Choses entendues : voix, bruits, musique


En 1973, un article qui fit aussitôt scandale parut dans la revue Science : intitulé « On Being Sane in Insane Places » [Être sain en des lieux qui ne le sont pas], il avait trait à huit « faux patients » sans antécédent psychiatrique qui avaient réussi à se faire admettre dans plusieurs hôpitaux américains. Se plaignant uniquement d’« entendre des voix », ces sujets avaient raconté aux personnels de ces établissements hospitaliers que, sans comprendre vraiment ce que ces voix disaient, ils entendaient les mots empty [vide], hollow [creux] et thud [bruit sourd] – ils ne mentirent que sur ce point : leur comportement était normal par ailleurs et ils n’avaient souffert d’aucun trouble mental par le passé, ajoutèrent-ils… or, ils furent presque tous étiquetés comme schizophrènes (une « psychose maniaco-dépressive » ne fut diagnostiquée que chez un seul d’entre eux), furent hospitalisés pendant une à huit semaines et se virent prescrire des neuroleptiques (qu’ils n’avalèrent pas). Continuant à parler et à se conduire normalement après avoir été admis en service psychiatrique, ils déclarèrent alors que leurs voix hallucinatoires avaient disparu et qu’ils se sentaient bien désormais – ils prirent même des notes sur leur expérience sans se cacher (une infirmière consigna dans un rapport qu’un de ces faux patients « ne pouvait s’empêcher d’écrire »), mais aucun soignant ne déjoua leur imposture1. Cette expérience conçue par le psychologue de Stanford David Rosenham (qui fit partie des faux patients recrutés) visait à démontrer, entre autres, qu’il suffisait de faire état d’un seul symptôme tel que l’« audition de voix » pour qu’un diagnostic de schizophrénie soit immédiatement et catégoriquement posé, même en l’absence d’autres symptômes ou anomalies comportementales. Pour Rosenham, la psychiatrie, ainsi que la société en général, avaient indûment adhéré à la croyance presque axiomatique selon laquelle le fait d’« entendre des voix » équivalait à être fou et n’était jamais attesté en dehors du contexte des plus sévères perturbations mentales.

Cette croyance est assez récente, comme les mises en garde humanistes des premiers spécialistes de la schizophrénie l’ont clairement montré ; mais les neuroleptiques et les tranquillisants avaient commencé à remplacer les autres traitements dès le début des années 1970, de même que l’habitude d’établir des diagnostics instantanés au seul vu des critères du DSM2 s’était déjà substituée à cette date à l’ancienne prise en compte méticuleuse de la vie entière du patient.

 

Eugen Bleuler, directeur de l’immense asile zurichois du Burghölzi de 1898 à 1927, sut prêter une attention bienveillante aux centaines de schizophrènes dont il eut la charge : ainsi finit-il par comprendre que, si extravagantes qu’elles pussent sembler, les « voix » entendues par ses patients étaient étroitement associées à leurs états mentaux et à leurs délires. « Les Voix de nos malades recèlent leurs aspirations, leurs craintes, et l’ensemble de l’altération de leur rapport au monde extérieur […] [en devenant] le représentant des puissances pathologiques ou hostiles en général3 », écrivit-il à ce propos dans sa grande monographie de 1911, intitulée Dementia praecox ou Groupe des schizophrénies, où il décrivit ce phénomène en détail :

[L]es voix ne se contentent pas de parler, elles électrisent aussi les malades, les frappent, les enraidissent, leur prennent leur pensée. Elles sont souvent hypostasiées, en partie sous forme de personnes, en partie sur un mode très étrange : par exemple, il y a une Voix sur chacune des oreilles du malade ; l’une est un peu plus grande que l’autre, mais toutes deux sont à peu près de la taille d’une noisette, elles ont une grande gueule et c’est tout.

Sur le plan de leur contenu, ce sont les menaces et les invectives qui sont les plus fréquentes chez nos malades.

Jour et nuit, elles proviennent de l’entourage, des murs, d’en bas, d’en haut, du souterrain et du toit, du ciel et de l’enfer, de près et de loin. […] Quand le patient mange, on dit à chaque bouchée : « Il y a du vol là-dedans » ; quand il laisse tomber quelque chose, il entend : « Si seulement on t’avait coupé le pied. »

Très souvent, les Voix sont contradictoires ; d’abord vis-à-vis du patient […] ; mais aussi entre elles […]. Le rôle du pour et du contre est souvent joué par des Voix différentes, des personnalités différentes ; la voix de la fille de la maison dit à un patient : « Il va être brûlé », et celle de la mère : « Il ne va pas être brûlé » ; à côté des persécuteurs, les malades entendent souvent divers protecteurs. […]

[L]es voix sont souvent localisées dans le corps […]. Un polype peut être motif à situer les Voix dans le nez ; une colite les met en rapport avec l’abdomen […]. Dans le cas de complexes sexuels, le pénis, l’urine dans la vessie, le nez profèrent des mots obscènes. La femme enceinte, réellement ou en imagination, entend son ou ses enfants parler dans son utérus. […]

Les objets parlent aussi : la limonade cause, le nom du patient est prononcé dans le lait ; les meubles lui parlent4.

