Délirants


Au Middlesex Hospital de Londres où j’ai étudié la médecine dans les années 1950, j’ai côtoyé beaucoup de délirants dont les états de conscience fluctuants étaient parfois dus à des infections accompagnées de fortes fièvres ou à des pathologies telles qu’une insuffisance rénale ou hépatique, une maladie pulmonaire ou un diabète mal contrôlé, toutes affections susceptibles de bouleverser la chimie sanguine. Certains de ces délires étaient induits par des médicaments, surtout quand ils faisaient suite à des prises de morphine ou d’autres opiacés destinées à soulager la douleur, et les patients jugés délirants étaient presque toujours placés dans les services médicaux ou chirurgicaux plutôt que neurologiques ou psychiatriques, car le délire est généralement l’indice d’un problème médical : c’est la conséquence de quelque chose qui atteint l’ensemble du corps, dont le cerveau, puis disparaît sitôt que le problème en question est réglé.

Même lorsque le fonctionnement intellectuel demeure pleinement satisfaisant, l’âge peut accroître le risque qu’un traitement pharmacologique fasse halluciner ou délirer – la polymédication si souvent pratiquée par les médecins contemporains n’arrange rien à l’affaire : les vieux pensionnaires des nombreuses maisons de retraite où j’officie prennent quelquefois plus d’une douzaine de médicaments différents dont les interactions complexes sont responsables de maints délires1.

Gerald P., l’un des patients d’un service médical du Middlesex Hospital, était en train de mourir d’une insuffisance rénale : ses reins ne parvenant plus à filtrer l’urée qui s’accumulait dans son sang, cette intoxication le faisait délirer. M. P. avait géré des plantations de thé ceylanaises pendant la majeure partie de son existence : bien que l’ayant lu dans son dossier, j’aurais pu le déduire de ses propos délirants, car il parlait sans arrêt, sautant frénétiquement d’une association d’idée à l’autre. Mon professeur m’avait dit qu’il « racontait des bêtises » et son discours ne m’avait effectivement guère paru intelligible dans un premier temps, mais, plus j’écoutai, plus je compris. Faisant en sorte de passer autant de temps que possible en sa compagnie (deux ou trois heures par jour, si mes disponibilités me le permettaient), j’entrevis de mieux en mieux en quoi, la réalité et le fantasme s’intégrant conjointement à la forme hiéroglyphique de son délire, il revivait, en les hallucinant éventuellement, les événements et les passions d’une vie aussi longue que riche en péripéties – j’étais témoin d’un rêve, en quelque sorte. Après ne s’être d’abord adressé à personne en particulier, il prit l’habitude de répondre à mes questions dès que je me mis à lui en poser : heureux, je crois, que quelqu’un l’écoute, il s’agita moins et son délire devint plus cohérent, puis il s’éteignit paisiblement quelques jours plus tard.

 

En 1966, année où j’ai pour la première fois exercé en tant que neurologue, j’ai commencé à travailler au Beth Abraham Hospital, établissement du Bronx réservé aux sujets atteints de maladies chroniques. Michael F., l’un des patients ici hospitalisés, était un homme intelligent dont le foie cirrhotique avait été très endommagé par une grave hépatite, entre autres problèmes ; comme le foie très amoindri qui lui restait était incapable de supporter une alimentation normale, sa consommation de protéines devait être strictement limitée : ces restrictions lui étant pénibles, Michael « trichait » de temps à autre en mangeant du fromage, qu’il adorait… mais, un jour, semble-t-il, il se laissa tellement aller qu’on le retrouva dans un état quasi comateux. On m’appela sur-le-champ, et je constatai dès mon arrivée que M. F. venait de sombrer dans une extraordinaire alternance de stupeur et d’agitation délirante ; ne « reprenant ses esprits » que par moments, il me déclara au cours d’une de ses brèves périodes de lucidité : « Je n’appartiens plus à ce monde. Je suis défoncé aux protéines ! »

Quand je lui demandai ce qu’il ressentait, il me répondit : « C’est comme dans un rêve. Je suis confus et largué jusqu’à la folie, mais je sais que je plane, en même temps. » Non seulement il paraissait avoir la tête ailleurs, son attention se concentrant presque au hasard sur n’importe quoi, mais il ne tenait pas non plus en place et effectuait toutes sortes de mouvements involontaires.

