14

À l’extérieur du restaurant, le sergent Feng se sentait mal à l’aise, coincé entre deux nœuds.

— Camarade Shan ! s’exclama Li Aidang depuis une berline gris foncé garée contre le trottoir opposé.

L’adjoint du procureur ouvrit la portière et fit signe à Shan de monter.

— Je pensais que nous pourrions peut-être bavarder un peu. Vous savez. Comme deux collègues sur la même affaire.

— Vous êtes donc revenu sain et sauf. Le Kham est une région tellement imprévisible, dit sèchement Shan.

Il hésita devant le regard sans conviction de Feng avant de se glisser sur la banquette arrière près de Li.

— Nous l’avons trouvé, vous savez, annonça Li.

Par un effort de volonté, Shan parvint à ne pas mordre à l’appât.

— Nous avons persuadé un clan de la vallée de nous dire où se trouvait son campement.

— Persuadé ?

— Il faut peu de chose, dit l’adjoint du procureur avec suffisance. Un hélicoptère, un uniforme. Quelques-uns des anciens se sont contentés de gémir. Nous avons appris où il fallait chercher, mais à notre arrivée, ils étaient partis. Les cendres du feu étaient encore chaudes. Pas une trace. Comme si on les avait avertis, ajouta-t-il sans le quitter des yeux.

— J’ai remarqué quelque chose à propos des nomades, répondit Shan en haussant les épaules. Ils ont tendance à bouger.

Un des nœuds claqua la portière, s’installa au volant et démarra. Shan se retourna et vit par la lunette arrière le soldat restant se poster devant la portière de leur propre camion, bloquant le passage au sergent Feng.

Une silhouette un peu vague sur le siège avant se retourna vers Shan sans prononcer un mot.

— Vous vous souvenez du commandant ? dit Li.

— Commandant Yang, je crois, répondit Shan. Gardien de la Sécurité publique.

— Exactement, confirma Li laconiquement.

En guise de salut, l’officier lui offrit une grimace qui plissa un côté de son visage, puis reprit sa position.

Ils sortirent rapidement de la ville, en se frayant un chemin à coups d’avertisseurs pour écarter les piétons sur leur passage ou les véhicules qui osaient s’approcher. Dix minutes plus tard, ils pénétraient dans une forêt aux arbres à feuilles persistantes, dans une petite vallée, à cinq kilomètres de la route principale. Alors qu’ils franchissaient les ruines du mur d’un antique mausolée mani, les arbres commencèrent à prendre une apparence plus soignée. On les avait taillés. Des fleurs de printemps s’épanouissaient au long de la route, jouxtant le bas-côté en gravier ratissé. Ils passèrent un autre mur, plus haut que le premier, et entrèrent dans la cour d’un très ancien gompa, avec une tour en pierres et en briques grises et un petit chorten, grand comme deux fois un homme, sur le côté opposé. Celle-ci était délimitée par des dalles fraîchement posées. On était en train de repeindre les murs replâtrés. Une collection de statues de Bouddha et autres personnages religieux s’alignait contre un mur, certaines lui faisant face, d’autres franchement de guingois, d’autres encore en appui l’une contre l’autre. Shan eut le sentiment de visiter une villa de gens aisés laissée un peu à l’abandon. Un léger arôme de pivoines traversa la cour lorsqu’ils sortirent de la voiture.

Le commandant disparut derrière un portail imposant. Li conduisit Shan dans l’antichambre de la salle de réunions, alluma une ampoule électrique et indiqua une table de bois mal équarri entourée de tabourets. Shan examina le câblage électrique : il était neuf. Rares étaient les gompas reculés à disposer de l’électricité. Li embrassa la pièce d’un large geste.

— Nous avons fait ce que nous avons pu pour préserver cet endroit, annonça-t-il avec une prétendue humilité. Il faut toujours se battre, vous savez.

Le sol avait conservé son planchéiage d’origine, taillé à la main des siècles auparavant. Il était grêlé de brûlures de cigarettes.

— Il n’y a pas de moines ici.

— Il y en aura.

Li arpentait la salle avec l’expression du propriétaire inspectant son local. Sur des patères au mur intérieur, des robes avaient été disposées pour donner l’illusion d’un gompa habité.

— Le directeur Wen s’occupe de tout. Un arrêt pour les Américains. Quelques reconstitutions. On les laissera allumer des lampes à beurre et un peu d’encens.

— Des reconstitutions ?

— Des cérémonies. Pour l’atmosphère.

Li sélectionna une des robes, une pièce d’antiquité, un modèle de cérémonie avec brocarts d’or et panneaux de soie dépeignant nuages et étoiles. Il ôta sa veste de costume et, avec un grand sourire, noua la robe, en en caressant les manches d’un air satisfait pendant qu’il poursuivait :

— Nous finalisons les choses. Encore quelques jours avant leur arrivée.