« Presque chacun des schizophrènes des asiles entend des Voix par intermittence ou en permanence5 », remarqua ce psychiatre tout en soulignant que l’inverse n’était pas vrai – que l’audition de voix ne dénotait pas nécessairement la schizophrénie. Le grand public imagine pourtant que les voix hallucinatoires sont quasiment synonymes d’atteinte schizophrénique, méprise d’autant plus regrettable que la plupart des auditeurs de voix ne sont pas schizophrènes.

 

Comme Nancy C. me l’a écrit, beaucoup de gens rapportent entendre des voix qui ne s’adressent pas particulièrement à eux :

J’hallucine régulièrement des conversations – souvent la nuit, quand je m’endors. Ces conversations me semblent réelles et me paraissent vraiment soutenues par des personnes réelles à l’instant même où je les entends, mais elles se déroulent ailleurs, en fait. J’entends des couples qui se disputent, toutes sortes de choses. Ce ne sont pas des voix identifiables, car elles ne viennent pas de quelqu’un que je connais. En quelque sorte, je capte comme une radio le monde d’un autre être humain (un monde toutefois où l’on parle toujours anglais). N’envisageant à aucun moment que ces expériences puissent être autre chose que des hallucinations, je m’abstiens toujours d’y participer. On ne s’adresse jamais à moi… donc, je me borne à écouter.

« Les hallucinations des sujets sains d’esprit » étaient si largement reconnues au XIXe siècle qu’on chercha à mieux comprendre leurs causes dès que la neurologie prit son essor. Les membres de la Society for Psychical Research fondée à Londres en 1882 s’assignèrent pour objectif de collecter et d’étudier les descriptions d’apparitions ou d’hallucinations, notamment quand elles émanaient d’hommes et de femmes en deuil, et nombre d’éminents savants – des physiciens aussi bien que des physiologistes et des psychologues – y adhérèrent (William James fut un membre actif de la branche américaine) : la télépathie, la clairvoyance, la communication avec les morts, la nature du monde des esprits, tous ces thèmes furent systématiquement explorés.

Ces premiers chercheurs découvrirent que les hallucinations n’étaient pas rares dans la population générale. Leur International Census of Waking Hallucinations in the Sane [Recensement international des hallucinations survenues à l’état de veille chez les sains d’esprit] de 1894 enquêta sur les modalités de survenue et les propriétés des expériences hallucinatoires vécues par des sujets normaux dans des circonstances normales (les enquêteurs veillèrent à exclure tous les individus manifestement atteints d’une maladie physique ou mentale) en posant une seule question à dix-sept mille personnes :

Vous est-il déjà arrivé de vous croire totalement éveillé tout en ayant l’impression très nette de voir un être vivant ou un objet inanimé ou d’être touché par cet être ou cet objet, ou encore d’entendre une voix, sans que cette impression, pour autant que vous ayez pu vous en assurer, ait été due à une cause physique extérieure ?

Plus de 10 % des personnes interrogées répondirent par l’affirmative, et plus d’un tiers des membres de ce dernier groupe entendaient des voix. Comme John Watkins l’a relevé dans son Hearing Voices, des discours hallucinatoires « au contenu plus ou moins religieux ou surnaturel furent décrits par un nombre assez élevé de répondants pour qu’ils constituent une minorité significative », quand bien même la plupart des hallucinations avaient un caractère plus quotidien.

La forme la plus courante d’hallucination auditive consiste peut-être à entendre son propre nom, qu’il soit prononcé par une voix familière ou anonyme. Freud a dépeint un épisode de ce type dans sa Psychopathologie de la vie quotidienne :

Lorsque, jeune homme, j’habitais une grande ville étrangère, seul et loin des miens, il m’a souvent semblé entendre subitement prononcer mon nom par une voix connue et chère et je notais le moment précis où s’était produite l’hallucination, pour me renseigner auprès des miens sur ce qui s’était passé chez eux à ce moment-là. On me répondait chaque fois qu’il ne s’était rien passé6,7.

Les voix parfois entendues par les schizophrènes ont tendance à accuser, à menacer, à persifler ou à persécuter ; presque toutes celles hallucinées par les sujets « normaux » sont au contraire tout à fait anodines, comme Daniel Smith l’indique dans son livre Muses, Madmen and Prophets : Hearing Voices and the Borders of Sanity. Le père et le grand-père de Smith entendaient de telles voix, mais leurs réactions différaient du tout au tout – son père entendait des voix depuis son treizième anniversaire, écrit Smith :

Ces voix ne disaient rien de compliqué et ne mettaient pas mal à l’aise. Elles donnaient des ordres simples : elles lui ordonnaient par exemple de déplacer un verre d’un côté de la table à l’autre ou d’emprunter un tourniquet de métro particulier ; mais, plus il les a écoutées et leur a obéi, plus sa vie intérieure est devenue intolérable d’après tous les témoignages que j’ai pu recueillir.

En revanche, le grand-père de cet auteur traitait ses voix hallucinatoires avec nonchalance, voire jouait avec elles. Il avait essayé de s’en servir pour parier sur un hippodrome (« Cela n’a pas marché, car mon esprit était obscurci par des voix qui me disaient que tel cheval pouvait gagner, à moins que tel autre ne fût prêt à vaincre ») – il avait beaucoup plus de succès quand il jouait aux cartes avec ses amis. Ni ce grand-père ni ce père n’étaient fortement attirés par le surnaturel, et ils ne souffraient d’aucun trouble psychique ; ils se contentaient d’entendre des voix anodines qui, comme des millions d’autres, ne s’intéressaient qu’aux choses de tous les jours.