Disposant à l’époque de mon propre électro-encéphalographe, je fis rouler mon appareil jusqu’à sa chambre, où je découvris que ses ondes cérébrales étaient extrêmement ralenties : le lent tracé de son EEG présentait des ondes triphasiques des plus classiques, aussi bien que d’autres anomalies. Moins de vingt-quatre heures après que M. F. eut repris son régime hypoprotidique, son comportement se normalisa, ainsi que son EEG.

 

Beaucoup de malades – les enfants, notamment – délirent lors d’accès de fièvre, comme le souvenir suivant de ma correspondante Erika S. en témoigne :

À l’âge de onze ans, je suis revenue de l’école avec une forte température due à la scarlatine. […] Durant une poussée de fièvre, en proie à une hallucination effrayante qui m’a paru durer très longtemps, j’ai cru que mon corps grandissait ou rapetissait. […] À chaque inspiration, mon organisme me donnait l’impression de tellement enfler que j’étais sûre que ma peau finirait par éclater comme un ballon. Puis, atrocement convaincue d’être soudain passée d’une taille d’enfant normalement proportionnée à une morphologie d’obèse aussi grotesque […] qu’un ballon humain […], je me regardais de haut en bas, certaine que mes entrailles ne tarderaient pas à jaillir de mon enveloppe cutanée désormais insuffisante en même temps qu’un flot de sang se déverserait de mes orifices corporels devenus trop vastes pour contenir mes organes si enflés. Mais je « voyais » alors que j’avais une taille normale […] et mon regard inversait le processus. […] Ensuite, c’était comme si mon corps rétrécissait. S’amincissant de plus en plus, […] mes bras et mes jambes devenaient maigres, puis décharnés, puis semblables à ceux des personnages de dessins animés (comme les membres inférieurs de Mickey Mouse dans Steamboat Willie2), puis si filiformes que j’imaginais que j’allais complètement disparaître.

Josée B. m’a écrit elle aussi pour me parler du « syndrome d’Alice au pays des merveilles » dont elle était atteinte enfant sous l’effet de la fièvre. Non seulement elle se sentait devenir « incroyablement petite ou incroyablement grande, tour à tour ou en même temps, quelquefois », se rappelait-elle, mais sa proprioception – c’est-à-dire sa perception de la position de son corps – était également déformée : « Un soir, je n’ai pas pu dormir dans mon lit. Chaque fois que je m’y allongeais, j’avais l’impression d’être debout », ajouta-t-elle ; elle avait même eu une hallucination visuelle dans ces circonstances : « J’ai aperçu tout à coup des cow-boys qui m’ont lancé des pommes. Sautant sur la commode de ma mère, j’ai essayé de me cacher derrière un tube de rouge à lèvres. »

Les hallucinations visuelles d’Ellen R. prenaient une forme rythmique et pulsative :

Je « voyais » une étendue aussi lisse que du verre ou que la surface d’un étang. […] Des anneaux concentriques se diffusaient vers les bords extérieurs, comme si quelqu’un avait jeté un caillou au centre de cet espace. Au début, le rythme est lent, [mais] […] il accélère finalement à un tel point que la surface est continuellement agitée, et, quand cela se produit, ma propre agitation augmente ; puis il finit par ralentir, la surface s’aplanit et je me sens soulagée et plus calme.

Plusieurs délirants m’ont dit entendre un grondement sourd dont l’intensité s’amplifie et diminue pareillement.

Au lieu de dépeindre comme tant de personnes des dilatations délirantes de l’image corporelle, Devon B. a insisté sur la dimension mentale ou intellectuelle de ses intumescences fébriles :

Ce qui les rendait si étranges, c’est que, loin d’avoir des hallucinations sensorielles, j’hallucinais une idée abstraite […] : la peur soudaine d’un nombre très, très grand qui augmenterait en permanence (ou de quelque chose que je n’ai jamais vraiment défini). […] Je me souviens d’avoir arpenté le couloir […], de plus en plus affolée et horrifiée par la croissance exponentielle d’un nombre impossible. […] Je craignais que ce nombre ne viole l’une des plus fondamentales de toutes nos perceptions du monde, […] une hypothèse que nous tenons pour absolument inviolable.

