Knox avait hâte de cacher sa jeep à un endroit où Nessim ne la retrouverait pas. Il prit un chemin de terre au sud de Tanta et Rick le suivit au volant de sa Subaru. Au bout d’un quart d’heure, il discerna dans le clair de lune une vieille ferme abandonnée, envahie par la végétation et recyclée en décharge sauvage. Parfait. Il avança lentement le long d’une allée sillonnée d’ornières, jusqu’à une vieille cour en béton. En face de lui, il aperçut une rangée de granges ouvertes au sol boueux. Des détritus poussés par le vent s’étaient entassés dans les coins et l’accès était bloqué par une série d’abreuvoirs, presque remplis d’eau de pluie. À gauche, un bâtiment décrépit s’étendait de part et d’autre d’une large porte en acier. Knox et Rick descendirent de voiture et ouvrirent la porte, qui crissa sur le sol en béton. Ils ne remarquèrent qu’une odeur acre de gazole et d’urine, ainsi que des traces de fiente d’oiseau et de chauve-souris sur le plancher. Knox se gara à l’intérieur, emporta tout ce dont il pourrait avoir besoin dans la Subaru et tendit la bâche sur sa jeep.
— Alors, tu m’expliques maintenant ? demanda Rick en reprenant la route de Tanta.
— Oui. Je t’ai déjà parlé de mes fouilles à Mallawi ?
— Tu ne parles que de ça ! se moqua Rick.
— Alors tu te souviens de l’histoire dans les grandes lignes, dit Knox en ouvrant son portable pour regarder les CD que Rick lui avait rapportés avec le peu de batterie qu’il lui restait. Richard Mitchell et moi avons trouvé des papyrus ptolémaïques. Nous les avons transmis à Yusuf Abbas, l’actuel secrétaire général du CSA, pour qu’il les mette en lieu sûr. Il a été si emballé qu’il a pris la direction des opérations.
— Et ensuite tu as vu certains de ces papyrus sur le marché noir.
— Exactement. Il n’y a pas un marché énorme pour les papyrus ptolémaïques, même lorsqu’on sait d’où ils proviennent. Alors pour les papyrus volés... En général, la plupart des acheteurs sont des institutions universitaires. Ils ne tremperaient pas dans le marché noir. Mais Philippe Dragoumis s’intéresse à tout ce qui est macédonien et, en particulier, à tout ce qui concerne Alexandre.
— Et tu penses que ces papyrus ont un rapport avec Alexandre ?
— Le niveau supérieur de la tombe d’Alexandrie a été bâti pour un porte-bouclier de l’armée d’Alexandre nommé Akylos. Le niveau inférieur a été dédicacé par un dénommé Kalonymos. Ces deux noms apparaissent dans la même série de papyrus. Nous avons photographié ces papyrus et les clichés sont gravés sur un des CD que tu m’as empruntés. Regarde.
Knox fit pivoter l’ordinateur portable afin que Rick puisse voir la liste des fichiers comportant les noms Akylos et Kalonymos.
— De plus, poursuivit-il, je jurerais que Nicolas et Elena ont reconnu le nom de Kalonymos hier.
— D’accord, il y a peut-être un lien entre les papyrus de Mallawi et la tombe d’Alexandrie. Mais ça n’explique pas ce qu’on fait à Tanta.
— Le groupe Dragoumis sponsorise des fouilles près d’ici. Personne ne finance un chantier au hasard, et encore moins un sponsor étranger. Les Dragoumis cherchent quelque chose et je crois que c’est en partie pour cette raison que Nicolas est à Alexandrie. Je veux savoir ce que c’est.
Ils arrivèrent à l’hôtel où logeait l’équipe de la Fondation archéologique macédonienne.
— Malheureusement, reprit Knox, je ne peux pas poser la question directement. Tous les membres de l’équipe ont signé un contrat de confidentialité. Ils ne diront rien à personne, et encore moins à moi.
— Ah, mais ils logent ici, pas vrai ?
— Absolument. Dans environ une heure, ils vont partir travailler. Et nous allons les suivre.
Elena se réveilla tôt ce matin-là. Le soleil entrait à flots par la fenêtre ouverte de l’appartement d’Augustin et elle entendait le bruit de la rue, les voitures qui démarraient, les portes qui claquaient, les familles qui se querellaient. Allongée à côté d’Augustin, elle le regardait avec tendresse. C’était drôle – et parfaitement injuste – ce que les hommes pouvaient être beaux même lorsqu’ils n’étaient pas présentables. Avec ses longues mèches sur le visage, il ressemblait à une méduse. Une mince traînée de salive lui dégoulinait du coin de la bouche pour aller mouiller l’oreiller. Et pourtant, elle avait envie de lui. Pour la première fois depuis plus de dix ans, elle était incapable de résister à la luxure. Et dire qu’elle partait pour Siwa avec Gaëlle dans la matinée ! Il fallait qu’elle profite au maximum du temps qu’il leur restait.
