Roger ZELAZNY :
L’HOMME QUI AIMA UNE FAÏOLI

Nous avons donc vu les étrangers envahir la Terre, les mers, le présent, l’avenir, et même le passé. Il leur reste à investir la vallée des ombres, le champ du repos, en d’autre terme le royaume de la mort elle-même.

Et pour arme, s’y servir de nos passions.

 

CECI est l’histoire de John Auden et de la Faïoli, et nul ne la connaît mieux que moi. Écoutez-la…

Il se trouva qu’un soir où John errait à l’aventure (car il n’avait aucune raison de ne pas errer) dans ces lieux qu’il préférait entre tous, il vit, assise sur un rocher près de la Vallée des Morts, la Faïoli dont les ailes lumineuses vacillaient, vacillaient, vacillaient pour disparaître enfin, jusqu’à ce que s’affirme l’apparence d’une jeune fille humaine, toute vêtue de blanc, aux longues tresses brunes enroulées autour de la taille, assise là à pleurer.

Il s’approcha d’elle sous la faible lumière du soleil à l’agonie – pratiquement éteint – où les yeux humains ne pouvaient évaluer les distances ni saisir les perspectives (mais les siens le pouvaient) et, posant sa main droite sur l’épaule de la jeune personne, il lui adressa en bienvenue quelques mots de réconfort.

Mais on aurait dit qu’il n’existait pas. Elle continua à pleurer, striant d’argent ses joues blanches comme la neige ou des ossements. Ses yeux en amande restaient fixes, comme s’ils traversaient John, et ses ongles très longs s’enfonçaient dans la chair de ses paumes, bien qu’aucune goutte de sang n’en sortît.

Alors, il comprit que ce qu’on disait des Faïoli était vrai – que celles-ci ne voyaient que les vivants, jamais les morts, et qu’elles avaient l’aspect des femmes les plus belles de tout l’univers. Étant mort lui-même, John Auden envisagea la possibilité de redevenir, pour quelque temps, un homme vivant.

C’était dans le mois précédant sa mort qu’un homme – un des rares qui mouraient encore – recevait la visite d’une Faïoli. Celle-ci vivait avec lui pendant l’ultime mois de son existence, en lui prodiguant tous les plaisirs qu’il est donné à un être humain de connaître, de sorte que, le jour où cet homme recevait le baiser de la mort, qui suçait la dernière goutte de vie de son corps, il l’acceptait – mieux, il le recherchait – avec impatience et gratitude. Car tel est le pouvoir inégalé des Faïoli entre toutes les créatures qu’après les avoir connues, nul ne peut rien désirer de plus au monde.

John Auden considéra sa vie et sa mort, la situation du monde dans lequel il se trouvait, la nature de sa charge, la malédiction qui pesait sur lui et la Faïoli – qui était bien la plus ravissante créature qu’il eût jamais vue au cours de ses quatre cent mille journées d’existence – et il mit en marche le mécanisme placé sous son aisselle gauche, destiné à lui redonner la vie.

La créature se raidit à son contact, car, brusquement, ce contact était devenu charnel, et ce que touchait John, maintenant que les sensations de la vie lui étaient rendues, c’était de la chair féminine. Il comprit alors que son sens du toucher était redevenu celui d’un homme.

« Je vous ai dit : Bonjour ! Ne pleurez pas ! » reprit-il. Et la voix de la jeune fille était semblable au vent oublié soufflant dans tous les arbres dont il avait perdu le souvenir – ramenant avec lui leurs odeurs, leurs couleurs, leur humidité perdues – lorsqu’elle demanda :

— D’où venez-vous, donc, Homme ? Vous n’étiez pas ici il y a un moment.

— Je viens de la Vallée des Morts, répondit-il.

— Laissez-moi toucher votre visage, pria-t-elle. Elle le fit et il la laissa faire.

— C’est étrange, je ne vous ai pas senti approcher, reprit-elle.

— Ce monde est étrange, répliqua-t-il.

— C’est vrai, admit la jeune fille. Vous êtes le seul être vivant qui s’y trouve.

— Quel est votre nom ? demanda John.

