre. Il y a beaucoup de choses sensées dedans. Mais je ne suis pas croyant, et je doute que Jérusalem existe.

— Un homme doit avoir un but dans la vie, même si c’est trouver une cité qui n’existe pas.

— Vous devriez parler à Peacock. Il a des milliers de documents sur l’Ère Noire. Maintenant que sa vue baisse, il a besoin d’aide pour les étudier.

Griffin se leva, mais Shannow l’arrêta d’un geste.

— Je voulais vous remercier de m’avoir accueilli si bien.

— Ce n’est rien, maître Shannow. Je ne suis pas un faible, et je ne crains ni les ombres, ni les réputations comme la vôtre. Je vous demanderai seulement de réfléchir à une chose : pourquoi chercher Jérusalem ? Vous avez une bonne épouse et un fils qui auront besoin de vous à la maison. Où quelle soit !

Shannow ne répondit pas. Griffin retourna près des chariots. Jon resta où il était, perdu dans ses pensées. Vers minuit, Donna le trouva assis sous les étoiles et s’installa près de lui, un bras autour de sa taille.

— Tu es troublé, Jon ?

— Non. Je pensais au passé.

— Le Prester disait : « Le passé est mort, l’avenir n’est pas encore né. Nous avons seulement le présent, et nous le traitons mal. »

— Je n’ai rien fait pour te mériter, ma dame. Mais je remercie le Seigneur tous les jours de t’avoir rencontrée.

— Que voulait maître Griffin ? demanda-t-elle, embarrassée par ses paroles.

— Il souhaite que je parte en reconnaissance demain.

— Pourquoi toi ? Tu ne connais pas ce territoire.

— Pourquoi pas moi, Donna ?

— Ce sera dangereux ?

— Je l’ignore. Peut-être.

— Jon ! J’aimerais parfois que tu apprennes à mentir un peu !

 

Shannow quitta le convoi une heure après l’aube. Quand les chariots furent hors de vue, il sortit sa Bible et l’ouvrit au hasard.

« Car je vais créer de nouveaux deux et une nouvelle terre. On ne se rappellera plus les choses passées, elles ne reviendront plus à l’esprit. »

Il ferma le Livre et le remit dans sa sacoche. Puis il partit au petit galop vers le nord, traversant l’étendue de sable volcanique noir.

Depuis des semaines, il écoutait les querelles mesquines des deux lettrés, Phelps et Peacock. Il en avait retiré quelques réflexions utiles, mais les deux hommes lui rappelaient les paroles de Salomon : « Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de chagrin, et celui qui augmente sa science augmente sa douleur. »

Le soir précédent, ils avaient polémiqué pendant plus d’une heure sur le sens du mot « train ». Phelps disait qu’il s’agissait d’un moyen de locomotion mécanique de l’Ère Noire, alors que Peacock maintenait que c’était un terme générique s’appliquant à un groupe de véhicules, par exemple un convoi de chariots. Phelps soutenait avoir jadis possédé un livre qui expliquait le fonctionnement des trains. Peacock répliqua en lui montrant un texte ancien qui parlait de lapins et de chats qui s’habillaient pour dîner avec un rat.

— Qu’est-ce que ça à voir avec ce qui nous intéresse ? demanda Phelps, son visage gras rougissant de colère.

— Beaucoup de livres de l’Ère Noire ne disent pas la vérité. Les gens de cette époque aimaient mentir. À moins que vous croyiez vraiment qu’il existait un village habité par des lapins en costume ?

— Vieil idiot ! cria Phelps. Il est aisé de voir quels ouvrages sont de la fiction. Le livre sur les trains était vrai.

— Comment le savez-vous ? Parce qu’il était plausible ? J’ai vu un jour une image d’un homme, la tête couverte d’un bol en verre et brandissant une épée. D’après le texte, il marchait sur la lune.

— Encore une fiction ! Et ça ne prouve rien, dit Phelps.

Ils continuèrent comme ça. Shannow trouvait que leur dispute n’avait pas de sens.

Pris à part, ils étaient convaincants. Phelps soutenait que l’Ère Noire avait duré environ mille ans, et que la science avait produit pendant ce temps des merveilles comme les trains et les machines volantes, ainsi que les revolvers et des armes plus puissantes. Peacock, convaincu que l’Ère Noire avait duré moins de cent ans, citait la promesse du Christ à ses disciples selon laquelle certains d’entre eux seraient encore en vie quand la fin surviendrait.

— Si cette promesse était fausse, disait-il, la Bible entière devrait être tenue pour une fiction de l’Ère Noire.

Shannow penchait pour l’interprétation biblique de Peacock, mais il trouvait Phelps plus ouvert et plus curieux.

Il se força à oublier les arguments fumeux des deux érudits, se concentrant sur la piste. Devant lui, le sable volcanique cédait la place à une pente couverte d’herbe et ombragée par des arbres. Au sommet de la colline, il s’arrêta et regarda la vallée où couraient des rivières scintillantes.

Il étudia le terrain un long moment : aucun signe de vie, pas d’habitations humaines en vue. Il descendit prudemment de l’autre côté de la colline, suivant une piste de daims qui menait à une grande mare d’eau limpide. Le sol, autour de la mare, était couvert de traces d’animaux de toutes sortes : des daims, des moutons, des chèvres, des buffles et même des lions et des ours. Près de la mare se dressait un grand pin. Dix pieds au-dessus du sol, Jon vit les marques de griffes dans l’écorce qui délimitaient le territoire de l’ours brun. Animaux raisonnables, les ours ne se battaient pas entre eux, se contentant de marquer les arbres. Quand un mâle arrivait, il se dressait sur ses pattes arrière et griffait l’écorce. S’il la rayait plus haut que l’ours précédent, ce dernier partait dès qu’il avait constaté que son adversaire était plus grand et plus fort. Si le nouvel ours ne parvenait pas à dépasser son prédécesseur, il quittait le territoire et se lançait à la recherche d’un autre. Shannow aimait cette idée. Mais même dans ce domaine, un peu d’astuce ne faisait pas de mal.