Elle tira sur le drap pour mieux le voir. Elle tendit la main et lui effleura doucement l’intérieur de la cuisse en partant du genou pour remonter jusqu’au scrotum. Il sentit son pénis gonfler et se redresser le long de son ventre. Un sourire ravageur lui traversa le visage, bien qu’il eût encore les yeux fermés. Ils n’échangèrent pas un mot. Elle l’embrassa sur le front, le nez, la joue, la bouche. Son haleine était amère mais pas désagréable. Leur étreinte devint rapidement intime. Ils étaient tous deux trop avides pour attendre. Il se tourna sur le côté et fouilla dans sa table de nuit pour prendre un préservatif, qu’il ouvrit avec les dents et déroula avec expertise d’une seule main. Il grimaça de plaisir lorsqu’il la pénétra. Les bras tendus, il se retenait au-dessus d’elle. Puis il se retira à moitié et ondula à peine afin que, pétrie de désir, elle l’attire en elle. Ils trouvèrent leur rythme. Elle souleva la tête pour regarder le point de jonction entre eux, l’ombre longue et dure qui sortait d’elle pour rentrer encore plus lentement. Elle avait oublié à quel point le coït pouvait être fascinant, si férocement animal, si différent des rituels vains de la cour qui le précédait. Il lui repoussa la tête en arrière et ils se regardèrent fixement dans les yeux, jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus soutenir son regard et se torde de plaisir en criant, avant de rouler avec lui sur le sol. Ils restèrent allongés par terre une trentaine de secondes, enlacés, souriants, le temps de reprendre leur souffle.
— Café ? demanda-t-il.
— Chocolat.
Il se traîna, nu, jusqu’à la cuisine et jeta son préservatif dans une poubelle débordante de détritus. Un filet nacré resta suspendu à son pénis. Il l’essuya avec une feuille d’essuie-tout et ouvrit son réfrigérateur.
— Merde ! s’exclama-t-il. Pas de lait.
— Reviens te coucher, gémit-elle. Je dois partir bientôt.
— Il me faut du café et des croissants, protesta-t-il en enfilant le pantalon et la chemise qu’il portait la veille. J’en ai pour une minute, promis.
Elle le regarda sortir. Quelque chose comme le bonheur lui monta dans la poitrine. Pendant toutes ces années, elle avait assouvi ses désirs avec des lavettes et des dandys. Mais qu’est-ce que c’était bon d’avoir à nouveau un vrai homme dans sa vie !
Il était difficile de rester éveillé. Rick venait d’acheter deux cafés pour Knox et lui au premier bar qui avait levé son rideau, lorsque quatre hommes et trois femmes en chaussures de marche, pantalon de toile et chemises ouvertes descendirent l’escalier de l’hôtel en baillant avec un sac sur le dos. Quelques Égyptiens, qui s’étaient rassemblés au cours des vingt dernières minutes, allèrent les rejoindre. La loi égyptienne obligeait les responsables de chantier à recruter de la main-d’œuvre locale. Ils montèrent tous à bord de deux pick-up. Certains s’entassèrent à l’avant, tandis que d’autres restèrent à l’arrière. L’un d’eux compta rapidement les personnes présentes et ils s’engagèrent lentement sur la route de Zagazig.
Rick leur laissa vingt secondes et les prit en filature. Il était facile de suivre un véhicule en Égypte. Il y avait si peu de routes qu’on pouvait garder ses distances. L’équipe se dirigea vers Zifta, puis tourna à droite sur un chemin de terre. Rick attendit de ne plus voir qu’un nuage de poussière et continua. Knox et lui parcoururent encore cinq kilomètres environ avant d’apercevoir un des pick-up garé et vide.
— Partons d’ici avant d’être repérés, suggéra Knox.
Rick fit demi-tour.
— Et on va où maintenant ?
— Je ne sais pas ce que tu en penses, répondit Knox en baillant, mais je n’ai pas dormi depuis deux jours. Je vote pour qu’on se trouve un hôtel.
La journée était passée avec une lenteur insoutenable pour Mohammed el-Dahab, mais l’après-midi touchait à sa fin, et l’heure approchait. Il faisait les cent pas dans le service d’oncologie de l’Institut de recherche médicale d’Alexandrie. De temps à autre, il inspirait une grande bouffée d’air à pleins poumons mais, parfois, sa respiration était si rapide et peu profonde qu’il avait l’impression qu’il allait s’évanouir. Attendre les résultats des tests à côté du téléphone avait été une partie de plaisir comparé au calvaire qu’il était en train de vivre. Il s’approcha de la fenêtre et regarda fixement la ville, le port dans la nuit. Tous ces gens... Il se fichait complètement d’eux. Qu’Allah les prenne tous et lui laisse Leila !
Le docteur Serag al-Din lui avait donné de bonnes nouvelles. Il avait trouvé un donneur compatible : Basheer. C’était une cousine au troisième degré de la mère de Nur, qui avait elle-même failli mourir lorsque son immeuble s’était effondré, au Caire, des années auparavant. A l’époque, Mohammed ne s’était pas intéressé à son sort, qui lui était totalement indifférent. Mais si elle avait succombé à ses blessures... Il ferma les yeux, le poing fermé contre la bouche. Il préférait ne pas y penser.
Hélas, trouver un donneur ne suffisait pas. Encore fallait-il que le professeur Rafai autorise Leila à subir la greffe de moelle osseuse. C’était précisément pour connaître sa décision que Mohammed s’était rendu sur place.
— Inch’ Allah, inch’ Allah, murmurait Mohammed sans discontinuer.
Ce mantra ne le soulageait pas vraiment. Si seulement Nur avait été là... Mais elle n’avait pas eu la force de venir. Encore plus terrifiée que lui, elle était restée à la maison pour s’occuper de Leila.
— Inch’ Allah, répéta-t-il, inch’ Allah.
La porte du service d’oncologie s’ouvrit brusquement. Une jeune infirmière rondelette avec de grands yeux marron sortit. Mohammed essaya de déchiffrer son expression, mais ne parvint pas à se concentrer.
— Veuillez me suivre, s’il vous plaît, dit-elle.