Chapitre 29

 

I

L’oracle d’Amon était un gros rocher situé à environ quatre kilomètres de la ville de Siwa. Malgré l’importance historique de ce site, il n’y avait ni parking, ni stand de restauration, ni frais d’entrée. Lorsqu’ils arrivèrent sur place, Gaëlle, Elena et leurs guides étaient seuls, à l’exception d’un vieillard à la peau flétrie qui, assis contre un mur, tendait une main tremblante pour demander l’aumône. Gaëlle sortit son porte-monnaie.

— Cela ne fait que les encourager, l’avertit Elena.

Gaëlle hésita et donna tout de même un billet au mendiant, qui lui sourit avec gratitude.

Deux jeunes filles aux cheveux noirs tressés jusqu’à la taille s’approchèrent en ouvrant leurs bras chargés de bracelets artisanaux. Zayn les chassa et elles s’enfuirent en gloussant.

Dans un premier temps, Gaëlle n’avait pas su quoi penser de Mustafa et de Zayn. Mais elle s’était vite prise de sympathie pour eux. Ils connaissaient Siwa mieux que personne. Et il y avait quelque chose de touchant dans leur amitié. Il existait dans l’oasis une vieille tradition d’homosexualité qui avait la vie dure. Ici, les chansons populaires et la poésie célébraient encore ce genre de relations. Gaëlle ne pouvait pas s’empêcher de se poser des questions.

Mustafa était un homme robuste à la peau rugueuse comme de l’écorce, que le soleil avait contribué à brunir, à en juger par les zones plus pâles qu’il avait autour du cou et sous le bracelet de sa montre. Curieusement, il était dans une condition physique excellente, malgré sa fâcheuse habitude de fumer cigarette sur cigarette. Il montrait un attachement particulier à son vieux camion capricieux. Aucun indicateur ni aucun cadran ne fonctionnait et toutes les finitions superflues, telles que la boule du levier de vitesse, le caoutchouc des pédales et les tapis de sol, avaient disparu depuis longtemps.

Zayn, quant à lui, était très mince et n’avait pas plus de quarante ans, bien que ses cheveux et sa barbe soient déjà striés de filets argentés. Pendant que Mustafa conduisait, il lubrifiait et astiquait presque obsessionnellement un couteau à fine lame monté sur un manche d’ivoire qu’il tenait dans les plis de sa djellaba. À chaque fois qu’il le rangeait, la lame luisante et immaculée frottait contre l’étui et nécessitait immédiatement un nouveau nettoyage. Il le ressortait alors pour l’examiner et murmurait des obscénités locales.

Derrière l’entrée surmontée d’un linteau, un escalier en spirale conduisait à la salle principale de l’oracle : une coquille vide semblable à un navire dont le bois aurait pourri dans la boue d’un estuaire puis séché. Gaëlle fut soudain submergée par l’émotion. Il n’y avait pas beaucoup d’endroits dans le monde où l’on était sûr qu’Alexandre s’était rendu en personne, mais celui-ci en était un. L’oracle avait été prisé dans tout le Bassin méditerranéen à l’époque d’Alexandre. Il rivalisait avec celui de Delphes. Certains diraient même qu’il le surpassait. D’après la légende, Héraclès s’y était rendu et Alexandre avait prétendu en être le descendant direct. Persée était également allé consulter l’oracle. Et il était associé à l’Empire perse, qu’Alexandre avait conquis. Cimon, un général athénien, avait envoyé une délégation à Siwa pour savoir si le siège qu’il avait établi devant Chypre connaîtrait une issue favorable. L’oracle avait refusé de répondre et s’était contenté de dire que la personne qui avait posé la question était déjà auprès de lui. À leur retour, les émissaires avaient appris que Cimon était mort le jour où ils avaient consulté l’oracle. Pindare avait écrit un hymne à la gloire de ce dernier et, après lui avoir demandé de lui faire connaître la plus grande bénédiction de l’homme, il était mort sur le coup. Mais l’épisode le plus marquant était sans doute l’invasion de l’Égypte par le roi perse Cambyse. Celui-ci avait envoyé trois armées : une en Éthiopie, une à Carthage et une autre dans le désert de Siwa. Mais celle de Siwa s’était volatilisée. Elle n’avait jamais été retrouvée, malgré de nombreuses recherches. On raconte qu’Amon aurait protégé son oracle en faisant naître une tempête de sable ou un vent brûlant, le quibli, qui pouvait souffler pendant plusieurs jours d’affilée, voire les deux en même temps, un phénomène redouté par les Bédouins les plus aguerris au désert.