« Appelez-moi Sythia », répondit-elle. Ce qu’il fit. « Le mien est John, ajouta-t-il. John Auden. »

— Je suis venue vivre auprès de vous, pour vous apporter plaisirs et réconfort, dit-elle.

Et il comprit que le rituel commençait.

— Pourquoi pleuriez-vous lorsque je vous ai rencontrée ? demanda-t-il.

— Parce que je pensais qu’il n’y avait rien de vivant dans ce monde et j’étais terriblement lasse de voyager, répondit-elle. Habitez-vous près d’ici ?

— Pas loin, répliqua John, pas loin du tout.

— Voulez-vous m’y conduire ?… M’emmener à l’endroit où vous vivez ?

— Oui.

Elle se leva et le suivit dans la Vallée des Morts, où il avait établi sa demeure.

Ils descendirent, et descendirent. Autour d’eux gisaient les restes d’êtres qui avaient autrefois vécu, mais la jeune fille ne semblait pas les voir : elle gardait les yeux fixés sur le visage de John et la main posée sur son bras.

— Pourquoi appelez-vous cet endroit la Vallée des Morts ? lui demanda-t-elle.

— Parce que les morts sont là, tout autour de nous, répondit-il.

— Je ne vois rien.

— Je le sais.

 

Ils traversèrent la Vallée des Ossements, où des millions de morts de toute race, venus de bien des planètes, étaient entassés autour d’eux ; mais elle ne voyait rien. Elle avait pénétré dans le cimetière de l’univers mais ne s’en rendait pas compte. Elle avait rencontré le conservateur et gardien de ce cimetière, mais elle ignorait qui était celui qui marchait à ses côtés en chancelant comme un homme ivre.

John Auden la conduisit chez lui – en ce lieu qui n’était pas réellement celui où il vivait, mais qui allait le devenir – et, là, il actionna d’anciens dispositifs placés à l’intérieur du bâtiment inscrit dans la montagne. En réponse à son geste, la lumière jaillit des murs – une lumière dont il ne s’était encore jamais servi, mais qui lui serait nécessaire à présent.

La porte se referma en glissant derrière eux et la température s’éleva jusqu’à une chaleur normale. De l’air frais se mit à circuler. John en emplit ses poumons, puis l’expira, heureux et fier de retrouver une sensation longtemps oubliée. Son cœur battait dans sa poitrine, et cette chose vivante et chaude lui rappelait la douleur et le plaisir. Pour la première fois depuis une éternité, il prépara un repas et alla prendre une bouteille de vin dans un des profonds coffres scellés. Qui d’autre, se demandait-il, aurait pu supporter ce que lui-même avait supporté ?

Personne, sans doute.

La jeune fille dîna avec lui, chipotant dans la nourriture, goûtant un peu à tout en mangeant du bout des lèvres, alors que lui, par contre, engloutissait la nourriture avec avidité. Tous deux burent du vin et se sentirent heureux.

— Comme cet endroit est étrange ! dit Sythia. Où dormez-vous ?

« Autrefois, je dormais là », répondit-il en désignant une pièce qu’il avait presque oubliée. Ils y entrèrent, et la fille l’entraîna vers le lit pour lui faire goûter les plaisirs de son corps.

Cette nuit-là, il lui manifesta son amour à maintes reprises, avec un désespoir qui dissipa les brumes de l’alcool et concentra toute son énergie en une immense faim, et plus qu’une faim.

Le lendemain, comme le soleil près de s’éteindre éclaboussait la Vallée des Ossements de sa pâle clarté lunaire, il s’éveilla, et la jeune fille – qui, elle, n’avait pas dormi – lui prit la tête à deux mains pour la poser sur sa poitrine en demandant :

— Quelles sont les motivations qui vous animent, John Auden ? Vous ne ressemblez pas aux autres hommes qui vivent et qui meurent : presque comme les Faïoli, vous paraissez prendre de la vie tout ce que vous pouvez en tirer, pour en jouir à un rythme frénétique. Cela dénote chez vous un sens du temps que nul homme ne devrait connaître. Qui êtes-vous donc ?

— Je suis, répondit-il, quelqu’un qui sait les jours de l’homme comptés, et qui aspire à goûter ce que ces jours peuvent lui apporter de bon alors qu’ils touchent à leur fin.

