Chapitre 5
Shannow galopa vers le sud pendant une heure, puis reprit le chemin du nord-ouest. Il ignorait combien d’Enfants de l’Enfer avaient été tués cette nuit, et s’en fichait. Les muscles endoloris, il était fourbu. Shannow se frotta les yeux et continua à avancer. Autrefois, il aurait pu chevaucher trois jours sans dormir, mais plus maintenant. Après une heure, il somnolait sur sa selle. La neige tombait autour de lui et la température baissait. Devant lui, il vit un bosquet de pins et s’en approcha.
Il descendit de cheval près d’un taillis d’arbrisseaux. Sortant une pelote de ficelle de sa sacoche, il entreprit de les réunir et de les attacher pour se fabriquer un semblant de tente. En bougeant lentement, afin de ne pas trop transpirer, il ramassa des branches et les mêla aux arbrisseaux pour se faire une hutte ronde, ouverte au sommet. Puis il conduisit le cheval à l’intérieur et entassa de la neige sur les branches, jusqu’à ce qu’un « mur » l’entoure. Ensuite, il prépara un feu. Ses doigts étaient engourdis. La neige tombait de plus en plus fort, ajoutant des couches isolantes aux parois de son habitation de fortune. Quand le feu eut pris, il quitta l’abri, ramassa du bois mort et l’entassa devant l’entrée. Au crépuscule, il se sentit assez fort pour se permettre de dormir. Il ajouta trois grosses bûches au feu, s’enveloppa dans ses couvertures et se coucha.
Des coups de feu résonnèrent dans la nuit. Il entrouvrit les yeux, mais les referma aussitôt.
Il dormit quatorze heures, se réveilla et trouva le feu éteint. Mais la neige avait entièrement recouvert son abri. Il était toujours au chaud sous ses couvertures. Il alluma un nouveau feu, s’assit, prit des galettes d’avoine dans sa sacoche et les partagea avec le hongre.
Au milieu de la journée, il reprit la route du village. Quand il arriva, ce fut pour trouver des ruines fumantes.
Il partit vers les collines, revolver à la main.
Tard dans l’après-midi, il atteignit les cavernes et découvrit les cadavres. Le cœur serré, il descendit de cheval. Les femmes et les enfants du Peuple du Blé étaient tous morts. Shannow sentit des larmes lui monter aux yeux. Il recula.
Près de l’entrée de la grotte, il reconnut Curopet. Les yeux ouverts, elle regardait le ciel sans le voir. Il s’agenouilla près d’elle et lui ferma les yeux.
— Je suis désolé, ma dame, dit-il.
Il s’éloigna des cadavres et se remit en selle, ramenant le hongre vers la plaine.
Il trouva Karitas cloué à un arbre, les bras écartés. Le vieil homme était encore vivant, mais Shannow ne parvint pas à le libérer, parce que les clous étaient enfoncés trop profondément. Les yeux du vieillard s’ouvrirent et s’emplirent de larmes. Shannow détourna le regard.
— Ils ont tué tous mes petits, murmura-t-il. Ils sont tous morts !
— Je vais trouver un moyen de vous détacher…
— Inutile, je suis fichu. Ils vous cherchaient, Shannow.
— Pourquoi ?
— Ils avaient ordre de vous trouver. Abaddon vous craint. Oh, Jon, ils ont tué tous mes petits !
Shannow sortit son couteau de chasse et tailla le bois autour de la main droite de Karitas, mais il était dur et gelé et ne se laissait pas entamer. Le vieil homme sanglota pitoyablement. Shannow laissa tomber son couteau et mit les mains sur le visage de son ami. Il ne pouvait pas le serrer dans ses bras.
— Jon ?
— Oui ?
— Lisez-moi un passage du Livre.
— Qu’aimeriez-vous entendre ?
— Le Psaume XXII.
Shannow sortit sa Bible, trouva la page et lut :
— « Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné, Et t’éloignes-tu sans me secourir, sans écouter mes plaintes…» (Shannow lut jusqu’au verset qui disait :) « Une bande de scélérats rôde autour de moi, Ils ont percé mes mains et mes pieds. Je pourrais compter tous mes os. Eux, ils observent, ils me regardent. »
Il s’arrêta de lire, ses larmes coulant sur les pages.
Karitas ferma les yeux et sa tête s’affaissa. Shannow s’approcha de lui. Le vieil homme reprit brièvement conscience, mais la lueur de la vie quittait lentement son regard. Shannow ramassa sa Bible tombée dans la neige et la nettoya. Revenu auprès du vieil homme, il lut :
— « L’Éternel est mon berger : je ne manquerai de rien. Il me fait reposer dans de verts pâturages, Il me dirige près des eaux paisibles. Il restaure mon âme. Il me conduit dans les sentiers de la justice, à cause de Son nom. Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car Tu es avec moi. »
Shannow fut incapable de continuer.
Il cria d’angoisse, sa voix résonnant dans les collines. Puis il tomba à genoux dans la neige et se couvrit le visage des deux mains.
Le crépuscule venu, le jeune Selah le découvrit à demi gelé et presque fou. Il le remit debout et l’emmena dans une petite caverne où il alluma un feu.
Après un moment, il s’endormit. Selah fit entrer les chevaux dans la grotte et posa une couverture sur l’Homme de Jérusalem.
Shannow se réveilla dans la nuit. Selah était assis, les yeux rivés sur le feu.
— Où sont les hommes ?
— Tous morts.
— Comment ?
— J’ai pris les chevaux et je les ai emmenés à l’ouest. Shonal et les autres m’ont rejoint et nous sommes partis vers le nord, comme vous nous l’aviez ordonné. Là, nous avons rencontré un autre groupe d’Enfants de l’Enfer. Ils avaient dû se séparer pour attaquer les femmes, au moment où nous investissions leur camp. Ils nous ont rattrapés sur un terrain découvert et leurs fusils ont fait un carnage. J’étais à l’arrière et j’ai fui comme un lâche.
— Mourir est une vaine façon de prouver son courage, Selah.
— Ils nous ont détruits, Faiseur de Tonnerre. Mon peuple entier a disparu.
— Je sais, petit. Il n’existe pas de mots pour soulager ton chagrin.
— Pourquoi nous tuent-ils ? Ils n’ont aucune raison ! Les Carns cherchaient de la nourriture. Pourquoi les Enfants de l’Enfer provoquent-ils tant de douleur ?
— Il n’y a pas de réponse, Selah. Dors un peu, petit. Demain, nous partirons à la recherche de mes gens.
— Vous m’emmènerez avec vous ?
— Si tu le souhaites.
— Nous chasserons les Enfants de l’Enfer ?
— Non… Nous les éviterons.
— Je veux les tuer tous !
— Je te comprends, mais un homme et un gamin ne peuvent pas changer la face du monde. Un jour, ils perdront. Dieu ne leur permettra pas de prospérer.
— Votre dieu n’a pas protégé mon peuple.
— Non, mais il t’a gardé en vie. Et moi aussi…
Shannow s’allongea, les mains sous la tête, et regarda les ombres des flammes danser sur la voûte de la caverne. Il se souvint de l’avertissement de Karitas : les Enfants de l’Enfer le cherchaient. Cela l’intriguait. Qu’avait-il fait pour qu’ils se lancent à ses trousses ? Pourquoi une armée se serait-elle mise à sa recherche ?
