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Le bus était bondé. Je restai debout un moment, puis deux personnes descendirent et je pus enfin m'asseoir. Ainsi, je voyais bien les maisons et les jardins que nous longions.

De lourds nuages s'accumulaient au-dessus des toits, la première chute de neige de l'hiver ne tarderait pas. Le magasin de BD n'était pas loin. Je regardai ma montre pour voir si je pouvais m'y arrêter avant mon rendez-vous, mais non : pas le temps pour les BD aujourd'hui.

Une voix claire interrompit mes pensées :

— Eh ! Tu vas où Franklin ?

Je vis alors, à mes côtés, une fille, la chevelure rousse resserrée en une simple tresse. Ses yeux étaient verts et son nez ponctué de petites taches de rousseur. Elle portait un gros pull jaune, sur un jean délavé, et tenait son cartable sur ses genoux.

— Oui, j'y vais, répondis-je.

— Comment tu t'appelles ?

— Jim !

— Ça te va bien, je suis sûr que tu es le premier… en gym !

Je voyais bien qu'elle se moquait de moi. Mais sa blague me fit rire.

— Et toi, comment tu t'appelles ?

— Lucy Zacks. Où est-ce que tu vas exactement ?

Je ne voulais pas lui parler de mon appareil dentaire, aussi je lui répondis :

— Je vais chez Komics, le magasin de BD.

— Tu es amateur de BD ? Moi aussi !

J'étais surpris ; en général ce sont les garçons qui collectionnent les BD.

— Quel genre tu préfères ? Demandai-je.

— J'adore Harry et les grosses têtes !

— Beurk ! C'est pour les bébés, ce trac ! Ce n'est pas de la vraie BD, dis-je en faisant la grimace.

— Eh bien moi, je trouve que cette série est très amusante. Peut-être que tu ne la comprends pas ?

Je haussai les épaules tout en regardant par la fenêtre. Le ciel était devenu encore plus sombre.

— Et toi, tu collectionnes lesquelles ? m'interrogea-t-elle à son tour. Des histoires de super-héros ?

— Oui, et ma collection vaut au moins mille dollars, répondis-je avec fierté.

— Tu rêves ! Ricana-t-elle.

— Mais non ! Toi, tes histoires n'auront jamais aucune valeur. Même le numéro un n'en a pas. Tu ne pourras jamais en tirer plus de dix dollars.

— Pourquoi veux-tu que je les vende ? Je me fiche éperdument de leur prix, je les ai juste pour les lire.

— Alors, tu n'es pas une vraie collectionneuse !

— Et alors ? Ça change quoi ? Tu me désintègres ? On se mit à rire. Je ne pouvais encore dire si cette fille me plaisait, mais elle était mignonne et elle avait de l'humour.

Tout à coup, je réalisai que le car dépassait des magasins que je ne reconnaissais pas : j'avais raté ma station. Je me levai vivement et appuyai sur le bouton « Stop ». Le bus ne tarda pas à s'arrêter et, après avoir salué la jolie rousse, je me ruai dehors.

— Où est-ce que je peux bien être ? Murmurai-je en regardant autour de moi.

— Tu es perdu ?

Je me retournai et, à ma grande surprise, je m'aperçus que Lucy m'avait suivi hors du bus.

— Mais, qu'est-ce que tu fais ici ?

— C'est là que je descends. J'habite deux rues plus loin, expliqua-t-elle en me montrant une direction devant elle.

— Eh bien moi, il faut que je retourne en arrière, je suppose ! Grommelai-je en tournant la tête.

Mais, à ce moment-là, mon cœur s'arrêta de battre quelques secondes ; je n'en croyais pas mes yeux.

— Ce n'est pas possible ! Lâchai-je dans un souffle. Je venais de découvrir l'immeuble situé au coin de la rue. Un très grand immeuble de ciment rouge, avec un toit sphérique noir.

J'étais face au quartier général du Mutant Masqué.