Pendant son séjour à Allion, Jon avait vu un ours de petite taille s’approprier un territoire immense. Sorti d’hibernation au milieu de l’hiver, il avait grimpé sur la neige accumulée contre les troncs, les marquant trois pieds plus haut que les autres. Shannow avait trouvé cet ours bien sympathique.

Il examina les alentours de la mare, puis repartit vers les chariots par un chemin différent. Au sommet d’une butte, il sentit la fumée d’un feu de bois et s’arrêta, sondant l’horizon. Le vent venait de l’est. Il fit avancer son cheval au pas à travers les arbres.

L’odeur devint plus forte. Shannow descendit de sa monture et l’attacha à un arbre. Puis il continua à pied à travers les buissons et les arbustes. Arrivé près d’une clairière, il entendit des gens parler dans une langue qu’il ne connaissait pas, même si certains mots lui rappelaient quelque chose. Il se mit à plat ventre et s’approcha, attendant que le bruit du vent dans les feuilles couvre celui de ses mouvements. Au bout de quelques minutes, il déboucha à la lisière de la clairière et regarda entre les feuilles. Sept hommes étaient assis autour d’un grand feu. Presque nus, ils portaient sur le corps des marques de peinture bleues et jaunes. À côté d’un des hommes gisait un pied humain coupé. Jon sentit de la sueur lui couler dans les yeux. Puis un des hommes se leva et avança vers lui. Il s’arrêta à quelques pas de sa position, écarta son pagne en peau de daim et urina contre un arbre.

Par la trouée dans le cercle de campeurs, Shannow vit les restes d’un corps humain embroché au-dessus du feu.

Écœuré, il détourna le regard. De l’autre côté du camp, deux prisonniers étaient attachés près d’un arbre. Des enfants de l’âge d’Éric. Ils portaient des tuniques en peau de daim ornées de motifs complexes et leurs cheveux noirs étaient tressés. Tous deux étaient en état de choc, les yeux écarquillés et le visage inexpressif. Shannow s’obligea à examiner le cadavre. C’était aussi celui d’un enfant. La colère monta en lui. Ses yeux brillèrent comme ceux d’un animal sauvage.

Il lutta pour contenir sa fureur, mais elle le submergea. Il avança, ses mains cherchant instinctivement la crosse de ses revolvers, et entra dans la clairière. Les hommes se levèrent en le voyant. Ils tirèrent des couteaux et des hachettes de leurs ceintures de corde et de peau. Shannow leva ses revolvers.

— « C’est de l’Éternel des armées que viendra le châtiment, avec des tonnerres, des tremblements de terre et un bruit formidable…»

Il appuya sur la détente de ses armes. Deux hommes s’écroulèrent. Les cinq autres chargèrent en hurlant. Deux d’entre eux tombèrent, l’un une balle à travers la tête et l’autre en se tenant le ventre. Un troisième arriva près de Jon. Il leva sa hachette, visant la tête. Shannow bloqua le coup du bras droit et lui fourra son revolver de gauche sous le menton. Quand il fit feu, le sommet du crâne de l’homme explosa.

Une massue atteignit Jon à la tempe. Il tira en tombant et fit exploser le genou d’un homme. Un couteau s’abattit sur lui. Jon roula sur le côté, fit feu et toucha son agresseur à la poitrine. Son assaillant s’écroula sur lui. Il se dégagea du cadavre et se remit péniblement debout. L’homme au genou fracassé s’éloignait en rampant.

— «… Et un bruit formidable, avec l’ouragan et la tempête, et avec la flamme d’un feu dévorant. »

Le cannibale leva les mains pour se protéger le visage. Shannow tira. Les balles traversèrent les mains tendues et le visage caché derrière.

Shannow tomba à genoux. Sa tête le lançait et il voyait trouble. Il inspira à fond, essayant de contrôler sa nausée. Quelque chose bougea sur sa droite. Il pointa son revolver et entendit un enfant crier.

— Tout va bien, dit Shannow, étourdi. Je ne vous ferai pas de mal. « Laissez venir à moi les petits enfants. » Donnez-moi une minute…

Il s’assit et se palpa le crâne. Du sang coulait sur son visage et sur sa chemise. Il rengaina ses revolvers et rampa vers les deux enfants. Puis il coupa leurs liens.

Le plus grand s’enfuit dès que les cordes tombèrent, mais l’autre leva la main et toucha le visage de Shannow là où coulait le sang. Jon essaya de lui sourire, mais l’univers tournoya autour de lui.

— Pars, petit. Tu me comprends ? Pars !

Shannow tenta de se lever, mais il retomba lourdement. Il rampa, arriva près d’une petite mare d’eau fraîche et regarda son sang couler dans l’eau et partir au fil du courant. Il trouva cela amusant et lâcha un petit rire.

— « Il me dirige près des eaux paisibles. Il restaure mon âme. »

L’enfant le rejoignit et tira sur sa manche.

— D’autres arrivent !

Shannow ferma les yeux, essayant de se concentrer.

— D’autres Carns arrivent ! Partez ! cria l’enfant.

Shannow dégaina ses revolvers, retira les barillets et en sortit deux chargés de sa poche pour les remplacer. Puis il remit les axes d’extracteurs en place et rengaina ses armes.

— Qu’ils viennent ! dit-il.

— Non. Beaucoup de Carns, dit le gamin, levant les mains à plusieurs reprises.

Dix, vingt, trente, quarante…

— J’ai compris, petit. Aide-moi à me lever.

Le gamin fit de son mieux, mais Shannow était grand et lourd. Ils avancèrent lentement. Des cris de colère retentirent. Shannow entendit des hommes foncer à travers le sous-bois. Il essaya d’aller plus vite, mais il tomba, entraînant l’enfant avec lui.

Il se remit debout avec difficulté et continua en titubant. Un corps aux rayures bleues et jaunes jaillit des buissons. Shannow leva la main et tira. Le guerrier disparut dans le sous-bois.