Cette lettre m’a fait penser aux épisodes de délire arithmétique endurés par Vladimir Nabokov, qui, comme il l’a précisé dans son autobiographie Autres Rivages, se battait avec des nombres incroyablement grands :

Petit garçon, j’ai montré une aptitude anormale pour les mathématiques, aptitude que j’ai complètement perdue à l’époque de mon adolescence, qui fut singulièrement dénuée de talent. Ce don joua un rôle affreux dans mes corps à corps avec l’angine ou la scarlatine : je sentais alors d’énormes sphères et des nombres immenses grossir impitoyablement dans mon cerveau endolori. […] [J’]avais lu […] l’histoire d’un certain calculateur hindou qui était capable de trouver, en deux secondes exactement, la racine dix-septième de, mettons, 352947114576027513 2301897342055866171392 (je ne suis pas sûr que ce soit là exactement le nombre en question ; en tout cas, la racine trouvée était 212). Tels étaient les monstres qui s’engraissaient de mon délire, et le seul moyen de les empêcher de me chasser de moi-même en ne m’y laissant plus de place, c’était de les tuer en extrayant leurs cœurs. Mais ils étaient beaucoup trop forts, et je me mettais sur mon séant dans mon lit et formais péniblement des phrases sans queue ni tête, essayant d’expliquer la situation à ma mère. Sous le masque de mon délire, elle reconnaissait des sensations qu’elle avait elle-même connues, et sa compréhension ramenait mon univers en expansion à une norme newtonienne3.

D’aucuns affirment que les hallucinations et les étranges pensées du délire peuvent faire momentanément accéder – ou le sembler – à une riche vérité émotionnelle, à l’instar de certains rêves ou vécus psychédéliques. Elles paraîtraient même être parfois propices aussi à la révélation ou à la percée d’une profonde vérité intellectuelle : après avoir arpenté le monde pendant une décennie pour collecter des spécimens de plantes et d’animaux tout en réfléchissant au problème de l’évolution, Alfred Russel Wallace conçut brusquement l’idée de sélection naturelle en 1858, lors d’un accès de fièvre malarienne. La lettre à Darwin où il exposa cette nouvelle théorie incita ce dernier à publier son Origine des espèces l’année suivante.

Robert Hughes a fait allusion dès les premières pages de son Goya au délire prolongé dont son rétablissement s’accompagna ; hospitalisé près de sept mois au total après un accident de voiture qui faillit lui coûter la vie (il resta cinq semaines dans le coma), il écrivit les lignes que voici dans un service de soins intensifs :

Les médicaments, l’intubation, l’exposition permanente aux éclairages trop violents et l’immobilité physique […] influent étrangement sur la conscience. Ils engendrent des rêves narratifs, des hallucinations ou des cauchemars interminables : beaucoup plus pesantes et oppressives que les rêves du sommeil ordinaire, ces productions mentales portent l’horrible empreinte de tout ce à quoi on ne peut échapper – il n’y a rien en dehors d’elles et quiconque s’égare dans leur labyrinthe perd totalement la notion du temps. J’ai rêvé de Goya le plus souvent – pas de l’artiste véritable, bien entendu, mais d’une projection de mes peurs. L’ouvrage que je comptais lui consacrer s’était heurté à un mur : au moment de l’accident, j’étais déjà bloqué depuis des années.

Au cours de cet étrange délire, il crut qu’un Goya transformé se moquait de lui et le martyrisait, ne cherchant qu’à l’enfermer dans on ne sait trop quels limbes infernaux ; et Hughes finit par interpréter cette « vision bizarre et obsessionnelle » comme suit :

J’avais espéré « cerner » Goya dans cet écrit, mais, en fin de compte, il m’avait emprisonné. Mon enthousiasme ignorant m’avait attiré dans un piège sans issue évidente. Ce n’était pas seulement que j’étais incapable de mener ma tâche à bien : mon sujet le savait, et il se gaussait hystériquement de mon inefficacité ! Il n’y avait plus qu’un moyen de me dégager de cette entrave si humiliante : la pulvériser. […] Goya avait acquis une telle importance subjective à mes yeux que je ne pouvais renoncer à lui, que mon texte lui rende justice ou non. En quelque sorte, je devais surmonter mon blocage d’écrivain en faisant exploser le bâtiment à l’intérieur duquel il avait débuté.