— Vous êtes étrange, reprit Sythia. Vous ai-je donné du plaisir ?

— Plus que je n’en ai jamais connu à ce jour, répondit-il. Et elle poussa un soupir, et il chercha ses lèvres.

Ce jour-là, après le petit déjeuner, ils allèrent se promener dans la Vallée des Ossements. Lui ne pouvait ni évaluer les distances ni saisir correctement les perspectives, et elle ne voyait rien de ce qui avait été vivant et qui était maintenant mort. C’est pourquoi, lorsque, assis sur une saillie de rocher, un bras passé autour des épaules de sa compagne, John montra à celle-ci la fusée qui descendait du ciel, elle suivit vainement son geste. Il lui montra les robots occupés à sortir du ventre de l’engin les dépouilles des morts en provenance de tous les mondes, et, penchant la tête de côté, elle s’efforça de voir ce dont il parlait, mais sans y parvenir.

Même lorsque l’un des robots se dirigea pesamment vers John Auden pour lui tendre la table sur laquelle étaient posés un marqueur et un récépissé, et que John le signa, Sythia ne vit ni ne comprit rien de ce qui se passait.

Au cours des jours qui suivirent, la vie se transforma en rêve, tout rempli du plaisir d’avoir Sythia, et cependant troué d’inévitables accès de souffrance. Souvent, la jeune fille vit le visage de son compagnon se crisper de douleur, et elle l’interrogea à ce sujet.

Mais, chaque fois, il rit de son inquiétude, se contentant de répondre : « Le plaisir et la douleur sont proches l’un de l’autre » – ou quelque chose de ce genre.

Au fur et à mesure que les jours s’écoulaient, elle s’habitua à préparer les repas, à masser les épaules de John, à confectionner pour lui des boissons rafraîchissantes et à lui réciter les poèmes qu’il avait autrefois aimés.

Un mois. Rien qu’un mois – il le savait – et tout prendrait fin. Les Faïoli, quelles qu’elles fussent, payaient en plaisirs de la chair la vie qu’elles prenaient. Elles savaient toujours reconnaître le moment où la mort d’un homme approchait, et, en ce sens, elles donnaient toujours plus qu’elles ne recevaient. La vie, de toute façon, s’enfuyait : elles en rehaussaient les couleurs avant de l’emporter, pour s’en repaître sans doute – le prix de ce qu’elles avaient dispensé.

John Auden savait que, dans l’univers entier, aucune Faïoli n’avait jamais rencontré un homme tel que lui.

Le corps couleur de nacre de Sythia était tour à tour frais et brûlant sous ses caresses ; sa bouche était une petite flamme qui embrasait tout ce qu’elle touchait, avec ses dents comme des épines et sa langue comme l’anthère d’une fleur. C’est ainsi qu’il en vint à éprouver envers la Faïoli nommée Sythia ce sentiment nommé amour.

Rien ne se passait en dehors de cet amour. John savait que Sythia le désirait pour se servir de lui à l’ultime heure et sans doute était-il le seul homme dans tout l’univers capable de duper quelqu’un de sa race. Il possédait le moyen de défense parfait contre la vie et contre la mort. Maintenant qu’il était redevenu humain et vivant, il lui arrivait souvent de pleurer en y pensant.

Car il avait plus d’un mois à vivre.

Peut-être en avait-il trois ou quatre.

Aussi ce mois, considéré à tort comme le dernier, était-il le prix qu’il était prêt à payer de bon cœur pour tout ce que la Faïoli pouvait avoir à lui offrir.

Sythia triturait son corps pour en vider jusqu’à la moindre goutte de plaisir contenue dans ses cellules nerveuses fatiguées, le transformant tour à tour en une flamme, un iceberg, un petit garçon, un vieillard… Auprès d’elle, John éprouvait des sentiments tels qu’il en venait à considérer le consolamentum comme une chose qu’il pourrait facilement accepter lorsque – très bientôt – le mois viendrait à expiration. Pourquoi en aurait-il été autrement’ ? Il savait que Sythia lui avait volontairement rempli l’esprit de sa présence. Mais qu’est-ce que la vie pouvait encore lui apporter de plus ? Cette créature d’au-delà des étoiles lui avait prodigué tout ce qu’un homme pouvait désirer. Elle l’avait baptisé dans la passion, puis confirmé avec la paix de l’âme qui lui succède. Peut-être, à présent, valait-il mieux qu’il connût l’oubli total que lui apporterait son ultime baiser.