Le jeune garçon courut jusqu’au cheval de Shannow et le détacha. Puis il sauta en selle. Jon s’accrocha au pommeau et se hissa derrière l’enfant.

Le hongre partit au galop quand trois hommes débouchèrent de la forêt. Shannow vacilla, mais l’enfant tendit la main derrière lui et l’empêcha de tomber.

Il rengaina ses revolvers et bascula en avant contre le dos du gamin, qui jeta un coup d’œil derrière lui. Les Carns avaient abandonné la poursuite et retournaient dans la forêt.

Le jeune garçon glissa les doigts dans la ceinture de Shannow pour le maintenir en selle.

Ce ne fut pas facile, mais Selah était fort. Et il devait la vie à cet homme.

 

Donna Taybard cria. Éric tira sur les rênes et sur le levier du frein. Le chariot s’arrêta. Le jeune garçon sauta par-dessus le dossier du siège du conducteur et les sacs de nourriture.

Sa mère était en larmes.

— Qu’y a-t-il ?

— Shannow ! Oh, mon pauvre Jon !

Cornélius Griffin arriva et mit pied à terre. Après avoir sauté dans le chariot, il s’agenouilla près de la femme qui leva les yeux vers lui.

— Il est mort, dit-elle.

— C’était seulement un cauchemar, maîtresse Taybard.

— Non ! Il a arraché deux enfants aux sauvages. Maintenant, il est enfoui profondément dans la terre !

— Un rêve, insista Griffin, lui posant une main sur l’épaule.

— Vous ne comprenez pas, maître Griffin. J’ai un don. Nous nous dirigeons vers un endroit où il y a deux lacs entourés par des pins. Une tribu qui se peint le corps en bleu et jaune y habite. Shannow a tué un grand nombre d’hommes et s’est enfui avec un enfant. Maintenant, il est mort ! J’en suis sûre !

— Vous avez des dons de Perceptions Extra-sensorielles, Donna ?

— Oui… Non. Je vois à distance ceux qui me sont proches. Shannow est enterré.

Griffin lui tapota l’épaule et descendit du chariot.

— Que se passe-t-il, Cornélius ? demanda Ethan Peacock. Pourquoi nous sommes-nous arrêtés ?

— Maîtresse Taybard a eu un malaise. Nous repartons tout de suite. (Il se tourna vers Éric.) Laisse-la se reposer, petit, et fais avancer tes bœufs.

Il remonta en selle et retourna près de son propre chariot.

— Un problème ? demanda Burke.

— Rien d’important, Jim. Donne-moi mes armes.

Burke monta dans le chariot et ouvrit un coffret en noyer orné de cuivre. Il contenait deux pistolets à silex à deux canons. Burke les arma avec de la poudre qu’il prit dans une corne, puis il récupéra les étuis de selle pendus à un crochet sur le flanc du chariot.

Cornélius Griffin posa les étuis sur son pommeau et y rangea les armes. Puis il partit au petit galop vers le chariot de Madden.

— Des ennuis ? demanda le fermier barbu.

Griffin hocha la tête.

— Confiez les rênes à votre fils et rejoignez-moi en tête du convoi.

Griffin fit pivoter son cheval et avança vers le chariot de tête. Si Donna Taybard avait raison, son convoi était en danger. Il jura, car il savait qu’elle ne se trompait pas.

Madden le rejoignit, monté sur un hongre gris ardoise. Grand et mince, le visage anguleux, il portait une barbe noire taillée court, mais pas de moustache. Sa bouche était mince et sévère et ses yeux sombres profondément enfoncés. Il tenait un fusil au creux du bras gauche et un couteau de chasse à manche de corne pendait à son flanc.

Griffin lui parla des craintes de Donna.

— Vous pensez quelle a raison ?

— Oui. Le journal de Cardigan parle des rayures bleues et jaunes.

— Qu’allons-nous faire ?

— Nous n’avons pas le choix, Jacob. Les animaux ont besoin d’herbe et de repos. Nous devons y aller !

— Avons-nous une idée de la taille de cette tribu ?

— Non.

— Je n’aime pas ça, mais je suis avec vous.

— Avertissez les familles. Dites-leur de préparer leurs armes.

Les chariots avancèrent. À la fin de l’après-midi, ils arrivèrent au bout de l’étendue de sable volcanique. Sentant la proximité de l’eau, les bœufs accélérèrent l’allure.

— Retenez-les ! cria Griffin.

Les conducteurs tirèrent sur les freins, mais cela ne servit pas à grand-chose. Les chariots dépassèrent le sommet verdoyant de la colline et s’éparpillèrent dans la plaine, en direction de la rivière et des lacs. Griffin se posta à côté du chariot de tête, examinant les hautes herbes pour détecter des mouvements.

Quand le premier chariot arriva près de l’eau, un corps peint en bleu et jaune bondit sur le siège du conducteur et plongea une dague en silex dans l’épaule grassouillette d’Aaron Phelps. L’érudit frappa son agresseur, lui faisant perdre l’équilibre. Mais d’autres guerriers les entourèrent. Griffin sortit ses pistolets et les arma. Un homme se jeta sur lui, une massue à la main. Griffin lui tira dessus et flanqua un coup de pied à son cheval pour le faire décamper. Le fusil de Madden tonna. Un homme de la tribu tomba, l’échine brisée.

Les autres armes crachèrent le feu, et les guerriers s’enfuirent.

Griffin rejoignit Madden à l’arrière du convoi.

— Qu’en pensez-vous, Jacob ?

— Ils reviendront. Remplissons nos tonneaux et partons.

Deux conducteurs de chariots étaient blessés. Aaron Phelps avait une coupure profonde à l’épaule droite, et le plus jeune fils de Maggie Ames, Mose, avait été atteint à la jambe par une lance. Quatre membres de la tribu étaient morts, d’autres avaient été blessés, mais avaient réussi à rejoindre le sanctuaire des arbres.

