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QUATRE

“On dit souvent que la diplomatie n’est qu’une autre forme de la guerre. Bien que moins sanglantes, nos batailles n’en sont pas moins âpres. Mais, au moins, nous avons du bon vin et des petits fours.“

— Tollen Ferlang, envoyé impérial au royaume d’Ultramar, 564-603.M41

— Êtes-vous sûr d’être suffisamment d’attaque ? demanda Kasteen, une ride d’inquiétude entre les sourcils. Je hochai la tête, et ajustai l’écharpe que j’avais adoptée pour son effet théâtral. Elle était en soie noire, assortie à la teinte d’ébène de mon uniforme, et me donnait fière allure.

— Je vais bien, dis-je en souriant de l’air de celui qui souffre avec stoïcisme, ceux d’en face ont souffert plus que moi, loué soit l’Empereur.

Depuis la bagarre avec les hérétiques, quelques jours auparavant, mon bras avait à peu près guéri, les toubibs m’assurant que je n’avais rien de plus grave que de grosses contusions. Il était toujours raide et faisait un peu mal mais, l’un dans l’autre, je m’en étais bien sorti. Mieux que Divas en tout cas. Il avait passé la première nuit à l’infirmerie et marchait encore en s’aidant d’une canne. À part ça, il avait retrouvé son irritante bonne humeur habituelle et je m’étais inventé toutes les contraintes possibles pour éviter ses invitations à repartir en virée.

Fort heureusement pour moi, il avait perdu connaissance avant que le kroot n’apparaisse et ma réputation avait, de ce fait, reçu un nouveau fleuron immérité. Il était persuadé que j’avais repoussé nos assaillants tout seul et je ne voyais aucune raison de le détromper. Par ailleurs, ma conversation avec la créature avait été curieusement déstabilisante, et je préférais ne pas trop y penser. Je remarquai que le rapport de Divas glissait subrepticement sur les raisons de notre présence en plein milieu du quartier des sympathisants tau, et je me dis que les événements avaient peut-être finalement réussi à lui inculquer un peu de bon sens. Connaissant Divas, je me permettais toutefois d’en douter.

— Voila ce qu’il en coûte de s’attaquer à l’élite de l’Imperium, dit Kasteen, toute prête à accepter la version officielle des événements, vu que ces preuves supplémentaires de mes prouesses rejaillissaient sur le régiment qu’elle commandait. Elle ajusta son uniforme de parade, arrangeant son manteau ocre avec tous les signes d’un inconfort marqué. Comme la plupart des Valhallas, originaires d’un monde glaciaire, elle pouvait supporter des froids intenses et trouvait même le plus frais des climats tempérés difficilement supportable. Ayant passé la majorité de ma carrière avec des régiments de Valhallas, j’étais depuis longtemps habitué à les voir utiliser l’air conditionné pour amener leurs quartiers à des températures qui faisaient fumer votre respiration et je portais mon grand manteau d’uniforme en toutes circonstances. Les Valhallas avaient donc encore quelques difficultés à s’adapter au climat local.

— Si je puis me permettre, colonel, dis-je, la tenue tropicale serait parfaitement acceptable.

— Vraiment ? Elle n’arrivait pas à se décider, ce qui me rappela à quel point elle était jeune pour se retrouver à un poste aussi important et je ressentis une pointe de sympathie inhabituelle. Le prestige du régiment reposait sur elle et il était facile d’oublier à quel point cette responsabilité pouvait peser lourdement sur ses épaules.

— Tout à fait, lui assurai-je. Elle mit de côté la lourde toque de fourrure, ce qui mit ses cheveux en désordre, et commença à déboutonner son grand manteau. Puis, elle hésita de nouveau.

— Je ne sais pas… S’ils me trouvent trop informelle, cela risque de donner une mauvaise image du régiment.

— Par l’Empereur, Regina…, dit Broklaw d’une voix amusée, quelle image pensez-vous donner si vous passez la soirée à transpirer comme un ork ? Je notai avec satisfaction l’usage de son prénom pour la première fois à ma connaissance. Une nouvelle étape dans la marche vers l’intégration complète pour le 597e. Le test final viendrait avec leur première expérience au combat, et bien trop vite à mon goût, mais c’était un bon présage.

— Le commissaire a raison.

— Le commissaire a toujours raison, dis-je en souriant, c’est même précisé dans le manuel.

— Bon, je ne peux rien dire contre ça.

Kasteen retira le manteau avec un soulagement évident et lissa la veste qu’elle portait en dessous. La coupe sévère du vêtement mettait sa silhouette en valeur d’une manière qui ne manquerait pas d’attirer l’attention de tous les hommes présents dans la pièce. Broklaw approuva de la tête.

— Je ne pense pas que vous ayez à vous soucier de l’image que vous allez donner, dit-il en lui tendant un peigne.

— Du moment qu’elle soit bonne.

