CORUSCANT
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Des signaux brillaient, haut dans le ciel de Coruscant. Des ailes X avaient répandu des nuages de plasma qui dessinaient une bannière de gaz ionisés aux couleurs chatoyantes dans le crépuscule. Coruscant célébrait une nouvelle victoire sur l’Empire et la mémoire de ceux qui avaient trouvé la mort dans les dernières batailles.
Pour le service à la mémoire de Crix Madine, Luke Skywalker se trouvait aux côtés de Yan Solo et Leia. Mais son esprit était resté loin, très loin. Il se sentait vide et froid. Ils étaient tout en haut du palais impérial, et l’air ténu et âpre les fouettait. Mais il ne sentait rien.
Dans le ciel, les ailes X lançaient de nouvelles draperies brillantes dans l’ombre qui venait.
C3PO, plus doré et astiqué que jamais, remarqua à l’intention de son compagnon D2R2 :
— Ç’a été un vrai plaisir que de servir à nouveau avec toi. J’aurais tellement apprécié que tu n’aies pas à retourner sur Yavin 4 pour assister Maître Luke à l’académie Jedi.
D2 répliqua par un trille de sifflements et C3PO se roidit, soudain inquiet.
— Comment ? Moi ? Tu voudrais que je t’accompagne dans cette jungle aussi épaisse que traîtresse ? Certainement pas ! Ici, sur Coruscant, des responsabilités importantes m’attendent... et puis, c’est tellement plus civilisé.
D2 eut un long bêlement de mépris, et Chewbacca, tout proche, la fourrure propre et impeccablement peignée, grommela à l’intention du droïd de protocole.
— Oh, ça suffit, Chewbacca ! s’écria C3PO. Pour ton information, je te dirai que je pense faire de l’excellent travail en tant qu’assistant de Maîtresse Leia dans sa tâche de Chef de l’État.
Il y avait des larmes dans les yeux noirs de la princesse. Yan se tenait auprès d’elle en essayant de dissimuler sa propre émotion. Il passa tendrement le bras autour de ses épaules.
Les jumeaux, Jacen et Jaina, ainsi que le jeune Anakin avaient l’air apprêtés dans leurs costumes de parade, mais ils étaient impressionnés comme s’ils percevaient la tristesse de la cérémonie.
Luke les observa, son regard revint sur Leia et Yan, et ce fut comme un coup de poignard au cœur. Il n’était pas jaloux de sa sœur ni de son mariage : ils avaient des vies si différentes – mais il avait espéré connaître un avenir pareil avec Callista. Rien qu’avec Callista...
Ils auraient été deux puissants Chevaliers Jedi, un couple idéal. Faits l’un pour l’autre, furieusement heureux. Si les circonstances ne s’étaient pas toujours dressées contre eux.
Luke avait un visage de pierre, un masque de lassitude qui était censé cacher ses émotions... mais Leia percevait intensément sa peine. Elle lui jeta un bref regard de compassion – mais elle avait ses devoirs de Chef d’État à assumer. Luke acquiesça discrètement pour la rassurer.
Il avait le sentiment d’avoir constamment nié une facette de sa nature humaine. En devenant un Jedi, il avait fait un choix sans savoir de quoi il en retournait, il s’était coupé à jamais des joies et des amours qui étaient le propre des autres. Jamais il n’aurait pensé payer un prix aussi élevé.
Quand Leia monta sur le podium improvisé, les gardes lui présentèrent les armes. Luke dévisagea tous les héros archi-décorés qui s’étaient distingués dans ce dernier assaut de l’Empire. Son vieil ami Wedge Antilles était là, avec la savante Qwi Xux, qui semblait tellement étonnée d’être au centre de l’attention. L’amiral Ackbar portait son uniforme blanc de commandeur de la flotte.
Les ailes X rejoignaient leurs stations de combat en orbite. Les voiles ionisés se défaisaient en étincelles de plus en plus ténues.
Leia prit la parole. Son image était retransmise dans tous les mondes de la Nouvelle République par les info-droïds et les journalistes du Service Galactique.
— Nous sommes rassemblés ici pour célébrer une nouvelle victoire, et rendre hommage à ceux qu’elle nous a coûtés. Une fois encore, l’Empire a tenté de renverser le pouvoir légal de cette galaxie et a échoué. Nous le vaincrons toujours, car la lumière est de notre côté.
Elle risqua un nouveau regard vers Luke, impassible.
