13
On avait attaqué la grille d’accès aux casernements de la Source de jade. Les planches du portail avaient éclaté, le grillage arraché pendait et sur vingt mètres de part et d’autre de l’entrée les bruyères étaient piétinées. À la lumière de la guérite du garde, Shan vit des lambeaux de vêtements accrochés aux barbelés. Une escouade de soldats, le visage sombre et furieux, remplaçaient les gonds sur l’un des deux énormes battants. Shan cligna des paupières tant il était épuisé. Le sergent Feng et lui s’étaient partagé le volant durant seize heures d’un trajet éreintant. Pendant son tour de repos, il avait été incapable de fermer les yeux plus de quelques minutes, hanté par la vision obsédante de Balti tel qu’ils l’avaient laissé, se balançant d’avant en arrière dans les ténèbres de sa tente.
Shan sortit du camion d’un pas flageolant, l’esprit embrouillé, mais il chercha instinctivement des taches de sang sur le sol. Comme il s’approchait de la guérite du garde, des projecteurs s’illuminèrent, l’aveuglant un instant. Quand sa vision s’éclaircit, un officier de l’APL était planté à côté de lui.
— Vous nous avez manqué, persifla l’officier d’une voix sarcastique. Ils nous ont rendu une visite. Vous auriez pu être notre invité d’honneur.
— Ils ?
L’officier lança un ordre d’un ton hargneux à son escouade tout en expliquant :
— Les sectaires. Il y a eu une émeute. Ou presque. Juste après le lever du jour. Un camion transportant du bois s’est arrêté. Il a fait descendre un homme, vêtu d’une robe. Un vieillard, qui s’est assis, rien de plus. Il n’a pas prononcé un mot. Nous l’avons laissé égrener son chapelet. Un paysan est passé à bicyclette et s’est arrêté à son tour. On aurait dû les chasser à coups de botte dans le train et les obliger à reprendre la route. Mais le colonel Tan, il a dit : pas de problèmes. Pas d’incidents. Pékin est sur le point d’arriver. Les Américains sont sur le point d’arriver. Débrouillez-vous pour qu’il n’y ait pas de désordre.
L’officier ouvrit la portière du conducteur et jeta un regard peu amène à Feng, comme si, d’une certaine manière, celui-ci avait sa part de responsabilité dans l’événement. Il fit signe d’ouvrir la grille, et se tourna à nouveau vers Shan.
— Une heure plus tard, ils étaient six. Puis dix. Arrivé midi, peut-être quarante. L’homme en robe, ça devait être quelqu’un de spécial pour eux, je crois.
Shan étudia les loques du grillage d’un peu plus près. Il ne s’agissait pas des morceaux arrachés aux vêtements de ceux qui avaient été projetés contre les barbelés. On les y avait attachés. C’était des drapeaux de prières.
— Et donc je sors pour leur parler. Faire le médiateur. Discuter de l’impératif socialiste de la coexistence. Vous ne devez pas rester là, je leur explique. Il y a un convoi de l’armée qui arrive bientôt. De l’équipement lourd. Il pourrait y avoir des blessés. Mais ils répondent qu’ils veulent que votre Sungpo soit libéré. Ils disent que ce n’est pas un criminel.
Le regard de l’officier s’embrasa.
— Il était joli, notre grand secret ! Tout le monde avait reçu l’ordre strict de garder le silence. Personne ne devait savoir que votre moine était bouclé ici. Et ici, je sais que personne n’a parlé, lança-t-il d’un ton accusateur. À mon départ, ils avancent vers la clôture en récitant leurs litanies et ils commencent à la secouer. Les poteaux se mettent à branler. Alors j’appelle une brigade anti-émeutes. Pas d’armes. Mais eux se retournent et s’attachent par les mains. Comme une chaîne. Avec leurs chaussettes. Leurs lacets. N’importe quoi. Ils sont tous liés ensemble. Et nous tournent le dos. En nous ignorant. En psalmodiant. Qu’est-ce qu’on pouvait faire ? On a des touristes qui vont arriver. Et moi, je vais me retrouver à vider les latrines des nouvelles recrues s’il y a un fouineur d’Occidental aux yeux ronds qui débarque et nous photographie en train de leur tanner le dos.
— Le vieil homme, demanda Shan. Il est venu du Nord ?
— Exact. Une vraie antiquité. On aurait cru qu’il allait se transformer en poussière.
Shan, soudainement réveillé, se tourna vers l’officier.
— Où se trouve-t-il maintenant ?
— Il y a une heure, finalement, on l’a laissé entrer. C’était la seule manière de les faire partir. Sacré nom d’un chien, quand est-ce que vous allez…
Shan ne resta pas assez longtemps pour entendre la fin des jérémiades du militaire. Il franchit la grille comme une flèche et se dirigea au pas de course vers le corps de garde.
À l’intérieur, seules brillaient les lumières au bout du couloir. Jigme était assis à la porte de la cellule et surveillait Sungpo, exactement comme Shan l’avait laissé trois jours auparavant. À côté de lui se trouvait Je Rimpotché.
Le vieillard ne salua pas Shan. Il faisait face à Sungpo assis au milieu de sa cellule. Les deux moines ne parlaient pas, mais leurs yeux semblaient s’être focalisés sur le même point invisible au lointain.
Lorsque Shan ouvrit la porte, Yeshe essaya de le retenir en posant la main sur son bras.
— Vous ne pouvez pas intervenir. Nous devons attendre qu’ils reviennent parmi nous.
— Non. Il est trop tard pour ne pas intervenir.
Il entra et toucha Sungpo à l’épaule. Il eut l’impression qu’une énergie particulière se répandait entre ses doigts, une surtension, comme une décharge électrique sans le moindre choc. Il pensa que c’était son imagination. Sungpo bougea la tête, d’un côté puis de l’autre, comme s’il chassait les restes d’un profond sommeil, puis il leva les yeux et accepta la présence de Shan d’un infime clignement des paupières.
Je Rimpotché relâcha longuement son souffle et sa tête s’affaissa lentement sur sa poitrine. Yeshe contemplait Shan d’un œil noir, fulminant d’une colère qui ne lui était pas coutumière.
— Est-ce que quelqu’un comprend ce qui se passe ici ? demanda Shan d’une voix brisée par l’émotion.
Personne ne répondit. Shan prit la mesure du reproche qu’il lisait dans le regard de Yeshe et lui intima néanmoins :
— Il faut que je parle au Dr Sung. Allez. Appelez-la. Dites-lui que je dois la voir.
— Ce vieux lama est en pleine méditation, le prévint Yeshe. Vous ne pouvez pas l’interrompre.
— Dites au Dr Sung que j’ai besoin de lui parler du groupe qui s’appelle le syndicat Bei Da.
Yeshe manifesta sa désapprobation par un froncement de sourcils avant de tourner les talons et de quitter le bâtiment. Shan se laissa tomber à genoux entre les deux moines.
— Comprenez-vous ce qui se passe ? répéta-t-il, d’une voix plus forte, ne sachant plus par quel moyen, sinon cette grossièreté brutale et scandaleuse, il allait pouvoir sortir le lama de sa léthargie.