Griffin descendit de cheval près d’un cadavre.

— Regardez-moi ces dents ! dit Jacob Madden. Elles ont été limées pour en faire des crocs pointus.

Ethan Peacock approcha de Griffin et regarda le cadavre aux rayures bleues et jaunes.

— Et des idiots comme Phelps attendent qu’on soit d’accord avec leurs théories sur l’Ère Noire, dit-il. Pouvez-vous vous représenter cette créature pilotant une machine volante ? Elle est à peine humaine !

— Ethan, ce n’est pas le moment de discuter ! Remplissez vos tonneaux.

Griffin alla voir Phelps. Donna Taybard luttait pour enrayer son hémorragie.

— Il lui faut des points de suture, Donna. Je vais chercher une aiguille et du fil.

— Je vais mourir, dit Phelps. Je le sais !

— Non, dit Griffin, mais pendant un sacré bout de temps, la douleur vous fera paraître la mort préférable !

— Reviendront-ils ? demanda Donna.

— Tout dépend de la taille de leur tribu. Je m’attends qu’ils fassent au moins une autre tentative. Éric est-il parti chercher de l’eau pour vous ?

— Oui.

Griffin apporta l’aiguille et le fil, les passa à Donna, puis vérifia ses pistolets. Il avait fait feu des quatre canons, mais il ne se rappelait que d’un seul coup. Parfois, l’instinct prenait le pas sur la conscience. Un bien étrange phénomène…

Il confia les pistolets à Burke pour qu’il les charge. Madden avait emmené six hommes qui surveillaient les bois pendant que Griffin supervisait l’approvisionnement en eau.

À l’approche du crépuscule, Il ordonna aux chariots de sortir du bois et de se diriger vers un pré, à l’ouest. Débarrassés de leur harnais, les bœufs furent installés dans un enclos délimité par des cordes.

Madden organisa des tours de garde à la périphérie du camp. Puis les voyageurs s’installèrent pour la nuit, attendant la prochaine attaque.

 

Les rêves de Shannow étaient pleins de sang et de feu. Monté sur un squelette de cheval, il avançait dans un désert semé de tombes.

Il arriva devant une ville de marbre blanc. Ses portes dorées brillaient tant qu’il en avait mal aux yeux.

— Laissez-moi entrer, dit-il.

— Aucune bête n’aie droit de pénétrer en ces lieux, répondit une voix.

— Je ne suis pas une bête.

— Qu’êtes-vous donc ?

Shannow regarda ses mains et s’aperçut qu’elles étaient grises, noires et écailleuses comme la peau d’un serpent. La tête endolorie, il leva un bras pour toucher sa plaie.

— Laissez-moi entrer. Je suis blessé.

— Aucune bête n’est autorisée à entrer dans la ville.

Shannow hurla quand sa main effleura son front : des cornes y poussaient, longues et pointues. Le sang qui en coulait siffla et grésilla en touchant le sol.

— Dites-moi au moins si cette cité est Jérusalem.

— Il n’y a aucun Brigand à tuer ici, Shannow. Passez votre chemin.

— Je n’ai nulle part où aller.

— Vous avez choisi votre voie. À vous de la suivre.

— Mais j’ai besoin de Jérusalem !

— Revenez quand le loup habitera avec l’agneau, et quand le veau, le lionceau et le bétail qu’on engraisse seront ensemble.

Shannow se réveilla. Il avait été enterré vivant ! Quand il cria, un rideau bougea sur sa gauche, de la lumière filtrant de la pièce adjacente. Un homme âgé entra et s’assit à côté de lui.

— Tout va bien. Vous êtes dans le Trou à Fièvre. Ne vous inquiétez pas. Vous serez libre de partir dès que vous vous sentirez assez fort.

Shannow essaya de s’asseoir, mais sa tête le faisait atrocement souffrir. Il porta les mains à son front, craignant d’y trouver des cornes, mais rencontra seulement des bandages.

Dans la petite pièce, à part sa couchette, il y avait seulement un feu qui crépitait dans un foyer de pierres blanches. La chaleur était étouffante.

— Vous aviez la fièvre, dit l’homme. Je vous ai aidé à vous en débarrasser.

Shannow se rallongea sur le lit et s’endormit aussitôt.

Quand il s’éveilla de nouveau, le vieil homme était toujours assis près de lui. Il portait une veste en peau de daim sans ornement et un pantalon en cuir aussi souple que du tissu. S’il était chauve sur le sommet du crâne, les cheveux blancs qui poussaient au-dessus de ses oreilles, bouclés et épais, lui descendaient jusqu’aux épaules. Il avait un visage à l’expression amicale et des dents étonnamment blanches et régulières.

— Qui êtes-vous ? demanda Shannow.

— J’ai depuis longtemps abandonné mon nom. Ici, les gens m’appellent Karitas.

— Je me nomme Shannow. Savez-vous pourquoi je suis dans cet état ?

— Vous avez une fracture du crâne, maître Shannow. Vous avez été très malade. Nous étions tous inquiets pour vous.

— Tous ?

— Le jeune Selah vous a amené ici. Vous lui avez sauvé la vie dans les bois de l’Est.

— Et l’autre garçon ?

— Il n’est pas revenu. Je crains qu’il ait été repris…

— Mes revolvers et mes sacoches ?

— À l’abri. Vos revolvers sont intéressants, si je peux me permettre. Ce sont des copies du Colt 1858. L’original était une bonne arme, pour un revolver.

— Ce sont les meilleurs du monde, maître Karitas.

— Appelez-moi seulement « Karitas ». Oui, je suppose que vous avez raison… Au moins jusqu’à ce que quelqu’un redécouvre les pistolets comme le Smith & Wesson .44 Russian ou le Lüger 1898. Pour ma part, je tiens en grande estime le Browning High Power. Comment vous sentez-vous ?

— Pas bien, reconnut Shannow.

— Vous avez failli mourir, mon ami. La fièvre était très forte, et vous aviez un sacré traumatisme crânien. Je suis surpris que vous soyez resté conscient après le coup.

