JIMMY HOFFA A DISPARU

Eric Sanders, neuf ans, n'a pas encore toutes ses dents, et son sourire est charmant, mi-perle blanche mi-trou noir. Son copain de jeu, Mitch, pour quelques mois de plus, a deux dents de moins.

Les deux gamins sont en train de discuter de l'avantage qu'il y a à perdre des dents, pour avoir des cadeaux, comparé à l'inconvénient pour le masticage des hamburgers aux oignons. A Pontiac, dans le Michigan, comme ailleurs, les gamins en vacances s'ennuient le dimanche et échangent des considérations philosophiques de leur âge.

Ils s'ennuient tant ces deux gamins-là, au bord de la longue route qui borde l'immense plaine, au bout de laquelle est installée la ville immensément plate... qu'ils n'ont même plus envie de jouer aux cow-boys. Assis sur un monticule de terre, les bras ballants, ils voient arriver de loin une voiture noire, longue, qui stoppe à l'autre bout du champ. Trois hommes en descendent. Deux restent immobiles près de la voiture, et le troisième s'avance vers les enfants. Une vilaine tête de traître de cinéma, un chapeau bas sur les yeux, des gants de cuir, des bottes de cuir.

- Hé les gamins... allez jouer ailleurs!

Eric zozote :

- Ben quoi, on fait rien de mal!

- T'as entendu? J' t'ai dit d'aller jouer ailleurs...

Les bottes de cuir approchent d'un pas menaçant et Eric n'insiste pas, Mitch non plus, qui d'ailleurs, étant le plus trouillard des deux, enguirlande son copain en déguerpissant :

- T'es pas malade, ce bonhomme a l'air d'un gangster...

Eric disparaît avec Mitch derrière le mur démoli d'un ancien entrepôt et s'arrête :

- Viens... On va faire le tour, on verra bien ce qu'il magouille, ce type...

- Il va nous flanquer une raclée oui...

- Allez viens...

Eric entraîne son camarade de l'autre côté du mur, là où le remblai de la route est un peu plus haut. Aplati par terre, le nez au ras des mauvaises herbes, Eric jette un œil curieux...

- Ouah... regarde! Mais regarde...

Mitch n'ose pas lever la tête.

- Raconte.

- Ils sont remontés dans la voiture, ils attendent.

- Et alors qu'est-ce que ça a de terrible?

- Attend, y a un quatrième type qui est dehors, en blouson. Il a une pioche... il creuse un trou... Tiens y a un autre type qui sort et qui vient l'aider, il enlève sa veste... il prend une autre pioche... Ça fait une de ces poussières!

- Bon allez, viens, on rentre...

- Tu rigoles, c'est des gangsters... Je te parie qu'ils ont flingué un mec et qu'ils sont en train de faire un trou pour l'enterrer...

Mitch est trouillard, mais logique.

- Eh ben justement... Si les types s'aperçoivent que tu les as vus, c'est toi qu'ils mettront dans le trou...

L'argument allant dans le sens de l'imagination d'Eric, les deux gamins détalent, pour de bon cette fois-ci.

2 août 1975. La grand-mère d'Eric, Maggie Sanders, se laisse choir dans son fauteuil de rotin. Sa vieille bicoque de Floride sent le sable chaud, les vacances, et aurait bien besoin d'être repeinte. Mais depuis la disparition de Timmy Sanders, son époux, tout craque et se détériore lentement dans la maison. Il est là au mur, photographié en tenue de pêcheur, brandissant fièrement son dernier espadon. Maggie le contemple avec attendrissement lorsque le téléphone la fait sursauter :


- Mamy, c'est moi, Helen...

- Ah, alors quand arrivez-vous? Il est temps qu'Eric profite un peu de la mer...

- J'ai quelque chose d'important à vous dire, mamy, nous ne partirons peut-être pas tout de suite...

- Qu'est-ce qu'il y a? C'est grave?

- Mamy... écoutez-moi bien...

La voix de sa belle-fille a l'air si excitée que madame Sanders interrompt le balancement de son fauteuil de rotin. Elle écoute attentivement :

- Mamy, je sais où on a enterré Jimmy Hoffa.