Le père et le grand-père de Smith parlaient peu de leurs voix. Ils les écoutaient secrètement et en silence, de crainte peut-être que la divulgation de cette pratique ne soit assimilée à un indice de sérieux dérangement mental, si ce n’est de folie. Mais nombre d’études récentes confirment qu’il n’est pas rare d’entendre des voix et que la plupart des individus concernés ne sont pas schizophrènes : ils ressemblent plutôt au père et au grand-père de Smith8.

Il est évident que les attitudes individuelles et collectives ont une importance critique. On peut être torturé par des voix, comme le père de Daniel Smith, ou les accepter et s’en accommoder, comme son grand-père. Derrière ces attitudes personnelles, force est de tenir compte en outre des attitudes sociales, qui ont profondément différé d’une époque et d’un lieu à l’autre.

L’audition de voix est attestée dans chaque culture et a été souvent tenue pour capitale – les divinités de la mythologie grecque parlaient fréquemment aux mortels, tout comme les dieux des grandes traditions monothéistes. En l’espèce, les voix ont peut-être encore plus compté que les visions, car le langage oral peut transmettre un message ou un ordre explicite qu’aucune image isolée ne saurait communiquer.

Jusqu’au XVIIIe siècle, les voix, à l’instar des visions, ont été attribuées à des agents surnaturels consistant en des dieux ou des démons, des anges ou des djinns. Elles se superposaient certes de temps en temps à celles de la psychose ou de l’hystérie, mais on ne partait pas du principe qu’elles étaient toujours pathologiques ; si elles restaient discrètes et privées, on considérait qu’elles faisaient simplement partie intégrante de la nature humaine, telle qu’elle se manifestait chez quelques membres de notre espèce.

C’est à partir du milieu du XVIIIe siècle seulement que, sous l’influence de la nouvelle philosophie séculière de plus en plus adoptée par les philosophes et les savants des Lumières, les visions et les voix hallucinatoires ont fini par être rapportées à un fondement physiologique tel que la suractivité de certains centres cérébraux.

Mais la notion romantique d’« inspiration » n’a pas disparu pour autant ; au XIXe siècle encore, en effet, l’artiste en général, et plus particulièrement l’écrivain, était vu, ou se voyait lui-même, comme le transcripteur ou le copiste d’une Voix qui, comme celle de Rilke, ne parlait quelquefois qu’après des années d’attente9.

Tous les êtres humains monologuent, car nous sommes une espèce linguistique : pour le grand psychologue russe Lev Vygotski, le « langage intérieur » était indispensable à l’activité volontaire. Comme tant d’entre nous, je me parle à longueur de journée, que je m’admoneste (« Quel idiot tu fais ! Où as-tu encore laissé tes lunettes ? »), m’encourage (« Mais si, tu peux y arriver ! »), me plaigne (« Pourquoi cette voiture est-elle garée dans mon allée ? ») ou, ce qui est plus rare, me félicite (« Bravo ! »). Ces voix ne sont pas extériorisées : je ne croirais jamais que Dieu ou quelqu’un d’autre s’adresse à moi.

Un jour où j’ai risqué ma vie en tentant de descendre d’une montagne sur une seule jambe (je venais de me déchirer le tendon du quadriceps gauche), j’ai pourtant entendu une voix intérieure dont les accents ne ressemblaient pas du tout au babillage normal de mon langage intérieur. Épuisé par la traversée d’un torrent qui avait mis mon genou déboîté au supplice, j’étais resté quelques minutes étendu sur le sol, sans bouger, puis une langueur délicieuse m’avait envahi : « Pourquoi ne me reposerais-je pas un peu ? Pourquoi ne ferais-je pas une petite sieste ? », avais-je songé. Mais j’avais été immédiatement dissuadé de m’endormir par une voix puissante, claire et impérieuse qui m’avait dit : « Tu ne peux pas te reposer ici – tu ne peux te reposer nulle part. Tu dois trouver une allure que tu puisses conserver, et continuer sans fléchir10 », et l’audition de cette voix salutaire, de cette voix de la « vie », avait suffi à me rendre mon courage et ma résolution : mes tremblements cessèrent, ainsi que mes tergiversations.

L’alpiniste Joe Simpson a parlé dans La Mort suspendue de l’accident catastrophique dont il fut lui aussi victime. Après s’être cassé une jambe lors de la descente d’un versant très escarpé d’une montagne de la Cordillère des Andes, il tomba d’une corniche glaciaire et atterrit dans une profonde crevasse dont il ne sortit que grâce aux encouragements et aux directives d’une voix providentielle :

Je me dressais en face d’un univers silencieux et minéral, d’un vaste ciel vide et, tout bien pesé, j’avais pris une décision. Aucune force ténébreuse ne cherchait à contrer mes actions. Une voix, froidement rationnelle, me l’assurait, coupant court à toutes ces élucubrations.

Dans mon esprit deux tendances se combattaient. D’un côté la voix, claire et sûre d’elle-même, qui me commandait, et à laquelle je finissais toujours par obéir. Et de l’autre les fantasmes, tout un monde d’images floues, de souvenirs confus et de vagues espoirs où je me laissais glisser en attendant que la voix me rappelle à l’ordre. Il fallait d’abord que je rejoigne le glacier. […] La voix me dictait la marche à suivre, tandis que mon esprit vagabondait. […]

À chaque arrêt, la fatigue et la chaleur me faisaient sombrer dans une sorte de torpeur, mais la voix, et la conscience que les aiguilles de ma montre continuaient à tourner, me poussaient à aller de l’avant. Il était déjà 3 heures de l’après-midi, ce qui signifiait qu’il ne me restait plus que trois heures et demie de jour. Et j’avançais si lentement… Pourtant, je savais que tant que j’obéirais à la voix, tout irait pour le mieux11.

