Chapitre 38
À mon sens, les hôpitaux sont l’endroit au monde à éviter. Parce qu’on y meurt.
Dix heures après mon arrivée en ambulance, je me suis levée. J’ai enfilé les survêtements que Charbonneau m’avait donnés la nuit d’avant et je me suis tirée.
Comment ça ? En franchissant la porte, tout bonnement et simplement. Comme Annick et Tawny. Facile comme bonjour.
Sauf que j’ai laissé un mot d’adieu au personnel soignant, le dégageant de toute responsabilité. Et ça, ça a été le plus dur de tout, vu que j’avais les deux mains bandées.
Un taxi m’a ramenée chez moi en dix minutes. Vingt minutes plus tard, j’avais Ryan au bout du fil.
— Tu es folle ?
— Je n’ai que des brûlures légères et une bosse. Tes compatriotes qui viennent chez nous dans le Sud ont souvent des coups de soleil bien plus graves.
— Tu as besoin de repos.
— Je dormirai mieux ici.
— Ta complice a fait une fugue, elle aussi ?
Le sourire qui a étiré mes lèvres m’a donné l’impression qu’un shrapnel me griffait le visage.
— Elle ne souffre que d’un choc. Elle peut prendre l’avion sans danger.
— C’est évidemment elle, le cerveau de l’organisation.
— Elle quittera l’hôpital demain. Et vendredi, nous partons pour Charlotte.
— Où l’hiver est considéré comme un léger désagrément.
— Pas de mitaines et pas de neige à déblayer.
— Elle a vraiment joué la fille qui entre au couvent ?
— Elle avait besoin de solitude. Et d’un endroit bon marché. Le couvent propose des chambres propres, des repas acceptables et toute la solitude qu’on peut souhaiter.
Rembobinage des souvenirs : le grésil sur mon dos, le verglas sous mon ventre, les flammes devant mes yeux. Charbonneau aboyant des ordres, Claudel me couvrant avec quelque chose de chaud et de doux.
— Des nouvelles d’Annick ? ai-je demandé.
— Elle n’ira pas loin.
— Elle est peut-être déjà en Ontario, à cette heure. Ou de l’autre côté de la frontière.
— On a découvert un vieux scooter dans le hangar. Ce devait être son principal moyen de transport.
— À ton avis, comment est-ce qu’elle a réussi à faire sortir Tawny de l’hôpital et à l’emmener à Pointe-Saint-Charles ?
— En taxi. En autobus. En métro. Sur le pouce.
— Et où est Tawny, maintenant ?
— Toujours à l’hôpital.
— Quoi de neuf, rue de Sébastopol ?
— La SIJ a découvert un deuxième faux mur dans la cave.
— Et c’est là qu’Annick avait caché Tawny pendant la fouille de la maison ?
— Probablement. On y a retrouvé l’ordinateur d’Anne et son appareil photo.
— C’est Annick Pomerleau qui a saccagé mon appartement ?
— On dirait bien. Peut-être aidée de Catts.
— Pour m’effrayer ? Pour que j’abandonne les recherches sur les ossements trouvés dans la cave de la pizzeria ?
— C’est ce que je dirais. Elle a dû voir l’ordinateur et l’appareil photo pendant qu’elle bousillait tout et se dire que c’était les tiens. Qu’ils contenaient peut-être des preuves concernant les squelettes. Elle nous dira ça quand on l’aura attrapée.
— Comment a-t-elle pu savoir mon adresse ?
— Grâce à La Presse. Ta binette et l’endroit où tu travailles sont connus de tout le monde. Elle avait un scooter. Elle a pu t’attendre devant l’Édifice Wilfrid-Derome, te suivre jusque chez toi et voir quelles lumières s’allumaient dans l’immeuble.
— Je crois qu’elle a la phobie des miroirs.
— Cette dame a des problèmes nettement plus graves qu’une phobie.
— Plutôt rusée, sa façon de nous mettre sur la mauvaise route.
— Tu t’attaches un collier de chien, tu te mets à poil et tu joues la victime.
— Je l’ai crue, Ryan. Quand je l’ai vue dans ce cachot, j’en ai presque pleuré.
— On s’est tous fait avoir. Tu as reçu mon bouquet ?