— Je ne me souviens pas d’avoir été frappé.

— C’est normal… On s’occupe de votre cheval. Nos jeunes gens n’en avaient jamais vu, mais Selah a monté comme un dieu pour vous ramener ici. La preuve qu’il existe bien une mémoire génétique…

— Vous parlez par énigmes.

— Exact. Et je vous fatigue. Reposez-vous. Nous converserons de nouveau demain.

Shannow dériva dans les limbes du sommeil. Quand il s’éveilla, il vit une jeune femme près de son lit. Elle l’aida à boire du bouillon et le lava avec un tissu humide. Karitas revint peu après son départ.

— Je vois que vous vous sentez mieux. Vous avez repris des couleurs.

Le vieil homme cria deux noms. Aussitôt, deux jeunes gens entrèrent dans le Trou à Fièvre.

— Aidez maître Shannow à sortir au soleil. Cela lui fera du bien.

Les jeunes gens soulevèrent Jon et le portèrent hors du trou. Ils l’installèrent sur une couverture, à l’abri d’un grand paravent fait de feuilles entrelacées. Des enfants jouaient non loin de là. Ils s’arrêtèrent pour observer l’étranger. Shannow regarda autour de lui. Il y avait plus de trente huttes et, à droite, un ruisseau coulait sur des pierres bleues et roses.

— C’est beau, n’est-ce pas ? dit Karitas. J’adore cet endroit. S’il n’y avait pas les Carns, ce serait paradisiaque.

— Les Carns ?

— Les cannibales, maître Shannow.

— Je me souviens d’eux…

— C’est triste, en réalité. La faute des Anciens, qui ont pollué la terre et la mer. Les Carns auraient dû mourir. Ils sont venus ici il y a deux cents ans, quand les épidémies ont commencé. Je n’étais pas dans la région, sinon je les aurais avertis de ne pas rester. Les pierres brillaient la nuit. Aucun animal ne survivait dans le secteur. Nous avons toujours un taux élevé de cancers, mais ils affectent principalement le cerveau. Certains malades régressent à un stade d’évolution antérieur. D’autres développent des Perceptions Extra-sensorielles. Et d’autres encore semblent vivre indéfiniment.

Shannow pensa que l’homme était fou. Il ferma les yeux pour lutter contre la douleur à sa tempe.

— Mon cher garçon, pardonnez-moi ! dit Karitas. Ella, va chercher la coca.

Une jeune femme arriva, portant un bol de bois plein d’un liquide foncé.

— Buvez, maître Shannow.

Jon obéit. Le liquide était amer et il s’étouffa presque. Mais en quelques secondes, la douleur disparut.

— Parfait ! Maître Shannow, j’ai pris la liberté d’examiner vos affaires, et j’ai vu que vous étiez un lecteur de la Bible.

— Oui. Et vous ?

— Je l’ai consultée pendant que vous étiez malade. Il y avait longtemps que je n’avais pas vu une Bible. Je ne suis pas étonné quelle ait survécu à la Chute. Un best-seller mondial ! Il y avait plus de Bibles que de gens !

— Vous n’êtes pas croyant ?

— Au contraire ! Une personne qui assiste à la mort d’un monde est très très vite convertie.

Shannow se leva.

— Quand vous parlez, je saisis presque ce que vous dites. Puis vous dérivez… Vous parlez de Lüger, de Colt, de best-sellers… Je n’y comprends rien.

— Pas étonnant, mon garçon. La Bible ne dit-elle pas : « Car je vais créer de nouveaux deux et une nouvelle terre. On ne se rappellera plus les choses passées, elles ne reviendront plus à l’esprit » ?

— C’est la première fois que vous dites quelque chose que je comprends entièrement. Qu’est-il arrivé aux chariots ?

— Quels chariots ?

— Je faisais partie d’un convoi.

— Je ne sais rien à son sujet. Mais quand vous serez guéri, vous le rejoindrez.

— Votre nom m’est familier, dit Shannow, mais je n’arrive pas à déterminer pourquoi.

— Karitas. C’est le mot grec pour « charité », mais on le traduit souvent par « amour ». « En effet, supposons que je parle Les langues des hommes et même celles des anges : si je n’ai pas de karitas… de charité, d’amour…» Vous vous souvenez ?

— Mon père utilisait ce mot, dit Shannow en souriant. La foi, l’espérance et la karitas. Oui…

— Vous devriez sourire plus souvent, maître Shannow. Cela vous va bien. Pourquoi avez-vous risqué votre vie pour sauver nos petits ?

— Si vous avez besoin d’une réponse, je suis incapable de vous la fournir. Quelque chose en moi ne m’a pas laissé le choix.

— J’ai décidé que je vous aimais bien, maître Shannow. Les enfants vous appellent le Faiseur de Tonnerre et pensent que vous êtes peut-être un dieu. Ils savent que j’en suis un. Mais ils estiment que vous êtes celui de la mort.

— Je suis un homme, Karitas. Expliquez-leur.

— La divinité est un cadeau difficile à refuser. Vous ferez partie de leurs légendes jusqu’à la fin des temps : vous avez lancé des éclairs sur les Carns et sauvé leurs princes… Un jour, ils vous adresseront peut-être leurs prières.

— Ce serait un blasphème.

— Seulement si vous les prenez au sérieux. Mais vous n’êtes pas Caligula. Avez-vous faim ?

— Votre bavardage me fait tourner la tête. Depuis combien de temps êtes-vous ici ?

— Dans ce camp-là ? Onze ans environ. Pardonnez mon babil. Je suis un des derniers représentants d’une race disparue. Parfois, ma solitude est colossale. J’ai découvert ici la réponse à des mystères qui intriguent les hommes depuis des milliers d’années. Et je n’ai personne à qui les divulguer. Tout ce que j’ai, c’est cette petite tribu de gens qui étaient autrefois des Esquimaux, et qui sont désormais de la nourriture pour les Carns. Tout ça est très frustrant, maître Shannow.