Il se pavana, fier comme un paon, en essayant d’apercevoir son reflet dans les petites vitres de la fenêtre.

— Pour quelques dollars de supplément, nous laisserons les Américains enfiler les robes et faire tourner les moulins à prières. Des bandes-son de mantras seront diffusées en fond sonore. Pour quelques dollars de plus, nous offrirons un cours d’une heure sur la méthode à suivre pour méditer comme un bouddhiste.

— Un parc d’attractions bouddhistes, en quelque sorte.

— Précisément ! Nous pensons vraiment de la même manière ! s’exclama Li avant de se reprendre. C’est la raison pour laquelle il fallait que je vous parle, camarade. J’ai un aveu à vous faire. Je ne me suis pas montré complètement franc avec vous. Mais je m’y trouve obligé maintenant, vous devez comprendre certaines choses. Je mène une autre enquête, parallèle, mais sans rapport direct avec le meurtre du procureur. Beaucoup plus importante. Et vous n’avez pas la moindre idée des conséquences de votre attitude. Les dégâts pourraient être considérables. En vous comportant comme vous le faites, vous nous rendez la tâche bien difficile.

— Difficile ?

— Parce qu’il nous est quasiment impossible de faire ce qu’il faut. Vous n’êtes pas dans votre élément. On se sert de vous.

— Je ne comprends pas bien, répliqua Shan en examinant les babioles sur une étagère derrière une table. Faire ce qu’il faut. Qu’entendez-vous par là exactement ?

C’était de petites figurines en céramique représentant des yacks et des léopards des neiges, et sur toute une rangée des bouddhas musclés arborant des drapeaux chinois.

Li s’installa sur un tabouret à côté de Shan, sans se soucier des coutures de l’antique robe qui craquèrent aux épaules lorsqu’il s’assit.

— Tan peut jouer à faire semblant autant qu’il le désire. Sa position lui permet un tel luxe. Mais vous. Vous ne pouvez pas vous le permettre. Je suis désolé. Nous devons être francs. Vous êtes prisonnier. Vous étiez prisonnier. Vous resterez prisonnier. Ni vous ni moi ne pouvons changer cet état de fait.

— Procureur adjoint Li. J’ai perdu toute capacité de feindre il y a bien longtemps.

Li rit et alluma une cigarette.

— Retournez à la 404e, déclara-t-il brutalement.

— Ce n’est pas en mon pouvoir.

— Joignez-vous à la grève. Nous pouvons vous laisser la résoudre et y mettre un terme. Vous serez le grand héros. Ce sera porté à votre dossier. Et vous sauverez peut-être beaucoup de vies.

— Qu’êtes-vous exactement en train de me proposer ?

— Nous pouvons réaffecter les troupes.

— Vous voulez dire que vous rappellerez les nœuds si j’arrête mon enquête ?

Li s’avança vers l’étagère chargée des articles fantaisie en céramique. Il prit un des bouddhas et souffla dans la base de la statuette. De la fumée sortit des yeux.

— Cela résoudrait des tas de problèmes, lança-t-il.

— Vous n’avez pas expliqué pourquoi.

— Il est évident qu’il ne m’est pas permis de vous révéler certaines choses.

— Donc, si je comprends bien, vous m’avez fait venir ici pour me dire que vous n’alliez rien me dire.

Li revint au côté de Shan et lui tapota le dos.

— J’aime bien votre sens de l’humour. On voit tout de suite que vous venez de Pékin. Un jour, qui sait ? Vous pourriez bien avoir votre place parmi nous. Je vous ai amené ici pour vous sauver. Le commandant et moi essayons de trouver le moyen de nous montrer généreux. Il y a déjà eu trop de victimes. Nul besoin que vous soyez blessé plus que vous ne l’avez été. Si le ministre Qin à Pékin veut vous voir au lao gai, cela ne concerne que lui et vous. Mais Qin est très âgé. Un jour il se peut que vous ayez une seconde chance. Vous êtes quelqu’un d’intelligent. De sensible. Un jour, vous serez à nouveau utile au peuple. Mais pas si vous restez avec le colonel Tan. C’est un homme très dangereux.

— Je ne suis aucunement un danger pour le colonel.

— Tan vous manipule. Il croit pouvoir ignorer les procédures d’État. Avez-vous réfléchi aux raisons pour lesquelles il évite le bureau du procureur ?

Shan ne répondit pas.

— Ou aux raisons pour lesquelles il vous fait travailler avec des gens indignes de confiance ?

— Indignes de confiance ?

— Des sources de renseignements discréditées. Comme le Dr Sung.

— Je respecte le savoir médical du Dr Sung.

Li haussa les épaules.

— C’est exactement ce que je vous explique. Vous ne savez rien des problèmes de cette femme. Ni de ses préjugés. On lui a refusé son retour au pays, une procédure de mutation tout à fait normale, pour négligence dans l’exercice de sa charge.

— Négligence ?