Dans son Opium and the Romantic Imagination, l’essayiste Alethea Hayter rappelle que l’artiste italien Piranèse est « censé avoir pensé à graver ses Prisons imaginaires au cours d’un délire dû à la malaria », maladie qu’il avait contractée

tandis qu’il explorait les monuments en ruines de la Rome antique […] au milieu des miasmes nocturnes de cette plaine marécageuse. Il ne pouvait qu’attraper la malaria, et les visions délirantes qui lui vinrent ensuite à l’esprit auraient pu tenir à l’opium tout autant qu’à une température corporelle trop élevée, car cette substance comptait alors au nombre des remèdes normaux de la fièvre paludéenne ou malarienne. Mais ce n’est qu’une conjecture, car rien ne suggère que Piranèse fût opiomane. […] Les images issues de son délire fébrile furent dessinées et élaborées après maintes années d’un travail aussi conscient que maîtrisé.

Le délire peut engendrer des hallucinations musicales, comme Kate E. m’en a informé :

Vers mon onzième anniversaire, alitée avec une forte fièvre, j’entendis une musique céleste. Après avoir d’abord envisagé la possibilité qu’il s’agisse d’un chœur d’anges, si curieux que cela me parût – car je ne crois ni au ciel ni aux anges, aujourd’hui comme alors –, je me dis qu’elle devait provenir du groupe de chanteurs de cantiques de Noël stationné devant notre porche ; puis, une minute plus tard à peu près, je me souvins que c’était le printemps et en conclus que j’hallucinais forcément.

On m’a parlé bien des fois de musiques hallucinées visuellement, des notes hallucinatoires tapissant par exemple les murs et le plafond. Christy C., entre autres, m’a confié ce souvenir :

La moindre maladie infantile me rendait très fiévreuse, et j’hallucinais toujours : mon hallucination n’étant qu’optique, je voyais des notes de musique et des couplets sans rien entendre. Lorsque ma température montait, les lignes de notes et de clefs se bousculaient puis se mettaient sens dessus dessous ; la colère des notes me dérangeait car, comme aux lignes, il leur arrivait de perdre toute retenue et de se rouler en boule : je m’efforçais donc pendant des heures d’assez les dérider pour qu’elles retrouvent leur ordre et leur harmonie. La même hallucination me tourmente encore à l’âge adulte quand j’ai de la fièvre.

Des hallucinations afférentes au sens du toucher, également, peuvent être concomitantes d’une fièvre ou d’un délire, comme Johnny M. me l’a indiqué : « Dans mon enfance, m’a-t-il écrit, mes poussées de fièvre m’amenaient à halluciner de bizarres sensations tactiles […] : des doigts d’infirmière auparavant lisses comme de la porcelaine devenaient aussi rugueux et secs que des brindilles, ou mes draps de lit me paraissaient tantôt tissés dans un somptueux satin, tantôt si désagréablement lourds et humides que je me croyais enveloppé dans des couvertures trempées. »

Bien que les épisodes fébriles soient peut-être la plus fréquente de toutes les causes de délire, une cause métabolique ou toxique moins flagrante peut jouer aussi, comme mon amie le docteur Isabelle R. vient de l’apprendre à ses dépens. Après avoir été en proie durant deux mois à une faiblesse croissante sporadiquement doublée de confusion, cette femme devint si atone qu’elle finit par être admise dans un hôpital où elle développa un délire hallucinatoire paranoïde : elle y acquit la conviction qu’un tableau accroché à l’un des murs de sa chambre dissimulait l’entrée d’un laboratoire secret où je supervisais une série d’expérimentations effectuées sur sa personne. Mais des examens montrèrent que ses taux de calcium et de vitamine D étaient beaucoup trop élevés (elle en avait pris des doses excessives pour réduire son ostéoporose), et elle cessa de délirer dès que ces taux baissèrent : cette désintoxication suffit à la faire revenir à la normale.