Ces voix peuvent s’élever chaque fois qu’on affronte une menace ou un danger extrême. Freud les avait entendues en deux occasions, lit-on dans sa Contribution à la conception des aphasies :

Je me rappelle que par deux fois je me suis vu en danger de mort, dont la perception chaque fois se produisit de façon tout à fait soudaine. Dans les deux cas, j’ai pensé : « Cette fois, c’en est fait de moi », et pendant que je continuais à parler ainsi intérieurement, uniquement avec des images sonores tout à fait indistinctes et des mouvements de lèvres à peine perceptibles, j’entendis ces mots en plein danger, comme si on me les criait dans l’oreille, et je les voyais en même temps comme imprimés sur une feuille voltigeant dans l’air12.

Il peut arriver également que la vie soit menacée de l’intérieur et, bien que nul ne sache combien de tentatives de suicide ont été interrompues par une voix, j’incline à penser que ce phénomène n’est pas rare : mon amie Liz, notamment, échappa ainsi à la mort après qu’un chagrin d’amour lui eut brisé le cœur. Alors qu’elle s’apprêtait à avaler une poignée de somnifères accompagnée d’un verre de whisky, elle entendit tout à coup : « Non, tu ne veux pas le faire ! », d’abord, puis : « N’oublie pas que ce que tu ressens maintenant, tu ne l’éprouveras plus par la suite. » Comme cette voix masculine semblait provenir de l’extérieur – on aurait pu croire qu’un inconnu parlait –, mon amie murmura : « Qui a dit cela ? », mais personne ne lui répondit… une forme « granulaire » (sic) se matérialisa seulement devant son siège : un jeune homme vêtu comme au XVIIIe siècle miroita pendant quelques secondes avant de disparaître. Tout en sachant que cette voix ne pouvait émaner que du tréfonds de son être, Liz se plaît à imaginer que c’est celle de son « ange gardien », car sa dépression avait été aussitôt remplacée par un soulagement et une joie immenses.

 

Les auditions de voix ont été expliquées de diverses façons, et les causes peuvent effectivement varier d’une circonstance à l’autre. Il est probable, par exemple, que les bases diffèrent du tout au tout selon qu’on entend les voix surtout hostiles ou persécutrices de la psychose ou qu’on se croit appelé par son nom dans une maison vide, tout comme cette dernière hallucination n’a vraisemblablement pas la même origine que les voix qui surgissent dans les situations critiques ou désespérées.

Les hallucinations auditives peuvent être associées à l’activation anormale du cortex auditif primaire ; c’est un sujet qui doit être étudié beaucoup plus avant, non seulement chez les individus atteints de psychose, mais aussi dans la population générale – jusqu’à présent, les enquêtes disponibles ont très majoritairement porté sur les hallucinations des patients psychiatrisés.

Selon certains chercheurs, les hallucinations auditives tiennent à l’incapacité de reconnaître le langage intérieur comme sien (ou peut-être à une activation croisée des aires auditives qui donne l’impression que ce que nous reconnaissons pour la plupart comme nos propres pensées serait « vocalisé »).

Une sorte de barrière ou d’inhibition physiologique nous empêche peut-être presque tous en temps normal d’« entendre » ces voix intérieures comme si elles provenaient de l’extérieur. Il se pourrait que, pour une raison ou une autre, cette barrière soit percée ou insuffisamment développée chez celles et ceux d’entre nous qui entendent des voix en permanence, à moins que, inversant la question, nous devions plutôt nous demander pourquoi nous entendons si rarement des voix. Pour Julian Jaynes, auteur de l’influente Origin of Consciousness in the Breakdown of the Bicameral Mind13 parue en 1976, tous les êtres humains entendaient des voix il n’y a pas si longtemps de cela : produites à l’intérieur de l’hémisphère cérébral droit mais perçues (par l’hémisphère gauche) comme extérieures, elles étaient prises pour des messages divins ; d’après cet auteur, nous intériorisons ces voix et les reconnaissons comme nôtres depuis le Ier millénaire avant J.-C. environ, conjointement à l’essor de la conscience moderne14.

Selon d’autres chercheurs encore, les hallucinations auditives découlent de l’attention anormale qui serait portée à la subvocalisation dont la pensée verbale s’accompagne ; quoi qu’il en soit, il est clair que les termes « auditions de voix » et « hallucinations auditives » recouvrent des phénomènes différents.

 

Les voix ont du sens, qu’elles communiquent des informations anodines ou capitales : certaines hallucinations auditives ne consistent au contraire guère plus qu’en des bruits bizarres. Les plus fréquentes appartiennent sans doute à la classe des acouphènes, appellation sous laquelle on désigne des sifflements ou des tintements presque permanents dont l’intensité parfois insupportable est souvent corrélée à une perte auditive.