— Elle est partie une semaine de sa propre autorité pour traiter des patients non autorisés.

— Des patients non autorisés ?

— Une école en haute montagne. Très loin de tout. Oubliée de tout le monde à Lhassa. Des gamins qui se mouraient de quelque chose. Ils attrapent des trucs là-haut, des maladies qui ont disparu dans le reste du monde.

— Donc le docteur a été puni pour avoir aidé des enfants qui se mouraient ?

— Ce n’est pas cela qui est important. La procédure exigée par l’État veut que les parents de ces enfants amènent leur progéniture à la clinique. Le Dr Sung a abandonné des patients importants à la clinique. Certains étaient membres du Parti. Elle ne rentrera donc pas chez elle. Pas avant très très longtemps.

— Et j’imagine que sa carrière n’évoluera pas si elle reste.

Shan fut tenté de demander à quel moment la doctoresse avait commis cette imprudence. Elle avait été invitée à dîner par le syndicat Bei Da avant de s’en voir refuser une carte de membre. Il se souvint de sa nervosité inquiète quand elle lui avait récité les dogmes du Parti sur l’infériorité des minorités tibétaines et sur la manière de traiter les patients non productifs des montagnes. Des paroles droit sorties d’une séance de tamzing.

— Vous comprenez, poursuivit Li sur un ton de gratitude factice. Vous me placez dans une position délicate, camarade Shan. Vous voulez que je vous fasse confiance, n’est-ce pas ?

Shan ne répondit pas.

— Ceci est tout à fait non orthodoxe. Le bureau du procureur qui se confie à un criminel condamné !

— Je n’ai jamais eu de procès, si cela peut vous aider, objecta Shan.

Li haussa les sourcils et hocha lentement la tête.

— Oui, camarade, c’est un point important. Vous n’êtes pas un condamné qui a été jugé et reconnu coupable. Vous êtes simplement en détention.

Il alluma une nouvelle cigarette au mégot de la première.

— Très bien. Il faut que vous soyez mis au courant. Une enquête anticorruption est en cours. La plus importante qui ait jamais été menée au Tibet. Nous en avions pratiquement terminé et Jao était sur le point de remettre ses conclusions. Nous pourrons passer bientôt à l’action. Mais vous allez les faire fuir.

— Donc Jao a été tué par un suspect dans une enquête anticorruption ? demanda Shan.

Ce serait une solution parfaitement équilibrée. Le genre de conclusion qui satisferait le ministère de la Justice.

— Pas exactement. C’est juste que ce Sungpo, le moine hooligan, n’avait aucune idée des conséquences de son acte. Jao disparu, l’affaire anticorruption a volé en éclats. Ne restaient que des morceaux que nous avons dû reconstituer pour tout rebâtir. Il faut maintenant que nous allions jusqu’au bout. Pour Jao. Nous lui devons bien cela. Et nous le devons également au peuple. Mais là où vous passez, vous soulevez beaucoup trop de poussière et vous commencez à effrayer nos suspects. Vous allez ruiner toute l’enquête.

— Si vous êtes en train de m’annoncer que le procureur Jao allait arrêter le colonel Tan, en ce cas, Tan avait plus de raisons que quiconque de tuer Jao. Accusez-le du meurtre et Sungpo sera relâché. Les nœuds peuvent être déconsignés de la 404e. Voilà une solution.

— Donnez-moi des preuves.

— Contre le colonel Tan ? À vous entendre je croyais que vous les aviez déjà, ces preuves.

— Vous pourriez avoir des raisons de fêter la disparition de la vieille garde. C’est une hypothèse tout à fait concevable.

— J’ai une nette préférence pour les disparitions dues à des causes naturelles, rétorqua Shan.

— Vous ne croyez quand même pas que Tan irait jusqu’à vous protéger ?

— On m’a libéré de la nécessité de me faire du souci pour ma protection. J’ai été confié aux bons soins et à la garde de l’État.

Un rictus de mépris commença à se dessiner sur le visage de Li.

— Vous êtes son garant. Son filet de sécurité. Si vous échouez à monter un dossier qui se tienne, il en fabriquera un. Il aura son propre dossier de l’affaire même si vous ne bouclez pas le vôtre. Toutes vos actions peuvent être analysées et interprétées comme autant d’efforts pour protéger les radicaux. L’obstruction à la justice est en soi une accusation passible du lao gai. Je vous l’ai dit. Je me suis renseigné sur vous. Vous avez été choisi parce que, par définition, vous êtes coupable. Et non indispensable. Susceptible de passer aux profits et pertes.

De tout ce qu’avait raconté Li, c’était la seule chose que Shan croyait. Il regarda ses doigts se mettre en mouvement, apparemment de leur propre volonté, et former une mudra. Le Diamant de l’Esprit.