Il ferma les yeux et se laissa dériver vers le sommeil. Il rêva qu’il flottait au-dessus d’un grand bâtiment en pierre au milieu d’une cité sombre et désolée.
Des bruits semblables à ceux d’immenses marteaux frappant des enclumes géantes résonnaient dans la nuit. Des foules se déplaçaient et tournaient autour des tavernes et des places. Shannow descendit en flottant vers le bâtiment en pierre et vit des statues de démons cornus et couverts d’écailles à côté d’un escalier menant à des portes en chêne. Il monta les marches, traversa les portes fermées et déboucha dans un hall décoré de statues de dragons et de lézards. Un escalier en colimaçon menait à un observatoire où il découvrit un grand télescope. Des hommes en robes rouges travaillaient avec des plumes d’oie et des parchemins. Shannow flotta près d’eux.
Il vit deux gardes devant une autre porte, des fusils en travers de la poitrine. Il les dépassa et entra dans une pièce éclairée par des chandelles rouges.
Un homme étudiait des cartes. Bien de sa personne, des cheveux noirs grisonnant aux tempes, il avait un long nez droit, une bouche sensuelle et des yeux gris pétillant d’humour.
Il portait une chemise blanche, un pantalon gris et des chaussures en peau de serpent. Quand Shannow arriva derrière lui, il se raidit et se leva.
— Soyez le bienvenu, maître Shannow, dit-il, se retournant pour le regarder.
Ses yeux étaient ironiques. Shannow frissonna quand un nuage noir s’éleva de l’homme et approcha de lui. Jon recula. Le nuage prit forme : une immense tête bouffie, cornue et couverte d’écailles, et une bouche pleine de crocs. Puis des bras sortirent du nuage et des doigts griffus se tendirent vers lui… Shannow se réfugia dans son corps.
Il se réveilla, trempé de sueur et se leva d’un bond.
Il balaya la caverne du regard. Il y avait seulement le garçon endormi et les deux chevaux. Luttant contre la panique, Jon sortit son revolver de droite de l’étui posé près de sa tête. L’arme était glaciale.
Il se recoucha et ferma les yeux.
Aussitôt, le démon l’attaqua, ses serres le déchirant. Il se réveilla en sursaut, tremblant de peur et se força au calme. Puis il pria longuement. Enfin, il rangea son revolver, croisa les bras et s’endormit.
Il était de nouveau au-dessus du bâtiment en pierre, le démon à ses trousses. Quand il leva les mains, elles brandissaient deux épées étincelantes. Courant vers le démon, il enfonça les lames dans son corps bouffi. Des griffes l’attaquèrent, mais il ne s’en soucia pas, tailladant le monstre. La bête recula. Shannow lut de La peur dans ses yeux rouge sang. Alors, il lui plongea les épées dans la gueule. De la fumée monta des blessures.
Le monstre disparut.
À sa place, il vit le même homme qu’au début, vêtu d’une robe d’un blanc éblouissant.
— Je vous avais sous-estimé, maître Shannow, dit-il.
— Qui êtes-vous ?
— Abaddon. Vous connaissez ce nom.
— Il est dans l’Apocalypse. L’ange de l’abîme. Mais ce n’est pas vous. Vous êtes simplement un homme.
— Qui peut le dire, maître Shannow ? Quand un homme est immortel, n’est-il pas divin ? Je vis depuis trois cent quarante-six ans, grâce au dieu de ce monde.
— Vous servez le Serpent.
— Je sers Celui qui a Vaincu. Pourquoi êtes-vous si obstiné, maître Shannow ? Armageddon est terminée. Où est la nouvelle Jérusalem ? Où le loup habite-t-il avec l’agneau ? Où le lionceau et le bétail qu’on engraisse sont-ils ensemble ? Nulle part, maître Shannow ! Le vieux monde est mort et votre dieu est avec lui. Mon pays prospère ; mes armées vont conquérir le nouveau monde. Et vous ? Un solitaire errant, une ombre dont personne ne veut… Comme votre dieu !
Shannow ne dit rien, conscient qu’il y avait une part de vérité dans ce discours.
— Vous ne trouvez pas vos mots, maître Shannow ? Vous auriez dû écouter le vieux Karitas. Il aurait pu se joindre à moi il y a cent ans, mais il a préféré vivre dans les bois comme un ermite. Il a eu la mort qu’il méritait. Et son peuple misérable a péri avec lui. Vous serez le prochain. À moins que vous décidiez de rejoindre les Enfants de l’Enfer.
— Rien ne pourrait me convaincre de me joindre à vous, dit Shannow.
— Vraiment ? Pas même la vie de Donna Taybard ?
Shannow recula, horrifié. L’homme en blanc éclata de rire.
— Vous n’êtes pas digne de mon inimitié, Shannow ! Un puceron dans l’oreille d’un éléphant ! Laissez-moi, et allez mourir ailleurs !
Il leva une main. Jon fut propulsé en arrière à une vitesse étourdissante.
Il se réveilla en gémissant et prit sa Bible. À la lumière de l’aube, il chercha en vain un passage capable de le soulager du poids qui pesait sur son âme.
Shannow et Selah quittèrent les terres du Peuple du Blé et galopèrent vers le nord à travers une immense plaine. Ils chevauchèrent pendant des semaines, campant dans des endroits abrités, et ne virent aucun signe de vie. Shannow était silencieux et ne réagissait pas à grand-chose. Selah respecta sa solitude. Le soir, le jeune homme le regardait parcourir sa Bible.
L’homme cherchait de l’aide et n’en trouvait aucune.
Une nuit, Shannow posa le Livre et s’allongea pour regarder les étoiles. Les chevaux étaient entravés près du camp, où un petit feu brûlait.
— L’ère des miracles est passée, dit Shannow.
— Je n’ai jamais vu de miracle, lâcha Selah.
Jon s’assit et se frotta le menton. Leurs rations étaient bien maigres depuis une semaine. L’Homme de Jérusalem était hâve et avait les yeux cernés.
— Il y a longtemps, l’Éternel des armées a écarté la mer pour que son peuple puisse traverser. Il a fait jaillir de l’eau des pierres et il a envoyé son ange de la mort contre l’ennemi. À cette époque, quand Ses prophètes faisaient appel à Lui, Il leur accordait des pouvoirs extraordinaires.
— Il est peut-être mort, dit Selah. Ou endormi, ajouta-t-il en voyant le regard réprobateur de Shannow.
— Endormi ? Oui… Curopet est venue me voir et m’a dit quelle allait mourir. « Pas d’homme pour Curopet dans les longues nuits d’hiver. » Je voulais la sauver. Lui annoncer : « Curopet, il a été prouvé que ton cauchemar ne disait pas la vérité. » J’ai tant prié…
Il se tut, regardant ses mains.
— Nous avons fait ce que nous pouvions, dit Selah. Tué beaucoup d’Enfants de l’Enfer…
— Des cailloux dans la mare, marmonna Shannow. Peut-être avait-elle raison. Tout est écrit, et nous avançons dans la vie comme des marionnettes sur un fil.