 

Le délire est classiquement associé à la toxicité ou au sevrage de l’alcool. L’un des cas présentés dans la grande Einführung in die psychiatrische Klinik (1901) d’Emil Kraepelin a trait au delirium tremens d’un aubergiste très alcoolique – buvant six à sept litres de vin par jour, il s’était considérablement agité avant de s’enfoncer dans un état oniroïde qui inspira les commentaires suivants à Kraepelin :

À quelques idées vraies […] se mêlent toute une série de notions manifestement fausses, surtout dans le domaine de la vue et de l’ouïe. Comme dans un rêve se déroule tout un enchaînement de circonstances les plus merveilleuses et les plus fantaisistes, entrecoupées de brusques changements de scènes. […] Ajoutons encore les illusions visuelles fort actives, le tremblement très marqué, l’odeur d’alcool, et nous aurons groupé les traits essentiels de cette entité clinique que l’on appelle delirium tremens4.

En plus de produire ces symptômes, les hallucinations de ce patron d’auberge l’incitaient peut-être également à adhérer à toute une série de croyances ou d’illusions manifestement fausses :

Sa destinée est marquée d’un sceau fatal ; il lui faut quitter ce monde ; qu’on télégraphie rapidement à sa femme que son mari va mourir et sera exécuté par l’électricité, en même temps que fusillé. « L’image n’est pas bien imitée, ajoute-t-il ; à chaque instant, tantôt ici, tantôt là, il y a quelqu’un qui me surveille avec un revolver. Quand j’ouvre les yeux, ils disparaissent. » On lui a injecté dans les orteils et dans la tête un liquide qui sent mauvais et qui fait naître des images qu’on prend pour la réalité. […] En même temps son regard se porte vers la fenêtre, où il voit des maisons et des arbres qui disparaissent pour réapparaître. Lui commande-t-on de fermer les yeux et les presse-t-on légèrement, il aperçoit un jaillissement d’étincelles, puis un lièvre, un tableau, une tête, une cuvette, une demi-lune, une tête d’homme, le tout d’abord flou, puis coloré5.

Même si les délires tels que celui de cet aubergiste peuvent être si incohérents qu’on ne saurait y repérer le moindre thème ou fil directeur, d’autres se présentent comme un voyage, un spectacle ou un film qui confère de la cohérence et du sens à ce qui est halluciné. Une nuit où elle vécut une expérience de cette nature après avoir eu une température très élevée durant plusieurs jours, Anne M. commença par voir chaque fois qu’elle fermait les yeux pour s’endormir des motifs dont la symétrie était si subtile qu’ils ressemblaient à des dessins d’Escher :

Les dessins initiaux étaient géométriques, mais ces formes se transformaient ensuite en monstres et en d’autres créatures plutôt déplaisantes. […] Aucun de ces dessins n’était coloré, et cela ne me plaisait pas du tout parce que je voulais dormir. Sitôt complet, chaque dessin se copiait de telle sorte que quatre, six ou huit quadrants de mon champ visuel regorgeaient de tableaux identiques.

À ces dessins succédèrent des images aux couleurs si éclatantes qu’on aurait dit des toiles de Brueghel ; puis, s’emplissant de plus en plus de monstres elles aussi, ces images se subdivisèrent (exemple type de polyopie) en un essaim de minuscules toiles de Brueghel en tout point semblables.

Un changement plus radical se produisant ensuite, Anne se retrouva au fond d’« un autocar chinois des années 1950, en tournée de propagande pour les Églises chrétiennes de Chine » : un film sur la liberté religieuse était projeté sur la lunette arrière du véhicule, et elle était en train de le regarder. Mais la perspective se modifiait en permanence, car le film et l’autocar à la fois s’inclinaient si soudainement que leur étonnante obliquité lui rendait impossible de déterminer si la flèche d’église qu’elle apercevait se dressait « réellement » à l’extérieur de l’autobus ou faisait partie du film. Cet étrange périple occupa la majeure partie d’une nuit à la fois fébrile et insomnieuse.

Les hallucinations d’Anne ne se déclaraient que lorsqu’elle fermait les yeux puis s’interrompaient dès qu’elle les rouvrait6 ; mais d’autres délires provoquent des hallucinations qui semblent faire partie intégrante de l’environnement réel, tel qu’on le voit les yeux ouverts.