— Personne ne vous défendra. Personne ne clamera que Shan est un prisonnier modèle, un travailleur héros. Tan ne peut même pas se permettre d’inscrire votre nom au bas du rapport. Vous n’existez pas. Donc il n’est pas indispensable que vous soyez aussi une victime.

Jamais encore Li n’avait été aussi près d’exprimer sa menace en termes clairs.

Shan étudia sa mudra.

— Cet endroit, déclara-t-il avec un accès soudain de lucidité en balayant la pièce du regard, est le syndicat Bei Da.

Derrière lui, Shan sentit Li sursauter.

— C’est un ancien gompa. Il a de multiples fonctions.

— J’ai vu une liste de gompas autorisés à reconstruire. Celui-ci n’en faisait pas partie.

— Camarade. J’ai peur pour vous. Vous refusez d’écouter ceux qui veulent vous aider.

— Est-ce que ce gompa a un permis ?

Li soupira en ôtant la robe de cérémonie qu’il balança sur un tabouret.

— Il a été classé comme centre d’exposition par les Affaires religieuses. Il n’a pas besoin de permis.

— J’admire votre capacité à tout pouvoir réconcilier aussi facilement, continua Shan en levant les mains en signe de frustration. Pour moi, tout cela prête tellement à confusion. Si un groupe payé par Pékin se réunit pour discuter de l’éducation du peuple, il s’agit de socialisme à l’œuvre. Mais si des gens vêtus de robes rouges font de même, cela devient une activité culturelle non autorisée.

Li examina Shan avec une attention extrême. Les deux hommes avaient conscience que la partie qui se jouait devenait dangereuse.

— Vous avez perdu le contact avec la réalité, camarade. Beaucoup de progrès ont été faits dans la définition de la discipline socialiste concernant les relations ethniques.

— Je ne dispose pas de l’avantage de votre formation, reconnut Shan en se levant pour se diriger vers la porte.

— Où allez-vous ? interrogea Li, agacé.

— Le soleil est en train de sortir des nuages.

Avant que Li ait pu protester, Shan s’avançait dans la cour.

Une camionnette était arrivée, portant les insignes du bureau des Affaires religieuses. Des ouvriers disposaient des bancs sur un côté de la cour, comme pour une conférence. Ils suivaient les directives de la jeune femme que Shan avait rencontrée au bureau du directeur Wen – Mlle Taring, l’archiviste.

À l’instant où il l’aperçut, Shan comprit. Dans leur refuge souterrain, les purbas avaient dit qu’ils étaient au courant de la discussion entre Shan et le directeur Wen à propos du costume. Une seule personne avait pu les renseigner : Mlle Taring qui avait parlé aux purbas, à moins qu’elle ne fût purba elle-même. Il l’observa comme s’il la voyait pour la première fois. Avec sa chevelure nouée en chignon serré sur l’arrière de la tête, et son chemisier blanc sur une longue jupe sombre, elle avait l’allure très professionnelle de la travailleuse modèle. Elle s’interrompit, salua les deux hommes d’un signe de tête et se détourna lentement quand elle surprit le regard de Shan posé sur elle. Elle pivota, mains dans le dos, et commença à donner ses ordres aux ouvriers. Shan s’apprêtait à continuer son chemin quand il vit les doigts bouger : les phalanges se serrèrent en poings, les pouces face à face à quarante-cinq degrés, se touchant presque. Il reconnut la mudra d’offrande : Aloke. Les lampes pour éclairer le monde.

Mlle Taring ne tint la mudra qu’un instant pour s’avancer vers le fond de la cour et s’arrêter à côté d’une des gigantesques têtes de Bouddha, en se tournant de biais vers une chose que Shan ne pouvait voir. Un instant déconcerté, il se dirigea vers la jeune femme, qui repartit sans l’attendre. À aucun moment, elle n’avait fait mine de l’avoir reconnu. Il se plaça à l’endroit où elle s’était tenue et essaya de comprendre : on était en train de combler par un mur de briques un espace vide entre les bâtiments. Le travail n’était pas terminé, et au-delà du mur inachevé Shan aperçut une élégante cour. Un homme vêtu d’une tenue de serveur portait un plateau chargé de grands verres. Une vaste baignoire en bois pleine d’eau fumante était en partie encastrée dans le sol. Deux minces jeunes femmes en bikini y pénétraient.

Shan fit lentement demi-tour, les idées confuses, puis s’arrêta net, cloué par la surprise : dans un bâtiment bas, une ancienne étable reconvertie en garage, se trouvaient deux Land Rover rouges. Voyant Li qui approchait, il avança lentement entre les têtes de statues. Li le rattrapa.

— Est-ce que le lieutenant Chang de la 404e fait partie de votre syndicat Bei Da ? demanda Shan à brûle-pourpoint.

— Je crois qu’il avait les qualifications requises pour en être membre, répondit Li de manière énigmatique, le visage renfrogné.

— Et un soldat, un dénommé Meng Lau ?

Li ignora la question et se rapprocha.

