Chapitre 18
Bastiaan et trois grands gardes égyptiens firent sortir les fouilleurs mécontents de la tombe macédonienne. Mohammed et Mansoor s’attaquèrent ensuite au socle à l’aide d’un levier, comme ils l’avaient fait la veille. Mais cette fois, ils ne le soulevèrent que de quelques centimètres, juste assez pour qu’Ibrahim puisse glisser un vérin hydraulique, puis un chariot élévateur. Ils répétèrent le processus de l’autre côté et déplacèrent tout simplement le socle contre le mur.
Le puits obscur qu’Ibrahim avait aperçu la dernière fois était bien là. Ils se rassemblèrent tout autour et Mansoor l’éclaira à l’aide d’une torche. La lumière étincela environ cinq mètres plus bas.
— De l’eau, constata Mansoor. J’y vais.
Il se tourna vers Mohammed.
— Attachez-moi une corde autour de la taille et faites-moi descendre, d’accord ? proposa-t-il.
— D’accord, répondit Mohammed.
Knox n’eut pas le temps de s’attarder davantage. Pour tamiser la lumière, il posa la main sur sa torche. Celle-ci éclairait juste assez pour qu’il voie ce qu’il faisait. Il retira son tee-shirt et l’utilisa pour effacer les traces de ses pas, de la salle au portail, en marchant à reculons. Mais Mansoor, suspendu à une corde, apparut avant qu’il n’ait le temps de regagner la galerie. Il éclaira les murs tout autour de lui, obligeant Knox à retourner se cacher dans la salle.
— Il y a une galerie ! s’exclama-t-il en atterrissant sur le sol tapissé d’eau, avant de dénouer la corde. Je vais regarder.
— Non ! cria Ibrahim. Attendez !
— Mais je vais juste...
— Attendez-nous.
La lumière de la torche disparut momentanément. Knox jeta un coup d’œil furtif et vit la corde remonter. Mais Mansoor, qui rongeait son frein, dirigea de nouveau sa torche vers la galerie et ne lui laissa aucune chance de s’échapper. Quelqu’un d’autre descendait en se balançant au bout de la corde. C’était une femme. Mansoor se retourna pour aller l’aider. C’était le moment ou jamais. Knox se précipita dans la galerie jusqu’au mur qu’il avait démoli en faisant le moins de bruit possible dans l’eau. Mais la femme poussa un cri d’alarme derrière lui.
— Il y a quelqu’un ! s’écria-t-elle.
Knox reconnut immédiatement la voix de Gaëlle. Il se faufila dans le trou du mur juste au moment où Mansoor éclaira la galerie.
— Il n’y a personne, dit Mansoor en riant. C’est impossible.
— Je l’aurais pourtant juré, insista Gaëlle.
— Notre imagination nous joue souvent des tours dans ce genre d’endroits.
Knox n’écoutait que d’une oreille. Le cœur battant, il remontait le mur à la hâte. Ne pouvant pas se permettre d’allumer sa torche, il procédait à tâtons avec le peu de lumière que lui procuraient Mansoor, Gaëlle et les autres, au fur et à mesure qu’ils descendaient. Le mur n’était rebâti qu’aux trois quarts lorsqu’ils furent tous là.
— Bien, dit Ibrahim. Allons-y.
Knox se figea. Il ne pouvait plus rien faire maintenant. Il ne lui restait qu’à se tapir dans le noir. La lumière des torches vacilla, illumina la pierre et devint presque aveuglante. Il y avait toujours un grand trou dans le mur. Knox se dit qu’ils allaient forcément le repérer. Mais ils passèrent en file indienne, tête baissée, en regardant le sol pour ne pas glisser. Il y avait Ibrahim, Mansoor, Elena, Gaëlle et... Nicolas Dragoumis ! Knox vit immédiatement en lui un tout nouveau suspect concernant sa fausse exécution.
Ils s’arrêtèrent, comme il l’avait fait, pour lire l’inscription gravée sur l’architrave.
— Regardez ! s’exclama Elena en donnant un coup de coude à Nicolas. Kalonymos !
Le ton de sa voix et la présence de Nicolas Dragoumis rafraîchirent la mémoire de Knox. Soudain, celui-ci se rappela pourquoi les noms de Kalonymos et d’Akylos lui semblaient si familiers.
Ibrahim fut le premier à arriver à la salle. Il resta debout en silence, tandis que les autres le rejoignaient peu à peu sur la dernière marche. Il balaya les trésors du regard, ébahi. Ce ne fut que lorsque Nicolas s’apprêta à entrer dans la salle qu’il recouvra ses esprits.
— Arrêtez ! s’écria-t-il. Personne n’entre.
— Mais...
