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Le lendemain après-midi, je devais aller acheter des baskets avec ma mère. D'habitude j'en essaie au moins dix ou douze paires avant de me décider. Cette fois-ci, je choisis la première venue. Des Reebok blanc et noir.

Qui peut penser à des baskets quand un immeuble invisible attend d'être découvert ?

Sur le chemin de retour, je commençai à parler un peu de cela à ma mère, mais elle m'arrêta tout de suite :

— Je serais heureuse que tu t'intéresses autant à tes études qu'à tes stupides BD.

Je connaissais d'avance la suite de son discours. J'enchaînai :

— Aujourd'hui en sciences, on a disséqué un ver de terre.

Ma mère fit la grimace.

— Vos professeurs n'ont-ils rien de mieux à faire que de torturer de pauvres petits vers innocents ?

Décidément, elle n'était pas dans un de ses bons jours.

Une heure après, bouillant d'impatience, je prenais le bus. J'eus la chance d'y retrouver Lucy. Je me précipitai vers elle.

— Je retourne voir l'immeuble, lui dis-je tout excité. Je pense qu'il est entouré d'un rideau d'invisibilité !

— Tu ne dis jamais bonjour toi, hein ?

Je m'excusai puis lui répétai mon explication. Je lui racontai que ce que j'avais lu dans ma BD pouvait expliquer cette étrange disparition. Lorsque j'eus terminé, elle mit sa main sur mon front.

— Tu n'as pourtant pas de fièvre. Est-ce que, par hasard, tu ne vas pas chez un psychiatre ?

Je repoussai sa main, mais elle continua :

— Je crois que tu es complètement cinglé.

— Je ne suis pas fou du tout ! M'écriai-je. Et je te le prouverai si tu viens avec moi !

— Sûrement pas ! Je ne vais pas suivre un garçon qui croit que les BD se passent dans la vie réelle !

Le bus arriva à notre arrêt. Je descendis, Lucy sur mes talons. À nouveau, je détaillai la rue : pas d'immeuble rouge en vue. Rien qu'un terrain vide.

— Bon, alors, tu viens Lucy ?

— Dans ce terrain vague ? Tu ne crois pas qu'on va avoir l'air d'imbéciles quand on verra qu'il n'y a rien là-bas ?

— Eh bien, tant pis ! Tu n'as qu'à rentrer chez toi !

— Non, non, je viens ! Mais, dis-moi, comment va-t-on passer à travers ton rideau d'invisibilité ?

Sa voix était sérieuse, mais je voyais à ses yeux qu'elle se fichait de moi. Patiemment, j'expliquai :

— Dans les BD, les gens le traversent simplement, on ne le sent pas. C'est comme un rideau de fumée. Mais une fois qu'on l'a franchi, on peut voir tout ce qui se dissimule derrière.

— OK ! OK ! Allez, on y va et on en finit avec cette histoire !

Côte à côte, nous avancions lentement vers le terrain vide. Un pas, puis encore un autre.

Lucy ne cessait de répéter :

— N'importe quoi ! C'est vraiment n'im…

Soudain, elle s'arrêta net de parler.

Devant nous, le building venait d'apparaître.

— Ooooh !

Nous avions crié ensemble. Lucy me saisit le poignet ; ses mains étaient glacées. La porte vitrée était devant nous, ainsi que les murs brillants et rouges.

— Jimmy ! Tu… tu avais raison !

J'avalai ma salive. J'essayai de parler, mais ma bouche était toute sèche.

Lucy demanda d'une voix étranglée :

— Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?

Je ne pouvais toujours pas prononcer un mot.

La BD était donc réelle, complètement réelle. Est-ce que cela voulait dire que l'immeuble appartenait au Mutant Masqué ? Mon cœur battait à tout rompre.

Lucy s'impatientait. En plus, elle avait l'air vraiment effrayée.

— Alors ? Quoi maintenant ? On s'en va ? Je secouai la tête.

— Ah ! Non ! Pas question ! On entre !

— Entrer là-dedans ? Tu es fou ?

— On doit y aller ! Allez, viens !

Je pris une profonde respiration et poussai la porte. Nous étions à l'intérieur.