— Écoutez, vous devriez accepter d’être témoin. Pour quelqu’un dans votre position, conduire une enquête doit être une responsabilité écrasante. Coopérez. Soyez témoin.

— Un témoin qui viendrait de la 404e ?

— Disons plutôt un témoin qu’on aurait récemment transféré, pour l’affecter à des charges de prisonnier de confiance. Un prisonnier modèle, en quelque sorte. Je me porterai garant de vous. Vous êtes toujours diligent, vous n’avez jamais été accusé de mensonge. Vos problèmes ont été de nature différente à Pékin. Le tribunal n’a pas besoin d’en être informé.

— Mais je n’ai rien à dire, répondit Shan en continuant à marcher.

Un coin de la cour était occupé par une mare, constituée de blocs de pierre élégamment sculptés des siècles auparavant, et peuplée de petits poissons de rivière. Des fleurs de lotus épanouies y flottaient, à côté d’une bouteille de bière vide.

— Vous pourriez être surpris par tout ce que vous seriez capable de dire, objecta Li dans son dos.

Shan avança jusqu’au bord de la mare et fit volte-face.

— Vous ne m’avez pas décrit la nature de votre enquête anticorruption.

De là où il était placé, il apercevait un petit tumulus juste au-delà des bâtiments. À son sommet était installé un magnifique bouddha assis, haut d’au moins sept mètres, avec une coiffure tout à fait inhabituelle qui fit sursauter Shan tant elle était incongrue : on lui avait boulonné une antenne satellite sur la tête. Li se pencha à l’oreille de Shan.

— Des irrégularités dans les comptes de la prison. Des retraits inexpliqués sur des comptes de l’État. De l’équipement militaire qui manque.

— Seriez-vous en train de m’expliquer que Tan et le directeur de la prison sont deux conspirateurs ? Vous impliquez le directeur de la prison ?

— Aimeriez-vous le voir impliqué ?

Shan n’en crut pas ses oreilles.

— J’aurais besoin de voir vos dossiers.

— Impossible.

— Laissez-moi parler à Mlle Lihua.

— La secrétaire de Jao ? Pourquoi ?

— Qu’elle confirme l’enquête anticorruption de Jao. Elle devrait savoir.

— Vous savez aussi qu’elle est en congé, rétorqua Li qui haussa les épaules devant la mine frustrée de Shan. Très bien. Vous pouvez envoyer un fax.

— Je n’ai pas confiance dans les fax.

— Très bien. Très bien. Dès son retour, dans ce cas, répondit Li en consultant sa montre. On va vous reconduire en ville.

Shan monta dans la voiture sans se retourner. Li mentait en prétendant qu’il ne voulait pas voir Shan payer les pots cassés. Mais pourquoi mentait-il ? Parce qu’il se faisait du souci au sujet de l’enquête ? Ou simplement par habitude, parce que c’était chez lui une seconde nature ?

Lorsqu’il se pencha à la vitre, Li n’affichait plus son rictus de mépris.

— Que le diable vous emporte, Shan ! Je ne vois pas pourquoi je vous raconte tout ça. C’est pire que ce que vous pourriez imaginer. Les têtes vont rouler et personne ne sera là pour protéger la vôtre. Vous devez retourner à la 404e, et moi, mon dossier d’instruction doit être bouclé avant que la folie commence.

— Quelle folie ?

— Une affaire d’espionnage. Une enquête a été ouverte. Quelqu’un à Lhadrung a volé des disquettes contenant des informations secrètes de la Sécurité publique sur les défenses de la frontière.

 

Shan observa le Dr Sung qui passait d’un pas martial devant Yeshe assis sur le banc du couloir pour entrer dans son bureau chichement éclairé. Elle jeta son porte-bloc sur une chaise, alluma une petite lampe de bureau et repoussa sur le côté une assiette de vieux légumes à moitié intacte. Elle appuya sur le bouton d’un lecteur de cassettes et se tourna vers un échiquier. La partie était entamée. On entendit de la musique d’opéra. Le Dr Sung bougea un pion avant de faire pivoter l’échiquier d’un demi-tour. Elle jouait contre elle-même. Après deux coups, elle s’arrêta et regarda vers le banc. En ronchonnant d’une voix furieuse, elle dirigea la lampe au plafond, illuminant la chaise de Shan dans le coin.

— La chose la plus fascinante dans une enquête, fit remarquer Shan avec une grande lassitude, c’est de découvrir combien la réalité est réellement subjective. Elle a tant de dimensions. Politiques. Professionnelles. Cependant, celles-là sont aisées à discerner. Le plus difficile est de comprendre la dimension personnelle. Nous trouvons tous tellement de moyens de croire aux mensonges et d’ignorer la réalité.

La doctoresse coupa la musique et contempla l’échiquier d’un air absent.

— Les bouddhistes diraient que chacun de nous a sa propre manière d’honorer son dieu intérieur, observa-t-elle, d’une voix presque étranglée.