Elle lissa ses cheveux en place, puis boucla son ceinturon d’arme. Comme le mien, il portait une épée tronçonneuse, mais la sienne était délicatement ciselée et travaillée de scènes dévotes qui couvraient la garde et le fourreau. Le contraste avec le modèle fonctionnel qui était le mien, usé et ébréché par plus d’usage que je ne l’aurais voulu, était saisissant. Le holster sur son autre hanche était également immaculé, le cuir noir luisant protégeant un pistolet bolter qui, lui aussi, brillait de toutes ses surfaces finement polies et couvertes de gravures d’icônes saintes.

— C’est une certitude, la rassurai-je.

Sa nervosité était bien compréhensible après l’invitation qui nous avait été faite de participer à une soirée diplomatique au palais du gouverneur. Enfin, qui m’avait été faite, mais, dans l’intérêt du protocole, le colonel de mon régiment et une garde d’honneur de taille appropriée seraient également attendus. Ce genre de soirée était totalement étranger à ses habitudes et elle n’était que trop consciente de sortir de son domaine de compétences.

Moi, par contre, je me retrouvai en terrain familier. Un des nombreux avantages à être un héros de l’Imperium est que vous êtes considéré comme une prise de choix par les hôtesses d’une certaine frange de la société, ce qui m’avait permis, au cours des années, d’apprécier les manoirs, les caves à vin et les filles de tous ces nantis et de développer une certaine familiarité avec le monde dans lequel ils évoluaient. La première règle à ne pas oublier, comme je l’expliquai à Kasteen, était qu’ils avaient leur propre idée des soldats et qu’elle n’avait pas grand-chose à voir avec la réalité.

— La meilleure chose à faire, lui dis-je, est de ne pas se laisser submerger par tout le fatras protocolaire. Ils s’attendent de toute façon à ce que nous fassions tout de travers, alors qu’ils aillent au Warp.

Elle sourit malgré elle, et s’installa un peu plus confortablement dans la banquette de la voiture de commandement que Jurgen avait dégottée. Armé de mon autorité de commissaire, qui lui donnait toute latitude pour réquisitionner sans grande difficulté à peu près n’importe quoi de plus petit qu’un vaisseau de combat, il avait développé au cours des années un talent certain pour mettre la main sur tout ce que je considérais comme nécessaire à mes besoins ou mon confort. Je n’avais jamais posé trop de questions sur les provenances car je suspectais que certaines réponses auraient pu compliquer quelque peu mon existence.

— C’est facile pour vous de dire ça, me dit-elle, vous êtes un héros. Moi, je suis seulement…

— Un des plus jeunes commandants de régiment de toute la Garde. Une position que, dans mon opinion, vous devez entièrement à votre mérite, je souris, et je n’accorde pas ma confiance à n’importe qui.

C’était exactement ce qu’elle souhaitait entendre. J’ai toujours été doué pour manipuler les gens et c’est une des raisons pour lesquelles je suis compétent dans mon boulot. Elle commença à se dérider.

— Alors, qu’est-ce que vous suggérez ? demanda-t-elle. Je haussai les épaules.

— Ils peuvent être riches et puissants, ce ne sont que des civils. Aussi fort qu’ils essayent de le cacher, ils seront en admiration devant vous. J’ai toujours trouvé que le mieux dans cette situation est de se comporter en simple militaire, sans aucun intérêt pour la politique. L’Empereur guide, et j’obéis…

— …à travers le Warp et au-delà. Elle finit le vieil adage avec un sourire. Donc nous ne devons pas exprimer d’opinion, ni répondre à des questions politiques ?

— Exactement. S’ils veulent vous parler, racontez leurs quelques anecdotes sur vos anciennes campagnes. C’est tout ce qui les intéresse, de toute façon.

C’était certainement le cas en ce qui me concerne. J’étais convaincu de n’avoir été invité qu’en tant que bibelot patriotique, afin d’impressionner les tau avec la puissance des forces qu’ils auraient à affronter s’ils étaient assez stupides pour nous combattre. En ce qui me concernait, ils pouvaient bien hisser leurs couleurs sur le palais du gouverneur quand ils le voulaient, mais ce n’était pas le sujet.

— Merci Ciaphas.

Kasteen posa son menton dans sa paume, et regarda les lumières de la rue clignoter par les fenêtres du véhicule. C’était la première fois que quelqu’un du régiment s’adressait à moi en termes familiers depuis que je l’avais intégré. C’était bizarre, mais curieusement plaisant.

— De rien, Regina, répondis-je. Et elle sourit.

Je sais ce que vous pensez et vous avez tout faux ! Avec le temps, j’en suis venu à la considérer comme une amie, au même titre que Broklaw, mais les choses ne sont jamais allées plus loin. Une relation plus poussée entre nous aurait vite rendu nos deux positions intenables. Parfois, quand j’y repense, je me dis que c’est dommage, mais c’est la vie !

