Chapitre 20
Dans sa chambre d’hôtel, Nessim donnait de nouvelles directives à Hosni, Ratib et Sami. Ils n’avaient pas beaucoup d’entrain. Knox avait disparu et rien de ce qu’ils avaient essayé n’avait permis de le retrouver.
C’était la fin de l’après-midi lorsque la sonnerie du téléphone retentit. C’était Badr, le contact de Nessim dans les télécommunications, qui avait attendu en vain que Knox utilise son portable.
— Ça y est, il l’a allumé ! s’écria-t-il.
— Qui appelle-t-il ? demanda Nessim.
— Personne. Il envoie des photos à une adresse de messagerie électronique.
— Où est-il ?
— Près de la gare.
— Restez en ligne. S’il bouge, tenez-moi au courant.
Hosni, Ratib et Sami étaient déjà débout.
— Nous avons retrouvé sa trace, annonça Nessim. Allons-y !
— Eh bien ? dit Ibrahim. Ne faites pas durer le suspens.
Gaëlle se racla la gorge et se mit à lire à voix haute.
— Moi, Kalonymos, fils d’Hermias,frère d’Akylos, bâtisseur, scribe, architecte, sculpteur, adepte de la connaissance, grand voyageur, je vous rends hommage, Grands Dieux, pour m’avoir permis de porter sous terre, ici même, ces trente-deux porte-bouclier, héros du Grand Vainqueur, Alexandre de Macédoine, fils dAmon. J’ai tenu ma promesse de réunir dans le même lieu les trente-trois hommes tués pour avoir accompli la dernière volonté d’Alexandre, celle d’être enterré là où il pût voir la terre de son père. Car pour respecter sa volonté, Akylos et ces trente-deux hommes ont bâti une tombe remplie de richesses propre à accueillir le fils d’Amon.
Jusque-là, Gaëlle n’avait pas pleinement saisi le sens du texte. Son esprit était trop occupé à traduire. Mais à cet instant, elle comprit l’importance de ce qu’elle venait de lire. Elle leva les yeux et vit sur le visage de ses compagnons l’excitation qu’elle éprouvait elle aussi.
— Continuez, ordonna Elena.
— Et pour respecter sa volonté, ils ont retiré sa dépouille du Mur Blanc et l’ont transportée sur la terre rouge et aride jusqu’à l’entrée souterraine des lieux qu’ils lui avaient préparés. Mais, près de cet endroit, Ptolémée, qu’on appelle le Sauveur, a tendu un piège à ces hommes, qui ont renoncé à la vie plutôt que d’être soumis à sa torture. Alors Ptolémée les a crucifiés pour se venger et les a abandonnés aux charognards. Akylos et ses trente-deux compagnons ont donné leur vie pour honorer la volonté d’Alexandre, fils d’Amon, au mépris de Ptolémée, fils de rien. Moi, Kalonymos, homme de Macédoine, frère d’Akylos, je vous prie, Grands Dieux, d’accueillir ces héros dans votre royaume comme vous y avez accueilli Alexandre.
Gaëlle leva de nouveau les yeux pour montrer qu’elle avait fini. L’excitation avait cédé la place à la stupéfaction. Tout le monde resta muet pendant au moins cinq secondes. Ce fut Nicolas qui finit par rompre le silence.
— Est-ce que cela... commença-t-il d’une voix hésitante, est-ce que cela signifie que...
— Oui, confirma Ibrahim. J’en suis convaincu.
Dès qu’il eut envoyé ses photos, Knox les supprima et éteignit son portable. De retour dans sa jeep, il s’éloigna le plus vite possible avant que Nessim ne le rattrape. Il avait encore un coup de fil à passer.
Il se gara près de la colonne de Pompée, acheta un ticket et entra dans le Sérapeum, un espace d’environ un hectare entouré d’un grand mur de brique et bordé de logements modestes. La colonne, un immense piédestal en marbre privé de sa statue, occupait une place de choix, en plein centre, mais l’ensemble du site avait une valeur historique, puisqu’il avait jadis accueilli le célèbre temple de Sérapis.
Knox avait toujours eu un penchant pour cet endroit. Le dieu Sérapis, né d’un mélange de mythes égyptiens, grecs et asiatiques, symbolisait Alexandrie à la perfection. Selon la tradition, ses origines remontaient à l’époque où Alexandre se trouvait au seuil de la mort, à Babylone. Une délégation avait été envoyée au temple de Sérapis de la cité, avec pour mission de demander si le mourant devait être amené sur place ou rester là où il était. Sérapis avait répondu qu’il était « préférable » pour lui de ne pas se déplacer. Peu après que la parole du dieu avait été proclamée, Alexandre s’était éteint, sa mort ayant été « préférable ». Mais tous les experts n’étaient pas d’accord. Certains situaient les origines de Sérapis à Sinope, au bord de la mer Noire. D’autres, en revanche, soutenaient qu’il s’agissait d’une divinité égyptienne, car des taureaux sacrés Apis avaient été sacrifiés et enterrés dans un monument funéraire, connu en Grèce sous le nom de Sérapeum, contraction de Osiris-Apis, « Apis défunts ».
Knox avança à l’intérieur du site et jeta un coup d’œil autour de lui pour vérifier que personne ne l’observait. Puis il s’accroupit au pied de la colonne de Pompée. Il regarda sa montre, inspira profondément et sortit son portable pour passer son dernier appel.
— Comment ça, vous l’avez perdu ? cria Nessim.
— Il a éteint son portable, répondit Badr.
Nessim donna un coup de poing si violent sur le tableau de bord qu’il s’écorcha la main.
— Où se trouvait-il juste avant ? demanda-t-il.
— Près de la gare.
— Restez en ligne, ordonna Nessim en zigzaguant dans les rues. S’il passe un autre appel, prévenez-moi immédiatement.
Cinq minutes plus tard, il était à la gare avec ses hommes. Il en fit le tour, mais la jeep de Knox n’était plus là.
— Le revoilà ! s’écria Badr. Il passe un autre appel.
— Où est-il ?
— Au sud. Il doit être tout près de la colonne de Pompée. Nessim baissa la tête pour regarder à travers le pare-brise. La colonne de marbre s’élevait dans le ciel à environ un kilomètre de là.
— J’y vais !
Il coupa la route pour prendre la sharia Yousef, s’engagea sur un grand boulevard et longea un mur de pierre, derrière lequel se dressait la colonne de Pompée. Il se gara sur le trottoir, jaillit de la voiture avec ses trois acolytes et se précipita vers le guichet.
— Est-ce la seule entrée ? demanda-t-il.
— Oui.
— Reste là, dit-il à Hosni.
Il porta le téléphone à son oreille.
— Il est toujours en ligne ? demanda-t-il à Badr.
— Oui, vous êtes tout près de votre cible.
— Cette fois, on va l’avoir !