— Un homme a été tué, déclara brusquement Je Rimpotché, en relevant la tête. Le gouvernement le considérait comme un personnage important.
Shan ne quittait pas des yeux Sungpo, qui cligna des paupières.
— Ils vont faire appliquer leur équation, annonça le vieux lama comme si la chose allait de soi.
— L’équation ?
— Ils vont prendre l’un d’entre nous.
— Est-ce que c’est ce que vous voulez ?
— Vouloir ? demanda Je.
— Et la justice, alors ?
— La justice ?
Shan avait utilisé le mot chinois yi, dont l’idéogramme était un grand humain debout, avec un glaive protecteur, au-dessus d’un humain plus petit. Ce n’était pas un symbole qui avait la faveur des Tibétains.
— Croyons-nous en la justice de Pékin ? demanda Je du même ton serein dont il avait usé pour parler au corbeau mystérieux à Saskya.
Il s’adressait à Sungpo. Soudain celui-ci parla. Il regarda Je, et seulement Je.
— Nous croyons en l’harmonie, murmura Sungpo d’une voix tout juste audible. Nous croyons en la paix.
— Nous croyons en l’harmonie, répéta Je en se tournant vers Shan. Nous croyons en la paix.
— J’ai été envoyé dans une communauté pour ma rééducation, dit Shan face à Je. Pendant les années sombres.
Tout le monde avait un nom choisi pour la période de souffrances que Mao avait appelée la Révolution culturelle.
— La première semaine, nous sommes restés debout dans une rizière. En rangs. Ils nous appelaient les plants. Parler n’était pas autorisé. L’officier politique a expliqué qu’il lui fallait la paix dans les champs. Si quelqu’un parlait ou riait ou pleurait, il était battu. Nous sommes restés longtemps silencieux. Mais la sensation de paix n’a jamais été présente.
Je se contenta de sourire en guise de réponse, tandis que Sungpo donnait l’impression de partir en dérive pour replonger dans sa méditation.
— J’ai des questions, dit Shan à Je, d’un ton d’urgence. Quand il a été arrêté. Qu’est-ce qu’ils ont dit ? Quand a-t-il vu le procureur Jao pour la dernière fois ?
Je se pencha en avant et chuchota à l’intention de Sungpo.
— Il n’était plus dans ce monde, expliqua Je en se référant à l’état psychique de Sungpo lors de son arrestation. Il était très loin. Il n’a rien su jusqu’à ce qu’il revienne parmi nous. Et là, il s’est retrouvé dans une voiture, les mains entravées. Il y avait deux voitures, pleines d’uniformes.
— Pourquoi ont-ils retrouvé chez lui le portefeuille de Jao ?
Je s’entretint avec Sungpo.
— C’est là un détail très curieux, annonça-t-il, le regard plein d’étonnement. Sungpo n’avait pas le portefeuille et il ne savait pas qu’ils l’avaient trouvé là-bas. Quelque chose aurait pu venir. Quelque chose aurait pu le placer là.
— Quelque chose ou quelqu’un ?
Lorsque le vieil homme soupira, sa gorge émit un sifflement mouillé d’asthmatique.
— Parfois, quand l’éclair frappe, il laisse des traces derrière lui. Et cette trace-là se devait d’être là. La manière dont elle est arrivée ne semble pas importante.
— C’est l’éclair qui a fait se matérialiser un portefeuille dans la caverne de Sungpo ? interrogea lentement Shan, qui sentait son moral sombrer.
— L’éclair. Les esprits. Ils opèrent de manière insondable. Peut-être est-ce là leur manière d’appeler Sungpo.
— Et si le vrai meurtrier n’est pas découvert, si la mort ne peut pas être résolue, la 404e va poursuivre sa grève. Et ses membres seront reconnus coupables de trahison généralisée.
— Peut-être est-ce là aussi la voie qu’ils sont destinés à suivre pour atteindre leur prochaine incarnation.
Shan ferma les yeux et respira profondément.
— Est-ce que Sungpo connaissait le procureur Jao ?
Je s’entretint un moment avec Sungpo.
— Il se souvient du nom lors d’un procès.
— A-t-il tué Jao ?
Je regarda Shan avec lassitude.
— Aucun poids ne pèse sur son âme. Seule l’épaisseur d’un cheveu le sépare des portes de la bouddhéité.
— Ce n’est pas un argument de défense devant un tribunal.
— Tuer serait une violation de ses vœux, soupira Je. C’est un véritable croyant. Il me l’aurait avoué immédiatement. Il aurait quitté sa robe. Son cycle aurait été interrompu.
— Mais il ne veut toujours pas dire qu’il ne l’a pas commis, ce meurtre.
— Ce serait un acte d’amour-propre. Une manifestation de son ego. On nous enseigne à éviter de tels actes.
— Donc la raison pour laquelle il ne proteste pas de son innocence, c’est qu’il n’est pas coupable.
— Exactement.
Je sourit. La logique de Shan semblait le satisfaire pleinement.
— Le chef du bureau des Affaires religieuses a récemment rendu visite au gompa. Est-ce que Sungpo l’a vu ?
— Sungpo est un ermite. S’il était en méditation, il n’aurait pas vu un tel visiteur même si celui-ci était entré pour lui donner un coup de pied.
Shan se tourna vers Jigme.
— Y a-t-il un autre chemin d’accès à votre hutte, autre que le sentier que nous avons monté ?
— D’anciennes pistes à gibier. Ou en escaladant les rochers.
Sungpo à la dérive, loin d’eux, paraissait incapable de les entendre, pas même le vieux Je.
— Savoir qu’il meurt pour le crime d’un autre, n’est-ce pas une forme de mensonge ? demanda Shan au vieux lama, au désespoir de trouver la faille.
— Non. Avouer faussement, cela serait un mensonge.
— Le bureau a été tenu à l’écart pour l’instant. Mais avant le procès, ses responsables chercheront à obtenir des aveux. Ils échouent rarement.
Il avait un jour vu une directive à Pékin : « On considère que c’est une mauvaise gestion des ressources judiciaires, et une insulte à l’ordre socialiste, que de se présenter au tribunal sans avoir avoué. Si l’accusé refuse de participer, ses aveux seront lus pour lui. »
— Ce serait une contradiction dans les termes, fit remarquer Je, de sa voix toujours aussi sereine.
Shan lui envia sa naïveté.
— Le procès est conduit pour le peuple. Afin de l’instruire.
Ou peut-être, réfléchit Shan, en se rappelant les stades de Pékin bourrés de vingt mille citoyens venus là pour être les témoins d’une exécution, afin de les distraire.
— Ah ! Comme une parabole.
— Oui, acquiesça Shan d’une voix caverneuse.
Une vision lui traversa l’esprit. La vieille femme avec son balai à franges et son seau, qui remontait les escaliers derrière Sungpo.
— Sauf que c’est plus absolu qu’une parabole.
Yeshe était assis sur les marches menant à leurs quartiers quand Shan alla chercher les couvertures destinées à Je, qui insistait pour rester dans le bloc de cellules.
— Je vais solliciter un retour à mes activités à la 404e. Je ferai une autre année avec Zhong s’il le faut, annonça Yeshe en passant la porte derrière Shan. Je ne veux plus être engagé dans tout ça. J’ai les idées qui se mélangent dans ma tête. Et si Jigme avait raison, quand il prétend que Sungpo peut aisément quitter son enveloppe mortelle ?