Le palais du gouverneur se trouvait dans ce que les locaux appelaient le Vieux Quartier ; la lubie pour l’architecture d’inspiration tau qui avait infecté le reste de la cité n’avait pas réussi à s’y imposer et le vague sentiment de malaise qui m’oppressait depuis notre arrivée commença enfin à s’estomper. Les villas et les manoirs que nous dépassions en roulant avaient repris les formes carrées habituelles de l’architecture impériale avec lesquelles j’étais familier depuis l’enfance, et je sentis mon optimisme grandir au point de commencer à espérer passer une agréable soirée.

Jurgen engagea le véhicule entre de superbes portes de fer forgé, décorées de l’aigle impérial, et nos pneus crissèrent sur le gravier soigneusement ratissé d’une belle allée éclairée de flambeaux. Derrière nous, le camion qui transportait notre garde d’honneur suivait, sans aucun doute au prix de terribles dégâts dus à ses pneus tout-terrain, et les soldats profitaient de la vue imprenable offerte par le hayon ouvert pour pointer du doigt et commenter le spectacle. Derrière les torches vacillantes, nous pouvions discerner une vaste pelouse paysagère, parsemée de bosquets et de fontaines : automatiquement, un coin de mon esprit se mit à analyser leur potentiel d’utilisation comme couvert.

Un hoquet de la part de Kasteen signala que le palais du gouverneur venait d’apparaître à la vue de son côté de la voiture et, un moment plus tard, la courbe de l’allée l’amena dans mon champ de vision.

— Jolie petite baraque, dis-je avec un détachement affecté. Kasteen se reprit et perdit son expression effarée de provinciale.

— Ca me rappelle un bordel où on allait quand j’étais dans les cadets, répondit-elle, déterminée à copier mon air blasé. Je souris.

— Bien, n’oubliez pas que nous sommes des soldats. Ce genre de chose ne nous impressionne pas.

— Absolument, dit-elle en ajustant sans nécessité sa veste d’uniforme.

Il y avait pourtant de quoi être impressionné. Le bâtiment devait couvrir un kilomètre d’un bout à l’autre, bien que la plupart de cette surface aie certainement été dévolue à des cours et jardins intérieurs, pour l’instant cachés derrière le mur d’enceinte. Des tourelles et des créneaux jaillissaient comme des boutons d’acné de chaque surface, incrustés de statues commémorant des gouverneurs d’antan et autres nobles aux noms perdus dans les oubliettes de l’Histoire, et de vastes surfaces avaient été dorées, reflétant les feux du dehors d’une manière qui se serait révélée prophétique si seulement nous avions su. Sur le coup, cela me fit seulement l’effet du plus bel exemple de vulgarité tape-à-l’œil qu’il m’ait jamais été donné de contempler en matière d’architecture !

Jurgen se gara devant la porte principale et s’arrêta juste devant l’extrémité du tapis rouge avec la dextérité d’un pilote de navette entrant à l’astroport. Un instant après, le camion s’arrêtait derrière nous et notre garde d’honneur débarquait pour former une haie autour du tapis : cinq paires de soldat se faisant face, fusil laser au poing.

— Madame… Je tendis le bras à Kasteen, au moment où un laquais habillé comme un gâteau de mariage se précipitait pour nous ouvrir la porte.

— Merci commissaire. Elle saisit mon bras comme nous sortions et je m’arrêtais un instant pour m’adresser à Jurgen.

— Autre chose, monsieur ? Je secouai la tête.

— Trouvez un endroit pour vous garer et dégottez-vous quelque chose à manger, dis-je.

À vrai dire, j’aurais pu être accompagné de mon aide de camp mais la pensée de Jurgen se mêlant à la crème de l’aristocratie gravalaxienne était presque trop insupportable pour être envisagée. Je me tournai vers le sous-officier en charge de la garde d’honneur, un certain sergent Lustig, et tapotai le vox-transmetteur que j’avais glissé dans mon oreille.

— Vous aussi. Vous serez aussi bien à attendre dans un coin confortable. Je vous contacterai quand nous serons prêts à partir.

— Bien Monsieur. Un léger sourire tenta de trouver son chemin sur son visage carré avant que la discipline ne reprenne ses droits. Il prit une grande inspiration.

— Escouade… Gaaaaard’… Vous ! Beugla-t-il, et ils tombèrent en position avec une précision nanométrique. Pas étonnant qu’ils aient gagné la ration supplémentaire de bibine cette semaine, pensai-je. Le claquement synchronisé de tous ces talons fit tourner les têtes dans notre direction, les nobliaux locaux semblèrent manifestement impressionnés, et leurs chauffeurs encore plus.

— Je pense que nous avons fait notre petit effet, murmura Kasteen, alors que nous nous dirigions vers les portes aux sculptures élaborées.

— C’était l’idée, répondis-je.