- Mais de quoi parles-tu, Helen... C'est un jeu radiophonique?

- Mamy... Vous savez quand même qui est Jimmy Hoffa?

Madame Sanders a soixante ans, c'est une bonne Américaine, d'origine scandinave, qui vote, qui va à l'église, lit des romans anglais, fabrique des couvertures en patchwork qui font l'admiration de la famille, mais ignore jusqu'au nom de Jimmy Hoffa. Devrait-elle le connaître? Certainement. Jimmy Hoffa n'est pas n'importe qui, tous les journaux en parlent depuis deux jours, ceux du Michigan comme ceux de Floride.

- Vous avez lu les journaux quand même?

Oui, madame Sanders a parcouru les journaux, mais elle ne s'intéresse à l'actualité que de très loin et à vrai dire se concentre surtout sur les nouvelles locales...

Jimmy Hoffa les déborde largement. Il est connu dans toute l'Amérique et dans le monde entier. Il est le président du plus grand syndicat des États-Unis et du monde. Le syndicat des transporteurs. « The International Brotherhood of Teamsters. » Cette puissante organisation professionnelle englobe d'autres activités, parmi lesquelles figurent aussi bien les hôtesses de l'air que les employés des pompes funèbres. En 1975, les « teamsters » comptent près de deux millions et demi de membres. De nombreuses personnes ont intérêt à adhérer au syndicat, ne serait-ce que pour pouvoir exercer leur profession. Car Jimmy Hoffa, caïd légendaire du syndicalisme musclé, comme on dit, n'a pas craint de s'allier à la Mafia, et il évolue maintenant dans les milieux financiers les plus troubles, et dans l'illégalité la plus totale.

Madame Sanders l'aurait plutôt pris pour un acteur de cinéma si on l'avait poussée dans ses retranchements.

- Ma chérie, tu peux toujours m'expliquer qui est Jimmy Hoffa, je ne vois pas le rapport avec les vacances... Je suis arrivée hier, j'ai tout nettoyé comme d'habitude... et tu me dis que vous ne venez pas?

- Mais si, mamy, mais si, mais rendez-vous compte... je viens de vous dire que nous savions où il est enterré!

- Parce qu'il est mort?

- Mamy lisez le journal... Vous avez le journal ? Bon je vous rappelle dans un moment.

Stupéfaite, madame Sanders cherche pendant quelques minutes le journal, qui lui a servi en fait à emballer son poisson. Rien de tel qu'un bon papier journal pour garder le poisson au réfrigérateur, il est à l'abri et il respire...

La lecture en est rendue difficile, évidemment.

Jimmy Hoffa... Mon Dieu un titre sur quatre colonnes...



« Jimmy Hoffa a disparu depuis le 30 juillet 1975. Son épouse Joséphine ne le voyant pas rentrer à dix heures du soir a alerté tous ses amis et, après une nuit sans nouvelles, s'est décidée à prévenir la police. La police a retrouvé la voiture du président du syndicat dans le parking d'un restaurant de luxe, à vingt-cinq kilomètres au nord-ouest de Detroit. Aucune trace de son propriétaire... La police ignore s'il s'agit d'une disparition volontaire, d'un kidnapping, ou d'un assassinat. Mais les conclusions des spécialistes sont déjà formelles : Cette entreprise a été menée par des professionnels. »

Madame Sanders examine la photo de Jimmy Hoffa, un homme robuste et trapu de soixante-deux ans. La légende dit : « Après sept ans d'efforts, Bobby Kennedy obtenait la condamnation de Jimmy Hoffa. Il restait pourtant à la tête du syndicat et n'était incarcéré qu'en 1967. Pendant deux ans, du fond de sa prison, et bien qu'évincé de la présidence, Hoffa a conservé une influence considérable sur son organisation. Rappelons que son poids électoral amena Nixon à le faire libérer. »

Bien, se dit madame Sanders. Ce Jimmy Hoffa est un homme important... Je me souviens effectivement que ce pauvre Timmy m'en parlait souvent, comme d'une sorte de gangster, me semble-t-il...