— Quelle importance, Faiseur de Tonnerre ? Nous ne le saurons jamais.
— C’est important à mes yeux. Très important. J’aimerais faire pour mon dieu quelque chose dont je puisse être fier. Mais son visage se détourne de moi et mes prières sont des murmures emportés par le vent.
Shannow s’enveloppa dans ses couvertures et dormit d’un sommeil troublé.
Au milieu de la matinée, ils repérèrent un petit troupeau d’antilopes. Shannow poussa le hongre au galop et tua une jeune femelle. Il descendit de cheval et coupa la gorge de sa proie. Quand le sang se fut écoulé dans la terre, il écorcha et découpa la bête.
Les deux compagnons firent un bon repas.
Deux jours plus tard, ils arrivèrent devant une zone semée de collines boisées.
Au nord s’étendait la chaîne de montagnes la plus haute que Shannow ait jamais vue. Ses sommets atteignaient presque les nuages.
Ces montagnes lui redonnèrent de l’espoir. Il informa Selah qu’il souhaitait les voir de près.
Le visage du garçon perdit toute couleur.
— Impossible d’aller là-bas, murmura-t-il. C’est la mort assurée.
— Que sais-tu de cet endroit ?
— Tous les fantômes s’y rassemblent. Et on y trouve des monstres capables d’avaler une antilope d’une seule bouchée. La terre tremble quand ils se déplacent. Mon père est venu tout près d’ici, il y a des années. Personne ne s’y aventure plus…
— Selah, j’ai voyagé dans de nombreuses contrées. J’ai vu peu de monstres, et ceux que j’ai rencontrés étaient d’origine humaine. J’y vais.
Shannow talonna le hongre et s’éloigna. Selah resta en arrière, le cœur battant la chamade. Shannow lui avait sauvé la vie. Il pensait avoir une dette envers lui et devait la rembourser avant d’être libéré de ses obligations. Pourtant, cette aventure le terrorisait.
Sans se retourner, Shannow fit signe au jeune homme de le suivre. C’était tout ce qu’il fallait à Selah pour se décider. Il lança son cheval au galop et rejoignit le Faiseur de Tonnerre.
Shannow lui sourit et lui flanqua une claque amicale sur l’épaule. La première fois que Selah le voyait sourire depuis des semaines. Était-ce une forme de folie ? L’idée d’affronter le danger et la mort le stimulait-elle ?
Ils suivirent une piste de daims qui serpentait dans les collines, où l’air était frais et sentait les pins et l’herbe nouvelle. Un lion rugit. Selah l’imagina en train de sauter sur sa proie. Le rugissement que poussaient les lions quand ils attaquaient paralysait leur victime. Le cheval de Selah broncha. Il le calma en lui parlant doucement.
Un coup de feu retentit dans les collines. Le revolver que Shannow avait pris à l’Enfant de l’Enfer apparut dans sa main. Il dirigea le hongre vers la source du bruit. Selah sortit le revolver de Shannow de sa ceinture et le suivit. Mais il n’arma pas le chien. Il n’avait pas touché à l’arme depuis que Shannow la lui avait donnée, le matin de leur départ. L’arme terrifiait Selah et lui donnait en même temps un sentiment de force. Il la gardait à sa ceinture comme un talisman.
Selah et Shannow franchirent le sommet d’une butte qui descendait vers un petit vallon. Devant lui, le jeune garçon vit un lion à crinière noire accroupi sur un homme. La main droite du malheureux serrait la crinière du fauve, empêchant les énormes mâchoires d’atteindre sa gorge. De la main gauche, il plongeait un couteau dans le flanc de la bête.
Shannow tira sur ses rênes. Quand le hongre se cabra, il logea une balle dans la tête du lion. L’animal s’écroula sur sa proie, qui se dégagea vivement. Son pantalon de cuir noir était déchiré à la cuisse.
Son visage avait été lacéré, un morceau de chair pendant sur sa joue droite.
L’homme se remit péniblement debout et rengaina son couteau. Ce robuste gaillard aux épaules larges et à la poitrine massive avait une barbe noire en forme de trident.
Sans se soucier de ses sauveteurs, il avança de quelques pas en titubant et récupéra son revolver, qu’il rangea dans son ceinturon. Trébuchant, mais ne tombant pas, il se tourna enfin vers Shannow.
— Joli coup, dit-il. Mais si vous aviez raté de un pouce, vous m’auriez tué au lieu d’avoir le lion.
Shannow ne répondit pas. Selah vit que son revolver était toujours pointé sur le blessé. Il comprit pourquoi quand il vit le casque de l’homme, sur le sol : il portait les cornes de bouc caractéristiques des Enfants de l’Enfer.
L’homme s’effondra. Selah sauta de son cheval et courut vers lui. Le sang giclait à gros bouillons de la blessure à la cuisse. Selah sortit son couteau et coupa la jambe du pantalon. La plaie béante faisait un pied de long.
— Il faut arrêter l’hémorragie, dit-il à Shannow. (L’Homme de Jérusalem resta sur son cheval.) Donnez-moi l’aiguille et le fil, demanda Selah.
Shannow prit une bourse dans sa sacoche et la tendit au jeune garçon.
Selah travailla une heure sur les blessures de l’homme. Pendant ce temps, Shannow était descendu de cheval et avait dessellé leurs montures. Il ne dit rien, préparant un feu dans un cercle de pierres après avoir arraché l’herbe. Selah vérifia le pouls du blessé, faible mais régulier.
Il rejoignit Shannow près du feu, après avoir enveloppé l’homme dans une couverture.
— Pourquoi ? demanda Shannow.
— Pourquoi quoi ?
— Pourquoi lui as-tu sauvé la vie ?
— Je ne comprends pas. Vous l’avez aussi sauvé en tuant le lion !
— À ce moment, j’ignorais qu’il était… ce qu’il est.
— C’est un être humain.
— Ton ennemi, petit ! Peut-être celui qui a tué Curopet, ou cloué Karitas à un arbre.
— Je le lui demanderai à son réveil.
— Et après ?
— S’il a vraiment attaqué mon village, je le soignerai jusqu’à ce qu’il soit remis, puis nous nous battrons.
— C’est ridicule !
— Peut-être, mais Karitas nous a appris à écouter nos sentiments, surtout la compassion. Je veux tuer les Enfants de l’Enfer. Quant à lui, c’est différent : un homme courageux qui a combattu un lion, armé d’un couteau. Qui sait, il aurait peut-être vaincu sans votre aide…
— Je ne comprends toujours pas. Tu es entré dans le camp des Enfants de l’Enfer et tu les as égorgés pendant qu’ils dormaient. Où est la différence ?
— Je l’ai fait afin de sauver mon peuple. Et je n’ai pas de remords pour les hommes que j’ai exécutés. Mais je ne peux pas tuer celui-là. Pas encore.
— Alors, écarte-toi et je lui tirerai une balle dans la tête.
— Non ! Sa vie m’appartient, comme la mienne vous appartient.
— À ton aise, dit Shannow. Il mourra peut-être dans la nuit. Lui as-tu au moins pris ses revolvers ?
— Non ! lança une autre voix.
Selah se tourna et vit le blessé, appuyé sur un coude, un revolver pointé sur Shannow. L’Homme de Jérusalem leva la tête, les yeux brillants. Selah comprit qu’il se préparait à dégainer ses armes.