L’intérieur était exactement comme je l’avais imaginé : le genre d’ostentation vulgaire trop souvent prise par les riches comme une preuve de bon goût, avec ses dorures, ses cristaux et ses tapisseries criardes de batailles historiques et de primarques à l’air suffisant accrochées tout autour des murs comme dans l’antre d’un pirate. Les hautes voûtes du plafond étaient soutenues par des piliers artistiquement sculptés pour imiter l’écorce d’un arbre local et mes pieds s’enfonçaient dans la moquette comme dans un marécage. Il me fallut un moment pour m’apercevoir que le tissage représentait un vaste portrait, vraisemblablement celui du gouverneur en personne, visible depuis le balcon au dessus, et je notai avec amusement que quelqu’un avait écrasé un petit-four de manière à simuler les effets d’un rhume carabiné. Qu’il s’agisse réellement d’un accident ou de l’acte d’un serviteur mécontent, qui aurait pu le dire ?

Les lèvres de Kasteen dessinèrent une grimace en découvrant pleinement l’opulence de notre environnement.

— Je retire ce que j’ai dit, murmura-t-elle. Dans un bordel, la déco n’aurait pas été de si mauvais goût.

Je réprimai mon propre sourire pendant qu’un autre laquais se dirigeait vers nous.

— Le commissaire Ciaphas Cain, annonça-t-il, et le colonel Regina Kasteen.

Ce qui avait l’avantage de faire savoir qui nous étions. Il n’était pas besoin d’annonce pour savoir qui était le personnage maladif assis sous un dais, sur une estrade au fond de la pièce. J’ai rencontré bon nombre de gouverneurs planétaires en mon temps et ils ont tous tendance à l’imbécillité congénitale[16], mais le spécimen en question était bien placé pour remporter la palme. Il arrivait à donner en même temps une impression de malnutrition et d’obésité et sa peau avait la pâleur d’un poisson mort.

Des yeux chassieux, d’une couleur indéfinissable, nous observèrent sous une frange de cheveux gris clairsemés.

— Gouverneur Grice, dis-je en m’inclinant de manière très formelle, c’est un grand plaisir.

— Au contraire, dit-il d’une voix quelque peu chevrotante, tout le plaisir est pour moi…

Ma foi, il n’avait pas entièrement tort sur ce point, mais, à vrai dire, je ne l’intéressais pas vraiment. Il se leva et s’inclina devant Kasteen.

— Vous nous honorez tous par votre présence, colonel.

Me faire voler la vedette par une petite jeune était un fait sans précédent mais si vous l’aviez vue, vous auriez compris. Elle était vraiment canon, si les rouquines sont votre genre, et je suppose que le vieux crétin ne sortait pas souvent. Quoi qu’il en soit, cela me permettait de disparaître sans attirer l’attention, et de partir chercher mes propres distractions, ce que je fis sans perdre un instant.

Comme j’en avais pris l’habitude, je circulai un peu partout, les yeux et les oreilles grands ouverts (on ne sait jamais quel petit renseignement pourra se révéler utile) mais mon attention fut retenue principalement par le spectacle. Au fond de la salle, une jeune femme se tenait sur scène, entourée de musiciens qui avaient l’air d’avoir répété aussi longtemps que notre musique régimentaire. Ils auraient aussi bien pu jouer des tambours de guerre orks car sa voix était extraordinaire. Elle chantait de vieilles ballades sentimentales, comme La nuit où tu es parti et Notre amour n’est qu’à nous et, même pour un vieux cynique comme moi, l’émotion qu’elle faisait passer était si intense que les paroles, pourtant débiles, semblaient sonner justes. Des échos de sa voix chaude de contralto me parvenaient où que je sois dans la pièce, perçant le bruit de fond des conversations, et mes yeux se tournaient vers elle à chaque fois que la foule s’écartait suffisamment pour me laisser un angle de vue.

Et elle valait le coup d’œil. Elle était grande et mince. Ses cheveux, à longueur d’épaule et d’un blond que je n’avais jamais vu auparavant (ni depuis, d’ailleurs) encadraient avec grâce un visage qui emballait mon rythme cardiaque. Ses yeux, du bleu pâle d’un horizon lointain, m’hypnotisaient à chaque fois je regardais dans sa direction. Une robe vaporeuse, presque exactement de la couleur de ses yeux, la couvrait comme une brume.

Bien que je n’aie jamais cru au coup de foudre et autres sornettes sentimentales, je peux affirmer sans l’ombre d’un mensonge que même aujourd’hui, après plus d’un siècle, il me suffit de fermer les yeux pour la revoir telle qu’elle était ce soir-là, et pour réentendre ses chansons.

Mais je n’étais pas là pour écouter une chanteuse de cabaret, aussi charmante soit-elle, aussi essayai-je de m’intégrer au mieux dans les groupes et de recueillir le maximum d’informations qui pourraient nous aider à combattre les tau si on devait en arriver là, et à me tenir éloigné des combats dans la mesure du possible.

— Ainsi vous êtes le célèbre commissaire Cain, dit quelqu’un en me passant un verre. Je le pris par réflexe, me tournant un peu pour utiliser ma main droite et mettre mon bras en écharpe en évidence, et je me retrouvai face à face avec un type au visage étroit, vêtu d’une robe manifestement coûteuse mais discrète, qui désignait sans conteste un diplomate. Il regarda mon écharpe.