— C’est par là que les prêtres descendaient ? demanda Gaëlle.

— Le grand prêtre a accueilli Alexandre en l’appelant o pai Dios, répondit Elena, ce qui signifie « le fils de Dieu ».

Elle eut un petit rire méprisant.

— Savez-vous, ajouta-t-elle, que Plutarque pensait qu’il avait dit en réalité o paidion, « mon enfant » ? Ha ! Il fallait être gonflé pour appeler Alexandre « mon enfant ».

— Sauf si c’était Zeus qui parlait par la bouche du prêtre.

— Oui, évidemment...

— Comment fonctionnait l’oracle ?

— Les prêtres transportaient un omphalos, la manifestation physique d’Amon, dans une barque de procession dorée, ornée de pierres précieuses, pendant que de jeunes vierges chantaient. Le grand prêtre lisait les questions des suppliants et Amon y répondait en avançant ou en reculant. Malheureusement pour nous, Alexandre a obtenu une audience privée. Nous ne savons donc pas avec certitude ce qu’il a demandé ni ce qu’Amon lui a dit.

— Je croyais qu’il avait posé une question concernant les meurtriers de son père.

— D’après certaines sources, il a demandé si tous les meurtriers de son père avaient été châtiés. L’oracle lui aurait dit que la question était sans importance puisque son père était divin et ne pouvait donc pas être tué. Mais il a tout de même répondu par l’affirmative. Cela dit, cette histoire est probablement apocryphe. Tout ce que l’on sait, c’est qu’Amon est ensuite devenu le dieu préféré d’Alexandre, qui a envoyé des émissaires à Siwa quand Héphaïstion est mort et a demandé à être enterré près de l’oracle.

— Les prêtres de l’oracle ont dû être contrariés de voir Alexandre se faire enterrer à Alexandrie alors qu’ils étaient censés récupérer sa dépouille.

— Ptolémée a apaisé leur chagrin. Lors de ses voyages, Pausanias a vu une stèle faisant part de ses regrets, ainsi que des présents.

Gaëlle grimpa sur un mur en ruine, aussi haut que possible. Le paysage n’était pas le même qu’en Europe, où les collines et les montagnes étaient poussées vers le haut par la pression géologique. Toute cette zone avait jadis été un haut plateau de grès, dont la majeure partie s’était effondrée. Les collines qui restaient étaient les dernières survivantes de cette époque-là. Gaëlle se tourna face au nord. El-Dakrour se trouvait à l’est. À l’ouest, s’étendaient le grand lac salé et la ville de Siwa. En face, l’air était si pur qu’elle voyait des crêtes sombres à travers ses jumelles, à des kilomètres de là. Le sable était transpercé de pointes rocheuses, d’un brun jaune comme de la nicotine, dont certaines n’étaient pas plus hautes qu’une petite voiture et d’autres se dressaient vers le ciel comme des tours d’habitation.

— Par où va-t-on commencer ? gémit-elle.

— Les grandes tâches ne sont que de petites tâches mises bout à bout, la rabroua Elena.

Elle déplia une carte par terre et posa une pierre sur chaque coin. Puis elle installa un trépied, sur lequel elle fixa son appareil photo équipé d’un téléobjectif, et entreprit une étude rigoureuse. Elle s’aligna sur la colline des Morts, fit basculer l’appareil jusqu’à la ligne d’horizon, revint en arrière, puis décala le viseur d’un cheveu sur la droite. À chaque fois qu’elle voyait un rocher ou une colline, elle le photographiait, puis invitait Mustafa et Zayn à l’examiner à travers le téléobjectif. Ceux-ci discutaient un moment avant de tomber d’accord sur un nom et faisaient une croix sur la carte. Chaque croix impliquerait une visite et une étude. Gaëlle s’assit et regarda le désert. Le vent lui soufflait dans le dos et lui ramenait des mèches de cheveux dans les yeux. Elle se rendit compte qu’elle était heureuse.

 

II

Nicolas demanda à Ibrahim de le conduire à sa villa. Il avait besoin d’une base arrière privée pour ses opérations et son hôtel ne faisait pas l’affaire.

— Pourriez-vous m’excuser quelques minutes ? demanda-t-il lorsqu’ils arrivèrent. J’ai quelques coups de fil importants à passer.

— Je vous en prie, répondit Ibrahim.