— Non ! dit-il, se plaçant entre les deux hommes. Posez votre revolver.
Les yeux du garçon croisèrent ceux de l’Enfant de l’Enfer. L’homme eut un pauvre sourire.
— Il a raison, petit, tu es un imbécile.
Il désarma son revolver.
Selah se tourna vers Shannow. Mais ce dernier s’était assis sur un rocher, à une certaine distance du feu, sa Bible à la main.
D’habitude, Selah le laissait tranquille à ces moments-là. Cette fois, il approcha. Shannow leva la tête et lui sourit. Puis il commença à lire à haute voix sous le clair de lune. Selah eut du mal à comprendre certains mots, mais il saisit le sens général de l’histoire. Un homme avait été attaqué par des voleurs et laissé pour mort. Plusieurs personnes étaient passées à côté de lui, sans tenter de l’aider. Puis un homme arriva et le porta dans un endroit sûr. Cet homme, expliqua Shannow, appartenait à un peuple que tout le monde haïssait et méprisait.
— Quel est le sens de l’histoire ? demanda Selah.
— Je crois quelle veut dire qu’il y a du bien dans tout homme. Pourtant, tu as légèrement modifié la parabole, car tu as sauvé le Samaritain. J’espère que tu n’auras pas à le regretter.
— Que raconte le Livre ?
— L’histoire d’un peuple disparu depuis longtemps. La Parole de Dieu à travers les âges.
— Vous apporte-t-il la paix, Shannow ?
— Non. Il me tourmente.
— Vous donne-t-il de la force ?
— Non. Il m’affaiblit.
— Alors, pourquoi le lisez-vous ?
— Sans lui, je n’aurais qu’une existence sans signification, pleine de douleur et de chagrin, et destinée à se terminer par la mort. Sans lui, pourquoi continuerions-nous à lutter ?
— Pour être heureux, Shannow. Pour élever des enfants et connaître la joie.
— Il y a eu peu de joie dans ma vie, Selah. Mais bientôt, je la connaîtrai de nouveau.
— Grâce à votre dieu ?
— Non. Grâce à ma femme.
Batik se rallongea et sentit les points de suture qui fermaient ses blessures le tirailler. Il était faible à cause de la perte de sang et se demandait pourquoi le garçon avait voulu le sauver – l’homme le laissant faire. Mais il était en vie, et pour le moment, ça lui suffisait. Son cheval s’était cabré quand le lion avait rugi. Tombé de selle, Batik avait tiré un seul coup de feu et frôlé le flanc de l’animal. Il ne se souvenait pas d’avoir sorti son couteau, mais il revoyait l’arrivée de l’homme sur son hongre gris acier. Il avait même eu le temps de remarquer que l’arme qu’il pointait sur la bête était un revolver des Enfants de l’Enfer.
Il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que l’homme comptait parmi ceux qui avaient attaqué les participants de la Fête du Sang à Cabrik, quelques semaines auparavant, tuant plus de quatre-vingts jeunes gens en une nuit. Il était encore plus étrange qu’il ait accepté de le laisser vivre.
Le jeune garçon approcha de lui.
— Comment vont vos blessures ?
— Tu as fait du bon travail, petit. Elles guériront.
— Je prépare du bouillon. Ça vous aidera à reconstituer votre sang.
— Pourquoi fais-tu cela pour moi ?
Selah haussa les épaules, peu désireux de se lancer dans une polémique.
— Je ne faisais pas partie de ceux qui ont attaqué votre village, dit Batik. Mais j’aurais pu en être.
— Enfant de l’Enfer, pourquoi vos compagnons voulaient exterminer les miens ?
— Nos prêtres pourraient te répondre mieux que moi. Nous sommes le Peuple Élu. Nous devons nous emparer des terres et tuer tous les hommes, toutes les femmes et tous les enfants que nous y trouvons. Les prêtres disent que c’est essentiel pour la pureté de notre foi.
— Comment un nourrisson mettrait-il votre foi en danger ?
— Je n’ai jamais tué de nourrisson ni d’enfant, mais je l’ai vu faire… Demande à nos prêtres, quand tu en rencontreras un.
— C’est une sauvagerie que je ne peux pas comprendre, dit Selah.
— Je m’appelle Batik. Et toi ?
— Selah.
— Et ton ami ?
— Shannow, le Faiseur de Tonnerre.
— J’ai déjà entendu son nom.
— C’est une grande âme et un guerrier puissant. Il a tué beaucoup de membres de votre peuple.
— Et maintenant, on le pourchasse.
— Vous ?
— Non. Mais notre seigneur, Abaddon, a déclaré qu’il était Impie. Il doit être brûlé. Les Zélotes sont à sa recherche. Ils ont de grands pouvoirs. Ils le trouveront.
— Quand ils arriveront, il les tuera.
Batik sourit.
— Ce n’est pas un dieu, Selah. Les Zélotes le vaincront, comme ils m’ont vaincu.
— Ils vous pourchassent ?
— J’ai besoin de sommeil. Nous en parlerons demain.
Batik se réveilla tôt, tiré d’un sommeil agité par la douleur. La journée était claire. Un corbeau décrivait des cercles dans le ciel. Il s’assit et sursauta quand les sutures de sa blessure au visage se rappelèrent à son bon souvenir. Shannow était réveillé. Il lisait un livre à la tranche dorée relié en cuir. Batik perçut sa tension, sa main droite reposant à quelques pouces du revolver posé à côté de lui.
Batik résista à l’envie de sourire : les points de suture étaient trop douloureux.
— Vous vous levez tôt, dit-il en repoussant ses couvertures.
Shannow ferma le livre, se tourna et croisa le regard de Batik. Son expression était glaciale.
— J’espérais que vous mourriez dans la nuit, dit-il d’une voix sans timbre.
— Avant que nous nous disputions, peut-être aimeriez-vous savoir que nous sommes sous surveillance. Dans peu de temps, nous serons pris en chasse.
— Personne ne nous regarde, dit Shannow. J’ai fait une ronde…
Batik sourit, ignorant la douleur.
— Vous n’avez aucune idée de la nature de ces chasseurs, Shannow. Il ne s’agit pas d’hommes ordinaires. Ce sont des Zélotes. Ils se nomment eux-mêmes les Chiens de l’Enfer. Levez les yeux : vous verrez un corbeau. Cet oiseau ne se posera pas. Il ne cherche pas de la nourriture. Il décrit des cercles au-dessus de nous, montrant le chemin à ceux qui nous suivent.
» Le lion d’hier était possédé par un Zélote. Ils ont ce don. Voilà pourquoi ils sont si dangereux.
— Pourquoi m’avertir ? demanda Shannow.
— Parce qu’ils sont aussi à mes trousses.
— Pourquoi ?
— Je ne suis pas religieux, Shannow. Et j’ai tenté de saboter le sacrifice du milieu de l’hiver. Mais c’est du passé. Croyez-moi, je suis, comme vous, un ennemi des Zélotes.
Selah gémit et s’assit. Sur un rocher, une créature reptilienne aux mâchoires dégoulinantes de sang était assise sur le cadavre de Shannow. Selah sortit son revolver et l’arma. Les yeux rouges du monstre se tournèrent vers lui quand il pointa l’arme.