Je me suis retournée. Le « bouquet » qui trônait sur la table de la salle à manger était plus grand que la ville de Laramie, dans le Wyoming.
— Il est superbe. Je vais devoir demander à Hydro-Québec de m’ajouter une canalisation.
Je sentais mes forces diminuer. Ryan a perçu ma fatigue.
— Claudel et Charbonneau ont bien des choses à te dire, dès que tu te sentiras en état de les entendre. Pour l’instant, mange quelque chose, débranche ton téléphone et couche-toi, hot stuff.
C’est ce que j’ai fait. Et j’ai dormi jusqu’au milieu de l’après-midi.
Au réveil, j’étais prête à affronter tous les événements qui pointeraient à l’horizon. Je me sentais pleine de pep. Revigorée. Débordante d’une vitalité toute-puissante. Capable de marcher sur les eaux.
Jusqu’à ce que j’aperçoive ma binette dans le miroir.
Le teint brouillé, le visage couvert d’écorchures, les cheveux brûlés. De ma frange et de mes mèches, il ne restait que des pointes hérissées et frisottées au bout.
Une douche n’a pas changé grand-chose à la situation. Et le maquillage n’a rien amélioré.
— Merde !
J’ai imaginé la réaction de Katy, vendredi. Je me suis représenté Claudel et son côté couverture de magazine.
J’ai refait les bandages de mes mains et je suis partie pour le SPVM.
— Le sergent-détective Charbonneau ou Claudel, s’il vous plaît ?, ai-je demandé au réceptionniste à l’entrée.
— La nuit a été mouvementée ? a-t-il demandé en anglais, le visage impénétrable.
— Un vrai bonheur !
Je me suis revue en petite tenue, le cul comme la lune dans la nuit. Génial ! Il n’y avait pas de mots pour ça. Mes collègues masculins qui ruaient dans les brancards du politically correct allaient avoir de quoi se moquer.
Charbonneau est descendu pour me faire passer la sécurité. Après m’avoir demandé comment je me sentais, il m’a emmenée à la salle de l’escouade, en regardant droit devant lui.
Sifflements et applaudissements ont salué mon entrée.
Le sergent-détective Alain Tibo a dégagé un sac de dessous son bureau et s’est avancé vers moi. Il avait tout du bouledogue dans un film de Disney. Sachant que c’était le clown du peloton, je me suis attendue au pire.
— Vous savez qu’on n’est pas à Dixie, doc. Il fait frisquet par chez nous. On a donc raclé nos fonds de tiroirs pour vous offrir une tenue adéquate.
Dans un geste solennel, il m’a remis son paquet.
Un sweat-shirt bleu avec un texte en rouge cerise :
Rien de pire que le mauvais temps, sauf les tenues mal adaptées.
Dicton du vieux pêcheur écossais
En dessous était dessinée une femme en train de faire un bonhomme de neige en plein blizzard. Elle avait les cheveux orange et la peau rose vif. Le bonhomme portait un chapeau ; la femme, des talons aiguilles, un slip et un soutien-gorge. J’ai levé les yeux au ciel. Ayant fourré le cadeau dans son sac, j’ai slalomé entre les bureaux à la suite de Charbonneau vers la table de Claudel, évitant poubelles et crocs-en-jambe.
— Si Claudel vous fait payer le manteau, refilez la note au capitaine, a lancé une voix dans mon dos.
— La peau de léopard, c’est pour le mardi, doc ? a insisté Tibo.
— Paraît que le mercredi, c’est les dessins de cirque, a renchéri un autre.
J’ai regardé Charbonneau en levant ce qui me restait de sourcils. Il a voulu dire quelque chose, Tibo l’a coupé.
— Vous inquiétez pas pour Claudel, doc. Il a reçu toute une boîte de boxer-shorts avec des petits visages souriants. Ça lui fera rire le cul pendant que le reste boude.
Claudel s’est levé, un dossier à la main. Nous nous sommes dirigés tous les trois vers une salle de réunion.
— Ma culotte a été hissée au rang de pièce à conviction, à ce que je vois.
Ma voix aurait pu tenir au froid de la crème glacée pendant toute une semaine.
— On ne peut pas empêcher le bouche-à-oreille, a rétorqué Claudel.