Shan fut secoué par ses paroles, au point de ne plus savoir qu’ajouter. Tout ce qu’il voulait, c’était laisser cette femme tranquille, l’abandonner à son désespoir si particulier, mais il en était incapable.

— Quand avez-vous cessé d’honorer le vôtre ? demanda-t-il.

Il espérait qu’elle allait le moucher rapidement par une de ses reparties brutales et furieuses, mais il n’eut droit qu’au silence. Il déplia la lettre de Sung adressée à la compagnie américaine et la laissa tomber sur l’échiquier.

— Aviez-vous le sentiment de me mentir en prétendant ne rien savoir de l’intérêt que portait Jao à un appareil de radiographie ? Ou étiez-vous réellement convaincue de ce que vous racontiez ? Parce que seul votre nom apparaissait sur la demande officielle ?

— Tout ce que j’ai dit, c’est que c’était trop cher.

— Bien. Donc vous n’aviez pas l’intention de mentir.

Sung déplaça une tour d’un air absent.

— Jao m’a demandé de rédiger une lettre. Personne n’irait mettre en doute le bien-fondé d’une telle demande puisqu’elle venait d’une clinique.

— Pourquoi Jao avait-il besoin de se cacher ? Pourquoi ne pas faire la demande lui-même ?

Elle prit un cavalier et le fixa des yeux.

— Il menait une enquête.

— Il aurait eu besoin de votre aide pour la faire fonctionner, cette machine. A-t-il précisé où il comptait l’utiliser ?

Sung regardait toujours son cavalier.

— Parfois il venait, pas très souvent, il s’asseyait ici, et nous jouions aux échecs. En parlant du pays. En buvant du thé. J’avais l’impression… comment dire ? de retrouver la civilisation.

Elle prit le cavalier à deux mains et se mit à le tordre comme pour le casser.

— Donc vous avez rédigé la lettre pour aider à une enquête. Pour trouver quelque chose de caché.

— Ce serait tellement facile d’être comme vous, camarade Shan, de simplement poser des questions. Mais je vous l’ai déjà dit par le passé, il y a des questions qu’il est interdit de poser. Vous, vous exigez de connaître la vérité d’autrui. Certains d’entre nous sont obligés de vivre avec elle.

— Une enquête de meurtre ? insista Shan. De corruption ? D’espionnage ?

Sung rit, sans grande conviction.

— De l’espionnage à Lhadrung ? Je ne crois pas.

— Mais comment voulait-il l’utiliser, cette machine ?

Sung secoua la tête, lentement.

— Il voulait savoir si l’appareil pouvait être transporté dans un de ses véhicules à quatre roues motrices. Il voulait connaître la puissance exigée pour l’alimenter. C’est tout ce que je sais.

— Pourquoi ne pas lui avoir posé la question ? Il était votre partenaire aux échecs.

— C’est bien pour ça que je ne l’ai pas interrogé.

Sung ouvrit la main et contempla le cavalier d’un air malheureux.

— J’ai présumé qu’il voulait s’en servir pour ouvrir une de leurs tombes. Et si je savais cela, je ne pouvais plus le laisser s’asseoir dans cette pièce.

 

La 404e ressemblait à un cimetière. Les visages des prisonniers, décharnés et sans expression, apparaissaient aux fenêtres des cahutes. Les patrouilles qui les gardaient confinés dans leurs quartiers marchaient au pas, raides comme des cierges. Mais les soldats ne cessaient de regarder par-dessus leur épaule.

L’étable fonctionnait. Shan le savait. Non pas à cause des hurlements – avec les Tibétains, il n’y avait jamais de cris. Non pas à cause d’une activité plus grande à l’infirmerie. Il le savait parce qu’un officier passa, portant des gants en caoutchouc.

Un nuage semblait s’être installé à demeure au-dessus du sergent Feng lorsqu’il franchit les grilles en compagnie de Shan. Il ne dit pas un mot aux nœuds de garde dans la zone interdite mais regarda droit devant lui jusqu’à ce qu’ils atteignent la cahute. Il ouvrit la porte à Shan avant de s’écarter et lui fit maladroitement signe d’entrer. La scène était sensiblement identique à celle que Shan avait quittée six jours auparavant. Trinle était allongé dans son lit, prostré par la fatigue, la tête et la majeure partie du corps sous une couverture. Les autres étaient au sol, assis en cercle, et recevaient l’enseignement d’un moine plus âgé.

Choje Rimpotché avait noué son dos et ses genoux d’une sangle gomthag arrachée à sa couverture afin de ne pas tomber pendant sa méditation. Un des novices maintenait un chiffon contre l’arrière du crâne de Rimpotché. Il le retira rosi par le sang.

Il fallut quelques minutes au lama pour revenir à lui et comprendre la requête de Shan. Ses paupières se mirent à battre puis ses yeux s’ouvrirent et s’illuminèrent. Il passa la hutte en revue avec un regard intense et curieux, comme pour avoir confirmation du monde dans lequel il se trouvait.