— Que fais-tu ? demanda Shannow.
Selah cligna des yeux. L’image se brouilla. Son doigt se raidit sur la détente, mais il dévia le canon au dernier moment. Une balle siffla près de l’oreille de Jon. Selah se prépara à tirer de nouveau, mais Batik s’était glissé derrière lui. Il assomma le garçon d’un coup sur la nuque. Puis il récupéra le revolver.
Shannow n’avait pas bougé.
— Il va bien ?
— Oui. Les Zélotes sont doués avec les jeunes. Leur esprit est plus malléable.
Shannow sortit son revolver. Batik se figea. L’Homme de Jérusalem leva la tête, tendit le bras et tira. Le corbeau explosa en plein vol.
Shannow ouvrit le revolver et le rechargea. Puis il alla s’agenouiller à côté de Selah et le retourna sur le dos. Ses paupières papillonnèrent. Quand il vit Shannow, il sursauta.
— Vous êtes mort ! cria-t-il.
— Reste tranquille, petit. Je vais bien.
— J’ai vu un monstre accroupi sur votre cadavre ! J’ai essayé de le faire fuir.
— Il n’y avait pas de monstre.
Le garçon parut ne pas comprendre. Batik s’interposa.
— C’était de la magie, Selah. Tu as été trompé par les chasseurs.
— De la magie ?
— Oui. Ils ont jeté un sort qui a brouillé ta vue. Il est peu probable qu’ils essaient de nouveau de se servir de toi, mais on ne sait jamais. Sois prudent, et ne tire sur rien.
Il tendit le revolver au garçon et se laissa retomber sur le sol, le visage luisant de sueur.
Shannow le regarda attentivement.
— Vous êtes fort… Mais vous avez perdu beaucoup de sang. Il vous faut du repos.
— Nous ne pouvons pas rester ici, dit Batik.
— De quelle direction viendront-ils ?
— Du nord-est. Mais ne vous opposez pas à eux, Shannow.
— Les éviter ne serait pas dans ma nature… Combien sont-ils ?
Batik haussa les épaules.
— Peut-être six, ou soixante. Mais ils voyagent toujours par multiples de six. C’est un chiffre magique.
— Restez ici et reposez-vous. Je reviendrai.
Shannow prit sa selle et approcha du hongre attaché à trente pieds du camp. Quand il fut près de l’animal, il vit des mouches se poser sur son train arrière. Mais le cheval ne remua pas la queue. Shannow ralentit. Le hongre baissa la tête et le regarda. Shannow avança, posa la selle sur son dos et se pencha pour resserrer la sangle. Le hongre ne bougea pas.
Shannow transpirait à grosses gouttes. Il saisit les rênes d’une main ferme et détacha l’animal. Quand les cordes tombèrent, le hongre voulut se cabrer, mais Jon saisit le pommeau et sauta en selle. Le cheval se dressa sur ses pattes arrière et partit au galop.
Jon glissa ses pieds dans les étriers et tint bon. Le cheval s’arrêta net et s’ébroua violemment, mais son cavalier le força à relever la tête. Le hongre se laissa tomber sur le flanc. Shannow sauta de selle et remonta prestement quand l’animal se remit debout.
Admiratif, Batik observait le combat entre deux volontés opposées. Le cheval tenta de nouveau de désarçonner Shannow. Il sauta, se tordit et se laissa tomber, mais Jon tint bon. La lutte se termina aussi soudainement quelle avait commencé. Le hongre s’arrêta et baissa la tête, de la vapeur sortant des naseaux. Shannow le ramena au camp et mit pied à terre. Il attacha l’animal, le dessella et l’essuya. Puis il lui caressa le cou et les oreilles.
Reprenant sa selle, il approcha du cheval de Selah, la posa sur son dos et partit vers le nord-est.
Quand Shannow atteignit le sommet de la colline, Batik se rallongea dans l’herbe.
— En tout cas, c’est un bon cavalier…
— C’est le Faiseur de Tonnerre, dit Selah fièrement. Il reviendra.
— J’aimerais le croire. Mais il n’a jamais affronté les Zélotes. Je les ai vus à l’œuvre. Je connais leurs capacités.
Selah sourit, approcha de la carcasse du daim et découpa des tranches de viande pour leur ragoût matinal. Batik était intelligent, pensa le garçon, mais il n’avait jamais vu Shannow en action.
Quatre lieues plus loin, un petit groupe de cavaliers s’arrêta et étudia les collines. Le chef, un jeune homme mince au nez de rapace et aux yeux noirs, se tourna vers ses compagnons.
— As-tu récupéré ? demanda-t-il à l’un deux.
— Un peu, Donai, mais je suis encore épuisé… J’ai pratiquement tué son cheval ! Comment a-t-il fait pour rester en selle ?
— C’est un bon cavalier. J’aimerais en savoir plus à son sujet, et quel rapport il y a entre Batik et lui.
Donai regarda les deux cadavres posés sur le dos de leurs chevaux. Xénon avait possédé le lion et Cheros le corbeau. Tous deux avaient été tués par le cavalier aux cheveux longs.
Donai descendit de cheval.
— Je vais demander des conseils, dit-il.
Les trois cavaliers restèrent silencieux quand leur chef s’agenouilla sur l’herbe, une Pierre couleur roux doré entre les mains. Il resta immobile un long moment, puis se releva.
— Achnazzar dit que c’est Shannow, celui qui cherche Jérusalem. Il nous envoie des renforts. Nous devons les attendre ici.
Les hommes mirent pied à terre et retirèrent leur manteau de cuir noir et leur casque.
— Quelle section envoient-ils ? demanda Parin, le plus jeune de la troupe.
— Ils envoient six sections, répondit Donai. Je n’ai pas demandé lesquelles.
— Trente-six hommes ! s’étonna Parin. Pour deux types et un gamin ?
— Mets-tu en doute le jugement d’Achnazzar ? demanda Donai.
— Non ! s’écria Parin.
— C’est intelligent de ta part, dit Donai. Shannow représente le mal. C’est un Impie qui sert l’ancien dieu sombre. Il doit être détruit. Achnazzar dit qu’il voyage avec une Bible.
— On raconte que toucher une Bible brûle les mains et l’âme, rappela un autre cavalier.
— C’est possible, Karim. Pour ma part, je l’ignore. Achnazzar a ordonné de tuer l’homme et son cheval, et de brûler ses sacoches sans les ouvrir.
— Je me suis souvent demandé comment ce Livre a survécu à Armageddon, avoua Parin.
— Le mal est partout, dit Donai. Quand l’ancien dieu sombre a été détruit, son corps a éclaté et il est tombé sur la terre comme une averse. Il a pollué les endroits qu’il a touchés. Depuis, le mal se cache partout.
— C’est vrai, dit Karim, un homme d’âge moyen à la barbe grise. J’aurais parié ma vie sur Batik. Un des meilleurs guerriers des Enfants de l’Enfer !
— Tu emploies le mot « meilleur » dans un sens contestable, dit Donai. Cet homme était un Impie, mais il a dissimulé la noirceur qu’abritait son âme. Heureusement, notre Seigneur Satan sait comment illuminer les coins les plus sombres de l’esprit. Ce n’est pas un hasard si la sœur de Batik a été choisie pour le sacrifice du milieu de l’hiver.