— Ce qui signifierait que nous devrions accepter son sacrifice ?
— Ce n’est pas juste Sungpo. Vous l’avez dit vous-même. Il ne suffira pas de faire la preuve que Sungpo est innocent. Il nous faudra leur offrir une solution de rechange. Ils pourraient arrêter quatre ou cinq autres moines. Même dix ou vingt. En appelant ça une conspiration des purbas. Et tous seraient considérés également coupables. Et peut-être bien qu’ils ne se cantonneraient pas aux purbas. Il y a beaucoup de formes de résistance.
— Vous êtes en train d’expliquer que le choix est : sacrifier Sungpo ou sacrifier la Résistance.
— La Résistance dans le comté de Lhadrung, oui.
— Vous êtes désormais le porte-parole de la Résistance ?
— Vous avez vu mon gompa. Je ne pourrais pas être purba sans rompre mes vœux. Je serais chassé à jamais. Je n’aurais aucun espoir de retour.
— Est-ce là votre espoir ?
— Non. Je ne sais pas. Il y a deux semaines, j’aurais répondu non. Maintenant, tout ce que je sais, c’est combien un retour pourrait se révéler douloureux.
Shan se rappela les chiens du gompa. Les esprits des prêtres déchus.
On entendit un cri au-dehors et un martèlement de bottes sur le terrain de manœuvres : Jigme se battait contre les nœuds qui l’entraînaient hors de la prison.
— J’ai besoin de votre aide, lança Shan à Yeshe. Plus que jamais.
Lorsque Shan le rejoignit, Jigme avait été déposé à cent mètres de la cellule de Sungpo.
— Un seul visiteur est autorisé à rester avec le prisonnier, lâcha sèchement le nœud le plus proche, avant de repartir d’un pas cadencé.
— Il n’y a pas grand-chose que vous puissiez faire pour lui ici, fit remarquer Shan en s’asseyant à côté de Jigme.
— S’il voulait bien manger, alors je pourrais lui préparer ses repas.
— Il se peut qu’il y ait d’autres moyens, suggéra Shan. Tout dépend de celui que vous voulez aider.
— Sungpo.
— Sungpo le saint homme ? Ou Sungpo le mortel ?
— Ça prête parfois à confusion, répondit Jigme après un temps de réflexion. Je suis censé dire que c’est le même.
— Vous et moi avons du sang chinois. On prétend que l’une de nos malédictions est que nous cherchons toujours le compromis. Il faudrait des années pour trouver la réponse à cette question. Mais d’ici à quelques jours, elle n’aura plus d’importance.
Ils restèrent assis en silence. Jigme se mit à dessiner distraitement d’un doigt dans la poussière.
— Je veux que vous fassiez quelque chose, ajouta Shan. Allez dans la montagne. À un endroit précis. Sur les griffes du Dragon. Nous pouvons vous procurer de l’eau et de la nourriture. Il y a des couvertures dans le camion. Le sergent Feng peut vous conduire jusque-là. Il viendra vous voir tous les jours. Mais une fois que vous serez dehors, je ne sais pas si les gardes vous laisseront repasser la grille.
— On dit qu’il y a un démon là-haut, annonça Jigme après avoir longuement réfléchi.
Shan acquiesça avec sympathie.
— Je veux que vous trouviez où ce démon habite.
Jigme ne battit pas en retraite, mais son visage se vida de sa couleur.
— Il ne vous fera aucun mal.
— Et pourquoi ça ? demanda Jigme d’une voix désespérée.
— Parce que vous êtes un des rares à avoir le cœur pur.
Le Dr Sung était incapable de rester en place quand Shan arriva à la clinique.
— Sortez ! s’exclama-t-elle. Vous répandez le danger comme une infection.
Il la suivit dans le couloir.
— Qu’est-ce que le syndicat Bei Da ? questionna-t-il, presque forcé de courir pour la suivre.
— Bei Da, c’est l’université. Et un syndicat est un syndicat.
— En êtes-vous membre ?
— Je suis un médecin employé par le gouvernement du peuple. Le seul médecin qu’il y a ici, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué. J’ai du travail qui m’attend.
— De qui s’agissait-il, docteur ?
Elle s’arrêta et le dévisagea d’un air perplexe.
— Qui vous a contactée ?
Elle s’empourpra. Au départ, Shan crut que c’était de colère pour s’apercevoir finalement que c’était peut-être de la honte.
— On dit que c’est un club de diplômés de l’université de Pékin. Naturellement, ils ne sont qu’une poignée dans tout le comté de Lhadrung. Ils m’ont un jour invitée à une réunion. Un dîner dans un vieux gompa à l’extérieur de la ville. J’ai cru qu’ils allaient me demander de rejoindre leurs rangs.
— Mais ils n’en ont rien fait.
— À part Pékin, nous n’avons pas grand-chose en commun.
— Qui sont-ils ?
Un garçon de salle lavait le sol. Un Tibétain. Il poussa le seau vers eux. Shan fit signe à la doctoresse de se mettre hors de portée des oreilles indiscrètes.
— Les étoiles montantes. La jeune élite. Vous savez. Blue-jeans de contrebande et lunettes de soleil qui coûtent le salaire mensuel moyen d’une famille.
— Vous n’aimez ni les blue-jeans ni les lunettes de soleil ?
Le Dr Sung parut surpris par la question.
— Je ne sais pas. Je me souviens que j’ai aimé ça autrefois.
— Et le procureur Jao ? Était-il membre de ce syndicat ?
— Non. Pas Jao. Diplômé, oui, mais trop vieux. Li en fait partie. Wen, des Affaires religieuses. Le directeur des mines. Quelques soldats.
— Des soldats ? Un commandant du bureau ?
La référence au bureau parut troubler Sung profondément. Elle réfléchit un moment à la question.
— Je ne sais pas. Il y en avait un parmi eux. Brillant, habile et arrogant. Une cicatrice de balle sur la joue.
— Avez-vous jamais soigné l’un d’eux ?
— Une santé de fer, tous autant qu’ils sont.
— Pas même pour une morsure de chien ?
— Une morsure de chien ?
— Aucune importance.
Shan n’avait pas oublié que les charmes secrets achetés par les ragyapa comprenaient des charmes contre les morsures de chiens. Il n’y avait aucune logique là-dedans, mais ce détail, ou quelque chose qui lui était relatif, continuait à le tarauder. Quelqu’un voulait être pardonné par Tamdin mais protégé des chiens.
— Jao vous a-t-il jamais dit s’il s’attendait à partir ? Pour une nouvelle affectation ?
— Il l’a laissé sous-entendre. En ajoutant que ce serait vraiment bien de retrouver la vraie Chine.
— Ce sont ses mots à lui ou les vôtres ?
Elle s’empourpra à nouveau.
— Il parlait de repartir. Comme tout le monde. Il racontait qu’il achèterait un téléviseur couleurs quand il serait revenu chez lui. Il répétait qu’à Pékin on reçoit maintenant les stations depuis Hong Kong. Je crois qu’il y est finalement parvenu, ajouta-t-elle, comme après réflexion.