— Tu es toujours avec nous, murmura-t-il.

Ce n’était pas une question mais une déclaration de bienvenue.

— J’ai besoin de savoir quelque chose concernant Tamdin, dit Shan, en luttant contre le nœud qui se resserrait dans son ventre : il avait l’impression de sentir en lui la douleur du lama bien plus que ce dernier. Rimpotché, demanda-t-il, que se passerait-il si Tamdin devait choisir entre protéger la vérité et protéger les formes anciennes ?

De tous les paradoxes qui encombraient son affaire, celui qui le tracassait le plus était le mobile du tueur. Tamdin était protecteur de la foi, et ses victimes profanaient la foi. Mais comment le tueur pouvait-il laisser des moines innocents payer pour ses crimes et mourir à sa place ? C’était aussi une profanation de la foi.

— Je ne pense pas que Tamdin choisisse. Tamdin agit. C’est une conscience qui marche.

Armée d’un grand couteau, songea Shan.

— Une conscience qui marche, répéta le lama.

Shan réfléchit à ses paroles en silence.

— Quand j’étais jeune, avança Choje, on racontait qu’un homme dans un village voisin priait pour obtenir l’aide de Tamdin et qu’il ne l’avait jamais obtenue. Il a renié Tamdin. Il a prétendu que Tamdin était une légende créée pour les danseurs du festival.

— Ces temps derniers, je n’ai rencontré personne qui qualifierait Tamdin de fiction.

— Non. Fiction n’est pas le mot pour le décrire.

Choje leva ses doigts serrés devant le visage de Shan.

— Ceci est mon poing, dit-il avant d’ouvrir les doigts en grand. Maintenant mon poing n’existe plus. Est-ce que cela en fait une fiction ?

— Vous voulez dire qu’à certains moments n’importe qui peut devenir Tamdin ?

— Pas n’importe qui. L’essence de Tamdin peut peut-être exister en quelque chose qui n’est pas toujours Tamdin.

Shan se rappela la dernière fois qu’ils avaient discuté du protecteur démon. Choje avait expliqué que, de la même manière que certains sont destinés à atteindre à la bouddhéité, peut-être en est-il d’autres qui sont destinés à atteindre à la tamdinité.

— Comme la montagne, déclara Shan d’une voix paisible.

— La montagne ?

— La griffe sud. C’est une montagne, mais elle cache quelque chose. Un lieu saint.

— C’est une si petite parcelle du monde que nous avons, murmura Choje, d’une voix si basse que Shan fut obligé de se pencher vers ses lèvres.

— Il existe d’autres montagnes, Rimpotché.

— Non. Ce n’est pas ce que je veux dire. Ceci, poursuivit le vieux moine d’un geste embrassant la cahute. Le monde ne se soucie pas de nous. Il y a tellement de temps avant, et après. Tellement de lieux. Nous sommes un grain de poussière. Personne au-dehors ne devrait se préoccuper de nous. Nous devrions être les seuls à nous soucier de nous-mêmes. Pour l’instant, c’est notre être personnel qui occupe ce lieu. Et voilà tout. Ce n’est pas grand-chose.

Ces paroles glacèrent Shan. Il allait se produire un événement horrible.

— Vous n’allez jamais retourner dans la montagne, n’est-ce pas ? demanda Shan en relevant les yeux avec effroi.

— Peu importe ce qui arrivera. Vous ne pouvez pas faire construire la route. Et c’est la seule chose qui importe.

Pourquoi était-ce tellement important ? songea Shan. Était-ce là qu’il s’était trompé, en ne prêtant pas suffisamment attention au secret de la montagne ?

— Se réveiller chaque jour pendant cinquante années, pendant cent années, ce n’est pas un bien grand exploit, après tout, ajouta Choje avec un sourire serein. C’est comme de se disputer pour savoir si ton grain de poussière est plus gros que mon grain de poussière. Ce sont là les arguments d’une âme incomplète.

Ils en amèneront d’autres pour construire la route, voulut objecter Shan. Mais il n’en eut pas le courage.

— Nous avons parlé. Tous autant que nous sommes. Tout le monde est d’accord. Excepté quelques-uns. Certains avec des familles. Et d’autres qui ont une voie différente à suivre.

Shan regarda autour de lui. Le Khampa était parti.

— Ils ont reçu nos bénédictions. Ils ont été acceptés ce matin de l’autre côté de la ligne. Ceux d’entre nous qui restent…

Choje prononça ces mots en souriant.

— Eh bien, nous sommes ceux qui restent. Cent quatre-vingt-un. Cent quatre-vingt-un, répéta-t-il.

Retentit le coup de sifflet de la sortie pour la promenade, puis un autre, et encore un autre, en relais, à travers tout le camp. Les hommes commencèrent à se diriger, sans échanger une parole, vers la porte.