Comme toujours, Nicolas appela d’abord son père. Celui-ci était en réunion, mais il demanda à ce qu’on aille le chercher.

— Alors ? s’enquit Philippe.

— Je l’ai trouvé.

— Tu en es sûr ?

— Je suis sûr d’avoir trouvé l’endroit. Quant à savoir s’il y est encore...

Il lui parla des livres que Gaëlle avait réclamés.

— Je t’avais dit que ce serait elle qui le trouverait.

— C’est vrai, père, vous aviez raison.

— Alors ? Comment procédons-nous ?

Nicolas lui dit ce qu’il avait fait jusqu’à présent. Ils discutèrent ensemble de la suite des événements, se mirent d’accord sur l’équipe, le matériel de fouille, les armes et autres fournitures logistiques.

— Bien sûr, je me chargerai personnellement du déroulement des opérations.

— Non, c’est moi qui m’en chargerai.

— Père... vous êtes sûr ? demanda Nicolas, la voix pleine d’appréhension. Vous savez que nous ne pouvons pas garantir votre sécurité en dehors de...

— Je ne manquerais ça pour rien au monde. J’y ai consacré toute ma vie.

— Comme vous voudrez.

— C’est du bon travail, Nicolas. Du très bon travail.

— Merci, père.

Nicolas sécha une larme. Ce n’était pas souvent que son père le félicitait et c’était d’autant plus touchant lorsqu’il le faisait. Il raccrocha et s’assit un instant, ému. Puis il se secoua pour se recentrer sur son objectif. Ce n’était pas le moment de se relâcher. Rien n’était encore fait et il n’avait pas de temps à perdre. Il commença par téléphoner à Mounim.

— Oui ? répondit Gabbar. Avez-vous été satisfait de nos services ?

— Comme toujours. Mais j’aimerais vous demander autre chose. Deux choses, en réalité.

— Avec plaisir.

— J’aimerais que notre ami commun convoque son collègue de l’oasis de Siwa, le docteur Ali Sayed, à une réunion urgente.

Nicolas ne pouvait pas s’empêcher de penser que les livres dont Gaëlle avait besoin avaient été délibérément soustraits à son attention. Le docteur Sayed avait sans doute fait le rapprochement lui aussi. Par conséquent, il fallait l’éloigner de Siwa immédiatement.

— Quand aura-t-elle lieu ?

— Demain, si possible.

Mounim grommela.

— Je vais voir ce que je peux faire. Et quoi d’autre ?

— Je suppose que vous n’avez aucune influence à l’Institut de recherche médicale d’Alexandrie...

 

III

Elena était au volant et retournait en ville lorsque Nicolas l’appela sur son portable.

— Il faut qu’on se voie, déclara-t-il. Quand pouvez-vous être à Alexandrie ?

— Vous avez beau crier, Nicolas, je viens juste d’arriver ici.

— Cela ne peut pas attendre, Elena. Il y a du nouveau. Mon père veut en discuter avec vous.

— Votre père ? Il vient à Alexandrie ?

— Oui.

Elena respira profondément. Philippe Dragoumis ne quittait pas la Grèce du Nord sur un coup de tête. S’il venait en Égypte, il avait certainement une bonne raison.

— Très bien, dit Elena. Où est-ce qu’on se retrouve ?

— Dans la villa d’Ibrahim.

— Quand ?

— Demain matin. Neuf heures.

— J’y serai.

Elle ferma son portable et réfléchit. Si elle partait maintenant, elle serait sur place à temps pour passer la nuit avec Augustin.

— Je dois aller à Alexandrie, annonça-t-elle à Gaëlle.

— A Alexandrie ? Vous serez partie longtemps ?

— Je n’en sais rien.

— Voulez-vous que les guides et moi commencions à explorer ? Elena se renfrogna. Son assistante avait la mauvaise habitude de faire des découvertes sans son aide.

— Non, répondit-elle. Ne faites rien avant mon retour.

— Comme vous voudrez.

 

IV

— Vous êtes en train de me dire que Knox vous a encore échappé ? demanda Hassan d’un ton incrédule lorsque Nessim eut terminé son rapport.

— Ils étaient deux, expliqua Nessim.

— Deux ?

— Nous les retrouverons, affirma Nessim en s’efforçant de paraître plus sûr de lui qu’il ne l’était.