L’audition de bruits – bourdonnements, marmonnements, coups secs, froissements, sonneries ou voix étouffées – est couramment associée à des problèmes auditifs, et elle peut être aggravée par de nombreux facteurs tels que le délire, la démence, les substances toxiques ou le stress. Quand des internes en médecine doivent assurer de longues gardes, par exemple, la privation de sommeil peut provoquer des hallucinations afférentes à n’importe quelle modalité sensorielle : un jeune neurologue de garde pendant plus de trente heures m’a écrit avoir halluciné les alarmes des cardiomètres et des respirateurs artificiels de son hôpital – il lui est même arrivé de continuer à entendre la sonnerie du téléphone après avoir regagné son domicile15.

 

Même si des phrases musicales ou des chansons sont parfois hallucinées en même temps que des voix ou d’autres bruits, beaucoup de gens n’« entendent » que de la musique ou des phrases musicales. Une attaque, une tumeur, un anévrysme, une maladie infectieuse, un processus neurodégénératif ou des troubles d’origine toxique ou métabolique peuvent déclencher des hallucinations musicales qui disparaissent en général sitôt que la cause déclenchante est traitée ou s’estompe16.

Tout en convenant qu’il n’est pas toujours facile d’attribuer des hallucinations musicales à une cause particulière, j’ai constaté que, en ce qui concerne la population principalement gériatrique dont je m’occupe, ce symptôme est surtout causé par les pertes auditives ou les surdités de ces sujets vieillissants – et c’est pourquoi ces hallucinations peuvent être si tenaces, y compris lorsque le port de prothèses auditives ou l’insertion d’implants cochléaires améliore l’audition. Voici ce que Diane G. m’a écrit :

J’entends des acouphènes du plus loin que je m’en souvienne. Quasiment présents vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, ils sont très aigus : on dirait les stridulations des essaims de cigales qui reviennent chaque été sur Long Island. L’année dernière, [j’ai pris conscience aussi] que de la musique me trotte dans la tête : comme j’entendais les invités et l’orchestre de Bing Crosby chanter « White Christmas » sans arrêt, j’ai pensé que cette chanson provenait d’une radio allumée dans une autre pièce jusqu’à ce que j’aie réussi à éliminer tous les inputs extérieurs possibles. Cet orchestre a joué pendant des jours, et je n’ai pas tardé à découvrir que je ne pouvais ni couper le son ni modifier le volume sonore – j’ai seulement appris à la longue à faire varier les paroles, la vitesse et les harmonies. Depuis lors, j’entends de la musique chaque jour ou presque, le soir en général, et si fort à certains moments qu’elle m’empêche de participer aux conversations. Cette musique consiste immanquablement dans des mélodies que je connais bien, telles celles des cantiques, des morceaux préférés que je jouais au piano à longueur d’année ou des chansons de mon enfance ; et elles comportent toujours des paroles […].

En plus de cette cacophonie, j’ai commencé à entendre un troisième niveau de son en même temps : c’est comme si j’écoutais quelqu’un parler à la radio ou à la télé à partir d’une autre pièce. Des voix masculines et féminines s’élèvent en permanence, les pauses, les inflexions, les augmentations ou diminutions de volume étant tout à fait réalistes – sauf que je ne comprends pas les mots prononcés.

Diane était atteinte d’une perte d’audition progressive depuis l’enfance, et il est inhabituel d’halluciner comme elle le fait de la musique et des conversations à la fois17.

 

Bien que la qualité des hallucinations musicales varie beaucoup d’un individu à l’autre – elles sont tantôt discrètes, tantôt désagréablement bruyantes ; tantôt simples, tantôt complexes –, elles partagent toutes certaines caractéristiques. D’abord et surtout, elles ont une qualité perceptuelle et paraissent émaner d’une source extérieure : c’est en cela qu’elles se distinguent de l’imaginaire musical (même des « vers auditifs18 », ces assommantes répétitions mentales de tel ou tel morceau de musique qui nous portent à presque tous sur les nerfs de temps en temps). Les individus en proie à des hallucinations musicales commencent souvent par chercher une cause extérieure inexistante – une radio, la télévision d’un voisin ou un orchestre de rue – avant de finir par découvrir qu’elles proviennent d’eux-mêmes ; et ils les comparent parfois à un appareil mécanique autonome tel qu’un magnétophone ou un iPod plutôt que de les tenir pour une composante contrôlable de leur personnalité.

Apprendre qu’on a un truc de ce genre dans la tête peut être aussi déconcertant qu’effrayant : l’hallucinateur redoute souvent de devenir fou ou craint que sa musique fantôme ne soit le signe d’une tumeur, d’un accident vasculaire cérébral ou d’une démence. Ces peurs dissuadent de nombreux patients d’admettre qu’ils hallucinent, et c’est peut-être pour cette raison que les hallucinations musicales ont été si longtemps tenues pour rares – mais on sait désormais que c’est faux19.

Les hallucinations musicales peuvent s’immiscer dans la perception, si ce n’est la submerger : comme les acouphènes, certaines sont si assourdissantes qu’il est impossible d’entendre autrui parler (l’imagerie visuelle ne supplante presque jamais la perception de cette façon).

Ces sortes d’hallucinations apparaissent souvent subitement, sans que rien n’ait paru les déclencher ; mais elles sont fréquemment précédées par un acouphène ou un bruit extérieur (le vrombissement d’un réacteur d’avion ou le bourdonnement d’une tondeuse à gazon, entre autres), l’audition de vraie musique ou la moindre évocation d’un morceau ou d’un style de musique particulier. Elles peuvent même être induites par des associations extérieures : une de mes patientes entendait la chanson « Alouette, gentille alouette » chaque fois qu’elle passait devant une boulangerie française.