La photo de Joséphine, l'épouse du disparu, émeut un instant madame Sanders. Ce doit être horrible de ne pas savoir... Le journal dit que cet homme était très attaché à sa famille, qui vient de faire une déclaration et a lancé un appel aux membres du syndicat des routiers américains. Chacun doit apporter son aide à l'enquête. La famille offre deux cent mille dollars pour toute information crédible, et a créé un « fond de récompense Jimmy Hoffa » pour recueillir les donations qui viendraient s'ajouter à cette somme. La section des teamsters de Detroit offre déjà 25 000 dollars.

Maggie Sanders repose le journal et se lave les mains. Le poisson doit changer d'enveloppe protectrice. Et elle ferait bien de faire réparer cette fichue télévision. Elle n'a rien su de tout cela. Le départ pour les vacances, le voyage, le ménage, dans l'attente de l'arrivée des enfants, et cette télé en panne, et son voisin Paul qui lui tend un poisson frais pêché, qu'elle enveloppe dans son journal, en gardant la feuille locale. Maggie Sanders se morigène... Tu deviens vieille, Maggie, tu perds le contact avec l'actualité... Cet homme est d'une extrême importance aux États-Unis... et il a disparu, et Helen me dit qu'elle sait où on l'a enterré? Mais comment ma belle-fille peut-elle savoir une chose que la police ne sait pas ?.., Que personne ne sait... Une chose qui vaut deux cent mille dollars, plus vingt-cinq mille... et peut-être plus encore à l'heure qu'il est...

- Helen ? C'est mamy. Qu'est-ce que c'est que cette histoire? Comment sais-tu?

- C'est Eric, mamy... Il m'a raconté...

Eric, effectivement, a raconté ce qu'il a vu. Tout le Michigan étant sur les dents, puisque la voiture de Hoffa a été retrouvée dans une petite ville à vingt-cinq kilomètres de Detroit, Helen et son mari ont pensé que... pourquoi pas?

- Helen, vous vous montez la tête, mon fils et toi. Eric a vu des hommes creuser un trou... et alors?

- Mamy... avec une pioche et une pelle, et il y avait plusieurs hommes, et une voiture noire, et ils ont chassé les enfants! S'ils enterraient quelque chose, pourquoi pas un homme? Et si c'est un homme, pourquoi pas Jimmy Hoffa? La date de sa disparition concorde. Eric a assisté à cette scène hier... Il a disparu avant-hier... De plus Eric m'a conduite à l'endroit...

- Et alors?

- La terre a bien été retournée, sur près de deux mètres de long et un mètre de large... J'en ai eu des frissons...

— C'est pas Dieu possible... Est-ce qu'Eric en a parlé à quelqu'un d'autre?

- Non, mamy, nous le lui avons interdit.

- Et son camarade?

- Il n'a rien vu de précis, et il ne dira rien non plus. Alors, mamy, qu'en pensez-vous ? Que faut-il faire? Vous avez vu ce qu'on offre?

Depuis sept ans que Bobby, son fils, clerc de notaire à Pontiac, dans le Michigan, a épousé Helen, Maggie est toujours consultée sur les décisions importantes. Et celle-ci en est une... Deux cent mille dollars plus vingt-cinq mille...

- Il faut garder Eric à la maison. Laisse-moi réfléchir au reste...

Madame Sanders se dit que si Bobby se rend à la police, en déclarant tout de go qu'il sait où se trouve le cadavre de Jimmy Hoffa, sans apporter de preuve... les policiers vont déterrer le cadavre et demander à partager la prime, ils peuvent même l'exiger pour eux seuls... Ce qu'il faudrait, c'est se faire connaître de la famille Hoffa, fournir une preuve sans révéler l'endroit. C'est exactement ça qu'aurait fait son défunt mari... s'il était encore là. Lorsqu'on trouve un trésor, ne montrer qu'une pièce pour le négocier, et ne jamais dire où il est. En Floride, tous les chercheurs de trésor le savent. Et il y en a...

L'ennui c'est que Bobby n'a pas le côté malin de son père, il n'est pas assez dégourdi pour mener un jeu pareil. D'autant plus que s'il va voir la police et qu'il n'y a rien dans ce trou, la famille sera la risée de la ville...