— Cependant, nous n’avons pas vaincu sans souffrir. De nombreux combattants valeureux ont trouvé la mort sur nos vaisseaux, en servant la Nouvelle République.
» Deux Chevaliers Jedi ont péri également. Dorsk 81 s’est sacrifié afin de repousser une flotte de superdestroyers ennemis. Par son action, il a sauvé la vie des autres Jedi de Yavin 4 qui ont poursuivi le combat jusqu’à l’arrivée des renforts de l’amiral Ackbar.
» Il est peut-être consolant de se dire que Dorsk 81 n’aura pas vécu pour apprendre que sa planète natale, Khomm a été une des premières cibles de l’amiral Daala. Khomm a été ravagée et la Nouvelle République a envoyé là-bas des secours et des équipes de reconstruction en hommage au geste immense d’un des leurs.
» Nous pleurons aussi Callista, le Chevalier Jedi qui, même dépourvue de ses pouvoirs, a réussi à éliminer l’hyperdestroyer impérial en le lançant sur Yavin où nous pensons qu’elle a trouvé la mort en même temps que notre Némésis, l’amiral Daala.
Leia ménagea une pause avant de se tourner vers Ackbar.
— Par ailleurs, nous sommes heureux de vous annoncer que nous avons réussi à éviter que les Hutts ne possèdent leur propre version du superlaser de l’Étoile Noire, qu’ils comptaient utiliser pour dévaster des systèmes pacifiques. C’est le général Wedge Antilles qui a conduit l’attaque victorieuse contre leur Sabre Noir.
» Mais, dans cette mission, nous avons encore subi de douloureuses pertes. (La voix de Leia baissa d’un ton.) Parce qu’il devait rester discret, le général Crix Madine était peu connu de la plupart d’entre vous. Il était Commandant Suprême des Renseignements Alliés. En travaillant de l’autre côté des lignes ennemis, il a remporté plus de victoires que nous ne saurions l’imaginer et politiquement infaisables au grand jour. C’est Madine et son équipe qui sont parvenus à repérer l’arme secrète des Hutts et à guider le général Antilles sur le site. Mais Madine et son équipe y ont laissé la vie.
» La Nouvelle République est encore une fois hors de danger grâce aux efforts de tous ses défenseurs. Nous devons tous continuer dans ce sens.
» Et que la Force soit avec vous.
Luke retourna sur Yavin 4 avec l’intention de se consacrer à plein temps à ses élèves Jedi pour en faire autant de défenseurs de la Nouvelle République.
Ce serait désormais son unique phare.
Avec nostalgie, lui et D2 revinrent jusqu’à la lune-jungle dans une aile X désarmée : le type de vaisseau que Luke avait piloté au cours des premières batailles de l’Alliance Rebelle. En se posant devant le Grand Temple, il eut le cœur réchauffé en constatant que ses élèves s’activaient à réparer les dégâts.
Il descendit du chasseur et se servit de la Force pour extraire doucement le droïd de son socle et le déposer au sol. D2 avait servi tant de fois aux exercices des jeunes Jedi qu’il avait pris l’habitude d’être manipulé par des mains invisibles.
Kyp Durron se précipita vers eux, ses yeux noirs cernés par le manque de sommeil.
— Bienvenue, Maître Luke. Nous savions que vous ne tarderiez plus.
Luke hocha la tête.
— Il fallait que je vous aide tous à remettre les choses debout. Nous continuons notre quête de Jedi, quoi qu’il advienne.
— Nous avons construit un beau mausolée pour Dorsk 81, dans la jungle, fit Kyp d’un air indécis. J’ai d’abord pensé que nous devrions le raccompagner sur Khomm pour y être enterré...
— Non. Ils ont assez de tous leurs morts.
— Bien sûr... et je le connaissais suffisamment pour savoir ce qu’il en aurait pensé. C’était un Chevalier Jedi. Il aurait aimé rester ici plutôt que de retrouver ce monde dont il avait tant de fois tenté de s’évader. Ça n’était pas sa place.
Luke leva les yeux vers l’œil triste de Yavin dont la clarté orange se répandait dans la brume du ciel. À sa surface, les cyclones semblaient s’être apaisés. Il pensa que la formidable gravité du monde gazeux avait englouti en une seule fois Callista, Daala et le Marteau du Chevalier. Un frisson glacé le parcourut. Une seconde, il eut l’espoir fou que Callista allait répondre à ses pensées, qu’il allait entendre sa voix, voir son visage, écouter son message.