— J’ai entendu dire que vous aviez failli déclencher une guerre avant l’heure.

— Bien involontairement, je vous prie de le croire, dis-je. Je défendais un officier qui manquait du self-control nécessaire pour ignorer une manifestation évidente de sédition.

— Je vois. Il m’observa les yeux mi-clos, comme s’il cherchait à me percer à jour. Je gardai une expression neutre.

— J’en déduis donc que votre propre self-control est plus développé, reprit-il.

— Pour le moment, dis-je en choisissant mes mots avec soin, nous sommes toujours en paix avec les tau. La situation actuelle est certes quelque peu perturbante mais, à moins que l’ordre ne soit donné à la Garde d’intervenir, elle reste du domaine de l’Arbites, des FDP et de Son Excellence… Je désignai de la tête Grice, qui écoutait Kasteen expliquer la méthode pour étriper un termagant avec les signes du plus grand intérêt, malgré les visages de plus en plus verdâtres des lèche-bottes de son entourage.

— Je n’ai rien contre l’usage de la force lorsqu’il est nécessaire, mais cette décision revient à des gens plus sages que moi.

— Je vois.

Il hocha la tête et me tendit la main. Après quelques instants de jonglage, plus pour le mettre dans l’embarras qu’autre chose, je changeai mon verre de main et pris la sienne.

— Erasmus Donali, envoyé impérial.

— Je m’en doutais un peu, dis-je avec un sourire, vous avez tout du diplomate.

— Vous, par contre, vous semblez assez exceptionnel pour un soldat.

Donali prit une gorgée de son verre et je l’imitai, appréciant au passage la qualité du millésime.

— Pour la plupart, ils sont impatients de démarrer les hostilités.

— Ils appartiennent à la Garde Impériale, dis-je, ils ne vivent que pour se battre au nom de l’Empereur. Moi, en tant que commissaire, je suis censé avoir plus de recul.

— Ce qui impliquerait d’éviter le combat ? Vous me surprenez.

— Comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas à moi de prendre la décision. Mais si des gens comme vous peuvent résoudre ce conflit par la négociation, et garder en vie les soldats qui auraient pu mourir ici afin qu’ils combattent un autre ennemi ailleurs et fassent pencher la balance dans une bataille plus importante, alors cela me semble servir au mieux les intérêts de l’Imperium.

Et garder ma peau intacte par la même occasion, ce qui était bien plus important pour moi. Donali sembla surpris, et même un peu flatté.

— Je vois que votre réputation est loin d’être exagérée, dit-il, et j’espère pouvoir réaliser votre souhait. Mais cela ne sera pas facile.

Ce n’était pas vraiment ce que j’avais envie d’entendre, vous pouvez en être certain. Mais je haussai les épaules, et avalai mon verre.

— À la grâce de l’Empereur ! Dis-je. Une phrase que j’avais empruntée à Jurgen au cours de nos longues années d’association. Quand il le disait, il en pensait chaque mot mais, pour moi, c’était juste l’équivalent verbal d’un haussement d’épaule. Je n’ai jamais réellement adhéré à l’idée que Sa Divine Majesté puisse distraire une quelconque attention de sa mission (consistant à sauver la galaxie entière de la damnation), pour s’intéresser à mes problèmes, ou à ceux de qui que ce soit d’ailleurs. C’est ce qui explique le fait que je sois aussi impliqué à m’en occuper moi-même.

— La difficulté, je pense, vient du fait que les tau sont soutenus par la population de certains quartiers.

— Exactement ! Mon nouvel ami approuva avec ardeur.

— Et vous pouvez en féliciter l’abruti qui parle avec votre colonel. Il indiqua Grice de la tête. Il s’est tellement préoccupé de compter les pots de vins de ses semblables, autre signe de la tête vers le coin le plus éloigné de la pièce, qu’il ne s’est même pas rendu compte que sa planète lui filait entre les mains.

Je me tournai dans la direction indiquée. Un individu cadavérique au nez crochu, habillé d’extravagantes chausses écarlates et d’un pourpoint lie de vin, tenait salon avec un petit groupe d’aristocrates locaux. À ses côtés se trouvaient deux serviteurs en livrée qui semblaient aussi à leur aise que des orks en robe de soirée ; des porte-flingues si j’en avais jamais vu. Un scribe papillonnait autour de lui, prenant des notes.

— Un de ces libres-marchands dont on nous rebat les oreilles, dis-je. Donali haussa les épaules.

— C’est ce qu’il dit. Mais personne ici n’est exactement ce qu’il prétend être, commissaire. Vous pouvez en être certain.

En ce qui me concerne, il avait sans aucun doute raison. Nous échangeâmes encore quelques mots sans importance, puis je repris mes pérégrinations.