C'est pourquoi Maggie Sanders dit à sa belle-fille :

- Bon, ne faites rien pour le moment, attendez-moi, j'arrive.

- Tout de suite? Maintenant?

- Oui... Ça n'a rien d'extraordinaire, j'appelle un taxi, je file à l'aéroport, je serai là vers minuit, prépare-moi ma chambre...

— Mais...

— Il n'y a pas de mais... J'arrive... Juste le temps de congeler mon poisson...

Maggie Sanders ne perd pas le Nord. Même si l'actualité et la politique surviennent brutalement dans sa vie, un poisson est un poisson.

En pantalon, le style Garbo et souliers plats, la grand-mère d'Eric Sanders fait ce qu'elle a dit dans l'ordre : poisson, taxi, aéroport, avion. Et la voilà aux environs de une heure du matin en face de son fils et de sa belle-fille.

- Alors, quelles sont les nouvelles, je n'ai pas pu suivre les informations dans le taxi, ce fichu conducteur écoutait du jazz...

- La télévision vient de dire que la police pensait à un assassinat. Le cadavre n'est toujours pas retrouvé.

— Eric ?

- Il dort, il n'est pas ressorti, mais j'ai bien l'impression que lui ou son camarade Mitch ont raconté quelque chose...

- C'est ennuyeux ça... Qu'est-ce qui vous le fait penser?

- Le mieux est que tu viennes voir, si tu n'es pas trop fatiguée...

Maggie Sanders grimpe dans la voiture de son fils, une vieille Dodge, qui roule bientôt sur la route immensément plate, le long de l'immense plaine. Dans la nuit ils aperçoivent très vite des lueurs qui dansent comme des lucioles au-dessus d'un terrain broussailleux, à quelques centaines de mètres.

- Voilà, c'est bien ce que je pensais, ça a commencé tout à l'heure en fin de journée, et ils continuent...

- Qui sont ces gens?

- Des habitants de Pontiac... Ils cherchent le cadavre... Tout le monde cherche le cadavre...

- Alors c'est fichu! Ils vont finir par le trouver.

- Non, maman, pas encore. Je suppose que les enfants ne se sont pas bien expliqués, ou bien que ce qu'ils ont dit à d'autres enfants a été transformé... L'endroit où Eric nous a emmenés est de l'autre côté de la route... Tu vois... Eric était caché derrière ce talus, à proximité du vieux mur... et les hommes se sont arrêtés là-bas... presque à hauteur du vieux réservoir...

- Allons voir quand même...

La vieille Dodge roule à présent le long d'une file interminable de voitures garées au bord de la route. Les chercheurs de cadavres...

D'ailleurs un policier en uniforme stoppe la voiture, l'air fatigué et goguenard :

- Si vous venez pour le cadavre, c'est complet...

Le policier promène sa torche sur le visage du conducteur, puis effleure celui de Maggie Sanders.

- Vous pouvez chercher ailleurs, remarquez, c'est comme ça dans tout l'État...

Maggie grommelle :

- Permettez, votre cadavre, on n'en a rien à faire... Nous faisions un tour... pour prendre l'air.

- A cette heure-ci?

- J'arrive de Miami, mon avion a atterri il y a vingt minutes. Vous voulez voir mon billet?

Le policier a l'air d'un brave homme, tout simplement écœuré par cette foule armée de pelles et de pioches, en jeans et en bottes, transpirante, excitée, creusant espace par espace, et surveillant jalousement les frontières du territoire de fouille que chacun s'est attribué.

- Excusez, madame, mais regardez-les... Ils vont bientôt se battre pour un centimètre de terrain... On en a pour la nuit...

Maggie Sanders, qui ne perd toujours pas le Nord, profite de la présence bonasse du policier.

- Mon pauvre ami, je vous plains. Au fait j'étais dans l'avion et je n'ai pas entendu les informations. Il y a du nouveau dans l'affaire?

- Ah, ma pauvre dame... Faudrait y comprendre quelque chose pour savoir s'il y a du neuf... Tout ça c'est Mafia et compagnie... et pendant ce temps, les camionneurs qui veulent prendre leur retraite ont des surprises... C'est moi qui vous le dis!

- Ah bon? Pourquoi?