— Je veux bien le croire, dit Parin. Mais qu’espérait-il faire en demandant à Shalea de s’enfuir avec lui ?
— Bonne question, Parin. Il a sous-estimé la piété de sa sœur. Elle était fière d’avoir été choisie, et quand elle a été salie par le mal tapi dans l’âme de son frère, elle est allée voir Achnazzar. Une femme de bien, qui est désormais la servante du Seigneur !
— Comment a-t-il pu sous-estimer sa piété ? insista Parin.
— Le mal n’est pas logique. Il croyait qu’elle désirait continuer sa vie terrestre. Ce fut son blasphème. Il pensait sa sœur condamnée, et voulait la sauver.
— Et maintenant, il s’est allié à l’Homme de Jérusalem, dit Karim.
— Le mal cherche le mal, conclut Donai.
Vers midi, alors que les quatre cavaliers finissaient leur repas, le ciel s’assombrit. Des nuages noirs cachèrent le soleil. À l’est, des éclairs zébrèrent le ciel et le tonnerre rugit.
— En selle ! ordonna Donai. Nous nous abriterons au milieu des arbres.
Les hommes se levèrent et coururent vers leurs montures. Donai se pétrifia. À la lisière de leur camp se dressait le cavalier aux cheveux longs, son grand manteau agité par le vent. Donai dégaina, mais quelque chose s’écrasa sur sa poitrine et le repoussa contre son cheval. Entendant le coup de feu, Karim plongea au sol. Parin et l’autre cavalier moururent sans avoir le temps de bouger quand les revolvers de Shannow crachèrent le feu. Karim roula sur lui-même et tira. Sa balle coupa le col de Shannow.
L’Homme de Jérusalem s’écroula sur l’herbe. Karim tira deux fois, mais il n’y eut pas de riposte. Il rampa sur le côté, se cacha derrière le cadavre de Donai et ferma les yeux. Son esprit quitta son corps et entra dans celui de son cheval. Il examina les alentours à travers les yeux de l’animal. Pas de trace de l’assaillant. Karim fît tourner la tête du cheval et vit son propre corps couché derrière Donai.
Shannow jaillit des herbes hautes, derrière Karim, revolver pointé sur lui. L’esprit du Zélote quitta celui du cheval et entra dans celui de l’Homme de Jérusalem. Shannow tituba quand la douleur envahit son cerveau, des couleurs éblouissantes explosant dans ses yeux. Puis l’obscurité suivit. Shannow se retrouva dans un tunnel, enfoncé sous la terre. Il entendit un grattement, puis des rats géants sortirent des trous, dans les parois, leurs dents aussi longues que des couteaux…
Jon força ses yeux intérieurs à se fermer, bannissant le cauchemar. Il sentait le souffle chaud des rats sur son visage, leurs dents déchirant sa chair. Il ouvrit les yeux, ignora les immenses rongeurs et regarda au-delà d’eux. Comme à travers un brouillard, il vit des chevaux, et deux corps juste devant.
Il leva la main et visa.
Le revolver se transforma en serpent et enfonça ses crocs dans son poignet. Shannow ignora le serpent et resserra sa prise sur la crosse, qu’il ne sentait plus. L’arme sauta dans sa main.
Karim s’enfuit de l’esprit de Shannow et retourna dans son corps au moment où la deuxième balle lui perçait le crâne. Il sursauta et s’immobilisa.
Jon tomba à genoux et regarda autour de lui. Quatre cadavres gisaient sur l’herbe. Deux autres étaient posés en travers de la selle de deux chevaux.
« Éternel, n’aurais-je pas de la haine pour ceux qui te haïssent, du dégoût pour ceux qui s’élèvent contre toi ? Je les hais d’une parfaite haine ; ils sont pour moi des ennemis. »
Il ramassa les armes et les munitions, puis fouilla les cadavres. Chaque homme portait dans une bourse pendue à son cou une petite Pierre de la taille d’un œuf de moineau. Toutes étaient de couleur roux doré veiné de noir. Shannow les mit dans sa poche, puis conduisit les chevaux près du sien. Enfin, il retourna au camp.
Batik était blotti sous ses couvertures. La pluie avait éteint le feu. Shannow appela Selah.
— Retournons sous le couvert des arbres, dit-il.
Le vent augmenta et le ciel s’assombrit.
— Qu’est-il arrivé ? demanda Batik, qui n’avait pas bougé.
— Je les ai tués. Maintenant, mettons-nous à l’abri de l’averse.
— Combien y en avait-il ?
— Quatre. Deux autres étaient déjà morts.
— Comment puis-je en être sûr ? Savoir que vous êtes toujours Shannow ?
Batik repoussa les couvertures et brandit son arme.
— Comment vous prouver mon identité ?
— Dites-moi le nom de votre dieu.
— Jéhovah, l’Éternel des armées.
— Et Satan ?
— L’ange déchu. Le Prince des Mensonges.
— Je vous crois. Aucun Enfant de l’Enfer ne blasphémerait de la sorte !
Sous le couvert des pins, la pluie perdait de sa force. Shannow essaya d’allumer un feu. Il abandonna après quelques minutes et s’adossa à un arbre.
Batik était assis près de lui, le visage gris et les yeux cernés.
— Vous souffrez ? demanda Selah.
— Un peu. Shannow, avez-vous fouillé les corps ?
— Oui.
— Vous avez trouvé quelque chose d’intéressant ?
— De quel genre ?
— Des bourses en cuir contenant des Pierres.
— Je les ai prises toutes les six.
— Donnez-les-moi !
— Pourquoi ?
— La mienne ma été retirée avant ma fuite. Sans elle, ces blessures mettront des semaines à guérir. Peut-être pourrais-je utiliser la Pierre de quelqu’un d’autre.
Shannow sortit les bourses de la poche de son manteau et les laissa tomber dans le giron de Batik, qui les prit une par une. Un moment, il ne se passa rien. La cinquième Pierre scintilla brièvement. Batik sourit.
— Ça valait le coup d’essayer, dit-il. Mais quand l’homme est tué, le pouvoir disparaît. Malgré tout, celle-là a soulagé la douleur avant de s’éteindre.
Il jeta les Pierres.
— Où vous les procurez-vous ? demanda Shannow.
— Des cadeaux de naissance du Seigneur Abaddon… La taille de la Pierre dépend du statut social. Nous les appelons les Graines de Satan.
— D’où viennent-elles ?
— Qui peut le dire ? On prétend que Satan les apporte à Abaddon lors de la Nuit des Sorcières.
— Vous y croyez ?
— Je ne rejette a priori aucune croyance. C’est plus sûr…
Selah ramassa une Pierre et la fit tourner entre ses paumes.
— Elle est très jolie, dit-il. Et chaude au toucher. Mais je préférerais tout de même un feu.
Les brindilles humides que Shannow avait essayé d’allumer s’enflammèrent. Selah recula, lâchant la Pierre, qui brillait comme une lanterne.
— Bien joué, petit, dit Batik. Maintenant, prends cette Pierre et passe-la sur mes blessures.