Après quelques conversations avec des dignitaires dont je ne retins même pas les noms, mon verre se retrouva en grand besoin d’être rempli et je me dirigeai vers l’extrémité de la salle où un buffet aussi imposant qu’alléchant avait été dressé. En chemin, je remarquai que Kasteen avait réussi à s’extirper de la présence du gouverneur et se déplaçait dans la salle comme si elle avait été habituée à fréquenter la haute société depuis sa naissance. L’impression de confiance qu’elle irradiait était remarquable, surtout au regard de sa nervosité précédente, mais la capacité de sembler calme et posé quelles que soient les circonstances est une qualité vitale pour un leader, et, à mon avis, elle arrivait à jouer la comédie de façon aussi éhontée que moi. Elle semblait donc réellement s’amuser et je lui adressai un salut amical lorsque nos yeux se croisèrent. Elle répondit par un sourire fugace, et tournoya en direction de la piste de danse, deux dandies aristocratiques à ses trousses.

— J’ai l’impression que vous vous êtes fait souffler votre petite amie, dit une voix derrière moi. Je me retournai et plongeai dans les yeux bleus de la chanteuse qui m’avait fait tant d’effet. De manière très inhabituelle pour moi, je me retrouvai à court de mots. Elle souriait, une assiette de petits fours dans la main.

— Elle… euh… c’est une collègue, dis-je, un officier. Il n’y a rien entre nous. Ce serait contre le règlement d’ailleurs. Et de toute façon, nous ne sommes pas…

Elle rit, d’un rire chaud et rauque qui me fit l’effet d’un amasec et je réalisai qu’elle se moquait de moi.

— Je m’en doute bien, dit-elle, pas de temps à perdre pour la romance dans la Garde Impériale. Vous devez vous ennuyer.

— Nous avons notre devoir envers l’Empereur. Pour un soldat, c’est tout ce qui compte.

C’est le genre de chose que je dis d’habitude, et les civils le gobent en général sans problème, mais ma superbe chanteuse me regarda d’un air narquois, le fantôme d’un sourire accroché au coin des lèvres, et je ressentis soudainement l’impression qu’elle pouvait lire en moi jusqu’au noyau d’hypocrisie et d’égoïsme que je cache soigneusement au reste du monde. C’était très déstabilisant !

— Pour certains, c’est possible. Mais je pense qu’il y a plus en vous qu’il n’y parait. Elle prit une bouteille sur une table à côté et emplit mon verre.

— Il y a plus en chacun de nous que ce que les yeux peuvent voir, répondis-je, plus pour dévier la conversation que pour quoi que ce soit d’autre. Elle sourit.

— Bien vu, commissaire. Elle me tendit une main fine et fraîche au toucher, à l’annulaire orné d’une bague aussi grosse que délicatement ouvragée. D’évidence, elle connaissait un grand succès dans sa profession, ou elle avait un très riche admirateur, sinon plusieurs ; j’aurais parié sur les deux cas. Je baisai sa main cérémonieusement et, à mon grand étonnement, elle gloussa.

— Gentleman autant qu’officier. Vous êtes plein de surprises.

À ma stupéfaction, elle me fit une révérence, à l’instar des débutantes au charme bovin qui nous entouraient, une lueur de malice dans ses yeux pétillants.

— Au fait, je m’appelle Amberley Vail. Je chante un peu.

— Je sais, dis-je, et magnifiquement qui plus est. Elle accueillit le compliment avec un signe de tête. Je m’inclinai protocolairement, entrant dans son jeu.

— Ciaphas Cain, à votre service. Actuellement rattaché au 597e de Valhalla. Ses yeux s’agrandirent un peu à l’énoncé de mon nom.

— J’ai entendu parler de vous, dit-elle, manifestement impressionnée. C’est bien vous qui avez combattu les genestealers sur Keffia ?

Ma foi, on pouvait dire cela, si rester assis à boire du récaf, pendant que l’unité d’artillerie à laquelle j’étais rattaché balançait ses obus à des kilomètres de distance sur les plus grosses concentrations de stealers, compte pour vous comme combattre. Je ne m’étais trouvé directement impliqué que sur la fin, pour la mise à mort, si l’on peut dire. Plus par chance qu’autre chose, la victoire avait été mise à mon crédit. C’était l’un des premiers incidents qui avaient établi les fondations de ma réputation imméritée d’héroïsme, mais mes aventures survenues depuis lors avaient quelque peu éclipsé ce qui, pour presque toute la galaxie, n’était qu’une broutille sans importance sur un agri-monde arriéré.

— Je n’étais pas tout seul, dis-je, en me glissant sans difficulté dans le rôle du héros modeste que je pouvais désormais adopter sans même y penser. Il y avait aussi une flotte de guerre impériale en orbite !

— Et deux divisions complètes de la Garde Impériale sur la planète. Mon expression ahurie déclencha son hilarité. J’ai de la famille à Skandaburg[17]. On parle toujours de vous là-bas.

— Je ne vois vraiment pas pourquoi, je ne faisais que mon devoir.

— Bien sûr. Amberley acquiesça et, une fois de plus, j’eus l’impression qu’elle n’était pas dupe un instant. Vous êtes un commissaire impérial. Le devoir avant tout, c’est bien ça ?