Quand je visitai le Brésil en 1996, je me mis à faire des rêves narratifs très élaborés aux couleurs extrêmement brillantes et d’une qualité presque lithographique : ils semblaient durer toute la nuit, une nuit après l’autre. Comme j’avais une gastro-entérite accompagnée d’un peu de fièvre, j’avais supposé que ces rêves étranges tenaient à cette infection, ainsi, peut-être, qu’à mon excitante traversée de la jungle amazonienne, mais j’en avais déduit à tort qu’ils cesseraient dès que je me remettrais de cette fièvre et regagnerais New York : ils prirent au contraire de l’ampleur ensuite, devenant plus intenses que jamais.

Non seulement ces rêves délirants avaient par la tranquille progression de leur action quelque chose des romans de Jane Austen, ou peut-être d’une de leurs adaptations télévisuelles de Masterpiece Theatre7, mais leurs détails visuels étaient des plus précis également, tous les personnages étant habillés, se conduisant et s’exprimant comme ceux de Raison et Sentiments. (J’en fus surpris, car mon sens du social ou ma sensibilité en ce domaine n’ont jamais été très développés et je préfère Dickens à Austen pour ce qui est de mes goûts littéraires.) Je me levais plusieurs fois par nuit pour m’asperger le visage d’eau froide, me vider la vessie ou me servir une tasse de thé, sans que cela m’empêche de me retrouver de nouveau dans le monde de Jane Austen aussitôt que je retournais me coucher et fermais les yeux : le rêve ayant avancé pendant que j’étais debout, j’y revenais comme à une narration qui se serait poursuivie en mon absence – du temps avait passé, des événements étaient survenus et certains personnages avaient disparu ou péri, des inconnus occupant maintenant le devant de la scène.

Quelles qu’en aient été les causes, ces rêves, ces délires ou ces hallucinations se répétaient chaque nuit, cette récurrence rendant mon sommeil si anormal ou me privant tellement de repos qu’elle m’épuisait ; et, quand je lui parlai de ces « rêves » dont je me souvenais en détail, contrairement à mes rêves normaux, mon analyste me demanda : « Que vous arrive-t-il ? Vous venez de rêver davantage en deux semaines que depuis vingt ans. Vous prenez quelque chose, en ce moment ? »

Je lui répondis par la négative, mais il me revint par la suite qu’on m’avait prescrit des doses hebdomadaires de Lariam® avant que je me rende en Amazonie, tout en me recommandant de surcroît de prendre deux ou trois doses supplémentaires de cet antimalarique après mon retour.

Cherchant ce médicament dans le Physician’s Desk Reference8, je lus qu’il pouvait induire des rêves extrêmement précis ou colorés, des cauchemars, des hallucinations ou même des psychoses, bien que l’incidence de ces effets secondaires fût inférieure à 1 %. Lorsque je contactai ensuite mon ami Kevin Cahill, expert en maladies tropicales, il me dit que l’incidence des rêves très vivaces et colorés lui paraissait plus proche de 30 %, les hallucinations ou les psychoses à part entière étant beaucoup plus rares ; quant au moment où ces rêves prendraient fin, il me répondit : « Dans un mois ou plus », car la demi-vie du Lariam® est si longue que l’organisme ne l’élimine qu’au terme de ce laps de temps. De fait, mes rêves du XIXe siècle disparurent peu à peu, si lente que me parût cette évolution.

 

Le poète Richard Howard délira pendant plusieurs jours après avoir été opéré du dos. Dès le lendemain de l’intervention chirurgicale, couché sur son lit d’hôpital et regardant en l’air, il vit de petits animaux sur tout le pourtour du plafond ; de la taille d’une souris mais dotés chacun d’une tête de cerf, ils lui parurent plus vrais que nature, car, non contents d’être aussi massifs et colorés que de véritables animaux, ils se déplaçaient comme des créatures vivantes. « J’ai su d’emblée qu’ils étaient réels », me dit-il, et le fait est qu’il ne démordit pas de cette conviction lorsque son compagnon n’aperçut pas ces bestioles en entrant dans sa chambre : Richard s’étonna seulement que cet artiste au regard si perçant en temps ordinaire pût être si aveugle ! Tout en ayant conscience d’assister à un phénomène remarquable (« Je n’ai certes pas l’habitude de voir des sortes de fresques de têtes de daim montées sur des corps de souris », admit-il), il tint cette scène pour réelle sans envisager une seule seconde qu’il pût être en train d’halluciner.