— Parvenu ? À quoi ?
— À rentrer à Pékin. Mlle Lihua a adressé un fax depuis Hong Kong. En demandant qu’on rapatrie son corps et ses affaires.
— Impossible, répondit Shan, éberlué. Pas tant que l’enquête n’est pas terminée.
— Un camion de la Sécurité publique est venu ce matin, précisa Sung avec un air de victoire. Il a tout emporté. Le cercueil était prêt. Il est parti par vol militaire au départ de Gonggar.
— Une obstruction à une enquête judiciaire est une accusation grave.
— Pas quand c’est la Sécurité publique qui le veut. J’ai exigé d’avoir la demande par écrit.
— Et vous n’avez pas été frappée par l’étrangeté de la procédure ? Vous ne vous souveniez donc pas que cette enquête était placée sous l’autorité directe du colonel Tan ?
— Le procureur Li a transmis l’ordre.
— Le procureur ? Il n’y a pas de nouveau procureur. Pas encore.
— Et qu’est-ce que je pouvais faire, à votre avis ? Télégraphier au bureau du président pour confirmation ?
— Qui a signé l’ordre ?
— Un commandant du bureau.
Shan se tordit les mains tant sa frustration était grande.
— Ce commandant n’a-t-il donc pas de nom ? Jamais personne ne lui demande pourquoi ?
— Camarade, la seule et unique chose que l’on ne fait jamais face à la Sécurité publique, c’est de poser des questions.
Shan se dirigea vers la porte avant de se retourner.
— J’ai besoin d’un téléphone, lança-t-il. Pour une communication longue distance.
Sans demander la moindre explication, elle l’escorta jusqu’à un bureau vide à l’arrière du bâtiment. Elle sortait de la pièce quand la silhouette de Yeshe apparut sur le seuil. L’angoisse se lisait toujours sur ses traits mais son regard brillait d’une lueur déterminée.
— Quand on m’a renvoyé de l’université, annonça-t-il en entrant dans la pièce, je savais qui avait mis la photo du dalaï-lama sur le mur. Ce n’était pas un Tibétain, c’était un de mes amis chinois. En guise de plaisanterie. Une petite farce.
Il se laissa tomber dans un fauteuil.
— On m’a expédié en camp de travail parce que j’étais censé pouvoir accomplir un tel acte. Mais c’est faux. Jamais je n’aurais eu ce courage.
— C’est une erreur, dit Shan en posant la main sur son épaule, de croire que le courage se montre aux autres. Le vrai courage ne se montre qu’à soi-même.
— Il faut savoir qui l’on est pour être à même de reconnaître ce genre de courage, murmura Yeshe, les mains contre la bouche.
— Je crois que vous savez qui vous êtes.
— C’est faux.
— Je crois que l’homme qui a tenu tête au major et sauvé la vie de Balti savait qui il était.
— Maintenant que je suis de retour ici, j’ai l’impression que j’ai juste joué un numéro. Je ne sais plus si c’était bien moi.
— Un numéro pour qui ?
— Je ne sais pas.
Yeshe releva la tête et regarda Shan en face :
— Peut-être pour vous.
Shan ferma les yeux. Chose étrange, les paroles de Yeshe lui rappelèrent son fils, ce fils si lointain qu’il n’était même jamais une image à l’esprit de Shan, juste un concept. Le fils qui probablement présumait son père mort. Et qui, toujours, le mépriserait, qu’il soit mort ou encore en vie, parce que c’était un raté. Le fils qui, jamais, ne prononcerait ces mots-là.
— Non, répondit-il, sans se détourner.
Pas moi, songeait-il. Il n’y a plus la place sur mon dos pour un autre fardeau.
— Vous l’avez fait parce que vous voulez trouver la vérité. Vous l’avez fait parce que vous voulez redevenir tibétain.
Yeshe ne cilla pas, pas plus qu’il ne réagit. Shan reporta les numéros du dossier secret de Jao sur une fiche de papier.
— Si ce sont là des numéros de téléphone, j’ai besoin de connaître l’identité des correspondants, dit-il en lui tendant le morceau de papier.
— Nous pourrions faire cela à la 404e, répondit Yeshe en soupirant, après examen de la fiche. Ou au casernement.
— Non. Ce n’est pas possible, répliqua Shan d’un ton cassant.
Le bureau ne risquait pas d’écouter les lignes qui partaient de quelque bureau oublié d’une clinique oubliée.
— Jusqu’à nouvel ordre, pour la standardiste, vous n’êtes qu’un employé de la clinique. Rien de plus. Qui tente de retrouver quelqu’un suite à une mort subite. Essayez Lhassa. Essayez Shigatsé, Pékin, Shanghai, Guangzhou. New York. Mais trouvez, c’est tout.
Il sortit la carte de visite américaine découverte avec le corps de Jao.
— Ensuite, renseignez-vous sur ceci.
Yeshe décrochait le combiné lorsque Shan quitta la pièce pour aller se poster à une fenêtre dans le couloir. Il aperçut le sergent Feng qui dormait dans le camion, devant le bâtiment. En se retournant, il fut surpris de revoir le garçon de salle tibétain qui lavait le sol, debout devant une porte ouverte et ne le quittant pas des yeux. À l’extrémité opposée du couloir, apparut un second garçon de salle poussant un fauteuil roulant. Le premier interrompit son ouvrage et attira l’attention de Shan en lui faisant signe d’approcher. Shan se dirigeait vers la porte quand il entendit un bruit métallique dans son dos : l’homme au fauteuil roulant arrivait sur lui au petit trot.
— Entrez là-dedans, lui ordonna le premier.
Shan vit un balai et des produits de nettoyage dans la pénombre d’un placard obscur. Un bras lui enserra soudain la poitrine et un chiffon aux relents violents de produits chimiques se verrouilla sur sa bouche. Un objet dur le frappa derrière les genoux. Le fauteuil roulant. La dernière chose qui resta à sa mémoire fut un bruit de clochettes.
Il se réveilla sur le sol d’une caverne, un goût amer dans la bouche. Du chloroforme. La caverne était bourrée à craquer de petites statues de Bouddha en or et en bronze et de centaines de manuscrits empilés sur des étagères. À la faible lumière des lampes à beurre, il vit deux silhouettes aux cheveux rasés jusqu’à la peau du crâne. L’une d’elles se pencha et se mit à essuyer le visage de Shan à l’aide d’un linge humide. C’était l’un des garçons de salle. À son poignet était accroché un rosaire noué de minuscules clochettes. On craqua une allumette. La caverne s’illumina tandis que Shan se redressait et que la seconde silhouette découvrait une lampe à pétrole.
On entendit un grondement sourd, comme un coup de tonnerre. À la lumière plus forte, Shan distingua une porte encadrée par une huisserie en bois. Ce n’était pas une caverne, mais une pièce sculptée dans le rocher. Le grondement de tonnerre était le bruit de la circulation au-dessus de leurs têtes.
— Pourquoi vous préoccupez-vous tellement du costume de Tamdin ? interrogea soudain la silhouette à la lampe.
C’était le moine clandestin de la place du marché, le purba au visage balafré de cicatrices.
