Chapitre 28

 

I

Le lendemain matin, prenant le docteur Sayed au mot, Gaëlle et Elena se levèrent tôt et se présentèrent chez lui à sept heures précises. Elles le trouvèrent déjà au travail, à sa table de jardin, avec une tasse de café qui faisait office de presse-papiers. Il les accueillit chaleureusement puis, une fois les politesses échangées, les accompagna à sa bibliothèque et les laissa seules.

Elena commença par les photos aériennes. Gaëlle, de son côté, piocha dans les livres. Lorsqu’elle prit le premier, il vint plus facilement que la veille, comme si l’étagère était moins remplie. Elle regarda les rayons de plus près. Bien qu’elle ne pût en être sûre à cent pour cent, il lui semblait qu’il manquait un ou deux livres. Elle sortit un ouvrage de référence récent et en confronta la bibliographie à la collection du docteur Sayed. Il manquait deux livres sur Siwa. Pourtant, Ali était censé posséder tout ce qui avait été publié sur le sujet.

— Elena, murmura Gaëlle d’une voix hésitante.

Elena leva à peine les yeux et la regarda en biais.

— Oui ?

— Rien, répondit Gaëlle, excusez-moi.

Elena, telle qu’elle la connaissait, aborderait le docteur Sayed de front et mettrait leur coopération en péril. Ensuite, bien sûr, elle la rendrait responsable de ce revers. Cela dit, Gaëlle n’avait pas oublié l’expression étrange qu’avait eue le docteur Sayed la veille au soir. Finalement, elle décida de noter le titre des ouvrages manquants. Elle téléphonerait à Ibrahim dès qu’elle en aurait la possibilité et lui demanderait de lui envoyer un exemplaire de ces livres directement à son hôtel.

 

II

Knox dormait sur le siège passager de la jeep lorsque Rick le secoua pour le réveiller.

— Quoi ? demanda-t-il.

— Un poste de contrôle.

— Merde !

Les postes de contrôle étaient si rares à Alexandrie et dans le Delta que Knox avait cessé de se soucier de l’armée. Mais dans le sud et les régions désertiques, ils étaient nombreux.

Rick et Knox s’arrêtèrent. Deux soldats vêtus d’un uniforme épais pour se prémunir contre le froid du petit matin s’approchèrent nonchalamment. L’un d’eux frappa à la vitre de la jeep, que Rick baissa sans attendre.

— Passeports, dit-il.

Knox avait toujours les papiers au nom d’Omar Malik qu’Augustin lui avait donnés mais, s’il s’en servait maintenant, cela ne ferait qu’éveiller les soupçons. Il tendit son véritable passeport au soldat, qui l’emmena, ainsi que celui de Rick, dans son bureau.

Pendant ce temps, le second soldat resta debout à côté de la jeep. Il alluma une cigarette, puis jeta un coup d’œil à travers la vitre arrière. Knox se souvint, trop tard, de la bâche qui contenait les vêtements ainsi que les armes de Nessim et de ses hommes.

Le soldat ouvrit la portière arrière et se pencha à l’intérieur.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-il en tendant la main vers la bâche.

— Ce ne sont que des vêtements, répondit Knox en faisant de son mieux pour paraître détendu.

Le soldat se mit à fouiller le paquet et en sortit une veste. Il la tint contre lui en se regardant dans la vitre, la reposa et piocha quelques chemises. Puis il prit un pantalon pour en faire les poches. Il trouva un téléphone portable et adressa à Knox un sourire doucereux pour lui laisser entendre qu’un petit cadeau serait le bienvenu. Knox avait la gorge sèche. Si ce crétin tombait sur un des pistolets, Rick et lui devraient s’expliquer.

— Excusez-moi, risqua-t-il, mais ce sont nos affaires personnelles.

Le soldat jeta le pantalon et le téléphone portable dans la bâche en grommelant, puis claqua la portière. Après avoir passé son coup de fil, son camarade revint vers la jeep. Le cœur de Knox se mit à battre la chamade. Mais l’homme rendit les deux passeports à Rick sans broncher et lui fit signe d’avancer.

— Va savoir, dit Rick, Hassan a dû laisser tomber.

— J’en doute, avoua Knox. Je suppose qu’il ne veut simplement pas alerter les autorités.

— C’est déjà ça.

— Oui, mais on a intérêt à se débarrasser de tout ce qu’il y a là-dedans si on ne veut pas s’attirer de nouveaux ennuis, fit remarquer Knox en se retournant vers la banquette arrière.

— Tu as raison.

 

III

Nicolas arriva au bureau d’Ibrahim avec une affaire délicate à gérer. Son père l’avait chargé d’acquérir certains artefacts de la tombe d’Alexandrie pour sa collection privée : au moins un des coffrets funéraires et quelques armes. C’était tout à fait possible maintenant que Yusuf avait pris le contrôle des opérations. Il leur suffisait de fabriquer des copies convaincantes et de procéder à un échange. Mais Ibrahim étant encore dans l’équation, Nicolas devait s’occuper de lui. En outre, il avait promis à Yusuf de lui trouver un bouc émissaire au cas où les choses tourneraient mal.