Selah obéit, mais la lueur mourut et la Pierre devint froide.
— Nous avons au moins un feu, grommela Batik.
Shannow se réveilla en sursaut, le cœur battant à tout rompre. Il s’assit et regarda autour de lui. La caverne était chaude et confortable. Un feu brûlait contre la paroi opposée. Shannow se détendit et se recoucha.
La caverne ?
Il se releva d’un bond et chercha ses revolvers, mais il ne les avait pas. Il s’était endormi à côté de Batik et de Selah dans un bois, près d’un petit ruisseau. Et il se réveillait ici, désarmé.
Une ombre bougea. Un homme approcha du feu et s’assit face à lui.
C’était le bel homme aux tempes argentées, Abaddon, Seigneur des Enfants de l’Enfer.
— Ne vous inquiétez pas, maître Shannow. Je veux seulement vous parler.
— Nous n’avons rien à nous dire.
— Vraiment ? Alors que mes chasseurs se rapprochent de vous ?
— Qu’ils viennent !
— Quelle arrogance ! Pensez-vous pouvoir tuer tous mes hommes avec vos minables revolvers ?
Shannow ne répondit pas. Abaddon se réchauffa les mains au-dessus du feu. Il portait une tunique d’un blanc éblouissant que les flammes constellaient de reflets dorés.
— Un homme, un gamin et un traître, murmura Abaddon, contre une nation de guerriers avides de sang. C’est presque comique. (Son regard croisa celui de Shannow.) Vous savez que j’ai vécu presque aussi longtemps que votre ami Karitas, et que j’ai vu bien des choses, à la fois dans l’ancien monde et dans le nouveau. Il n’y a pas de héros, Shannow. Nous finissons tous par accepter des compromis pour nous tailler notre petite part d’immortalité, ou de richesse, ou de plaisir. Il n’y a plus de Galaad. Et il n’y en a peut-être jamais eu…
— Je ne connais pas de Galaad…
— C’était un chevalier, un guerrier qui se battait pour Dieu. Il n’a jamais succombé au charme des femmes ni aux autres plaisirs de la chair. Ainsi, il a été autorisé à découvrir le Saint Graal. Une jolie histoire pour les enfants… Mais pas les nôtres !
— Que voulez-vous de moi ?
— Que vous mourriez, maître Shannow. Que vous cessiez d’exister.
— Pourquoi ?
— Un caprice, peut-être… On m’a dit que vous étiez un danger pour moi. Je ne vois pas comment, mais j’accepte qu’il y ait une part de vérité dans cette prophétie.
— Vous ne m’intéressez pas, dit Shannow. Vous ne possédez rien que je veuille m’approprier. Où est le danger ?
— Qui sait ? demanda Abaddon avec un sourire charmeur. Vous êtes une épine dans mon flanc, et je suis décidé à la retirer et à la jeter au feu.
— Dans ce cas, faites venir vos démons, dit Shannow, en se levant.
Abaddon eut un petit rire et secoua la tête.
— J’ai essayé, maître Shannow, et vous m’avez fait du mal. C’est vrai. Mais que sont mes démons, comparés aux vôtres ?
— Je n’ai aucun démon.
— Vraiment ? Quelle est la force qui vous pousse à chercher une cité enterrée ? Pourquoi vous accrochez-vous à vos superstitions ? Pourquoi livrez-vous des batailles solitaires ?
— Je trouverai Jérusalem, dit Shannow à voix basse. Vivant ou mort, je marcherai sur le chemin de mon foyer.
— Votre foyer ? Qu’avez-vous raconté à la délicieuse Donna Taybard ? Que vous étiez un caillou dans la mare ? Quand les vaguelettes se calment, tout redevient comme avant. (Abaddon posa une brindille dans le feu.) Oui, il vous faut découvrir un moyen de revenir chez vous. Beaucoup de mes hommes sont comme vous, surtout les Zélotes. Ils adorent leur dieu, et mourraient heureux pour accomplir sa volonté. Les hommes comme vous sont comme des feuilles d’automne. Je suis étonné qu’un lecteur de la Bible ne s’en soit pas encore aperçu.
— Il n’existe rien de semblable aux Enfants de l’Enfer dans la Bible.
— Maître Shannow ! Le mensonge n’est-il pas un péché ? Je vous renvoie à Josué et à l’invasion de Canaan par le peuple d’Israël. Tous les hommes, femmes et enfants de trente-deux cités ont été tués, sur l’ordre de votre dieu. En quoi les Enfants de l’Enfer sont-ils différents ? Ne vous cassez pas la tête à chercher la réponse : ils ne le sont pas. J’ai fondé ma nation il y a deux cent cinquante ans selon le modèle donné par Israël. J’ai une armée de fanatiques, et un peuple brûlant d’une ferveur religieuse que vous n’imaginez pas. Ils ont eu leurs miracles, l’ouverture des eaux de la mer Rouge, les guérisons et les autres merveilles de la magie.
» D’une certaine façon, votre position est amusante. L’homme de Dieu au milieu d’une nation d’adorateurs du Diable ! Et pourtant, vous restez l’impie, le vampire qui rôde dans la nuit. Un jour, on parlera de vous aux enfants de notre nation pour les faire tenir tranquilles dans leur lit.
Shannow ricana.
— Chacune de vos paroles est une obscénité !
— C’est exact… selon vos croyances. Au fait, saviez-vous que Donna Taybard habite maintenant près des limites de mon territoire ?
Shannow resta immobile.
— Elle et son époux, un homme de bien appelé Cornélius Griffin, se sont installés sur les territoires de l’Ouest. De la bonne terre arable. Ils pourraient même prospérer…
— Pourquoi mentir ? demanda Shannow. Est-ce parce que votre maître est incapable d’affronter la vérité ?
— Je n’ai pas besoin de mentir. Donna Taybard, vous croyant mort, a couché avec Cornélius Griffin. Elle est enceinte. Mais elle ne vivra pas assez longtemps pour voir naître sa fille.
— Je ne vous crois pas.
— Bien sûr que si ! Je ne gagnerais rien à vous mentir. Si je vous avais laissé croire quelle était toujours votre pure et douce dame, vous auriez couru la retrouver… Et vous seriez arrivé sur mon territoire. Maintenant, vous déciderez peut-être de la laisser se débrouiller. Et j’aurais un sacré mal à vous retrouver !
— Alors, pourquoi me l’avoir dit ?
— Pour vous faire souffrir.
— J’ai déjà été blessé…
— Bien entendu… Vous êtes un perdant né, et Les perdants souffrent toujours. C’est leur lot dans ce monde, comme ça l’était dans le mien. Votre dieu ne vous fait pas beaucoup de cadeaux, n’est-ce pas ? Avez-vous compris, maître Shannow, que vous adorez un dieu mort ? En dépit de sa propagande et de cet horrible Livre, il a perdu !
Shannow leva les yeux et croisa ceux d’Abaddon.
— Vous êtes un imbécile ! Je refuse de discuter avec vous. Vous avez raison : la trahison de Donna me blesse profondément. Pourtant, je souhaite son bonheur. Si elle l’a trouvé avec Griffin, tant mieux.
