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Tandis que la nuit tombait sur le château opulent de Durga, les autres habitants de la planète fangeuse vivaient leurs existences désespérées. Vêtu de haillons, le visage creusé par la fatigue et rongé d’une barbe sale – pareil à tous les pauvres hères victimes de Nal Hutta – le général Crix Madine se glissait dans l’ombre, un but précis en tête.

Avec des mouvements furtifs qu’il avait acquis durant des années d’opérations clandestines, Madine se faufilait dans les ruelles glauques, entre les cabanes préfabriquées du village de squatters. Les entrepôts ressemblaient à des bunkers militaires sous la vague clarté de la lune et les faisceaux durs des projecteurs de sécurité du spatioport sévèrement gardé.

Les centres de distribution traitaient jour et nuit les matériaux bruts arrachés à la surface de Nal Hutta qui étaient expédiés vers la Lune des Contrebandiers, Nar Shaddaa. Madine leva les yeux vers les traînées lumineuses que laissaient les cargos réguliers en perçant les bancs de nuages, chargés des produits du marché noir qui seraient négociés sur Nar Shaddaa.

La race des Hutts avait pour habitude d’usurper le pouvoir d’un monde et de l’exploiter jusqu’à ses dernières ressources en polluant l’environnement. Quand ils en auraient fini avec cette planète qu’ils considéraient comme leur, ils partiraient ailleurs – mais leur empire du crime n’avait pas encore fini de digérer Nal Hutta.

Un complexe de jeux était planté dans les marais sur des pilotis en duracier branlants. C’est tardivement qu’on avait pensé à fournir un peu de détente à ceux qui croupissaient sur Nal Hutta. Madine entendit dans le lointain des notes de musique et des éclats de voix.

À l’autre extrémité du port, le château de Durga se dessinait sous les projecteurs bleutés, comme une citadelle d’ivoire qui culminait loin au-dessus du bas peuple.

Madine dissimulait la lanterne à brilleur qu’il avait emportée tout en se dirigeant vers la clôture grillagée qui interdisait l’accès du port. Le yacht privé de Durga était là. C’était un bâtiment hyperspatial long et profilé. Les projecteurs de sécurité soulignaient sa coque grise et luisante avec ses stabilisateurs et ses ailerons atmosphériques.

Il se glissait vers la barrière quand il discerna des silhouettes tapies dans l’ombre, des êtres qui épiaient le vaisseau en rêvant de fuite... et qui disparurent à son approche. Il aurait voulu pouvoir les rappeler, leur donner un peu d’espoir, leur promettre de tous les libérer quand cette affaire serait terminée. Mais il ne le pouvait pas.

Il referma la main sur le treillis métallique à toute épreuve, pareil à n’importe quel esclave perdu dans ses songes. Des gardes weequays cernaient le yacht, immobiles comme des statues, avec leurs faces de cuir plissé. Madine savait que les Weequays n’étaient pas d’une grande intelligence, mais ils étaient loyaux et malins et, avec eux, il n’avait guère de chance de s’approcher. Mais ça ne lui serait pas utile.

Il s’accroupit au bas de la clôture et sortit sa lanterne de sous sa cape en lambeaux. Il ouvrit le compartiment arrière et en sortit la petite créature aux ailes palpitantes, le papillon de lune aux ailes iridescentes bleu pâle qui se débattait pour s’envoler.

— Pas encore, dit Madine, Arrête.

Le papillon se figea. D’autres insectes nocturnes bourdonnaient autour des projecteurs. Le papillon de Madine était une parfaite réplique conçue par les meilleurs spécialistes en droïds de Mechis III, avec un ordinateur à mémoire limitée mais qui savait traduire les ordres et connaissait sa mission.

Madine le prit dans sa paume et l’orienta vers le yacht de Durga.

— Enregistre la cible.

Les antennes du papillon tournèrent et il accusa réception d’un frémissement d’ailes. Madine attendit encore un bref instant, puis ordonna :

— Envole-toi !

Le papillon de lune s’enleva en spirale dans la brise. Il s’éloigna en un vol capricieux mais prudent et précis, en toute discrétion.

Madine sentit des gouttes de pluie ruisseler sur ses joues. Il cilla et passa les doigts sur l’eau grasse. Le papillon approchait de son objectif et Madine sentit son cœur battre plus fort.

La mission était simple et discrète. Le papillon droïd se posa sur la coque du yacht, juste derrière un des ailerons stabilisateurs.

Il demeura immobile un instant, le temps de déposer son œuf précieux – une gouttelette microscopique – puis se remit à battre des ailes et s’éleva dans l’averse. Madine attendit qu’il se perde dans l’obscurité, aussi loin du yacht que les vents de la nuit voudraient le porter.

C’est avec un soupçon de tristesse qu’il plongea une main dans sa poche déchirée pour appuyer sur la micro-commande de destruction.

Il distingua une infime étincelle et devina une faible détonation. Puis il fit demi-tour et se perdit dans les ombres des ghettos. Il avait largement le temps de rallier le point de rendez-vous.

La mission du papillon avait réussi, et désormais Madine pourrait suivre les mouvements de Durga le Hutt, où qu’il aille.