— Je ne vous dérange pas ? demanda-t-il.

— Pas du tout, répondit Ibrahim en souriant. J’étais juste en train de rassembler quelques livres sur Siwa pour Gaëlle, bien que je ne comprenne pas pourquoi elle n’emprunte pas directement ceux du docteur Sayed.

— Je voulais vous dire à quel point le groupe Dragoumis est satisfait de sa collaboration avec vous, commença Nicolas.

— C’est réciproque.

Nicolas fit un petit signe de tête et sortit une enveloppe épaisse de la poche intérieure de sa veste.

— Ma famille a pour habitude de récompenser le mérite, dit-il en posant l’enveloppe sur le bureau, à mi-chemin entre eux deux.

Il sourit à Ibrahim pour l’inviter à la prendre. Ibrahim l’entrouvrit et aperçut avec stupéfaction une liasse de billets de cinquante dollars.

— C’est pour moi ? demanda-t-il.

— En gage de notre reconnaissance.

Ibrahim regarda Nicolas avec méfiance.

— Et que voulez-vous en échange de cet argent ?

— Rien, simplement que notre collaboration se poursuive.

Nicolas portait sur la poitrine une caméra miniature, dont l’objectif avait l’apparence d’un bouton de chemise. Si Ibrahim prenait le bakchich, il se servirait de l’enregistrement pour lui faire du chantage, petit à petit, jusqu’à ce qu’il soit entièrement compromis. S’il ne le prenait pas, il pourrait toujours avoir recours à d’autres méthodes.

Ibrahim hésita, puis poussa l’enveloppe de l’autre côté du bureau.

— Si vous souhaitez apporter un financement supplémentaire, déclara-t-il, nous avons un compte bancaire, comme vous le savez certainement.

Nicolas lui adressa un petit sourire crispé et reprit l’argent.

— Comme vous voudrez.

— Y a-t-il autre chose ou puis-je retourner à...

A cet instant, ils entendirent un tumulte infernal. La porte s’ouvrit brusquement. C’était Mohammed.

— Excusez-moi, monsieur ! s’écria Maha, pendue après son bras. Je n’ai pas pu l’arrêter.

— Ce n’est rien, Maha, la rassura Ibrahim.

Il posa sur Mohammed un regard sévère.

— Qu’est-ce qui vous prend ? lui demanda-t-il.

— C’est Leila, répondit Mohammed, le visage baigné de larmes. Ils ont refusé ! Ils ont refusé !

— Pauvre petite, compatit Ibrahim un peu maladroitement. Je suis vraiment désolé.

— Elle n’a pas besoin de sympathie. Elle a besoin d’aide.

— Je suis désolé, je ne vois pas ce que je peux faire d’autre.

— S’il vous plaît, j’ai déjà demandé à tout le monde. Vous êtes son dernier espoir.

Nicolas recula de quelques pas. La maladie l’avait toujours mis mal à l’aise. Les deux livres qu’Ibrahim avait mis de côté pour Gaëlle étaient posés sur le coin du bureau. Il en prit un et le feuilleta négligemment.

— Je peux peut-être me renseigner, proposa Ibrahim, mais je ne connais personne à l’hôpital.

— Je vous en prie, faites quelque chose !

Le livre était illustré de dessins en noir et blanc. Nicolas en remarqua un qui représentait une colline et un lac. La légende indiquait : Bir-al-Hammam. Quelque chose lui semblait familier. Il reposa le livre et prit le deuxième. Celui-ci contenait également une image de Bir-al-Hammam, une photographie. Il l’observa longuement et finit par saisir ce qui l’avait interpellé. Un grand frisson le parcourut de part en part.

— Nicolas ? Nicolas ? appela Ibrahim d’une voix anxieuse. Est-ce que tout va bien ?

Nicolas recouvra ses esprits et se tourna en souriant vers Ibrahim, qui le fixait bizarrement.

— Excusez-moi, j’étais ailleurs, c’est tout.

Il chercha Mohammed du regard et constata qu’il était parti.

— Où est votre ami ? demanda-t-il.

— Il a dû partir. Sa femme est dans un état déplorable, apparemment. Je lui ai promis de faire ce que je pourrais. Mais que puis-je faire ? La pauvre enfant...

— Si je parvenais à l’aider, demanda Nicolas d’un air songeur, vous m’en seriez reconnaissant, n’est-ce pas ?

— Bien sûr, mais je doute vraiment que...

— Bien, lança Nicolas en prenant les livres de Gaëlle sous son bras. Alors venez avec moi et voyons ce que nous pouvons faire.