— D’où venez-vous, Karitas ?

— De Londres.

— Est-ce au nord, au sud ?

— D’après mes calculs, la ville est au nord, enterrée sous des millions de tonnes de glace en attendant d’être redécouverte, dans un autre millénaire.

Shannow se rallongea sur la couverture, laissant le sommeil l’emporter.

 

Malgré sa folie, Karitas avait organisé le village avec une efficacité remarquable, et il était vénéré par ses habitants. Toujours allongé sur sa couverture, Shannow regardait vivre ses hôtes.

Les huttes, toutes identiques, étaient rectangulaires et construites avec de la boue séchée et des rondins. Leurs toits en pente se composaient de feuilles et d’herbe entrelacées. Des bâtisses solides et sans fioritures. À l’est du village, une grande cabane en rondins contenait les provisions pour l’hiver. À côté se trouvait la réserve de bois, de sept pieds de haut sur quinze de profondeur. Les hivers étaient très rudes dans la plaine.

Sur les collines, Shannow vit des troupeaux de moutons et de chèvres appartenant à la communauté.

La vie était paisible dans le village de Karitas.

Les gens se montraient amicaux. Tous ceux qui passaient à côté de la couverture de Shannow le saluaient et lui souriaient. Ils ne ressemblaient à aucun des êtres rencontrés lors de ses voyages : la peau d’un ton doré foncé, des yeux très écartés presque en amande…

Les femmes, bien faites, étaient généralement plus grandes que les hommes. Plusieurs attendaient un enfant…

On voyait peu de personnes âgées. Mais Shannow apprit plus tard que les huttes des aînés étaient dans le secteur ouest, plus près du ruisseau et abritées des vents du nord par une pente.

Les hommes, plutôt trapus, portaient des armes d’un style étrange, des arcs de corne et des couteaux en silex noir. Jour après jour, Shannow apprit à connaître les villageois, surtout Selah et une jeune fille aux yeux de biche nommée Curopet, qui avait pris l’habitude de s’asseoir à côté de lui et de le regarder en silence. Sa présence le perturbait, mais il ne trouvait pas les mots pour lui dire de partir.

La guérison était très lente. La blessure à sa tempe se cicatrisa en quelques jours, mais le côté gauche de son visage était engourdi, et il n’avait plus autant de force dans la jambe et le bras gauche. S’il essayait de marcher, son pied le trahissait et il trébuchait. Les doigts de sa main gauche picotaient en permanence, et il ne parvenait pas à tenir un objet plus de quelques secondes avant que les muscles de sa main se contractent et que ses doigts s’ouvrent.

Pendant un mois, Karitas vint tous les jours dans sa hutte et lui massa les doigts et le bras. Jon se désespérait. La force avait toujours été sa meilleure alliée. Sans elle, il se sentait sans défense et inutile.

La cinquième semaine, Karitas évoqua ce douloureux sujet.

— Maître Shannow, vous ne vous faites aucun bien. Votre force ne reviendra pas, sauf si vous trouvez le courage de la chercher.

— Je peux à peine lever le bras et ma jambe traîne comme une branche pourrie. Que voulez-vous que je fasse ?

— Vous battre, comme vous avez combattu les Carns. Je ne suis pas médecin, mais je pense que vous avez eu une petite attaque. On appelait ça une thrombose cérébrale. Un caillot de sang dans votre cerveau a affecté votre côté gauche.

— Vous en êtes sûr ?

— À peu près. La même chose est arrivée à mon père.

— Il s’est remis ?

— Non, il est mort. Alité, comme le minable qu’il était.

— Comment puis-je lutter contre ça ?

— Un peu de patience, maître Shannow. Je vous montrerai.

Karitas passait des heures avec lui chaque jour, le forçant à réaliser une série d’exercices. Au début, il s’agissait seulement d’obliger Jon à lever le bras gauche et à l’abaisser dix fois de suite. Il y arriva six fois, et son bras bougea d’à peine huit pouces. Puis Karitas lui mit dans la main gauche une balle faite de lanières de cuir entrelacées.

— Serrez-la cent fois le matin, et cent fois le soir avant de vous endormir.

— Ça va me prendre la journée !

— Passez-y la journée si nécessaire, mais faites-le !

Tous les après-midi, Karitas obligea son patient à le suivre dans son tour du village, une marche d’environ quatre cents pas.

Les semaines passaient, et l’amélioration de la santé de Shannow était à peine perceptible. Mais Karitas notait les progrès et se réjouissait de chaque quart de pouce gagné en levant le bras. Puis il appelait Selah ou Curopet et demandait à Shannow de répéter le mouvement. Les spectateurs l’encourageaient et le félicitaient, surtout Curopet, qui avait, selon les termes de Karitas, « un faible pour lui ».

Shannow n’était pas dupe des méthodes du vieil homme, mais sa joie était communicative. Il s’exerçait donc de plus en plus chaque jour.

La nuit, allongé sur sa couchette, serrant la balle dans sa main et comptant à haute voix, son esprit dérivait vers Donna et le convoi. Elle lui manquait, mais grâce à son don, elle le voyait et savait qu’il travaillait dur pour retourner près d’elle.

Un matin, pendant leur promenade habituelle, l’Homme de Jérusalem s’arrêta et regarda les collines lointaines. Les arbres étaient encore verts. Au centre du bois, une cascade dorée scintillait sous le soleil.

— C’est très beau, dit Shannow. On croirait un arbre couvert de pièces d’or, attendant qu’un homme vienne les cueillir pour s’enrichir.

— Oui, il y a beaucoup de merveilles à voir en automne, dit doucement Karitas.

— En automne ? Je n’y avais pas pensé… Je suis ici depuis si longtemps…

— Seulement deux mois.

— Je dois partir avant l’hiver, sinon je n’aurai plus de traces à suivre.

— Nous ferons de notre mieux pour vous, maître Shannow.

— Comprenez-moi, mon ami. Je vous suis très reconnaissant, mais mon cœur est ailleurs. Avez-vous aimé une femme ?