— Absolument, répondis-je, et je pense que mon devoir exige que je vous invite à danser.

C’était une tentative assez transparente pour changer de sujet. J’espérais qu’elle la mettrait sur le compte d’un léger embarras et je m’attendais à moitié à ce qu’elle refuse. Mais elle sourit, posa son assiette à moitié vide et saisit mon bras valide.

— Avec plaisir. Il me reste quelques minutes avant mon deuxième set.

Nous rejoignîmes la piste de danse et je passai quelques minutes fort agréables, sa tête sur mon épaule, pendant que nous virevoltions au rythme d’une vieille valse dont je n’ai jamais su le nom. Kasteen passa au galop près de nous en deux ou trois occasions, un partenaire différent au bras à chaque fois, et l’arc de ses sourcils me fit comprendre que je pouvais m’attendre à une mise en boîte en règle sur le chemin du retour, mais sur le moment, je n’en avais rien à faire.

Finalement, Amberley se sépara de moi avec une certaine réticence me sembla-t-il, (mais il se peut que je prenne mes désirs pour des réalités) et prit la direction de la scène. Je l’accompagnai, discutant sans but, heureux de prolonger ce plaisant interlude dans une soirée par ailleurs plus qu’ennuyeuse. C’est alors que je remarquai une altercation véhémente, quoique silencieuse, entre Grice et le libre-marchand au visage de rapace.

— Savez-vous de qui il s’agit ? demandai-je, sans vraiment attendre de réponse. Mais ma cavalière, probablement grâce à ses galas au profit de l’aristocratie, me semblait assez experte dans les arcanes de la politique gravalaxienne. Elle hocha la tête, l’air surpris.

— Il s’appelle Orelius et se présente comme un libre-marchand venu faire affaire avec les tau. Enfin c’est ce qu’il dit.

Elle émit ce commentaire avec le même ton de scepticisme que Donali auparavant, et cela me fit penser aux histoires d’espionnage de Divas lors de notre virée à l’Aile d’Aigle.

— Pourquoi dites-vous cela ? demandai-je. Amberley haussa les épaules.

— Les tau traitent avec les mêmes libres-marchands depuis plus d’un siècle. Orelius est arrivé de nulle part, il y a un mois ou deux, et il essaye d’ouvrir des négociations avec eux par l’intermédiaire de Grice. C’est peut-être une simple coïncidence mais… Un nouveau haussement d’épaule fit glisser la bretelle de sa robe sur son épaule.

— Pourquoi maintenant, alors que la situation politique est si instable ?

— Cela semble en effet un peu curieux.

— Peut-être espère-t-il profiter de la confusion pour conclure des marchés profitables, dis-je.

Alors que je l’observai, Orelius pivota sur ses talons et s’éloigna à grands pas, ses hommes de main à sa suite. Grice était encore plus pâle et moite qu’à l’ordinaire. Il tendit une main tremblante vers un serviteur proche afin de saisir un verre.

— Il a flanqué la trouille à notre illustre gouverneur, en tout cas.

— Vraiment ? Amberley suivit mon regard. Cela semble un peu présomptueux, même pour un libre-marchand.

— S’il est bien ce qu’il prétend être, dis-je sans réfléchir. Ses insondables yeux bleus se tournèrent de nouveau vers moi.

— Que pourrait-il bien être d’autre ?

— Un inquisiteur, dis-je, l’idée faisant son chemin dans mon cerveau au moment même où je prononçai la phrase. Les yeux d’Amberley s’écarquillèrent.

— Un inquisiteur ? Ici ? Les trémolos dans sa voix m’indiquèrent que l’énormité de ma supposition dépassait son entendement. Qu’est ce qui vous fait croire une chose pareille ?

La tentation de l’impressionner était presque irrésistible, je dois le confesser. Devant une créature aussi ensorcelante, je sais que vous non plus n’auriez pas pu résister. Je pris mon plus bel air de commissaire.

— Tout ce que je peux vous dire, murmurais-je pour augmenter l’effet dramatique, est ce que j’ai entendu d’une source militaire fiable (ce qui sonnait quand même mieux que « d’un idiot imbibé d’alcool », je pense que vous serez d’accord) qu’il y aurait des agents de l’Inquisition en activité sur Gravalax.

— Sûrement pas. Elle secoua la tête, faisant voler ses boucles blondes. Et même si c’était le cas, qu’est-ce qui vous fait penser qu’il pourrait s’agir d’Orelius ?

— Mais regardez-le. Tout le monde sait que les inquisiteurs en mission se déguisent le plus souvent en libres-marchands[18]. C’est de loin le meilleur moyen de voyager incognito avec la bande de gros bras qu’ils traînent en général derrière eux.

— Peut-être avez-vous raison, dit-elle avec un délicieux petit frisson, mais ce ne sont pas nos affaires.