— Il est l’heure, Trinle, appela Choje avec une force nouvelle, et la silhouette sous sa couverture se leva.

Sans quitter Choje des yeux, Shan sentit que Trinle peinait à se mettre debout. Il comprit avec un frisson que le grand moine maigre avait dû séjourner dans l’étable. Du coin de l’œil, il vit la silhouette voûtée envelopper la couverture autour de sa robe de fortune et en faire un capuchon au-dessus de sa tête avant de se diriger à petits pas vers la porte.

Seuls restèrent dans la cahute Choje et Shan, assis, silencieux, parmi les rais de lumière brillante qui filtraient entre les planches branlantes des murs et du toit.

— Qu’est-ce qui est arrivé à cet homme ? Celui qui ne croyait pas ?

— Un jour, une partie de la montagne s’est effondrée sur lui. Elle a tout détruit. L’homme, ses enfants, son épouse, ses moutons. Et pire.

— Pire ?

— C’était étrange. Plus personne n’a réussi à se souvenir de son nom.

Soudain, à l’extérieur, on entendit un son étrange enfler et grossir – pas un cri, mais un murmure dont l’intensité allait croissant et qui portait à travers tout le camp. Shan aida Choje à se remettre debout.

Ils trouvèrent les prisonniers dans la petite cour derrière la cahute, ou plutôt en pourtour, sur deux ou trois rangs, autour d’un espace vide de six ou sept mètres de diamètre.

— Il est parti ! s’exclama un des moines à leur approche. La magie… commença-t-il, mais il fut incapable de terminer sa phrase.

— Comme la flèche ! Je l’ai vu. Comme un éclair indistinct ! s’écria quelqu’un.

La file s’écarta pour laisser passer Choje, Shan à son côté.

— Trinle ! lança l’un des jeunes moines, le souffle coupé. Il l’a fait !

Il n’y avait rien dans l’espace circulaire que les chaussures de Trinle, posées côte à côte comme s’il venait de les quitter.

On n’entendait plus un souffle, plus une respiration. Shan était abasourdi. Au départ, l’événement lui apparut comme une plaisanterie bizarre. Mais il éprouva vite de l’inquiétude, à mesure que la signification de cette disparition faisait son chemin en lui. Trinle était parti. Trinle s’était échappé. Il s’était fait disparaître comme par enchantement, après des années passées à essayer.

Les moines contemplaient les chaussures avec déférence. Quelques-uns tombèrent à genoux et offrirent des prières d’action de grâces. Mais l’instant magique ne dura pas bien longtemps. Le sifflet commença à retentir à nouveau, signalant la fin de la promenade. Depuis les derniers rangs, un homme à la voix grave de baryton entama sa litanie. Om mani padme hum. Il continua en solo pendant peut-être trente secondes, avant que se joignent à lui une autre voix, puis une autre, et encore une autre, jusqu’à ce que le groupe tout entier récite bientôt à l’unisson, noyant les coups de sifflet furieux.

Les prisonniers commencèrent à s’engager dans la cour centrale en célébrant le miracle par leur mantra. Shan se surprit à les suivre en psalmodiant lui aussi. Soudain une main le saisit par le coude et le tira sur le côté. Le sergent Feng.

Les deux hommes restèrent là, à contempler la scène, tandis que les prisonniers se disposaient en un grand carré avant de s’asseoir, toujours récitant leur mélopée d’une voix forte. Instantanément, les nœuds se précipitèrent au milieu d’eux. Les soldats criaient, mais leurs voix se perdaient dans les échos du mantra. Shan essaya de se dégager mais Feng le maintenait d’une poigne de fer. Les matraques se levèrent avant de retomber, et les nœuds se mirent à frapper, lentement, méthodiquement, assénant leurs coups sur les dos et les épaules, balançant leurs triques de haut en bas comme s’ils coupaient le blé à la faucille.

Les coups n’eurent aucun effet.

Apparut alors un officier de la Sécurité publique, le visage tel un masque de furie. Il commença à hurler dans un porte-voix. Sans résultat. Il s’empara de la matraque d’un de ses hommes et la cassa sur la tête du moine le plus proche. L’homme s’affala vers l’avant, inconscient, mais la litanie se poursuivit. L’officier jeta le moignon de trique au sol et avança le long des rangs. La scène se déroulait comme un mauvais film au ralenti.

— Non ! s’écria Shan en se tordant en vain pour se libérer de la prise de Feng. Rimpotché !

L’officier fit le tour du carré, puis ordonna à deux nœuds de traîner un moine jusqu’au centre de la cour. L’homme était jeune encore, il venait d’une autre cahute. Il s’était rasé le crâne et portait un brassard rouge au bras. Il continua sa litanie, toujours à genoux, sans rien laisser paraître. L’officier se plaça derrière lui, dégaina son pistolet et lui tira une balle dans le crâne.