— Plus d’une, je le crains ! Mais il n’y a eu personne depuis trente ans. Chines a eu une petite fille la nuit dernière. Quinze bébés cet été ! Pas mal pour ma petite tribu, non ?

— Qui est Chines ?

— La grande avec la marque de naissance sur la tempe.

— Je vois. Elle va bien ?

— Oui. Son mari est déçu… Il voulait un garçon.

— Votre tribu s’en sort très bien, Karitas. Vous êtes un bon chef. Combien de gens y a-t-il ici ?

— En comptant les bébés, quatre-vingt-sept. Non, quatre-vingt-huit, j’oubliais le garçon de Dual.

— Une famille de belle taille…

— Elle serait encore plus grande sans les Carns.

— Font-ils souvent des raids ?

— Ils n’ont jamais attaqué le village. Ils ne veulent pas nous faire partir. Nous sommes une bonne source d’amusement… et de nourriture. En général, ils s’en prennent à ceux qui partent à la chasse.

— Vous ne les détestez pas, Karitas. Chaque fois que vous parlez des Carns, votre visage est mélancolique.

— Ils ne sont pas responsables, Shannow. C’est la faute de la terre. Je sais que vous me tenez pour un menteur, mais quand les Carns sont arrivés, c’était un groupe de fermiers ordinaires. Peut-être l’eau, ou les rochers, ou quelque chose dans l’air… Je l’ignore. Mais au fil des ans, cela les a altérés. Un présent de ma génération. Nous avons toujours été doués pour faire des cadeaux mortels.

— Maintenant que je vous connais mieux, je ne comprends pas pourquoi vous vous obstinez à étayer ces histoires absurdes. Je sais que vous êtes intelligent, et vous savez que je ne suis pas stupide. Pourquoi continuer à raconter n’importe quoi ?

Karitas s’assit sur l’herbe et fit signe à Shannow de le rejoindre.

— Mon cher garçon, je m’obstine parce que c’est la vérité. Toutefois, il est possible que la terre m’ait affecté aussi, et que tout cela soit une illusion. Mais je pense que c’est vrai. Ma mémoire me le confirme. Ceci dit, je suis peut-être fou. Quelle importance ?

— Cela m’importe, à moi. Je vous aime bien, et j’ai une dette envers vous.

— Vous ne me devez rien. Vous avez sauvé Selah. Mais je m’inquiète d’une chose : la direction que prennent vos chariots. Vous avez dit qu’ils allaient vers le nord-ouest ?

— Oui.

— Avaient-ils l’intention de tourner vers l’est ?

— Non, pas que je sache. Pourquoi ?

— Cela n’a sans doute pas d’importance. C’est un pays étrange. Il y a là-bas des gens qui feraient paraître les Carns hospitaliers…

— Voilà qui est aussi dur à avaler qu’une de vos histoires !

Le sourire de Karitas s’effaça.

— Quand j’étais enfant, j’ai entendu une légende à propos d’une prêtresse nommée Cassandre. Elle avait le don de prophétie et disait toujours la vérité. Mais elle était condamnée à n’être crue par personne.

— Désolé, mon ami. J’ai parlé avec rudesse et sans réfléchir.

— Peu importe, maître Shannow. Reprenons notre promenade.

Ils continuèrent dans un silence inconfortable.

La journée était chaude, sous un ciel bleu et un soleil de plomb. Seuls quelques nuages apportaient parfois un peu d’ombre. Shannow se sentait en forme. Karitas s’arrêta devant un tas de pierres et en souleva une de la taille d’un poing.

— Prenez-la dans la main gauche, dit-il. (Shannow obéit.) Portez-la pendant que nous faisons une deuxième fois le tour du village.

— Je n’y arriverai jamais !

— Nous ne le saurons pas à moins d’essayer !

Au bout de quelques pas, le bras gauche de Shannow commença à trembler. De la sueur perla sur son front. Après dix-sept pas, la pierre tomba de ses doigts. Karitas ramassa un bout de branche et le planta dans le sol.

— Voilà votre première marque, maître Shannow. Demain, vous la dépasserez.

Jon se massa le bras.

— Je vous ai mis en colère.

Karitas se tourna vers lui, les yeux scintillant.

— Vous avez raison. J’ai vécu si longtemps et j’ai vu tant de choses que vous ne pouvez pas savoir combien il est exaspérant de ne pas être cru ! Je vais vous dire une chose que vous ne comprendrez pas : j’étais un expert en informatique, et j’ai écrit des livres sur la programmation. Cela fait de moi le plus grand auteur vivant. Et un expert dans une matière totalement sans valeur ! J’ai vécu dans un univers d’avidité, de violence, de luxure et de terreur. Ce monde est mort, et qu’y a-t-il à la place ? La même chose, à une plus petite échelle. Votre refus de me croire me blesse plus que je saurais l’exprimer.

— Repartons de zéro, Karitas, dit Shannow, posant les mains sur les épaules du vieil homme. Vous êtes mon ami, j’ai confiance en vous. Quoi que vous me disiez, je vous jure que je le croirai.

— Voilà un noble sentiment. Cela me suffit.

— Parlez-moi des dangers, à l’Est.

— Ce soir, nous nous assiérons près du feu et nous converserons. Pour le moment, j’ai du travail. Faites encore deux fois le tour du village. Quand vous arriverez en vue de votre hutte, essayez de courir.

Le vieil homme s’éloigna. Curopet approcha timidement, les yeux baissés.

— Allez-vous bien, Faiseur de Tonnerre ?

— De mieux en mieux chaque jour, ma dame.

— Puis-je vous apporter de l’eau ?

— Non. Karitas m’a dit de marcher et de courir.

— Puis-je marcher à côté de vous ?

Shannow la regarda. Elle avait rougi.

— Bien entendu. Cela me ferait plaisir.