Si certains individus se plaignent d’hallucinations musicales permanentes ou presque, d’autres n’y sont sujets que par intermittence. La musique hallucinée est généralement familière (même si on ne l’aime pas toujours : un autre de mes patients était terrifié par les chants de marche nazis remontant à sa jeunesse qu’il hallucinait) ; elle peut être vocale ou instrumentale, classique ou populaire, mais elle a été le plus souvent entendue dès la prime jeunesse. Et quelques patients enfin entendent « des phrases et des motifs musicaux dépourvus de signification », comme un musicien professionnel me l’a confié.

La musique hallucinée peut être si détaillée que chaque note d’un morceau ou n’importe quel instrument d’un orchestre sera distinctement entendu. Ces détails et cette précision étonnent d’autant plus l’hallucinateur que ses capacités de rappel de la musique sont faibles en temps normal : certains sont à peine capables de fredonner un air simple de mémoire, sans parler d’une composition chorale ou instrumentale élaborée. (Point peut-être à mettre en rapport avec l’extrême clarté et les détails inhabituels qui caractérisent tant d’hallucinations visuelles.) Un thème unique, voire quelques mesures à peine, est halluciné en boucle tel un disque rayé : l’une de mes patientes qui avait entendu une partie de « O Come, All Ye Faithful » [Ô peuple fidèle] dix-neuf fois et demie de suite en dix minutes (son mari avait compté) déplorait de ne jamais entendre ce cantique en entier ! Bien que leur intensité puisse croître peu à peu avant de décroître aussi lentement, les hallucinations musicales peuvent également résonner soudain à plein volume au milieu d’une mesure puis s’arrêter aussi soudainement (comme si on actionnait un interrupteur, m’a-t-on fréquemment précisé). Quelques patients chantent en même temps qu’ils hallucinent, d’autres ignorent leurs musiques hallucinatoires – ce qui ne change rien à l’affaire : les hallucinations musicales se poursuivent inexorablement, qu’on leur prête attention ou non. Il en va de la sorte même si l’on écoute ou joue autre chose : le violoniste Gordon B. hallucinait parfois en concert une musique qui n’avait rien à voir avec le morceau qu’il était en train d’interpréter.

Les hallucinations musicales ont tendance à s’étendre. À l’air familier ou à la vieille chanson qui aura amorcé le processus s’ajoutera probablement une deuxième chanson au bout de quelques jours ou semaines, puis une troisième encore et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un répertoire complet de musique hallucinatoire se soit constitué ; et ce répertoire tend lui-même à changer : un air disparaîtra, un autre prenant sa place. Sans parvenir à faire démarrer ni à interrompre volontairement leurs hallucinations, quelques individus réussissent parfois à remplacer le morceau de musique qu’ils hallucinent par un autre : un homme qui m’avait dit disposer d’un « juke-box intracrânien » s’était aperçu que, même s’il était incapable d’allumer ou d’éteindre ce « juke-box » dans son ensemble, il pouvait changer de « disque » à volonté à condition que le style ou le rythme restent similaires d’un air au suivant.

Le silence prolongé ou la monotonie auditive sont susceptibles également de provoquer des hallucinations auditives. Comme plusieurs de mes patients qui l’ont constaté quant à eux au cours de retraites méditatives ou d’un long voyage en mer, Jessica K., jeune femme à l’audition intacte, m’a écrit que les sons monotones la font halluciner :

En présence d’un bruit blanc20 tel que le murmure de l’eau courante ou d’un système de climatisation, j’entends fréquemment de la musique ou des voix. Je les entends distinctement (et, au début, je cherchais souvent la radio qui avait dû rester allumée dans une autre pièce…) mais, si une musique s’accompagne de paroles ou de voix (lesquelles ne ressemblent pas à de véritables bruits de conversation : on dirait plutôt un débat radiophonique ou quelque chose de ce genre), je n’entends jamais assez bien ce qui est dit pour distinguer les mots. Je n’entends tout cela que si c’est « intégré » au bruit blanc, pour ainsi dire, et uniquement si aucun autre son concurrent n’est audible.

Bien que les hallucinations musicales semblent plus rares chez les enfants, Michael, jeune garçon dont j’ai fait la connaissance, hallucine depuis l’âge de cinq ou six ans une musique si constante et irrépressible qu’elle lui interdit de se concentrer sur quoi que ce soit d’autre. Ces hallucinations commencent beaucoup plus souvent à se manifester à un âge plus tardif – contrairement aux auditions de voix, qui paraissent débuter dès la petite enfance et persister toute la vie pour peu qu’on y soit prédisposé.

 

Les hallucinations musicales persistantes ne tourmentent que certains sujets ; la plupart des gens s’en accommodent et apprennent à vivre avec cette musique incoercible, quelques-uns finissant même par apprécier leur musique intérieure en considérant qu’elle enrichit leur existence. Voici ce que m’a écrit Ivy L., dynamique et intelligente octogénaire qui avait été simultanément en proie à des hallucinations visuelles dues à une dégénérescence maculaire et à des hallucinations musicales et auditives liées à la détérioration de son ouïe :

En 2008, mon médecin m’a prescrit de la paroxétine pour traiter une dépression que je qualifiais simplement de tristesse car, venant de perdre mon mari, j’avais déménagé de Saint-Louis pour m’installer dans le Massachusetts. Une semaine après le début de ce traitement à la paroxétine, tandis que je regardais les épreuves de natation masculine des jeux Olympiques, j’ai eu la surprise d’entendre une musique langoureuse : non seulement cette musique a persisté après que j’eus éteint la télé, mais je l’hallucine depuis à chacune minute ou presque de mes heures de veille.