— En effet !
— On n’y est pour rien, nous ! a ajouté Charbonneau. Je vous le jure devant Dieu, doc.
Bizarrement, je l’ai cru.
Nous nous sommes installés autour d’une table vétusté, comme on en trouve dans toutes les administrations.
— Je conclus, de votre présence ici, que vous vous sentez mieux, a déclaré Claudel.
— Oui.
Ainsi il avait sacrifié pour moi son pardessus en cachemire ? Ça méritait un merci.
Il l’a accepté d’un hochement de tête.
Un ange est passé. J’ai demandé :
— Menard est mort ?
Nouvel hochement de tête de Claudel.
— Vous en êtes sûr ?
Il m’a tendu une photo prise dans son dossier.
— Trouvée chez Menard, dans le Vermont.
Une photo d’amateur en noir et blanc, mal cadrée et développée sans talent. Elle avait perdu de sa netteté, mais on distinguait parfaitement ce qu’elle représentait : un homme grand et mince gisant dans une tombe, les genoux pliés, les poignets attachés aux chevilles. Menard sans aucun doute, même si les affres de la mort tordaient ses traits.
J’ai retourné la photo. Au dos était écrit en majuscules : S.M., suivi d’une date : 85-9-26.
— Catts a tué Menard en Californie en septembre 1985, et il a conservé la photo du cadavre ?
— Le shérif va faire fouiller sa vieille roulotte, a dit Claudel.
— Angela Robinson a disparu en octobre 85, ai-je repris. D’après des voisins, Menard est revenu dans le Vermont en janvier 86.
— Sauf que ce n’était pas Menard, est intervenu Charbonneau en se penchant en avant, les deux bras en appui sur la table. Nous pensons que c’est le battage fait par les médias autour de l’affaire Cameron Hooker-Colleen Stan qui a inspiré à Catts l’idée de sa petite collection d’horreurs. À l’époque, la presse en beurrait épais à propos de la fille dans la boîte. Ce salaud habitait Yuba City, juste à côté de Red Bluff.
— C’est vers cette époque que Catts s’est lié avec Stephen Menard, l’a interrompu Claudel. Il n’a pas voulu répéter l’erreur de Hooker en restant près du lieu des tortures. La ferme du Vermont lui a paru l’endroit idéal pour mettre en scène ce qui lui passait par la tête. Il a donc tué Menard et, après, a attendu sa proie.
— Angie Robinson, ai-je dit.
— Oui, il l’a enlevée et emmenée avec lui, a poursuivi Claudel. Une fois là-bas, il a exploité sa ressemblance avec Menard.
— Je vois. Il s’est fait pousser les cheveux et une barbe d’un roux flamboyant, et il a évité de se mêler aux gens du coin.
— Vous avez tout compris, m’a dit Charbonneau en secouant son doigt en l’air.
Il s’est laissé retomber sur son dossier.
— Mais pourquoi quitter le Vermont ? ai-je demandé.
— Peut-être que ça commençait à sentir le roussi pour lui, a émis Claudel. Il devait y avoir des gens qui connaissaient le vrai Menard. Ou peut-être qu’Angie Robinson est morte.
— Selon mes calculs, elle a vécu à peu près jusqu’à l’âge de dix-huit ans. Ce qui nous mène en 1988, l’année où sont morts les grands-parents Corneau.
— Va falloir qu’on regarde de ce côté-là aussi, a réagi Charbonneau.
— Peut-être que Catts aimait bien l’idée de vivre dans un pays sans peine de mort, a suggéré Claudel. Il s’est peut-être dit qu’on le retrouverait moins facilement de l’autre côté de la frontière. Que personne ne connaissait Menard à Montréal. Quelles qu’aient été ses raisons, toujours est-il qu’il a mis les voiles vers le nord.
— Avec Angie, ai-je ajouté. Morte ou vive.
— Le gros malin arrive à tromper son monde, se fait passer pour francophone, change son nom en Stéphane Ménard, loue le local appartenant à Cyr et ouvre un commerce pareil à celui qu’il avait à Yuba City, a résumé Charbonneau.
— Objets de collection, ai-je dit.
— Tout un collectionneur, l’enfant de chienne !