— Vous avez interrogé le directeur Wen du bureau des Affaires religieuses à propos des costumes du musée. Pourquoi ?
— Parce que le meurtrier voulait être considéré comme Tamdin, répliqua Shan en se frottant la tempe pour en chasser la douleur. Peut-être croyait-il exécuter les vœux de Tamdin.
— Et vous pensez que quelqu’un l’a, ce fameux costume ?
— J’en suis certain.
— N’aurait-on pas délibérément semé de faux indices pour vous entraîner sur une mauvaise piste ?
Shan réfléchit à cette éventualité.
— Non, on l’a aperçu. Un individu portant ce costume a été vu par le chauffeur du procureur Jao. Et aussi sur les lieux de certains des autres meurtres. De tous les autres meurtres, qui sait.
Le purba leva la lampe près du visage de Shan.
— Seriez-vous en train de prétendre qu’il n’y a qu’un seul meurtrier depuis le début ?
— Deux, je pense, mais ils agissent de conserve.
— Mais le fait de montrer que l’un d’eux était habillé en costume religieux leur fera simplement croire qu’il s’agit de bouddhistes.
— À moins que nous ne prouvions le contraire.
— À tout instant, grommela le purba d’un air incrédule, les nœuds pourraient ouvrir le feu sur la 404e, et vous, vous passez votre temps avec les démons.
— Si vous connaissez un meilleur moyen de les sauver, dites-le-moi, s’il vous plaît.
— Si cela continue, Lhadrung sera perdu. Et deviendra une zone militarisée.
— Qu’est-ce que vous allez faire ? demanda alors Shan avec difficulté, la gorge sèche.
— Peut-être allons-nous leur livrer le cinquième.
— Le cinquième ?
— Le dernier des cinq de Lhadrung. Pour qu’ils le remettent en prison. Ainsi leur conspiration arrivera-t-elle peut-être à son terme. Il le faudra bien : ils n’auront plus personne à accuser.
C’était une solution très tibétaine, même si Shan vit la tristesse qui voilait les yeux du purba.
— Comme ça, et puis c’est tout : le dernier des cinq demande à aller en prison ! s’exclama Shan.
— J’ai beaucoup réfléchi. Il pourrait se rendre dans la montagne et conduire les rites du Bardo pour se débarrasser du jungpo. La 404e pourrait cesser sa grève et se remettre au travail.
— La Sécurité publique serait furieuse, admit Shan. Celui qui conduira les rites sera condamné et se retrouvera à la 404e.
— Exactement, confirma le purba. Il existe d’autres solutions. Les gens sont en colère.
Shan prit peur en entendant ces paroles.
— Choje, à la 404e, a dit un jour que ceux qui se donnent trop de mal pour atteindre à la bonté parfaite sont ceux qui risquent le plus souvent de commettre un mal parfait.
— Je ne sais pas ce que cela signifie.
— Cela signifie que beaucoup de mal peut être fait au nom de la vertu. Parce que, pour beaucoup, la vertu est relative.
Le purba se plongea dans l’examen de la flamme de la lampe.
— Je ne crois pas que la vertu soit quelque chose de relatif.
— Non. Ce n’est pas non plus ce que je supposais.
— Je n’ai pas dit que nous allions user de violence, ajouta le purba en soupirant. J’ai dit que les gens étaient en colère.
Il se saisit d’un des petits bouddhas en bronze qu’il pressa entre ses mains.
— La nuit où le procureur est mort, un messager est arrivé au restaurant où il mangeait. Un jeune homme. Bien habillé. Chinois. Avec un chapeau. Il avait un papier à remettre à Jao. L’un des serveurs est allé parler au procureur. Jao s’est immédiatement levé de table pour aller s’entretenir avec le messager qui lui a remis quelque chose. Une fleur. Une vieille fleur rouge, complètement desséchée. Jao est devenu très excité. Il a pris le papier et la fleur, puis il a donné de l’argent au jeune homme. Celui-ci est reparti. Le procureur a parlé à son chauffeur, puis il est retourné dîner avec l’Américaine.
— Comment savez-vous tout cela ?
— Vous vouliez savoir ce que le procureur Jao avait fait ce soir-là. Les employés du restaurant s’en sont souvenus.
Shan se rappela les membres du personnel tibétain qui s’étaient enfuis, effrayés, le jour où il était venu les interroger.
— Je dois apprendre qui a envoyé le message.
— Nous ne le savons pas. Mais un détail devrait permettre de retrouver le messager en question : l’homme avait un œil de travers. Un des serveurs l’a reconnu : le jeune homme avait été témoin au procès pour meurtre du moine Dilgo.
— Dilgo, des cinq de Lhadrung ?
L’homme au visage balafré fit signe que oui.
— Est-ce qu’il le reconnaîtrait à nouveau ?
— Certainement. Mais nous pourrions peut-être vous donner son nom. Tout simplement.
— Vous connaissez son nom ? s’étonna Shan.
— Dès que j’ai entendu son signalement, j’ai compris. J’étais au procès. C’est un dénommé Meng Lau. Un soldat.
— Celui qui prétend aujourd’hui avoir aperçu Sungpo, lâcha Shan dans un souffle, la gorge nouée.
Il se leva, excité, prêt à repartir. Le purba recula pour laisser apparaître une autre silhouette dans l’ombre, qui s’avança devant Shan afin de lui bloquer le chemin.
— Pas encore, je vous prie, dit la silhouette.
C’était une femme. Une nonne.
— Vous ne comprenez pas. Si je ne suis pas de retour…
La nonne se contenta de sourire avant de le prendre par la main pour le conduire par un petit couloir à une deuxième salle. Ce devait être un gompa autrefois, songea Shan, le mausolée souterrain d’un gompa des temps anciens aujourd’hui oublié. C’était logique. À une époque, toutes les villes tibétaines se bâtissaient autour d’un gompa central. La deuxième salle était brillamment éclairée par quatre lanternes suspendues à des poutres.
Un homme de petite taille était penché sur une table en bois mal équarri, en train d’écrire dans un grand livre. Il releva les yeux, cerclés d’une paire de lunettes à la monture métallique frêle, et cligna plusieurs fois des paupières.
— Mon ami ! s’exclama-t-il avec un gloussement de plaisir, en bondissant au bas de son tabouret pour donner l’accolade à Shan.
— Lokesh ? Est-ce que c’est toi ?
Le cœur de Shan se mit à battre la chamade tandis qu’il maintenait l’homme à bout de bras pour le détailler de plus près.
— Mon esprit a pris son envol quand ils ont dit que tu allais peut-être venir ! s’écria le vieil homme avec un énorme sourire.
Shan n’avait jamais vu Lokesh autrement qu’en tenue de prisonnier. Il le regarda, envahi par l’émotion. C’était comme de retrouver un oncle depuis longtemps perdu.
— Tu as pris du poids.
Le vieil homme éclata de rire et serra à nouveau Shan dans ses bras.
— Tsampa. Tout le tsampa que je désire.
Shan vit un quart métallique à l’aspect familier sur la table, à moitié rempli d’orge grillé. C’était l’un des ustensiles utilisés à la 404e. Difficile de perdre les vieilles habitudes.
— Mais ton épouse. Je croyais que tu étais allé à Shigatsé avec elle.