Mais non : ça n’était que son imagination. Callista ne parlerait plus.
Tionne s’approcha.
— Le vaisseau de ravitaillement est venu, Maître Skywalker. Tout se passe bien désormais. Nous travaillons ensemble, mais nous avancerons plus vite sous votre direction.
Luke s’efforça de lui sourire.
— Tu as bien travaillé, Tionne.
— Oh, j’allais oublier, fit-elle, esquivant le compliment. La navette a laissé un message pour vous. Je l’ai mis dans vos quartiers.
Il plissa le front, s’attendant à de nouveaux soucis.
— Un message de qui ?
— Nous ne l’avons pas écouté. C’est un message privé.
— Bien. Viens, D2.
Il fit un signe amical à tous avant de franchir la porte du temple.
Lui et D2 suivirent les longs corridors familiers de la pyramide massassi. Le droïd gazouillait et trompetait pour exprimer sa joie.
Le cylindre était posé sur la couchette de Luke. Il le tourna longtemps entre ses paumes sans deviner de qui il pouvait venir. Il n’était pas sûr de vouloir vraiment le savoir. Peut-être quelqu’un qui souhaitait lui exprimer sa sympathie – ce qui ne ferait qu’aviver son chagrin.
Il s’extirpa de son encombrante combinaison et enfila sa robe de Jedi avec le sentiment de retrouver la Force. Enfin, il décacheta le cylindre, en sortit la tige de données et l’inséra dans le lecteur. Une image en relief se forma devant ses yeux.
— Callista !
Elle semblait le regarder de très loin, sans le voir. Il n’aurait su dire combien de temps auparavant le message avait été enregistré. Callista avait l’air faible et hagarde, avec cependant une sorte d’énergie intérieure.
— Bonjour, Luke. La première chose que tu souhaites savoir, je pense, c’est que je ne suis pas vraiment morte. Désolée de t’avoir fait peur. Mais il m’était impossible de revenir en arrière. J’ai réussi de justesse à m’échapper de l’hyperdestroyer dans une des dernières capsules de sauvetage avant qu’il aille s’écraser sur Yavin.
Elle s’interrompit, comme si elle cherchait ses mots.
— Ensuite, j’ai dérivé. Les capsules de commandement de Daala étaient munies de systèmes de propulsion d’urgence. Mais, dès que j’ai été hors de danger, j’ai pris conscience que je ne pouvais pas revenir vers toi – pas encore, Luke, et j’en suis navrée.
» Les pouvoirs Jedi sont plus proches de moi, maintenant, mais encore hors de portée. Le mur du côté sombre nous sépare. Si je retravaillais trop près de toi, je craindrais d’être encore tentée. Luke, je veux tellement retrouver mes pouvoirs que je suis prête à tout... ou presque tout pour ça. Et je ne peux courir ce risque.
— Non, Callista ! fit-il dans un souffle. Je t’en prie !
— Il faut que je poursuive ma propre odyssée. J’ai confiance : un jour, mes pouvoirs reviendront. Et ainsi, je pourrai te retrouver, à l’heure voulue. Luke, j’ai besoin de temps. Un peu de temps. Je te promets de revenir – si je parviens à me montrer digne du grand Maître Jedi que j’aime.
Elle se tut. Son image se déplaça, comme si elle allait quitter le champ d’enregistrement. Et puis, elle se retourna, le regard brillant, et soupira.
— Le temps venu, Luke, nous serons de nouveau ensemble. Et cet univers est tellement riche de temps.
L’image s’éteignit. Il tendit la main, ses doigts se refermèrent sur le vide. Il voulait la retenir encore une seconde – mais elle avait disparu.
Un tourbillon se dilata dans son cœur. Il était tellement soulagé de savoir qu’elle n’était pas morte.
Callista était vivante. Vivante! Mais il l’avait perdue. Pour un temps...
Il quitta le Grand Temple dans l’après-midi déclinant de Yavin 4. Les Jedi, autour de lui, vaquaient à leurs travaux. Il leva les yeux vers la géante orange et lança son esprit à travers l’espace.
Il dit à Callista tout son amour et l’espoir qu’il avait que sa quête aboutisse.
— Oui, l’univers est riche de temps, fit-il en écho. Et nous serons à nouveau ensemble, toi et moi, Callista.
Les jeunes Jedi s’activaient, liés par la Force, et Luke les rejoignit.