Claudel m’a fait passer une seconde photo, manifestement prise sur les lieux d’un crime, à en juger d’après l’étiquette de la SIJ l’identifiant.
L’objet au centre de l’image était une planche recouverte d’un feutre. Y étaient exposées trois oreilles humaines montées à la façon des insectes : étirées et maintenues dans cette position à l’aide d’épingles. Deux oreilles entières, la troisième incomplète.
Mon estomac m’a renvoyé un goût acide.
— Ce tordu conservait des morceaux du corps de ses victimes, a expliqué Charbonneau.
Je me suis rappelé les traces de découpe sur les crânes.
— L’idée de garder des souvenirs a pu lui venir d’Annick.
— Ah ouais ?
J’ai désigné l’oreille incomplète.
— Sur le crâne d’Angie Robinson, l’oreille a été retirée longtemps après la mort. Quand les os étaient complètement desséchés. Sur les autres crânes, les oreilles ont été retirées alors que l’os était frais. Autrement dit, ce n’est pas une chose que Catts a pratiquée dès le début.
— Vous pouvez dire ça d’après les traces de découpe ?
J’ai hoché la tête et dégluti.
— Neuf ans séparent les enlèvements d’Annick et de Tawny. Je crois que pendant cette période l’équilibre des forces est passé du ravisseur à la captive.
— Le syndrome de Stockholm à l’envers, a fait Charbonneau en passant la main dans ses cheveux.
— Patty Hearst a été tenue enfermée à clef dans un placard pendant huit semaines, ai-je rappelé. Colleen Stan, sept ans dans sa boîte. Annick Pomerleau a été enlevée en 1990. Elle n’avait que quinze ans à l’époque.
Le silence est tombé. À combien d’horreurs avait-elle pu assister ou participer, sur une aussi longue période de temps ?
C’est Claudel qui a repris la parole le premier.
— Annick a été torturée. Elle a peut-être suggéré à Catts une autre victime. Pour lui faire plaisir.
— Ou peut-être que c’était l’idée de Catts, de se trouver de la chair fraîche, a objecté Charbonneau. Peut-être qu’il avait envie d’accroître sa collection et qu’Annick a vu dans la nouvelle venue le moyen de s’élever sur la chaîne alimentaire. En torturant Tawny, elle faisait plaisir à Catts. Petit à petit, elle y a pris goût, elle aussi.
— De soumise, elle est passée dominatrice, ai-je dit. Annick et Catts se sont fondus l’un dans l’autre.
Comme Homolka et Bernardo, ai-je pensé. Et j’ai ajouté tout haut :
— Entre Annick et Tawny, Catts a enlevé au moins deux autres filles. Des filles d’ici, à en croire le test au strontium.
— Vous pouvez être sûre que nous finirons bien par savoir leurs noms, a promis Claudel d’une voix dure.
— J’ai une question, doc, a lancé Charbonneau en se penchant de nouveau sur la table. Angie Robinson, c’était bien la première fille enlevée par Catts ? Alors pourquoi est-ce que c’est sur ses ossements à elle qu’il y avait cette matière qu’on trouve dans les tombes, et pas sur les autres ?
Je m’étais déjà posé cette question.
— L’acide tannique du cuir agit en tant que protecteur, il modifie le temps de décomposition. Et puis, Angie a pu être enterrée ailleurs au début, dans un endroit plus humide que cette cave.
— C’est ce qu’on s’était dit, a-t-il repris en désignant Claudel du menton. On s’est dit qu’elle avait dû mourir dans le Vermont, que Catts l’avait enterrée là-bas et qu’il était revenu plus tard chercher son cadavre. On s’est drôlement creusé la cervelle pour essayer de comprendre pourquoi il s’était donné tout ce mal. L’oreille, là, ça pourrait être le chaînon manquant.
— Vous voulez dire que Catts serait retourné chercher l’oreille et aurait rapporté le corps entier à Montréal ? Mais pourquoi ?
— Peut-être qu’il se sentait plus en sécurité en la sachant sous ses pieds.
— Sauf que Cyr l’a mis à la porte en 1998. Si Catts avait déjà déterré une fois Angie Robinson, pourquoi l’a-t-il laissée derrière lui dans ce bâtiment, avec les deux autres filles ?
