II

Et puis il y a cette scène, qu’on est réduit à imaginer — les sextapes, hélas, n’existaient pas. C’est en 1811, au tout début de l’année 1811. Lübeck et Brême ont été annexées à l’Empire, Beethoven met la touche finale à son Concerto pour piano, Chateaubriand entreprend ses Mémoires, les hommes, on le voit, font leurs petites affaires, c’est la règle, et Gabriel Galois ne déroge pas à la règle. Il est dans la maison bourgeoise aux fenêtres ornées de glycine. Il fait nuit. Les volets sont clos. Il éteint le quinquet posé sur le guéridon, rejoint sa jeune épouse dans le lit à baldaquin, écarte la voilure accrochée en rideau, se glisse dans les draps de lin. Adélaïde dort déjà — ou peut-être feint-elle de dormir. Il se met derrière elle, relève jusqu’aux hanches sa chemise de nuit — car ce n’est pas la chemise du père la pudeur, à ouverture parisienne, avec pertuis laissant les époux procéder chastement à l’exécution de leurs devoirs conjugaux : les temps changent et les mœurs sont de plus en plus débridées —, de la main gauche attise sa virilité, et de la droite glisse un doigt sous les poils de sa femme, subrepticement, puis un deuxième, humecte le tout, d’un seul coup s’y engouffre, la fout prestement, sans égards, pousse un râle de contentement, promptement s’endort (mais il se peut aussi qu’il la jonchât de baisers, qu’il lui fît l’amour tendrement, avec les salamalecs que cela implique, la cadence accorte et monotone, les niaiseries sentimentales qu’à l’oreille des demoiselles il faut susurrer d’une voix langoureuse, la guimauve dont elles raffolent, et j’arrête là car vous êtes une demoiselle, mademoiselle : vous connaissez tout ça). Adélaïde a gardé les yeux fermés. Le Vieux, là-haut, esquisse un sourire : Lui seul sait que de cette étreinte fugace, de ce rapide va-et-vient dans le lit à baldaquin d’une grande maison bourgeoise aux fenêtres ornées de glycine, naîtra bientôt le deuxième enfant de la famille Galois. On le prénommera Évariste, du grec áristos — « le meilleur ». Tout est déjà écrit.