Le lendemain, le peuple ayant appris le fait par Ulenspiegel, dit que c’était méchante raillerie de leur faire adorer comme saint un pleurard qui laissait aller ses eaux sous lui.
Et beaucoup devinrent hérétiques. Et partant avec leurs biens, ils couraient grossir l’armée du prince.
Ulenspiegel s’en retourna vers Liége. Etant seul dans le bois, il s’assit et rêvassa. Regardant le ciel clair, il dit :
– La guerre, toujours la guerre, pour que l’ennemi espagnol tue le pauvre peuple, pille nos biens, viole nos femmes et filles. Cependant notre bel argent s’en va, et notre sang coule par ruisseaux sans profit pour personne, sinon pour ce royal maroufle qui veut mettre un fleuron d’autorité de plus à sa couronne. Fleuron qu’il croit glorieux, fleuron de sang, fleuron de fumée. Ah ! si je te pouvais fleuronner comme je le désire, il n’y aurait que les mouches qui te voudraient tenir compagnie.
Comme il pensait à ces choses, il vit passer devant lui toute une bande de cerfs. Il y en avait de vieux et grands ayant encore leurs daimtiers et portant fièrement leurs bois à neuf cors. De mignons broquarts, qui sont leurs écuyers, trottinaient à côté d’eux semblant tout prêts à leur donner aide de leurs bois pointus. Ulenspiegel ne savait ou ils allaient, mais il jugea que c’était à leur reposée.
– Ah ! dit-il, vieux cerfs et broquarts mignons, vous allez, gais et fiers, dans le parfond du bois à votre reposée, mangeant les jeunes pousses, flairant les senteurs embaumées, heureux. Jusqu’à ce que vienne le chasseur-bourreau. Ainsi de nous, vieux cerfs et broquarts !
Et les cendres de Claes battirent sur la poitrine d’Ulenspiegel.