Ce jour-là, sur la flotte, il y eut fête. Malgré l’aigre vent de décembre, malgré la pluie, malgré la neige, tous les Gueux de la flotte étaient sur les ponts des navires. Les croissants d’argent brillaient fauves sur les couvre-chefs de Zélande.
Et Ulenspiegel chanta :
Leyde est délivré, le duc de sang quitte les Pays-Bas :
Sonnez, cloches retentissantes ;
Carillons, lancez dans les airs vos chansons ;
Tintez, verres et bouteilles.
Quand le dogue s’en revient des coups,
La queue entre les jambes,
D’un œil sanglant
Il se retourne sur les bâtons.
Et sa mâchoire déchirée
Frémit pantelante.
Il est parti le duc de sang :
Tintez, verres et bouteilles. Vive le Gueux !
Il voudrait se mordre lui-même,
Les bâtons brisèrent ses dents,
Penchant sa tête maflue,
Il pense aux jours de meurtre et d’appétit.
Il est parti le duc de sang :
Donc battez le tambour de gloire,
Donc battez le tambour de guerre !
Vive le Gueux !
Il crie au diable : « Je te vends
Mon âme de chien pour une heure de force. »
« Ce m’est tout un de ton âme,
Dit le diable, ou d’un hareng »
Les dents ne se retrouvent point.
Il fallait fuir les durs morceaux.
Il est parti le duc de sang ;
Vive le Gueux !
Les petits chiens des rues, torses, borgnes, galeux.
Qui vivent ou crèvent sur les monceaux,
Lèvent la patte tour à tour
Sur celui qui tua par amour du meurtre…
Vive le Gueux !
« Il n’aima point de femmes ni d’amis,
Ni gaieté, ni soleil, ni son maître,
Rien que la Mort, sa fiancée,
Qui lui casse les pattes,
Par préludes de fiançailles,
N’aimant pas les hommes entiers ;
Battez le tambour de joie,
Vive le Gueux ! »
Et les petits chiens de rues, torses,
Boiteux, galeux et borgnes,
Lèvent de nouveau la patte
D´une façon chaude et salée,
Et avec eux lévriers et molosses,
Chiens de Hongrie, de Brabant,
De Namur et de Luxembourg,
Vive le Gueux !
Et tristement, l’écume au mufle,
Il va crever près de son maître,
Qui lui baille un coup de pied
Pour n’avoir pas assez mordu.
En enfer il épouse Mort
Et elle l’appelle : « Mon duc » ;
Et il l’appelle : « Mon inquisition ».
Vive le Gueux !
Sonnez, cloches retentissantes ;
Carillon, lance en l’air tes chansons ;
Tintez, verres et bouteilles :
Vive le Gueux !