— Personne n’entre, répéta-t-il. Il eut soudain un regain d’autorité. Ici, il était le plus haut représentant du Conseil suprême des Antiquités et cette découverte revêtait indubitablement une importance historique. Il se tourna vers Mansoor.
— Nous devons informer Le Caire immédiatement, déclara-t-il.
— Le Caire ? répéta Nicolas. Est-ce vraiment nécessaire ? Ce n’est certainement pas...
— C’est à moi d’en décider.
— Mais...
— Vous êtes notre sponsor et j’apprécie votre aide financière. Mais cela ne vous regarde plus. Est-ce clair ?
Nicolas s’efforça de sourire.
— Comme vous voudrez, dit-il.
— Gaëlle, vous prendrez des photos.
— Bien, répondit la jeune femme.
— Mansoor. Vous restez avec elle.
— D’accord.
— Vous direz à Mohammed et aux gardes de ne laisser entrer personne d’autre. Je vais renvoyer tout le personnel de la nécropole. Quand Gaëlle aura pris suffisamment de photos, replacez le socle au-dessus du puits. Ensuite, assurez-vous qu’il n’y a plus personne sur le site et condamnez l’entrée de l’escalier. Je suis sûr que Mohammed trouvera un moyen de la boucher de façon hermétique. Personne ne doit pouvoir entrer. C’est compris ?
— Oui, monsieur.
— Je vais demander à Maha de mettre le site sous surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Vous ne partirez pas avant que le service de sécurité soit sur place. Ensuite, vous conduirez vous-même Gaëlle jusqu’à ma villa en gardant l’œil sur son appareil photo.
— Bien, monsieur.
— Quant à moi, je vais faire savoir au Conseil suprême que nous venons de découvrir le site le plus important de l’histoire moderne d’Alexandrie.
Knox avait fini de rebâtir le mur avant qu’Ibrahim, Elena et Nicolas ne partent, mais Gaëlle et Mansoor étaient encore en train de prendre des photos. Il n’osait pas bouger, car le moindre bruit aurait attiré leur attention. Il commençait à avoir des crampes dans les cuisses et les mollets. Enfin, Mansoor déclara qu’il y avait assez de photos et ils s’en allèrent.
Knox n’avait pas de temps à perdre. S’il ne sortait pas au plus vite, il finirait ici avec les autres cadavres. Il effaça toute trace de sa présence, retourna dans la salle située sous la rotonde et replaça les blocs comme il les avait trouvés. Il se déshabilla complètement et entassa tous ses vêtements dans son sac. Puis il s’immergea dans l’eau en traînant le sac derrière lui et ressurgit de l’autre côté. Il avait de la chance. Personne ne l’attendait. En fait, toute la nécropole était silencieuse. Il se sécha et remit son pantalon et son tee-shirt. Après avoir fourré dans ses poches tout ce qui pourrait lui être utile, il cacha son sac au fond d’un loculus vide et se précipita vers la rotonde.
Lorsqu’il y arriva, il faisait sombre. La lumière du jour était déjà à moitié éclipsée par un conteneur marron foncé. Il entendit le grincement d’un second conteneur en métal, qu’une grue était en train de déposer à côté du premier pour que la fermeture soit complète. Il monta les escaliers quatre à quatre, les cuisses endolories, plongea sous le conteneur une seconde avant que celui-ci ne soit mis en place, roula sur lui-même et courut vers le portail du site de construction.
— Arrêtez ! cria Mansoor. Arrêtez-le !
À la sortie, deux gardes se mirent en travers du chemin de Knox. Celui-ci courut, l’épaule en avant, feinta à droite, fit un pas à gauche en faisant tourner un des gardes sur lui-même, surgit dans la rue, au milieu du trafic, esquiva un minibus et distança ses poursuivants, qui criaient aux passants de l’arrêter et s’époumonaient dans leur téléphone. Il s’enfonça dans une ruelle et regarda derrière lui. Trois hommes étaient à ses trousses. Un passant se jeta devant lui pour lui bloquer le passage sans grande conviction. Knox se débarrassa rapidement de lui et courut vers sa jeep. Encore un coup d’œil derrière. Les gardes étaient toujours là. Deux soldats jaillirent devant lui. Il disparut à gauche. Les choses tournaient mal, mais il ne pouvait plus reculer. Il avait une douleur dans la poitrine, un point de côté, les jambes alourdies par l’acide lactique. Mais sa jeep n’était plus loin. Il sauta par-dessus un mur, rampa sous un portail et courut dans la ruelle sombre où il s’était garé. Il souleva la bâche, juste assez pour pouvoir se glisser au-dessous, ouvrit la portière et se jeta sur les sièges avant en essayant de reprendre son souffle tout en écoutant les bruits de pas qui se rapprochaient de lui. Il espéra avoir été assez rapide pour ne pas être vu.