Charbonneau a haussé les épaules.
— Il avait fait du chemin depuis son premier kidnapping en 1985. Peut-être qu’il en était venu à se croire invincible. Et puis, où est-ce qu’il aurait enterré des corps ailleurs ? Il ne pouvait pas creuser des tombes au beau milieu du jardin de la maison des grands-parents Corneau.
— Oui... Et sa cave était déjà occupée, ai-je dit sur un ton amer.
Il y a eu un moment de silence pendant que nous réfléchissions à cette question. C’est moi qui l’ai rompu.
— À votre avis, quelle est la fille que Louise Parent a aperçue ?
— Annick. Ou une autre, a dit Charbonneau. Peut-être que Catts gardait les filles prisonnières sous son commerce pendant qu’il préparait un endroit pour elles à Pointe-Saint-Charles.
— Annick a avoué qu’elle avait tué Louise Parent, ai-je déclaré.
— Elle est dans le coup jusqu’aux yeux, c’est clair comme de l’eau de roche. La SIJ a retrouvé l’adresse de Rose Fisher dans la cave de la rue de Sébastopol. Mais le meurtre de Louise Parent a pu être programmé à l’instigation de Catts. Il a probablement dit à Annick que la vieille dame l’avait aperçu avec des captives. Ils devaient l’avoir à l’œil.
Quand les corps ont été découverts, ils se seront imaginés qu’ils devaient agir avant qu’elle ne le fasse.
Charbonneau a secoué la tête et ajouté :
— C’est ironique, quand même, que la cave où ils cachaient tout, rue de Sébastopol, soit le seul endroit épargné par l’incendie.
— C’est peut-être la raison pour laquelle Annick n’y a pas enfermé votre amie, a déclaré Claudel. Elle a dû vouloir descendre Mme Turnip à la cave et changer d’avis en chemin. Se dire que le feu risquait de ne pas se propager aussi loin.
— Ou peut-être qu’elle en a eu assez de la porter.
J’ai senti mes doigts se serrer en poings.
— Pour les boutons, vous aviez vu juste, a brusquement déclaré Claudel en me regardant droit dans les yeux. Ils n’ont rien à voir avec les corps. Ils ont dû tomber de la poche de Catts pendant qu’il était à la cave.
Le fait d’avoir raison ne m’a procuré aucune satisfaction. Ça a seulement augmenté mon chagrin.
Et mon épuisement.
J’ai eu l’impression de n’être qu’une vieille chaussette.
J’ai allongé les mains et croisé les doigts. Il me manquait une dernière réponse.
— Quand avez-vous su que j’étais allée rue de Sébastopol ?
— Sur la route, en rentrant du Vermont, a dit Charbonneau. Nous savions, grâce à la photo, que le vrai Menard était mort, tué par Catts. Nous savions qu’Annick et Tawny avaient disparu. Nous savions que Catts était mort. De retour au quartier général, on a trouvé un rapport comme quoi le pistolet supposément utilisé par Catts pour se faire sauter le ciboulot portait les empreintes d’Annick.
— Et pas les siennes, ai-je terminé pour lui.
— Ouais. Doc LaManche avait dit qu’il n’avait pas de trace de poudre sur les doigts. On s’est rappelé ce que vous nous aviez dit sur le lavage de cerveau. On a fait 2 et 2, et on s’est grouillé le cul, rue de Sébastopol, en pariant qu’on arriverait avant que vous ne regrettiez amèrement d’avoir retrouvé Annick.
— Merci.
— Je n’ai fait que mon devoir, ma’am, a grimacé Charbonneau.
Je me suis tournée vers Claudel.
— Merci, détective. Et je suis vraiment désolée pour votre manteau.
Claudel a hoché la tête.
— Vous avez fait preuve de beaucoup de ressource et de courage.
— Merci encore. À tous les deux.
Nous nous sommes levés en chœur. J’ai fait un pas en direction de la porte.
— Dr Brennan ?
Je me suis retournée.
Les coins de la bouche de Claudel esquissait quelque chose qui se voulait un sourire.
— Jusqu’à l’autre jour, je n’avais jamais spécialement admiré la peau de léopard. Vous m’en avez fait découvrir la beauté cachée.