Un médecin m’a dit que le Zyprexa® m’aiderait peut-être à ne plus entendre cette musique, mais j’ai ensuite halluciné la nuit que des bulles brun sombre boursouflaient mon plafond ; puis un autre médicament m’a fait croire que de ravissantes plantes tropicales transparentes poussaient dans ma salle de bains. J’ai donc cessé de prendre ces produits et mes hallucinations visuelles ont disparu, mais la musique, elle, a perduré.

Ces chansons ne se contentent pas de me « revenir à l’esprit ». La musique qui envahit ma maison est aussi forte et claire que n’importe quel CD ou concert. Le volume augmente dans les grands espaces – dans les supermarchés, en particulier. Et c’est une musique sans chanteurs ni mots : je n’ai jamais entendu de « voix » – il m’a semblé une seule fois qu’on répétait mon nom avec insistance pendant que je sommeillais.

J’ai « entendu » durant un bref laps de temps des sonneries de portes, de téléphones et de réveils retentir alors que rien ne sonnait, mais c’est terminé ; en plus de la musique, il m’arrive d’entendre des sauterelles, des moineaux ou le moteur d’un gros camion qui tourne au ralenti sur ma droite.

Tout au long de ces expériences, je ne confonds jamais ce que j’hallucine avec la réalité. Continuant à bien fonctionner, je tiens mes comptes et gère mes finances toute seule sans négliger aucune tâche ménagère, où que je réside. La cohérence de mes propos n’est pas entamée par ces troubles acoustiques et visuels et j’ai une excellente mémoire, bien que je ne sache plus parfois où j’ai rangé un papier.

Je peux « introduire » une mélodie à laquelle je pense ou faire en sorte qu’elle soit déclenchée par une phrase, mais je suis incapable d’interrompre mes hallucinations acoustiques : je ne puis arrêter ni le son du « piano » qui provient de ma penderie, ni celui de la « clarinette » qui sort du plafond de ma salle de séjour, ni mes interminables « God Bless America21 », ni le « Good Night, Irene !22 » de mes réveils… mais je fais avec !

Des tomographies par émission de positons et des imageries par résonance magnétique fonctionnelle ont montré que, comme la perception d’une musique réelle, l’hallucination musicale est associée à l’activation d’un grand nombre d’aires cérébrales – du vaste réseau formé par les aires auditives, le cortex moteur, les aires visuelles, les ganglions de la base, le cervelet, les hippocampes et les amygdales. (La musique mobilise beaucoup plus de régions du cerveau que n’importe quelle autre activité : voilà pourquoi la musicothérapie est si utile à tant de malades.) Ce réseau musical peut être directement stimulé à l’occasion – par une crise d’épilepsie focale, une fièvre ou un délire, par exemple –, mais ce n’est pas ce qui semble se produire chez la plupart des hallucinateurs de musique : dans ce cas précis, l’activité du réseau musical paraît surtout libérée par l’affaiblissement d’inhibitions ou de contraintes normalement opérantes, la cause la plus fréquente de cette libération consistant dans la privation auditive ou dans la surdité. Les hallucinations musicales des personnes âgées devenues sourdes sont analogues sur ce plan aux hallucinations visuelles du syndrome de Charles Bonnet.

Mais, si proches soient-elles physiologiquement parlant, les hallucinations musicales dues à la surdité et les hallucinations visuelles du SCB ne présentent pas moins de grandes différences phénoménologiques qui révèlent à quel point nos mondes visuels et nos mondes musicaux diffèrent par nature – d’où les différences évidentes de nos modes de perception, de remémoration ou d’imagination de ces deux types d’informations. Nous ne recevons pas un monde visuel préfabriqué ou préassemblé : nous devons construire notre propre monde visuel du mieux que nous le pouvons. Cette construction requiert que des données soient analysées et synthétisées à de nombreux niveaux fonctionnels du cerveau, en commençant par la perception des lignes, des angles et de l’orientation régie par le cortex occipital. Aux niveaux supérieurs du cortex inférotemporal, les « éléments » de la perception visuelle sont encore plus complexes car ils doivent être appropriés à l’analyse et à la reconnaissance des scènes naturelles, des objets, des formes animales ou végétales, des lettres et des visages : les hallucinations visuelles complexes nécessitent de réunir ces éléments grâce à un acte d’assemblage, alors même que de tels assemblages permutent, se désassemblent et se reconstituent continuellement.

Les hallucinations musicales sont très différentes. Dans le cas de la musique, la séparation des systèmes fonctionnels qui permettent de percevoir la hauteur de son, le timbre, le rythme, etc., n’empêche pas les réseaux musicaux du cerveau de coopérer : le contour mélodique, le tempo ou le rythme d’une composition ne sauraient être notablement altérés sans que celle-ci perde son identité musicale. Les pièces vocales ou instrumentales sont en effet appréhendées comme un tout : par quelque processus initiaux que la perception et la mémoire musicales soient amorcées, tout morceau de musique connu est retenu non pas comme un assemblage d’éléments individuels, mais comme une procédure ou une interprétation achevée ; la musique est interprétée par le cerveau/esprit chaque fois qu’on s’en souvient, et c’est aussi pourquoi son irruption est si spontanée, qu’elle prenne la forme d’un ver auditif ou d’une hallucination.