Je ne pouvais qu’approuver bien sûr, mais les gens attendent autre chose de ma réputation d’héroïsme, aussi endossais-je ma plus belle expression de devoir pour dire :

— La sécurité de l’Imperium concerne tous les loyaux serviteurs de Sa Majesté (ce qui me laisse hors du coup, mais personne n’a besoin de le savoir.) Amberley acquiesça gravement, puis trottina jusqu’à la scène et je la regardai partir en me traitant de tous les noms pour avoir si sottement pourri l’ambiance.

Comme vous pouvez vous en douter, la suite de la soirée risquait d’être très décevante et je me dirigeai donc vers le buffet. Nos rations, au campement, étaient plus qu’acceptables, mais je n’allais pas rater l’opportunité de savourer quelques douceurs quand elles étaient à portée. En plus, c’était une position aussi bonne qu’une autre pour apprécier le numéro d’Amberley. C’était enfin, comme je l’avais constaté en d’innombrables occasions, le meilleur endroit pour recueillir les rumeurs, vu que tout le monde était amené à le fréquenter tôt ou tard.

C’est ainsi que je fis la connaissance d’Orelius, sans me douter le moins du monde des ennuis que cette conversation anodine allait entraîner.

Cela arriva à cause de mon écharpe, qui m’avait semblée être une bonne idée jusque-là, mais maintenant que je tentais de remplir mon assiette, cette vacherie me posait des problèmes et m’empêchait d’atteindre une pile de pâtisseries paloviennes perchée de l’autre côté de la table. En transférant mon assiette dans ma main gauche, je me trouvai tordu bizarrement, mon centre de gravité modifié, et je n’y arrivai pas non plus. J’étais en train d’étudier un moyen de parvenir à mes fins, lorsqu’un bras mince se tendit et saisit le plat.

— Si je puis me permettre. La voix était sèche et cultivée. Je transférai quelques pâtisseries dans mon assiette et me retrouvai face à face avec l’homme dont j’étais presque sûr qu’il était un agent de l’Inquisition.

— Merci, sieur Orelius. C’est fort aimable à vous.

— Avons-nous été présentés ? Ses yeux étaient sombres, l’iris presque noir, et il avait un regard scrutateur qui accentuait encore sa ressemblance avec un oiseau de proie.

— Votre réputation vous précède, dis-je aimablement, le laissant décider de ce que cela signifiait. Je n’ai pas peur d’admettre que je n’étais pas aussi rassuré que je voulais le paraître. S’il était réellement un inquisiteur, il y avait de bonne chance qu’il soit également psyker et qu’il puisse me percer à jour, mais j’avais rencontré des lecteurs de pensées auparavant, et je savais qu’ils n’étaient pas aussi formidables que les gens le croient. La plupart ne peuvent lire que des pensées superficielles, et j’avais une telle pratique de la dissimulation que je le faisais sans même en être conscient.

— Je suis convaincu que c’est le cas. Il était loin d’être novice à ce petit jeu, une qualité essentielle pour sa profession, que se soit celle qu’il affichait ou celle que je suspectais.

— Vous semblez avoir l’oreille de Son Excellence, dis-je, et un signe d’émotion passa fugacement sur son visage. Il semblait bien que j’avais frappé sous sa garde.

— J’ai même ses deux oreilles. Malheureusement, Son Excellence semble manquer de ce qui devrait se trouver entre… il prit une des pâtisseries, il est paralysé par l’indécision.

— Indécision ? À quel sujet ? demandai-je ingénument.

— Sur là où se trouve son intérêt. Et celui de son peuple bien sûr. Orelius mordit dans le gâteau comme s’il s’était agi du cou de Grice. S’il ne se décide pas à montrer un peu d’autorité, ce monde va être mis à feu et à sang. Mais il reste là, à hésiter en espérant que les choses s’arrangeront toutes seules !

— Et bien, espérons qu’il reprenne ses esprits rapidement. Les yeux de rapace me fixèrent derechef.

— En effet, pour notre bien à tous. Sa voix était neutre et il sourit, sans aucune chaleur. Que l’Empereur soit avec vous, commissaire Cain.

Ma surprise devait être visible car son sourire s’élargit.

— Votre réputation vous précède également.

Il s’en alla, me laissant quelque peu désorienté. Je n’eus pas beaucoup le temps de m’appesantir sur mes sentiments car le laquais qui avait annoncé notre arrivée était de retour et semblait agité. Il avait présenté un certain nombre de convives depuis que Kasteen et moi avions fait notre apparition, mais cette fois il entendait clairement être écouté. Il frappa le plancher ciré de son bâton et le vacarme des conversations diminua graduellement. La voix d’Amberley s’éteignit en plein refrain, ce qui était bien regrettable. La poitrine du larbin, bouffi de sa propre importance, se gonfla.

— Votre Excellence, messeigneurs, mesdames et messieurs. O’ran Shui’sassai, Ambassadeur des Taus.

Et pour la première fois depuis mon arrivée sur Gravalax, je me retrouvai face à face avec l’ennemi.