Elle était plus grande que la plupart des jeunes femmes du village, et sa chevelure sombre luisait comme si elle avait été huilée. Très mince, elle se déplaçait avec une grâce pleine de sensualité innocente.

— Depuis combien de temps connaissez-vous Karitas ? demanda Jon pour faire la conversation.

— Il a toujours été avec nous. Mon grand-père m’a raconté que Karitas lui a appris à chasser quand il était enfant.

Shannow s’arrêta.

— Votre grand-père ? Karitas ne devait pas être bien vieux à l’époque !

— Karitas a toujours été vieux. C’est un dieu. Mon grand-père disait aussi qu’il avait formé son grand-père. C’est un très grand honneur de recevoir son enseignement.

— Peut-être a-t-il existé plusieurs Karitas, avança Shannow.

— Peut-être. Dites-moi, seigneur Faiseur de Tonnerre, vous est-il permis d’avoir des femmes ?

— Permis ? dit Shannow, rougissant. Non, cela ne m’est pas autorisé.

— C’est triste, dit Curopet.

— Oui.

— Est-ce une punition ?

— Non. Je suis marié. J’ai une épouse.

— Une seule ?

— Oui.

— Mais elle n’est pas là.

— Non.

— Je suis là.

— J’en ai conscience. Et je vous remercie de votre… gentillesse, dit Shannow après une pause. Pardonnez-moi, je suis très fatigué. Je voudrais aller dormir.

— Mais vous n’avez pas couru.

— Une autre fois.

Shannow entra dans sa hutte et s’assit, se sentant à la fois idiot et content. Il sortit ses revolvers, les nettoya, vérifia les cartouches et les remit en place. Ces armes étaient les plus fiables qu’il ait jamais vues. Elles s’enrayaient seulement une fois sur vingt. Équilibrées, elles tiraient assez juste, à condition de compenser la tendance à dévier du revolver de gauche. Il vérifia son stock de balles et les compta. Il lui en restait cent soixante-dix. Il avait assez de fulminate pour le double, et de la poudre en conséquence. Karitas entra au moment où il rangeait ses armes dans les sacoches.

— La poudre noire fonctionne bien, dit le vieil homme, mais elle ne brûle pas entièrement. C’est à cause de cela qu’il y a tant de fumée.

— Je la fabrique moi-même. Le salpêtre est le plus difficile à trouver. Le soufre et le charbon ne posent pas de problème.

— Comment vous sentez-vous ?

— Mieux. Demain, je courrai.

— Curopet m’a rapporté votre conversation. Trouvez-vous difficile de parler aux femmes ?

— Oui, reconnut Shannow.

— Essayez d’oublier que ce sont des femmes.

— Ce n’est pas aisé. Curopet est très attirante.

— Vous auriez dû accepter son offre.

— La fornication est un péché, Karitas. J’en ai déjà assez à mon actif…

Karitas haussa les épaules.

— Je n’essaierai pas de vous persuader du contraire. Vous m’avez demandé des détails sur les dangers de l’Est. Bizarrement, la Bible joue un rôle dans cette histoire !

— Une tribu religieuse ?

— Exactement. Mais les Enfants de l’Enfer voient les choses différemment de vous, maître Shannow. Ils affirment que Lucifer a renversé Jéhovah et en veulent pour preuve qu’il n’existe pas de nouvelle Jérusalem. Pour eux, Satan est le Seigneur de ce monde.

— C’est ignoble, murmura Shannow.

— Ils adorent Moloch et jettent leur premier-né au feu. Dans leurs temples, ils pratiquent des sacrifices humains. Leurs rites sont vraiment hors du commun. Tous les étrangers sont considérés comme des ennemis et réduits en esclavage ou brûlés vifs. Ils ont aussi des revolvers et des fusils, maître Shannow. Et ils ont redécouvert la cartouche métallique.

— Je ne comprends pas.

— Pensez à la différence entre vos revolvers et les fusils à silex que vous avez vus. Celle qui existe entre la cartouche métallique et le système d’amorce et de balle est aussi grande.

— Expliquez-moi.

— Je ferai mieux, maître Shannow. Je vous montrerai.

Karitas ouvrit son justaucorps en peau de mouton. Dans un étui noir, il portait une arme d’un modèle que Shannow n’avait jamais vu. Elle avait une crosse noire rectangulaire. Quand Karitas la sortit, Shannow s’aperçut que le corps était également rectangulaire. Karitas lui passa le pistolet.

— Comment le charge-t-on ?

— Appuyez sur le bouton à gauche de la crosse.

Shannow obéit. Un objet rectangulaire noir jaillit de la crosse.

— C’est un chargeur, dit Karitas. Il est rempli de cartouches métalliques. L’arme s’appelle un pistolet automatique. Le cylindre en cuivre, derrière la balle, remplace l’amorce. Il contient de la poudre. Quand le percuteur le frappe, il propulse le projectile hors du canon.

— Comment la balle suivante passe-t-elle dans la culasse ?

— Le ressort du chargeur pousse la cartouche vers le haut. Voilà le miracle de cette arme, maître Shannow : quand on appuie sur la détente, le percuteur fait exploser la poudre, qui propulse la balle. Puis l’onde de choc de l’explosion pousse la douille vers l’arrière. Elle est alors remplacée par une cartouche neuve et éjectée du pistolet. Une petite merveille de mécanique. Simple et superbe !

— Comment s’appelle cette arme ?

— Mon cher ami, c’est un Browning 1911. C’est aussi pour ça que les Carns n’attaquent pas là où je vis.

— Il fonctionne ? s’étonna Shannow.

— Bien entendu ! Il n’arrive pas à la cheville des modèles plus récents de sa série, mais c’était une très bonne arme à son époque.

— Je ne suis toujours pas convaincu. Il paraît difficile à manier et trop compliqué.

— Demain, je vous ferai une démonstration.

— Comment êtes-vous entré en possession de cette arme ?

— Je l’ai prise dans l’Arche, maître Shannow. C’est une des surprises que j’ai en réserve… Avez-vous envie de voir l’Arche de Noé ?