Il la saisit dans ses bras et l’attira à lui. Sans comprendre ce qu’il éprouvait, elle répondit à cet appel.

Il l’en aima davantage et ce fut presque sa perte.

Il existe une chose nommée maladie, qui frappe tous les êtres vivants, et John en avait souffert plus profondément que n’importe quel autre homme. Mais elle, chose féminine qui n’avait jamais connu que la vie, ne pouvait comprendre.

Aussi n’avait-il jamais cherché à lui en parler, bien que chaque jour le goût des baisers de la Faïoli lui parût plus fort et plus piquant, et que chacun fût plus semblable à l’ombre – de plus en plus noire, de plus en plus épaisse, de plus en plus menaçante – de cette chose qu’il savait maintenant désirer plus que tout au monde.

Le jour devait venir… Et il vint.

Il la tint dans ses bras, la caressa, et le calendrier de ses jours s’effeuilla, autour d’eux.

Il comprit pendant qu’il s’abandonnait aux charmes de Sythia, à la gloire de sa bouche et de ses seins, qu’il avait été envoûté comme tous ceux qui avaient connu ces créatures avant lui. Leur faiblesse même faisait leur force. Elles étaient le symbole ultime de la Femme. Par leur fragilité, elles suscitaient le désir de plaire. John aurait voulu se fondre dans le paysage nacré de ce corps, entrer dans le cercle de ses prunelles et ne plus jamais le quitter.

Il savait qu’il avait perdu car, au fur et à mesure que les jours s’enfuyaient, il était devenu plus faible. À peine était-il capable, à présent, de gribouiller son nom sur les reçus que lui tendait le robot lorsque, de sa démarche pesante, celui-ci s’avançait vers lui en écrasant les cages thoraciques et en broyant les crânes sous chacun de ses pas terrifiants. Un instant, John envia ce robot sans sexe, sans passion, uniquement consacré à son devoir. Un jour, avant de le congédier, il lui demanda :

— Que ferais-tu si tu pouvais éprouver des désirs et que tu rencontres une chose capable de t’apporter tout ce que tu pourrais désirer au monde’ ?

— Je… tâcherais… de… la… garder, répondit le robot dans un clignotement de lumières rouges.

Puis, se détournant, il s’éloigna vers le Grand Cimetière.

— Oui, dit John Auden à voix haute, mais cela ne peut se faire. Sythia ne le comprit pas, et en ce trente et unième jour, tous deux retournèrent à l’endroit où ils avaient vécu pendant un mois, et il sentit la peur de la mort s’appesantir sur lui, forte, tellement forte.

Sa compagne se montrait plus exquise que jamais, mais il redoutait cette dernière rencontre.

« Je vous aime », lui dit-il enfin, car c’était une chose qu’il n’avait encore jamais dite.

Elle le caressa, l’embrassa avant de répondre :

— Je le sais, et le moment est presque venu pour vous de m’aimer complètement. Mais, avant ce dernier acte d’amour, je voudrais, mon John Auden, que vous me disiez une chose : Qu’est-ce qui vous rend si différent des autres ? Comment se fait-il que vous en sachiez sur ces choses-qui-ne-sont-pas-de-la-vie beaucoup plus que ne devrait en connaître un mortel ? Et comment se fait-il que vous ayez pu vous approcher de moi, ce premier soir, sans que je m’en rende compte ?

— Parce que je suis déjà mort, répondit-il. Ne le voyez-vous pas quand vous me regardez dans les yeux ? Ne sentez-vous pas ce froid de glace au fond de mes caresses ? J’ai préféré venir ici plutôt que de choisir le sommeil froid de l’hibernation, si semblable à la mort, un lac d’oubli dans lequel je ne saurais même pas que j’attends ; que j’attends le traitement miracle qui peut-être ne viendra jamais. Un espoir de guérison pour une des dernières maladies mortelles de l’univers ; celle dont je souffre et qui ne me laisse plus que peu de temps de vie.