Tout ce que le policier a retenu de l'histoire, c'est la vérité qui éclate enfin au grand jour, sur le fonctionnement du syndicat. Lorsqu'un retraité demande son dû, après avoir cotisé pendant des années, il se retrouve souvent grosjean comme devant. Il n'a droit à rien. Parce qu'il n'a pas rempli telle ou telle condition, dont on ne lui a même pas parlé. En fait, la colossale caisse de retraite des teamsters sert avant tout à prêter de l'argent à ses dirigeants, à leurs familles et aux familles de la Mafia, et à soutenir des campagnes électorales...

- Alors du neuf, ma pauvre dame, y en aura guère. Sauf qu'il faut pas s'étonner que des fripouilles s'entre-tuent pour un gâteau pareil... et que des bandes de fous retournent la plaine au milieu de la nuit...

- Vous croyez qu'ils vont le trouver ici?

- Ici ou ailleurs... il est bien enterré quelque part...

Oui, quelque part... non loin du vieux réservoir, là-bas, devant lequel passe la Dodge.

Maggie Sanders décide :

- On ira voir demain. Ou après, quand il n'y aura plus personne, en tout cas.


Le 3 août, à quatre heures et demie du matin, il n'y a plus personne dans le grand champ broussailleux, retourné comme par un bulldozer. La folie des chercheurs de cadavres les a portés plus loin, un médium dit que c'est au nord, une voyante au sud, bref... Maggie Sanders, en bottes de caoutchouc, en robe de coton pour ne pas se faire remarquer, descend de la vieille Dodge avec son fils et sa belle-fille. Dans le coffre deux pelles et une pioche. Les trois fouilleurs cheminent à travers champs, jusqu'au vieux réservoir abandonné, et Bobby indique l'endroit :

- C'est là, maman... tu vois?

Effectivement, cela ressemble à une tombe hâtivement creusée et remblayée. On devine un rectangle que la poussière d'été recouvre déjà.

Tandis que les trois fouilleurs s'apprêtent à piocher, à Detroit, le chef de la police, entouré d'un représentant de la police de l'État et d'un membre du FBI, tient une conférence de presse.

Les journalistes sont avides, survoltés. L'Amérique entière attend de savoir ce qu'il est advenu du plus grand caïd du syndicalisme américain. Un personnage inquiétant, fabuleux, légendaire, et qui le restera.


- Nous avons plusieurs pistes. Il est trop tôt pour vous communiquer le nom d'un suspect, c'est tout ce que je peux dire...

- Quelles pistes?

Le chef de la police énumère des noms que les journalistes accueillent, le micro blasé. Des noms qui ne sont pas inconnus, mais auxquels personne ne croit vraiment. Giacalone, un vieil ami de Jimmy Hoffa, homme de main du parrain de la Mafia de Detroit. C'est avec lui que Jimmy Hoffa devait déjeuner le jour de sa disparition.

Si la police s'intéresse à lui, c'est qu'il est également un vieil ami du nouveau président des teamsters, Franck Fitzsimmons, lequel était aussi un vieil ami de Jimmy Hoffa... qui aurait dû lui rendre son siège lorsque Hoffa est sorti de prison... et qui ne le lui a pas rendu... Une sombre histoire de vieux amis alors? Fitzsimmons a pris le goût du pouvoir, mais ne disaiton pas que Hoffa l'avait laissé faire?

Parmi les suspects aussi, un ancien compagnon de détention de Jimmy Hoffa. Un certain Tony Provensano. Tony avait exigé de Hoffa une rente annuelle d'un million cinq cent mille dollars... Une bagatelle, que Hoffa lui avait refusée. Ils s'étaient fâchés...

Les journalistes ne voient là rien de bien nouveau. Ces choses se savaient, se savent...

Comme on sait aussi que l'avocat de Chicago qui organise et gère le fonctionnement de la colossale caisse de retraite du syndicat n'est pas tout blanc. Du haut de son building de verre et d'acier, il domine les finances. Il a même la confiance du fils adoptif de Jimmy Hoffa... qui estimait que son père avait perdu sa réputation depuis son emprisonnement. Tous les deux se sont rapprochés de Fitzsimmons, le nouveau président...

