Chapitre 37
Nicolas Dragoumis tressaillit et ferma les yeux un millième de seconde avant qu’Elena ne tue son père et ne retourne l’arme contre elle. Lorsqu’il les rouvrit, son père était allongé sur le côté, un bras en l’air et l’autre bizarrement coincé sous lui, les jambes repliées comme deux branches d’un svastika. Il le fixa longuement, incapable d’analyser ce qu’il voyait. Il était impossible qu’un homme comme lui disparaisse de manière aussi rapide et définitive. Il passa en chancelant par-dessus le corps inerte d’Elena et s’approcha de lui dans l’espoir de le voir bouger, se lever, brosser ses vêtements et donner ses ordres.
Il sursauta lorsque quelqu’un lui toucha le coude. Il se retourna et se rendit compte que Leonidas lui parlait. Il voyait ses lèvres bouger sans saisir le sens de ses paroles. Il baissa les yeux à nouveau. Lentement, son cerveau reprit le dessus. Tous les hommes mouraient, mais leur mission leur survivait. Il regarda autour de lui. Le soleil éclairait déjà l’horizon. L’entrée de la tombe était de nouveau ensevelie sous le sable. Ses hommes attendaient ses ordres.
— Creusez un trou, dit-il. Nous allons enterrer Costis et Elena ici.
De sa voix émanaient une quiétude et une autorité qui le surprirent lui-même. Mais pourquoi en aurait-il été autrement ? Son père était la réincarnation de Philippe II, le père d’Alexandre le Grand. Ce qui faisait de lui... Oui, c’était bien cela.
— Et votre père ? demanda Leonidas.
— Vous croyez que je vais le laisser ici ? lança Nicolas avec brusquerie. Nous l’emmenons avec nous. Il doit être enterré avec les honneurs.
— Et ces deux-là ? s’enquit Leonidas en montrant Gaëlle et Knox, que Bastiaan avait fait monter à l’arrière d’un des 4 x 4.
Nicolas sentit sa colère monter à nouveau lorsqu’il entrevit une chance de l’évacuer. Il se pencha pour ramasser le Walther que tenait encore Elena et ouvrit le chargeur. Cinq balles tirées. Il en restait quatre. Il se dirigea vers le 4 x 4.
— Sortez-moi Knox ! ordonna-t-il à Bastiaan.
Bastiaan acquiesça, tira Knox par le bras et le jeta à terre. Nicolas pointa le pistolet vers la poitrine de Knox. Gaëlle cria et le supplia de l’épargner. Mais Bastiaan lui donna un coup de crosse dans la tempe et elle s’effondra sur la banquette arrière.
— On ne pourra pas dire qu’on ne vous aura pas prévenus, déclara Nicolas.
— Votre père nous a donné sa parole qu’il nous laisserait partir si nous vous aidions à trouver Alexandre.
— Mon père est mort, répliqua Nicolas.
Et il sourit, le doigt sur la détente.
Mohammed se frotta le poignet gauche, irrité par le contact des menottes. Il n’avait pas reconnu l’homme que Nicolas était sur le point d’abattre, mais il avait reconnu Gaëlle, qui s’était montrée gentille avec lui sur le site et lui avait régulièrement demandé des nouvelles de Leila. Et il savait aussi reconnaître un meurtre, et la complicité dont il se rendait coupable.
Il avait pensé que la vie de Leila n’avait pas de prix. Mais il comprenait désormais qu’il s’était trompé.
Les menottes étaient trop serrées pour qu’il puisse dégager sa main. Il était fort, mais pas assez pour arracher le volant de son support. La clé était sur un porte-clés que Costis portait à la ceinture. Il avait une chance. Il démarra, passa la première et accéléra. Cette initiative inattendue prit les Grecs par surprise, mais Nicolas se retourna et tira. Mohammed se servit de la benne comme bouclier et la balle rebondit avec un bruit métallique. Puis il chargea Nicolas, qui dut plonger sur le côté. Les balles pleuvaient de toutes parts. Tête baissée, il actionna les commandes pour ramasser Costis avec la benne.
Puis il s’orienta dans le sens de la pente pour gagner de la vitesse. La pelleteuse cahota et Costis fit des bonds dans la benne mais ne tomba pas. Arrivé dans une zone plus plate, Mohammed déposa le corps à terre et s’avança à côté de lui de sorte que l’engin se trouve entre les Grecs et lui. Il ouvrit la porte de la cabine et tendit le bras le plus possible. Il ne parvenait pas à atteindre Costis. Il tourna le volant et essaya encore. Toujours trop loin. Il avait beau tirer sur les menottes le plus possible, il effleurait à peine le corps. Les Grecs criaient en courant derrière lui et en tirant dans tous les sens. Le moteur des 4 x 4 rugit. Mohammed passa le pied droit sous la tête de Costis et la souleva suffisamment pour pouvoir attraper une mèche de cheveux. Il saisit le menton, le col et finalement la ceinture et le porte-clés. Il y avait quatre clés. Deux portaient l’insigne de BMW. Les autres étaient plus petites, sans inscriptions particulières. Mohammed dut soulever Costis à bras-le-corps pour essayer la première. Ce n’était pas la bonne. Il prit la deuxième et une explosion l’assourdit. Tout devint noir.
Nicolas était à bout de nerfs mais parvint à se maîtriser.
— Changement de programme, annonça-t-il lorsqu’il arriva auprès de Mohammed et le trouva inconscient, une plaie ouverte à la tête. Mettez tous les corps dans le pick-up. Et précipitez-le dans le lac, ainsi que la pelleteuse.
Vasilieos le rejoignit au volant du deuxième 4 x 4.
— Et la fille ? demanda-t-il en indiquant la banquette arrière.
Nicolas regarda par la vitre et vit Gaëlle allongée sur le dos, inconsciente, ce qui lui fit penser qu’il avait complètement oublié Knox. Or, tous ses hommes étaient à ses côtés. Il leva les yeux vers l’endroit où il avait menacé Knox. Celui-ci n’était plus là. Il ne restait sur le sol que ses liens, dont il s’était débarrassé. Nicolas dut fermer les yeux un instant pour que son accès de colère passe. Parfois, il lui semblait presque que Dieu n’était pas de leur côté. Il sauta dans le 4 x 4 avec Vasilieos et Bastiaan et ils remontèrent. Le sable était recouvert d’un fouillis d’empreintes impossibles à suivre. Knox pouvait être n’importe où. Il s’était peut-être caché sous le sable, à moins qu’il n’ait gravi la colline et se trouve déjà de l’autre côté. Le soleil était de plus en plus haut et la lumière du jour, de plus en plus menaçante. En plein jour, on voyait à des kilomètres à la ronde dans le désert. Leurs véhicules seraient rapidement repérés. Les touristes et les amateurs d’ornithologie allaient bientôt quitter leur hôtel. Le réveil avait sans doute déjà été sonné dans les casernes. Il fallait qu’ils partent, maintenant.
Nicolas obligea Gaëlle à se redresser sur la banquette arrière et lui pointa le Walther contre la tempe.
— Écoutez-moi bien ! cria-t-il. Au moindre pépin, la gosse est morte. Compris ? Tentez quoi que ce soit, et la fille de votre vieil ami peut dire adieu à la vie.
Sa voix résonna dans la colline, puis le silence revint.