— Je ne comprends pas, dit Sythia.

— Embrassez-moi et oubliez tout cela, pria-t-il. Cela vaut mieux ainsi. Il n’y aura probablement jamais de traitement ; car certaines choses restent sombres pour toujours et j’ai certainement été oublié de tous. Vous avez dû sentir la mort accrochée à moi lorsque j’ai récupéré mon humanité ; car telle est la nature de ta race. Je l’ai fait pour connaître ton corps car je connais les Faïoli. Prends donc maintenant ton plaisir de mon être, et sache que je le partage. Sois bienvenue à moi. Je t’ai fait la cour toute ma vie sans le savoir.

Mais, étant de naturel curieux, elle lui demanda (en se servant pour la première fois du tutoiement familier) :

— Comment, alors, réussis-tu à maintenir l’équilibre entre la vie et ce-qui-n’est-pas-la-vie ? Comment parviens-tu à demeurer conscient sans être vivant ?

— C’est, répondit John, qu’à l’intérieur de ce corps que j’ai le malheur d’occuper sont installés des mécanismes. Si l’on touche cet endroit sous mon aisselle gauche, mes poumons s’arrêteraient de respirer, mon cœur cesserait de battre, un système électro chimique semblable à celui que possèdent mes robots (invisibles à vos yeux, je le sais) se mettrait en marche. C’est là ma vie dans la mort. J’ai demandé cette existence parce que je redoutais de tomber dans l’oubli. J’ai offert mes services comme gardien du cimetière où sont déposés les restes des morts de tout l’univers, parce qu’en ce lieu il ne se trouve pour me regarder nul être à qui mon aspect cadavérique puisse inspirer de la répulsion. C’est pourquoi je suis ce que je suis. Embrassez-moi pour mettre un terme à tout cela.

Mais, ayant pris la forme d’une femme – ou, peut-être, ayant toujours été femme – la Faïoli nommée Sythia était curieuse. « Est-ce là ? » demanda-t-elle en touchant un point sous l’aisselle gauche de John Auden.

Ce geste eut pour effet de le faire disparaître à sa vue, en même temps qu’il restituait à John la glaciale logique qui abrite de l’émotion. Et cela lui évita, bien sûr, la tentation de toucher une nouvelle fois le point critique.

Au lieu de cela, il observa Sythia, qui s’était mise à le chercher de tous côtés en ce lieu où il avait autrefois vécu.

Elle fouilla tous les recoins, tous les placards, et, ne trouvant pas trace d’un homme vivant, elle se mit à sangloter de façon horrible, comme elle l’avait fait en ce soir où John l’avait vue pour la première fois. Puis, dans un vacillement hésitant, les ailes lumineuses reprirent peu à peu forme sur son dos, son visage s’effaça et son corps fondit doucement. La tour d’étincelles qui se dressait devant John s’évanouit alors à son tour, et, plus tard, au cours de cette nuit démente où lui avait été rendue la faculté d’évaluer les distances et de saisir les perspectives, il se mit à la recherche de Sythia.

Telle est l’histoire de John Auden, le seul homme qui ait aimé une Faïoli et qui ait vécu (si on peut appeler cela vivre) pour parler de son amour. Cette histoire, nul ne la connaît mieux que moi.

On n’a jamais découvert de remède à son mal, et je sais que John continue à parcourir la Vallée des Morts en contemplant les ossements. Parfois, il s’arrête près du rocher où il a rencontré Sythia, il cligne des yeux pour tenter de voir les choses humides qui n’y sont pas, et il s’étonne des paroles qu’il a prononcées.

C’est comme cela, et la morale de l’histoire est sans doute que la vie (peut-être en est-il de même pour l’amour) est plus forte que ce qu’elle renferme, mais jamais que ce qui la renferme. Seules les Faïoli pourraient vous donner une assurance à ce sujet, mais jamais plus elles ne reviennent par ici.

 

The Man who Loved the Faïoli

Traduit par Denise HERSANT