Tous ces gens sont intouchables, trop organisés... La police peut toujours les aligner comme suspects... elle ne les aura jamais. Une bardée d'avocats se dressera immédiatement comme le mur de l'Atlantique pour les défendre et protéger toute atteinte à leur vie privée, comme on dit.

La disparition de Jimmy Hoffa est une affaire privée, dont les journalistes savent bien qu'elle fait partie des secrets du pouvoir. Et le pouvoir en question c'est d'abord la Mafia. Le pouvoir économique et politique de la Mafia est tel... que le dollar tremblerait sur ses bases, si elle tremblait elle-même...

Qui tremble en ce moment? Maggie Sanders, son fils et sa belle-fille, près d'un vieux réservoir abandonné, dans la chaleur de la nuit. Ils creusent depuis dix minutes, et ne voient rien venir. Ils ont à la fois peur de découvrir quelque chose, et peur de creuser pour rien... Quelle aventure!

Soudain, au bout de la pelle, un morceau de tissu, c'est une manche de chemise... Bobby recule... Helen détourne la tête, Maggie pousse un peu la terre du bout de sa pelle, et découvre une main.

Elle ne perd pas le Nord, mais tout de même! L'émotion est forte...

Et pendant ce temps le chef de la police de Detroit répond toujours aux questions des journalistes.

- S'agit-il d'un kidnapping?

- Aucune demande de rançon sérieuse...

- Si c'est un crime, quel est le mobile selon vous?

- Il est clair que depuis sa sortie de prison Jimmy Hoffa se battait pour reprendre la tête de son syndicat... Il utilisait tous les moyens pour cela. On peut penser que ceux qui ne souhaitaient pas son retour l'ont fait supprimer.

- Alors qui ne souhaitait pas son retour?

- Beaucoup de monde... Jimmy Hoffa était grillé sur tous les plans. Il ne représentait plus un appui politique. Il pouvait même être un danger...

Tout le monde... Étrange destin que celui de ce petit homme râblé, puissant, parvenu au faîte du pouvoir, qui tenait les rênes de tant d'activités...

Est-ce le cadavre de Jimmy Hoffa que Maggie Sanders examine à la lueur de sa lampe-torche, dans une plaine près de Pontiac, Michigan...

- Mon Dieu, mes enfants... quelle horreur...

Maggie Sanders tient le journal à la main, avec la photo de Jimmy Hoffa en première page, et répète en regardant le cadavre :

- Mon Dieu, quelle horreur... il a une moustache, Jimmy Hoffa n'a pas de moustache...

Curieux tout de même que Maggie Sanders ait tout à coup le cœur retourné.

Elle l'explique à la police de Pontiac une heure plus tard :

- Si j'avais trouvé Jimmy Hoffa... bon, c'était une action spectaculaire... vous comprenez, quelque chose que mon défunt mari aurait apprécié... mais un pauvre inconnu, un malheureux enterré comme un chien... ça m'a retourné les sangs...

Le pauvre inconnu enterré comme un chien était un petit barman de la ville de Pontiac, compromis dans un trafic de drogue, et supprimé par ses fournisseurs, venus de Detroit pour lui régler son compte parce qu'il n'était pas régulier.

Et Jimmy Hoffa est toujours porté disparu.

La police suppose qu'il a été étranglé dans la cave d'une villa voisine du restaurant où il devait déjeuner. Elle suppose qu'on a coulé le corps dans du béton, et jeté le tout dans le lac Erie. Si son corps n'est jamais retrouvé, les assassins le seront peut-être un jour, qui sait ?... C'est-à-dire que la police les fera mettre un jour ou l'autre en prison, mais pas pour ce crime, pour autre chose, pour une histoire de drogue, une agression quelconque... Car jamais un professionnel payé pour tuer ne parle, et s'il parle il est mort. Les véritables commanditaires, ceux qui ont payé, ne vont en prison que pour de sordides histoires d'impôts... et ils en sortent en général rapidement.

Maggie Sanders a posé pour une photographie dans un journal en Floride. Ce n'était pas pour sa découverte du faux cadavre de Jimmy Hoffa, mais pour le premier prix d'un concours de couvertures en patchwork.

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