— C’est ce que j’ai fait, répondit le vieil homme en souriant. Ce qui est drôle, c’est que deux jours après mon retour à la maison, l’heure de ma femme est arrivée.
Shan le fixa d’un œil incrédule.
— Je suis…
Je suis quoi ? pensa-t-il. Désespéré ? Furieux ? Paralysé par l’impuissance face à ce qui est arrivé ?
— Je suis désolé, dit-il.
Lokesh haussa les épaules.
— Un prêtre m’a dit que quand une âme est mûre, elle se contente de tomber de l’arbre, comme une pomme. J’ai pu être à ses côtés quand son heure est venue. Grâce à toi.
Il serra Shan une fois encore entre ses bras, se recula et ôta une petite boîte décorative qu’il avait autour du cou : un ancien gau, son réceptacle de charmes. Il plaça le cordon autour de la tête de Shan.
— Je ne peux pas, protesta ce dernier.
— Bien sûr que si, le fit taire Lokesh en lui posant un doigt sur les lèvres, avant de tourner la tête vers la nonne. Le temps manque pour nous disputer.
La nonne fixait la pénombre, là où ils avaient laissé le purba balafré. Ses yeux étaient mouillés de larmes quand elle refit face à Shan.
— Vous devez nous aider. Vous devez l’arrêter.
— Il a pourtant promis qu’il ne commettrait pas d’actes de violence, précisa Shan qui ne comprenait plus rien.
— Hormis sur lui-même.
— Lui-même ?
— Il veut aller dans la montagne pour accomplir les rites interdits avant de se livrer aux nœuds.
Sa main serra le bras de Shan tandis que ce dernier essayait de percer l’obscurité du labyrinthe souterrain. Il comprenait, enfin. Le purba au visage défiguré était le cinquième, le dernier des cinq de Lhadrung. Et le suivant sur la liste à être accusé de meurtre si la conspiration se poursuivait.
Lokesh dégagea doucement la main de la nonne et conduisit Shan à la table.
— La 404e a de nouveaux ennuis. Nous avons une nouvelle fois besoin de ta sagesse, Xiao Shan.
Shan suivit Lokesh vers la table où était posé le livre, aux dimensions d’un dictionnaire géant, relié en bois et en tissu. C’était un manuscrit, rédigé en écritures différentes et même en langues différentes. Essentiellement en tibétain, mais aussi en mandarin, en anglais et en français.
— Il existe onze exemplaires de ce livre au Tibet, expliqua la nonne aux yeux tristes d’une voix douce. Plusieurs autres au Népal et en Inde. Et même un à Pékin.
Elle s’écarta et fit signe à Shan de s’asseoir à la table.
— On l’appelle le Livre du Lotus.
— Tiens, mon ami, dit Lokesh d’un ton alerte en ouvrant le livre aux premières pages. C’était tellement merveilleux d’être vivant à cette époque-là. J’ai lu ces pages cinquante fois et il m’arrive encore, de temps à autre, de pleurer de joie aux souvenirs qu’il soustrait à l’oubli.
Les pages n’étaient pas uniformes. Certaines étaient des listes, d’autres ressemblaient à des articles d’encyclopédie. Le tout premier mot du livre était une date : 1949, l’année précédant la libération du Tibet par les communistes.
— C’est un catalogue de tout ce qui existait ici avant la destruction, comprit Shan avec respect et admiration.
Il ne s’agissait pas simplement d’un répertoire détaillé des gompas et autres lieux sacrés, l’ouvrage contenait également les nombres et les noms des moines et des nonnes, et même les dimensions des bâtiments. Pour de nombreux sites avaient été transcrits des récits de première main qui racontaient la vie en ces lieux. Lokesh était occupé à écrire quand Shan était entré dans la pièce.
— La première moitié, oui, acquiesça la nonne, avant d’ouvrir la page repérée par un marqueur en soie où commençait une nouvelle liste.
C’était cette fois un inventaire de gens, un annuaire de noms individuels. Shan éprouva une sensation d’étranglement à mesure qu’il lisait.
— Ce sont tous des noms chinois.
— Oui, murmura Lokesh, soudain moins expansif. Des Chinois, ajouta-t-il avant que ses bras tombent mollement sous leur poids et qu’il s’immobilise, à croire qu’il avait perdu soudain toutes ses forces.
La nonne se pencha et tourna les pages vers la fin du livre, là où les toutes dernières transcriptions avaient été faites. Un à un, elle montra des noms à Shan, incrédule, horrifié. Lin Ziyang était là, le directeur des Affaires religieuses, assassiné, tout comme Xong De, directeur des mines, décédé, et Jin San, ancien directeur du collectif du Long Mur. Tous trois victimes des cinq de Lhadrung.
Quarante minutes plus tard, ils remettaient Shan, les yeux masqués, dans son fauteuil roulant qui s’engagea au milieu des grincements dans les couloirs taillés à même la roche, puis sur les dalles lisses de la clinique, tournant et virant un si grand nombre de fois qu’il n’aurait jamais pu reconstituer l’itinéraire. Soudain, avec le même bruit de clochettes, le foulard qui lui bandait les yeux fut dénoué et il se retrouva dans le couloir de façade, seul.
Yeshe était toujours au téléphone, et discutait âprement. Il raccrocha en voyant Shan.
— J’ai essayé toutes les combinaisons. Rien ne paraît marcher.
Il rendit le morceau de papier à Shan.
— J’ai noté les autres possibilités. Des numéros de pages. Des coordonnées. Des nombres spécifiques. Des produits de nombres. Ensuite j’ai pensé à me renseigner sur les projets de voyage de Jao. À Lhassa, il existe une agence pour les officiels du gouvernement. J’ai passé un coup de fil pour avoir confirmation de ce qui a été dit sur son itinéraire.
— Et alors ?
— Il se rendait bien à Dalian, aucun doute là-dessus, avec une journée de transit d’abord. À Pékin. Mais pas d’autres dispositions pour Pékin. Aucune voiture du ministère de la Justice pour venir le chercher.
Shan approuva d’un lent hochement de tête.
— Voyant que vous ne reveniez pas, je suis passé à autre chose. J’ai appelé cette femme aux Affaires religieuses. Elle m’a répondu qu’elle allait vérifier en personne les bordereaux de recensement des objets d’art et que je la rappelle un peu plus tard. Ce que j’ai fait. Elle m’a alors annoncé qu’il en manquait un.
— Qu’est-ce qui manquait ? Un bordereau ?
Yeshe acquiesça d’un air éloquent.
— Concernant le recensement effectué au gompa de Saskya il y a quatorze mois. Les archives d’expédition montrent que tout a été envoyé au musée de Lhassa. Mais elle ne retrouve dans ses dossiers aucun inventaire détaillé de ce qui a été effectivement découvert. C’est une infraction absolue aux procédures.
— Je me demande.
Yeshe parut surpris par la réaction de Shan avant de poursuivre.
— Et j’ai aussi essayé ce bureau de Shanghai.
— La compagnie américaine ?
— Exact. On ne connaissait pas le procureur là-bas. Mais quand j’ai mentionné le nom de Lhadrung, ils se sont souvenus d’une demande de la clinique, ici. En précisant qu’il y avait eu un échange de courrier.