— Son bonheur ? ricana Abaddon. Je vais les tuer, elle et son enfant à naître. Elle sera mon agneau sacrificiel dans deux mois. Son sang coulera sur les Sipstrassi. Que dites-vous de ça, Homme de Jérusalem ?
— Regardez-moi dans les yeux, Abaddon, et sachez la vérité : à partir de maintenant, vous êtes un homme mort. Envoyez vos Zélotes, vos démons, et même votre dieu ! Cela ne vous servira à rien. Je vous trouverai.
— Des mots, dit Abaddon. Venez à moi dès que vous le pourrez !
— Comptez-y !
Shannow se réveilla de nouveau, mais cette fois il était revenu dans le camp, près du ruisseau. Le feu s’était transformé en cendres. Batik et Selah dormaient toujours. Shannow se leva et ajouta des brindilles aux tisons, puis souffla sur les braises pour les ranimer. Il regarda les flammes et y vit le visage de Donna.
Abaddon était un être infâme, Shannow n’en doutait pas. Il savait aussi qu’il avait dit la vérité au sujet de Donna et Cornélius Griffin. Mais Abaddon sous-estimait les capacités de l’Homme de Jérusalem à encaisser les coups. Son amour pour Donna avait été trop fort, trop joyeux. Rien dans sa vie n’avait été aussi facile. D’autres connaissaient le plaisir comme s’il provenait d’un filon inépuisable. Il n’en allait pas de même pour lui.
Pourtant, il hésitait. Une part de lui-même aurait voulu retrouver Donna, tuer Griffin et prendre la femme de force. Une autre, plus sombre encore, avait envie de charger les Enfants de l’Enfer, revolvers aux poings, et de mourir dans la bataille.
Le ciel s’éclaircit. Les oiseaux commencèrent à chanter dans les arbres. Batik se retourna mais ne se réveilla pas. Shannow se leva, monta au sommet d’une pente escarpée et examina les montagnes, au nord. Déchiquetées, elles perçaient les nuages, tels des piliers soutenant le ciel.
Shannow n’aurait pu se résoudre à vivre la vie d’un fermier, alors que les montagnes l’appelaient… et que l’espoir de trouver Jérusalem restait ancré dans son cœur.
— Je t’aime, Donna, murmura-t-il.
— On dirait que la journée sera belle ! lança Batik.
— Je ne vous ai pas entendu approcher.
— Cela fait partie de mes dons. Quels sont vos plans ?
— Je n’en suis pas sûr. J’ai vu Abaddon la nuit dernière. Il a menacé quelqu’un dont je suis proche.
— Votre épouse ?
— Non.
— Alors, ça ne vous concerne pas.
— D’après la philosophie des Enfants de l’Enfer, peut-être…
Batik s’assit. Shannow raconta sa conversation avec le roi des Enfants de l’Enfer. Batik écouta attentivement, comprenant plus de choses que Jon avait eu l’intention de lui dire.
— Vous ne pourrez pas avoir Abaddon, Shannow. Je ne l’ai quasiment jamais vu. Il est protégé par les Zélotes et s’aventure rarement parmi son peuple. De plus, vous avez dit que le convoi voyageait vers le nord-est, ce qui place les territoires des Enfants de l’Enfer entre cette femme et vous. Ils se préparent à la guerre, Shannow. L’armée des Enfants de l’Enfer ne sera pas repoussée par une caravane de fermiers.
— Je ne peux pas la sauver, mais j’ai juré de détruire Abaddon.
— C’est impossible.
— Il est peut-être impossible de réussir, mais on peut toujours essayer !
— Dans quelle intention ? Êtes-vous l’âme du monde ?
— Je suis incapable de l’expliquer. Ni à vous, ni à personne. Je ne supporte pas le mal, et encore moins de regarder les forts détruire les faibles.
— Les forts domineront toujours les faibles. C’est dans la nature de l’homme et de la bête. On peut être le chasseur ou le gibier. Il n’y a pas d’autre choix. La neutralité n’est qu’un mot. Elle n’a jamais existé, avant ou après la Chute.
— Je vous ai dit que je ne pouvais pas m’expliquer…
Batik ne lâcha pas prise.
— C’est idiot ! Un jour, vous avez dû arrêter une décision en pesant les raisons de vos actions. Soyez honnête !
— Honnête ? Avec un Enfant de l’Enfer ? Que savez-vous de l’honnêteté ? Et de l’amour ou de la compassion ? Vous avez été élevé dans l’adoration de Satan. Vous avez bu le sang des innocents. Des raisons ? Pourquoi un fermier enlève-t-il les mauvaises herbes de ses terres, ou chasse-t-il les loups et les lions ? Je traque les loups qui se cachent parmi les humains.
— Le jardinier de Dieu ? Il doit être fichtrement mal en point si vous êtes son seul défenseur dans ce monde brisé.
La main de Shannow bougea à une vitesse étonnante. Batik se retrouva face au canon d’un revolver venu de son pays. Il regarda Jon, et vit une lueur de folie dans ses yeux.
— Insultez-moi si vous voulez, mais ne dénigrez pas mon dieu. Ce sera mon seul avertissement. La prochaine erreur sera aussi la dernière.
Batik eut un sourire carnassier.
— Excellent, Shannow ! Les gens de mon peuple réagissent aussi de la même manière : ceux qui ne sont pas d’accord meurent !
Shannow rengaina son revolver.
— Je ne suis pas comme ça, murmura-t-il.
Il se laissa tomber sur le sol et s’assit à côté de Batik.
— Les débats ne sont pas mon point fort. Ma langue s’embrouille, et ça me rend furieux. Je suis prisonnier d’une religion que je comprends à peine. Dans la Bible, il y a beaucoup de passages que j’approuve. Pourtant, je ne suis pas chrétien. La Bible m’apprend que je dois frapper mon ennemi à la hanche et à la cuisse, le détruire par le feu et par l’épée… Elle m’enseigne aussi qu’il faut aimer mon ennemi et faire du bien à ceux qui me haïssent.
— Pas étonnant que vous ne sachiez plus où vous en êtes ! J’ai beaucoup réfléchi à la possibilité que l’homme soit fondamentalement fou. Je ne crois en aucun dieu, et je m’en porte mieux. L’éternité m’indiffère. Je veux un peu de bonheur, beaucoup de plaisir et une mort rapide quand j’aurais perdu mon appétit de vivre.
— J’aimerais partager votre philosophie.
— Vous le pouvez, Shannow, c’est gratuit !
Jon secoua la tête et regarda les montagnes.
— J’irai là-bas, puis je prendrai la direction de l’ouest.
— Je resterai avec vous jusqu’aux montagnes. Après, je partirai vers l’est.
— Vous croyez que cela vous mettra hors d’atteinte des Zélotes ?
Avant que Batik ait le temps de répondre, les buissons bougèrent. Un énorme ours brun en sortit. Il vit les hommes et se dressa sur les pattes arrière. L’animal faisait bien deux mètres cinquante de haut. Il resta quelques instants dans cette position, puis se remit à quatre pattes et partit.
Les deux hommes rengainèrent leurs revolvers.
— On n’est jamais hors de portée des Zélotes, Shannow.
— J’étais persuadé qu’ils possédaient l’ours.
— La prochaine fois, ils le feront sans doute.