7

D'une main tremblante, je commençai à pousser la porte. Mais au même moment, du coin de l'œil, je vis un autobus qui arrivait. Ma montre m'indiqua que je n'avais que cinq minutes de retard pour mon rendez-vous. Si je sautais dans celui-ci, j'arriverais chez le dentiste en quelques minutes.

Je lâchai la poignée et courus vers l'arrêt, mon cartable brinquebalant sur mon dos.

J'étais à la fois déçu et soulagé. Entrer dans le repaire du plus dangereux des mutants de l'univers, ça fichait quand même la trouille.

Le bus s'arrêta. Je montai et je me dirigeai vers le fond afin de jeter un dernier coup d'œil au mystérieux immeuble rouge et noir. Je n'arrivais pas à détacher mon regard de cette construction dont les rougeurs restaient toujours aussi vives malgré les nuages qui s'amoncelaient. Il n'y avait toujours personne aux alentours. Quelques secondes plus tard, comme le bus tournait, l'immeuble disparut de ma vue. « Incroyable ! Pensai-je. Vraiment incroyable ! »

— Et c'était vraiment le même immeuble que celui de la BD ? me demandait Wilson, ses yeux bleus me fixant par-dessus la table.

J'acquiesçai :

— J'ai vérifié dans ma revue dès mon retour : c'est exactement le même !

Wilson sortit son sandwich de son sac et enleva le papier qui l'entourait. Je fis de même avec le mien. Chacun mangea en silence. Je mâchai sans appétit, songeant toujours à cette apparition. Elle n'avait pas quitté mon esprit depuis la veille.

Soudain, Wilson s'exclama :

— J'ai trouvé !

— Trouvé quoi ?

— C'est simple : qui a dessiné le Mutant Masqué ?

— Jim Sterenko ! Répondis-je instantanément. C'est lui qui a créé le personnage !

Comment Wilson pouvait-il ignorer une chose pareille ?

— Bon ! reprit-il. Supposons que ce type soit venu dans ce quartier un jour. Il passe devant ton immeuble, il le trouve bizarre et intéressant, et hop ! Il fait un croquis pour pouvoir l'utiliser dans sa BD.

— Oui, je vois…, murmurai-je, visualisant la scène que Wilson venait de décrire. Alors, ce serait donc ça ? Il a imaginé son histoire à partir d'un immeuble qui existait déjà ?

Cette explication tenait la route ; elle la tenait même très bien.

Ça a l'air bête, mais j'étais soudain déçu : j'aurais vraiment aimé qu'il s'agisse du véritable repaire du Mutant Masqué. Wilson avait gâché le mystère. Pour une fois qu'il disait quelque chose d'intelligent ! Il se leva, content de ses déductions, et ajouta :

— Je vais aller acheter quelques tampons. Si tu veux, je pourrais venir te les montrer chez toi, après l'école.

— Non, merci ! Sans façon ! Ce serait vraiment trop excitant ! …, me moquai-je en guise de vengeance. J'espérais malgré tout revoir l'immeuble en fin d'après-midi, mais le prof de maths, — un Super Vilain celui-là ! — Nous donna une tonne de devoirs et je dus rentrer directement à la maison.

Le jour suivant, la neige s'était mise à tomber. J'allai faire du patin à glace avec Wilson et d'autres copains, mais mon envie de retourner devant l'étrange édifice ne me quittait pas. Le surlendemain, enfin, j'étais prêt. Cette fois-ci, rien ne m'empêcherait d'y aller. Et cette fois-ci, j’entrerais. Il y avait peut-être un gardien ou un réceptionniste à qui je pourrais demander des renseignements sur cet immeuble : le nom du propriétaire ? Quelles personnes y travaillaient ? Après l'école, je me sentais plein de détermination en montant dans le bus. Je voulais vraiment en avoir le cœur net, être certain qu'il ne s'agissait que d'un immeuble de bureaux et qu'il n'y avait pas de quoi en faire toute une histoire.

Je m'installai sur un siège espérant vaguement revoir Lucy : mais aucune trace d'elle. Je me concentrai alors sur le parcours, car je n'étais pas sûr de l'arrêt auquel je devais descendre. Le bus dépassa mon magasin de BD, puis la rue de mon dentiste. Quelques minutes après, je reconnus le petit jardin devant lequel j'étais descendu par erreur.

Je me levai précipitamment et bousculai les voyageurs debout pour pouvoir sortir avant que les portes ne se referment. Oui, c'était bien là !

Je tournai les yeux vers ma gauche et faillis crier de stupéfaction en découvrant un grand terrain vide. L'immeuble avait disparu.