— Et ?
— Des tas de parasites, et la ligne s’est coupée.
Un temps de silence, et il sortit une feuille de papier de sous le sous-main.
— Donc je suis allé à leur antenne locale. Ici même. En expliquant que je devais vérifier leurs fichiers chronologiques. Et voilà ce que j’ai trouvé. Vieux de six semaines.
Il s’agissait d’une lettre du Dr Sung au bureau de Shanghai, demandant si la compagnie acceptait de fournir un appareil de radiographie portable, contre retour sous trente jours si ledit appareil se révélait non compatible avec les besoins de la clinique.
Shan plia le papier dans son calepin. Il se dirigea vers la sortie et démarra au petit trot.
Mme Ko les conduisit dans un restaurant près de l’immeuble des bureaux du comté.
— Mieux vaut attendre, dit-elle, en indiquant une table vide dans le fond, à côté d’une porte gardée par un serveur tenant un plateau dans ses bras croisés sur la poitrine.
Le sergent Feng commanda des nouilles ; Yeshe, de la soupe aux choux. Shan sirota son thé d’un air impatient, puis, après dix minutes, se leva et alla à la porte. Mme Ko l’intercepta.
— Pas d’interruptions ! le gronda-t-elle. – Puis, voyant la détermination dans son regard, elle ajouta avec un soupir : — Permettez-moi, en se faufilant derrière la porte.
Quelques instants plus tard, une demi-douzaine d’officiers de l’armée sortaient comme à la parade, un à un, et elle ouvrit la porte à Shan.
La pièce puait la cigarette, l’oignon et la viande frite. Tan fumait seul à une table ronde tandis que le personnel débarrassait.
— Parfait, fit-il, en soufflant brutalement par le nez. Vous savez comment j’ai passé ma matinée ? À me faire faire la leçon par la Sécurité publique. Il se peut qu’on me colle un rapport pour dégradation de la discipline civile. On fait état de mon abus de procédures dans le cadre de l’enquête. Il a été noté que la sécurité au camp de la Source de jade a été battue en brèche à deux reprises au cours des quinze dernières années. Et deux fois cette semaine. On rapporte que l’un de mes blocs de cellules a été transformé en un foutu gompa. On a laissé sous-entendre l’éventualité d’une enquête pour espionnage. Qu’est-ce que vous dites de ça ?
Il tira à nouveau sur sa cigarette et souffla lentement sa fumée en observant Shan à travers son nuage.
— Les gens de la Sécurité publique disent que leurs unités postées à la 404e entameront les procédures finales demain.
Shan essaya de masquer le frisson qui lui parcourut l’échine.
— Le procureur Jao a été tué par quelqu’un qu’il connaissait. Un collègue. Un ami.
Tan alluma une nouvelle cigarette au mégot de la précédente et fixa Shan en silence.
— Vous en avez finalement la preuve ?
— Un messager est venu, ce soir-là, avec un papier.
Shan expliqua ce qui s’était passé au restaurant, sans révéler l’identité du messager : Tan n’accepterait jamais la parole d’un purba contre celle d’un soldat.
— Cela ne prouve rien.
— Pourquoi le messager n’a-t-il pas voulu donner le papier au chauffeur de Jao ? Tout le monde connaissait Balti. Tout le monde laisse des messages aux chauffeurs. C’est ce qui se fait habituellement. Balti était dehors avec la voiture. Ils devaient se rendre à l’aéroport.
— Peut-être que ce messager-là ne connaissait pas Balti.
— Je ne crois pas.
— Alors, bien sûr, nous allons libérer Sungpo, répliqua Tan d’une voix acide.
— Même si le messager ne connaissait pas Balti, les serveurs l’auraient adressé au chauffeur de la voiture. Et le garçon l’a intercepté en présumant que c’était ce que Jao désirait. Au lieu de quoi Jao s’est entretenu avec lui, directement. Il s’attendait à quelque chose, ou il a reconnu quelque chose, un fait, un détail qui a instantanément attiré son attention. Il a parlé au porteur de la nouvelle. Loin du garçon. Loin de sa table où l’Américaine était assise. Loin de Balti. Et ce qu’il a entendu était de nature tellement urgente qu’en dépit de ses habitudes ordonnées, il a chamboulé tous ses plans.
— Il connaissait Sungpo. Sungpo aurait pu adresser le message.
— Sungpo était dans sa caverne.
— Non. Sungpo était à la griffe sud, embusqué, prêt à tuer.
— Des témoins jureront que Sungpo n’a jamais quitté sa caverne.
— Des témoins ?
— Le dénommé Jigme. Le moine Je. Tous deux ont fait des dépositions.
— Un orphelin de gompa et un vieillard sénile.
— Supposons que ce soit Sungpo qui ait envoyé le message, proposa Shan. Le procureur ne se serait jamais rendu seul dans un lieu isolé, sans protection, pour retrouver un homme qu’il avait expédié en prison. Aucun moine n’aurait pu obliger Jao à se comporter de cette manière. Il était impatient d’arriver à l’aéroport.
— Donc quelqu’un a aidé Sungpo. Quelqu’un a menti.
Shan fixa le colonel avec un sourire de victoire.
— Merde, marmonna Tan entre ses dents.
— Exact. Une personne en laquelle il avait confiance a attiré Jao grâce à des informations que le procureur pourrait utiliser pendant son voyage. Des renseignements qui l’aideraient dans son enquête secrète. Quelque chose dont il serait susceptible de se servir à Pékin. Il faut que nous trouvions de quoi il s’agit.
— Il n’avait rien à faire à Pékin. Vous avez vu le fax de Mlle Lihua. Il était juste de passage, en route pour Dalian.
Tan contempla le petit monticule que faisaient ses cendres sur la nappe.
— Alors pourquoi a-t-il pris ses dispositions pour s’arrêter un jour là-bas ? demanda Shan.
— Je vous l’ai dit. Les magasins. La famille.
— Ou quelque chose à propos d’un pont de bambou.
— Un pont de bambou ?
— Il y avait une note dans sa veste.
— Quelle veste ?
— J’ai trouvé sa veste.
Tan redressa la tête, tout excité d’un coup.
— Vous avez trouvé le Khampa, n’est-ce pas ? Vous avez affirmé au procureur adjoint que non, mais c’est faux.
— Je suis allé au Kham. J’ai trouvé la veste du procureur. Nous avons fait de notre mieux. Balti n’était pas impliqué.
Tan lui offrit un sourire d’approbation.
— C’est un véritable exploit que de pister une veste jusque dans les lieux les plus sauvages.
Il éteignit sa cigarette et releva la tête, le visage plus sombre.
— Nous nous sommes renseignés sur votre lieutenant Chang.
— A-t-on retrouvé son corps ?
— Pas mon problème.
De nouvelles funérailles en plein ciel, pensa Shan.
— Mais il était membre de l’armée. C’était l’un des vôtres.
— C’est là où le bât blesse. Il n’était pas APL. Pas vraiment.
— Mais il était à la 404e.
Tan le fit taire d’une paume levée en l’air.
— Quinze ans au bureau de la Sécurité publique. Transféré à l’APL il y a juste un an.