Il avait perdu toute confiance en lui. Et il y avait de quoi, après un tel retournement de situation. Il avait passé la nuit à essayer de sortir d’un bâtiment et erré à moitié nu dans la nature avec un homme blessé. Mais ce qui l’avait le plus marqué lors de ce fiasco monumental, c’étaient les paroles de Knox concernant son absence de sens de l’honneur. L’âge et la maturité lui avaient appris que les insultes n’étaient blessantes que lorsqu’elles sonnaient juste. Et il ne pouvait s’empêcher de se poser des questions. Comment en était-il arrivé là ? Pourquoi travaillait-il pour un homme comme Hassan ? L’argent était-il à ce point important pour lui ?

— Nous surveillons tous ses amis et collègues, assura-t-il. Nous avons promis une récompense. Ce n’est qu’une question de temps.

— C’est ce que vous dites depuis des jours !

— Je suis désolé. Knox s’est avéré plus doué que je ne le pensais. Mais maintenant, on sait à quoi s’en tenir. La prochaine fois, on l’aura.

— La prochaine fois ? Comment puis-je être sûr qu’il y aura une prochaine fois ?

— Accordez-moi encore une semaine.

— Pouvez-vous me donner une seule bonne raison de ne pas vous virer pour lui donner votre place ?

— Encore faudrait-il que vous mettiez la main sur lui, murmura Nessim dans sa barbe.

— Qu’est-ce que vous avez dit ?

— Rien.

Après un silence glacial, Hassan reprit la parole.

— Je pense qu’il est temps que nous discutions de tout cela en tête à tête.

— En tête à tête ? demanda Nessim, livide.

— Oui, en tête à tête.

 

V

À sa grande surprise, Mohammed vit le professeur Rafai descendre d’un taxi et claquer la portière derrière lui. Il ne s’attendait pas à revoir l’oncologue de Leila, encore moins sur le site de construction.

— Y a-t-il un endroit privé ici ? demanda Rafai, tremblant de colère.

— Privé ?

— Où l’on puisse parler.

— Maintenant ? s’étonna Mohammed.

— Bien sûr, maintenant ! Vous croyez que suis venu prendre rendez-vous ?

Mohammed haussa les épaules et conduisit Rafai à son bureau.

— Je ne sais pas comment vous avez fait ça, cria Rafai dès que la porte fut fermée.

Il retira ses demi-lunes et les pointa vers Mohammed comme un couteau.

— Pour qui vous prenez-vous ? lança-t-il. Je prends mes décisions en fonction des preuves cliniques. Des preuves cliniques ! Vous croyez que vous pouvez me faire changer d’avis en m’intimidant ?

— Je regrette ma conduite dans votre bureau, mais je me suis déjà excusé. J’étais sous pression. Je ne sais pas quoi vous dire d’autre...

— Vous ne croyez tout de même pas que c’est à cela que je fais allusion ?

— Alors de quoi parlez-vous ?

— Il n’y en a que pour votre fille ! Toujours votre fille ! Vous pensez qu’elle est la seule à être malade ? Un jeune homme du nom de Saad Gama attend lui aussi une moelle osseuse. C’est un véritable intellectuel musulman. Voulez-vous lui expliquer que nous devons reporter son traitement parce que vous avez des amis plus influents ? Voulez-vous dire à ses parents qu’il doit mourir afin que votre fille puisse vivre ? Vous croyez qu’ils ne se font pas de souci pour lui, eux aussi ?

— Professeur Rafai, au nom d’Allah, de quoi parlez-vous ?

— Ne niez pas ! Ne m’insultez pas en niant ! Je sais que c’est vous, bien que je ne voie pas comment vous avez pu... Bref, laissez-moi vous dire une chose : c’est vous qui aurez le sang de Saad sur les mains ! Vous, pas moi !

Mohammed se figea.

— Qu’est-ce que vous dites ? demanda-t-il, stupéfait. Leila va avoir sa greffe ?

— Je dis que je ne risquerai pas mon service pour ça, répondit Rafai en lui lançant un regard furieux.

— Mais sa greffe ? insista Mohammed. Leila va avoir sa greffe ?

— Dites à vos amis du Caire de ne plus s’approcher de moi ni de mon personnel. Et si la procédure tourne mal, nous déclinerons toute responsabilité, vous m’entendez ? Dites-le à vos hommes de main. Dites-leur bien !

Il tourna les talons, hors de lui. Les mains de Mohammed tremblaient tellement qu’il put à peine appuyer sur les touches du téléphone pour appeler Nur.

 

VI

Ibrahim frappa et entra avec une tasse de café et une assiette de biscuits, qu’il posa sur le coin de son bureau. Nicolas, en communication avec Bastiaan, son garde du corps, ne prit pas la peine de se taire mais lui tourna le dos et adopta un langage codé.