1.

Les vrais patients furent toutefois plus perspicaces : « Vous n’êtes pas fou. Vous êtes un journaliste ou un professeur », dit un malade.

2.

Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, soit Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (NdT).

3.

Eugen Bleuler, Dementia praecox ou Groupe des schizophrénies, trad. par Alain Viallard, Paris-EPEL-GREC, 1993, p. 149-150 (NdT).

4.

Ibid., p. 150, 152 et 153 (NdT).

5.

Ibid., p. 148 (NdT).

6.

Sigmund Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, trad. par S. Jankélévitch, Paris, Payot, 1972, p. 279 (NdT).

7.

Freud n’était pas hostile à la notion de télépathie : même si son article « Psychanalyse et télépathie » (in Résultats, idées, problèmes II 1921-1938, trad. par B. Chabot, Paris, Presses Universitaires de France, 1985, p. 7-23 [NdT]) ne parut qu’après son décès, il l’avait rédigé dès 1921.

8.

Des auditeurs de voix aux nationalités les plus diverses viennent de créer des réseaux propices à la revendication de leur « droit » d’halluciner : ils espèrent qu’on respectera désormais assez leurs voix hallucinatoires pour ne plus les cataloguer comme triviales ou pathologiques. Sur ce mouvement et la portée de sa démarche, voir l’analyse d’Ivan Leudar et Philip Thomas dans leur livre Voices of Reason, Voices of Madness, ainsi que le bilan de Sandra Escher et Marius Romme (2012).

9.

Nombre de poètes sembleraient avoir été inspirés par de véritables hallucinations auditives plutôt que par de simples voix métaphoriques : d’Homère à Yeats, beaucoup ont dit entendre des voix, comme Judith Weissman l’a démontré dans son livre Of Two Minds : Poets Who Hear Voices.

Oliver Sacks, Sur une jambe, trad. par Christian Cler et Anne-Lise Hacker, Paris, éd. du Seuil, 1987, p. 25 (NdT).

Joe Simpson, La Mort suspendue, trad. par Dominique Vulliamy-Lanctot, Grenoble, Glénat, 1990, p. 197-198 et 203 (NdT).

Sigmund Freud, Contribution à la conception des aphasies ; une étude critique, trad. par Claude Van Reeth, Paris, Presses universitaires de France, 1983, p. 112 (NdT).

Trad. fr. par Guy de Montjou, La Naissance de la conscience dans l’effondrement de l’esprit, Paris, Presses universitaires de France, 1994 (NdT).

Pour Jaynes, un retour à la « bicaméralité » pourrait se produire dans la schizophrénie et d’autres pathologies. Quelques psychiatres (dont Nasrallah, 1985) se sont ralliés à cette thèse ou considèrent au moins que les voix hallucinatoires que les schizophrènes perçoivent comme étrangères émanent de leur hémisphère cérébral droit.

Comme Sarah Lipman l’a noté dans son blog (www.reallysarahsyndication.com), le phénomène des « sonneries fantômes » consiste à imaginer ou à halluciner qu’un téléphone portable sonne. Elle relie cette méprise à l’état de vigilance, d’attente ou d’anxiété qui peut faire croire à tort que quelqu’un frappe à la porte ou qu’un bébé pleure. « Une partie de ma conscience guette ce bruit, m’a-t-elle écrit. C’est cette attention extrême qui produit les sons fantômes, me semble-t-il. »

Des hallucinations musicales paroxystiques peuvent surgir au cours de crises d’épilepsie du lobe temporal, mais les hallucinations musicales ont dans ce cas un format fixe et invariable : elles s’accompagnent d’autres symptômes (d’hallucinations visuelles ou olfactives ou d’une impression de déjà-vu, éventuellement) et ne surviennent à aucun autre moment. La musique épileptique cesse dès que les crises sont contrôlées par un traitement médical ou chirurgical.

La plupart des hallucinateurs de musique sont âgés et un peu sourds, et il n’est pas rare qu’ils soient rangés dans la catégorie des déments, des psychotiques ou des imbéciles. Quelques jours à peine après avoir présenté des signes de crise cardiaque qui avaient conduit à l’hospitaliser, Jean G. s’était mise à entendre « un chœur lointain… des voix masculines comme assourdies par des feuillages » : bien que m’ayant écrit halluciner encore ce chœur des années plus tard, en particulier quand elle est tendue ou extrêmement fatiguée, elle avait « vite compris que mieux valait ne pas parler de ce type de musique à l’infirmière qui lui demandait si elle se souvenait de son nom et savait quel jour on était ». (« Oui, je sais quel jour on est – c’est aujourd’hui que je rentre chez moi ! », avait-elle répondu du tac au tac.)

Traduction littérale de l’allemand Ohrwurm, mais on peut dire aussi « vers cérébraux » (NdT).

J’ai traité beaucoup plus longuement des hallucinations musicales (ainsi que de l’imaginaire musical intrusif que constituent les « vers auditifs ») dans mon livre Musicophilia.

Son d’égale intensité sur toutes les fréquences audibles (NdT).

Chanson patriotique américaine (NdT).

Chanson du folklore sudiste (NdT).