— Ça n’a pas de sens, déclara Shan.
Personne ne quittait les rangs d’élite des nœuds pour rejoindre l’armée.
— Avec le bon protecteur, ça pourrait en avoir, précisa Tan.
— Mais vous n’en saviez rien vous-même ?
— Le transfert a été reporté sur les registres de l’armée deux jours avant son arrivée ici.
— Peut-être pour cacher quelque chose, suggéra Shan. Il aurait pu continuer à travailler pour un membre du bureau.
— Foutaises. Sans que je sois au courant ? rétorqua Tan.
En guise de réponse, Shan se contenta de le fixer sans ciller, en laissant les mots faire leur chemin.
— Les salauds, grogna Tan d’un ton féroce en serrant les mâchoires.
— Où le lieutenant Chang a-t-il servi par le passé ?
— Plus au sud. Zone de sécurité de la frontière. Sous le commandant Yang.
Ainsi donc il avait un nom, finalement, songea Shan.
— Que savez-vous de ce commandant Yang ?
— Dur comme la pierre. Célèbre pour sa manière d’arrêter les contrebandiers. Il ne fait pas de prisonniers. Et sera général un jour.
— Colonel, pourquoi un officier aussi estimé irait-il se donner la peine de procéder personnellement à l’arrestation de Sungpo ?
— Vous savez ça ? s’étonna Tan, le front creusé par une profonde ride.
Shan opina du chef.
— Un homme comme ça va où il veut, dit Tan d’une voix peu convaincue. Il n’a aucun compte à me rendre. Il est Sécurité publique. S’il veut aider le ministère de la Justice, je ne peux rien y faire.
— Si je dirigeais une enquête du bureau, je ne pense pas que j’irais parader à travers tout le comté au volant d’un véhicule rouge vif ou faire vrombir un hélicoptère dans les campagnes.
— Peut-être est-ce simplement de l’amertume de votre part. Il me semble me souvenir que votre mandat d’arrêt avait été signé par le quartier général du bureau. C’est Qin qui avait donné l’ordre, mais c’est le bureau qui l’a mis en œuvre.
— Peut-être, reconnut Shan. Mais malgré tout, le lieutenant Chang a essayé de nous tuer. Et Chang travaillait probablement pour le commandant.
Tan secoua la tête, toujours dans l’incertitude.
— Chang est mort, et vous devez terminer votre travail, déclara-t-il en se levant, comme s’il se préparait à partir.
— Avez-vous entendu parler du Livre du Lotus ? demanda Shan alors que Tan atteignait la porte. C’est le travail des bouddhistes.
— Le luxe des études religieuses est quelque chose à quoi je n’ai pas accès, répondit Tan avec impatience.
— Il s’agit d’un catalogue. Dont le début de la rédaction remonte à vingt ans. Un répertoire de noms. De lieux et… – Shan chercha le mot – … d’événements.
— Des événements ? Quels événements ?
— Dans une section du livre, les noms sont pratiquement tous chinois han. Sous chaque nom, une description. Du rôle qu’a joué l’individu en question dans la destruction d’un gompa. De sa participation aux exécutions. Ou au pillage des lieux saints. Les viols. Les meurtres. Les tortures. C’est très explicite. Au fur et à mesure que le livre circule, il est remis à jour. C’est devenu une sorte d’insigne honneur que d’ajouter son nom à la liste des auteurs.
— Impossible, bouillonna Tan, raide comme un cierge. Ce serait un acte contre l’État. Une trahison.
— Le procureur Jao est cité dans ce livre. Pour avoir dirigé la destruction des cinq plus grands gompas du comté de Lhadrung. Trois cent vingt moines ont disparu. Deux cents autres ont été expédiés en prison.
Tan se laissa glisser dans un fauteuil, le visage illuminé par une excitation toute nouvelle.
— Mais ce serait une preuve. Preuve qu’il était pris pour cible par les radicaux.
— Lin Ziyang du bureau religieux est dans le livre lui aussi, poursuivit Shan. Vingt-cinq gompas et chortens détruits sous son commandement dans l’ouest du Tibet. Il a dirigé l’expédition d’une cargaison d’antiquités estimée à dix millions de dollars à Pékin où tout a été fondu pour en récupérer l’or. C’est lui qui a eu l’idée d’affecter des nonnes aux installations militaires pour la distraction du personnel. Xong De, du ministère de la Géologie, s’y trouve également. Il a dirigé une prison quand il était plus jeune. Il avait une prédilection pour les pouces.
— Je veux ce livre ! beugla Tan. Je veux ceux qui l’ont rédigé.
— Ce livre n’existe pas sous un seul volume. Il circule. Des copies en sont faites. À la main. Il est par tout le pays. Et même hors des frontières.
— Je veux ceux qui l’ont rédigé, répéta Tan, plus calmement. Ce qui y est écrit n’est pas important. Rien que de l’histoire. Mais l’acte de rédiger…
— J’aurais cru, l’interrompit Shan, que l’enquête qui nous occupe était déjà au-delà de nos possibilités.
Tan sortit une cigarette et la tapota nerveusement sur la table, comme s’il concédait ce dernier point.
— À la 404e, continua Shan, je connais des prisonniers capables de réciter comme si c’était arrivé hier le détail des atrocités commises au XVIe siècle par les armées païennes qui ont attaqué le bouddhisme. C’est une manière de conserver l’honneur de ceux qui ont souffert, et de garder la mémoire de la honte de ceux qui ont commis ces actes.
La colère de Tan commença à se consumer d’elle-même.
— C’est bien là la preuve que les meurtres étaient liés, fit-il remarquer avec lassitude, comme s’il n’avait pas la force de livrer plus d’une bataille à la fois.
— Je n’en ai pas le moindre doute, répondit Shan.
— Mais cela prouve justement le bien-fondé de mon argument sur le potentiel déstabilisant des hooligans minoritaires.
— Non. Les purbas voulaient que je sois mis au courant pour se protéger.
— Qu’est-ce que vous voulez dire ?
— Eux aussi veulent que nous résolvions ces meurtres. Ils se sont rendu compte que si le bureau découvrait l’existence du livre et s’il pensait que le livre était lié aux meurtres, on s’en servirait pour les détruire. Il reste encore un membre des cinq de Lhadrung. Encore un meurtre pour lui faire porter le chapeau. Et si un représentant de la haute autorité est assassiné, les nœuds s’installeront définitivement. Et avec eux, la loi martiale. Ce qui ramènerait Lhadrung trente ans en arrière.
— Un représentant de la haute autorité ?
— Il y a un autre nom dans le livre. Cité pour avoir éliminé quatre-vingts gompas. Détruit dix chortens afin de construire une base de missiles. Responsable de la disparition d’un camion de rebelles khampas qu’on transportait au lao gai. En avril 1963. C’est le seul autre nom de Lhadrung à se trouver dans le Livre du Lotus. Le seul qui soit encore en vie. Un homme qui a supervisé le rasage par le feu de quinze autres gompas. Deux cents moines ont trouvé la mort dans les bâtiments pendant l’incendie, termina Shan d’un ton glacé.
Il arracha la page qu’il avait transcrite dans son calepin et la laissa tomber sur la table devant Tan.
— C’est votre nom.