— Vous vous êtes chargé des acquisitions ?

— Vasilieos vient avec votre père. Il a été briefé.

— Et quand serez-vous à la villa ?

— Je suis en route. Je n’en ai que pour un quart d’heure.

— Bien. Et veillez à...

Ibrahim étouffa un cri de surprise. Nicolas se retourna et s’aperçut que celui-ci tenait un des livres de Gaëlle et fixait une photo de Bir-al-Hammam. Il ferma les yeux, en colère contre lui-même.

— Soyez là dans dix minutes, ordonna-t-il à Bastiaan. Nous avons un problème.

Il raccrocha et arracha le livre des mains d’Ibrahim.

— Il faut que je vous explique quelque chose, dit-il.

— Quoi ? Avez-vous vu cette photo de...

— Vite ! l’interrompit Nicolas.

Il le prit par le bras et le poussa hors du bureau pour l’entraîner à la cuisine.

— Que se passe-t-il ? Qu’est-ce que vous faites ?

Nicolas ouvrit et ferma tous les tiroirs jusqu’à ce qu’il trouve un couteau avec une lame de vingt centimètres, qu’il brandit de la main gauche.

— Qu’est-ce que... Qu’est-ce que vous faites avec ça ? s’inquiéta Ibrahim.

Nicolas lui fit miroiter la lame menaçante devant les yeux et, de la main droite, lui donna un coup de poing qui le fit tomber en arrière. Il s’agenouilla à côté de lui et lui posa la lame d’acier contre la gorge avant qu’il n’ait le temps de reprendre ses esprits.

— Mon garde du corps est en route, annonça-t-il. Vous allez vous tenir tranquille jusqu’à ce qu’il arrive.

— Oui, obtempéra Ibrahim.

 

VII

Knox avait repris le volant. C’était le milieu d’après-midi lorsqu’il réveilla Rick.

— On y est, vieux ! Farafra !

Knox ne s’était pas rendu chez Ishaq depuis plusieurs années, mais Qasr-al-Farafra était une petite ville et il retrouva facilement le chemin. Il était impatient de revoir son vieil ami. Ils s’étaient rencontrés lors des fouilles de Mallawi. C’était un petit homme ridiculement intelligent, qui pouvait passer l’essentiel de ses moments de loisirs à fixer le ciel dans son hamac. Mais pour ce qui était de traduire du démotique, il était le meilleur spécialiste de toute l’Égypte.

Malheureusement, lorsqu’il se gara devant chez lui, Knox trouva tous les volets fermés. Il frappa à la porte, mais personne n’ouvrit. Rick et lui longèrent la route jusqu’à l’office de tourisme, qui servait également de bureau à Ishaq. Personne non plus.

— Il doit être sur un chantier, dit Knox en regardant l’heure. Il ne va pas tarder à rentrer.

— Jetons un coup d’œil à ces foutues photos, alors, grommela Rick.

— Je ne les ai pas.

— Quoi ?

— Tu ne me crois quand même pas cinglé au point de traverser la moitié de l’Égypte avec suffisamment de preuves sur mon portable pour écoper de dix ans de prison ?

— Alors comment veux-tu que ton pote traduise l’inscription ?

— Elle est sur Internet. Ishaq est connecté. Il a une adresse e-mail.

Ils s’installèrent à l’ombre d’un dattier pour l’attendre. La torpeur finit par les gagner. Les mouches se posaient sur eux et ils n’avaient plus la force de les chasser. Un jeune garçon poussant une vieille bicyclette dix fois trop grande pour lui s’approcha timidement.

— Vous cherchez Ishaq ? demanda-t-il.

— Oui. Tu sais où il est ?

— Il vient de partir pour Le Caire. À une réunion. Une réunion importante. Il a dit que tous les archéologues du désert y seraient.

— Est-ce qu’il t’a dit quand il rentrerait ?

— Demain, risqua le gamin en haussant les épaules. Ou le jour d’après.

— Bordel, murmura Rick. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— Je ne sais pas, répondit Knox. Laisse-moi réfléchir.

— J’y crois pas... Tout le reste était en grec. Pourquoi a-t-il fallu que ton Kalonymos écrive cette foutue inscription en démotique ?

Knox se tourna vers son ami, bouche bée.

— Quoi ? demanda Rick. Qu’est-ce que j’ai dit ?

— Je crois que tu viens de trouver la solution.