Le lendemain, Richard, qui enseigne la littérature à l’université, se mit à voir autre chose qui lui sembla encore plus remarquable que cette fresque : il s’agissait de la « reconstitution historique d’une période littéraire ». Tous vêtus comme des célébrités de la littérature du XIXe siècle, les médecins, les infirmières et le reste du personnel hospitalier répétaient ce spectacle ensemble : la qualité de leur travail l’impressionna au plus haut point, même s’il comprit que quelques autres observateurs étaient plus critiques. Les « acteurs » parlaient librement, entre eux comme en s’adressant à lui, et cette répétition, il le voyait bien, se déroulait simultanément sur plusieurs étages de l’hôpital : la transparence du bâtiment lui permettant d’assister à toutes les interprétations en même temps, à un niveau ou un autre, il répondit aux comédiens désireux de connaître son opinion que c’était très plaisamment et intelligemment interprété, aussi bien que ravissant à regarder. Quand il me raconta cette histoire six ans plus tard, il me confia en souriant que le simple souvenir de cet événement le comblait d’aise – « Époque ô combien privilégiée ! », s’écria-t-il.

Chaque fois que de véritables visiteurs arrivaient, la reconstitution cessait et Richard, tout à fait éveillé et convenablement orienté, bavardait avec eux comme à l’accoutumée ; mais elle reprenait dès qu’ils se retiraient. Si affûté et rationnel que fût son esprit, les facultés critiques de ce poète sembleraient donc s’être volatilisées d’un bout à l’autre de ses trois jours de délire peut-être dus à la consommation d’opiacés ou d’autres drogues.

Richard voue une grande admiration à Henry James, lequel s’avère avoir déliré lui aussi. En décembre 1915, une pneumonie génératrice d’une forte fièvre le fit sombrer en effet dans un délire terminal ainsi décrit par Fred Kaplan dans sa biographie de cet auteur :

Il était entré dans un autre univers imaginaire, lié au début de sa vie littéraire : celui de ce monde napoléonien que, sous l’empire de sa propre création, il avait tenu toute sa vie durant pour une métaphore de la puissance de l’art. Il entreprit de dicter les notes d’un nouveau roman – « des fragments du livre que je m’imagine en train d’écrire », assura-t-il –, mais, comme s’il rédigeait une œuvre romanesque dont sa propre conscience altérée avait été le centre dramatique, ses propos montrèrent qu’il se prenait pour Napoléon et confondait les membres de sa famille avec l’impériale fratrie des Bonaparte […]. Après que son auguste main se fut posée sur William et Alice, il les appela « mes très chers et très estimables frère et sœur ». À cet aîné et à cette cadette à qui il avait déjà offert des pays, il confia désormais la responsabilité de surveiller l’exécution de « plans de décoration de certains appartements du Louvre et des Tuileries dont il vous incombe de communiquer les détails aux artistes et artisans chargés de ces futurs travaux ». […] Quant à lui-même, c’était l’« Aigle impérial ».

Pour Theodora [sa secrétaire], la tâche d’écrire sous sa dictée fut presque au-delà de ses forces. « Cela me fend le cœur, assurément ; néanmoins, j’ai l’extraordinaire surprise de constater que son esprit reste bel et bien capable de construire des phrases parfaitement jamesiennes », déclara-t-elle.

D’autres le reconnurent également – et l’on dit que, même si le maître divaguait, son style était du « pur James », voire digne du « dernier James ».

 

L’arrêt brutal de la consommation de drogues ou d’alcool est parfois à l’origine d’un délire dominé par l’audition de voix hallucinatoires – délire qui est en réalité une psychose toxique, quand bien même la personne atteinte n’est pas schizophrène et n’était jamais devenue psychotique auparavant. Evelyn Waugh a donné une splendide description d’un incident de ce type dans son roman autobiographique intitulé L’Épreuve de Gilbert Pinfold9 : après avoir énormément bu pendant des années, cet écrivain avait ajouté dans les années 1950 une puissante potion somnifère (un élixir à base d’hydrate de chloral et de bromure) à de l’alcool, ses dosages peu scrupuleux rendant ce breuvage de plus en plus fort, comme il l’écrivit à propos de son alter ego Gilbert Pinfold – « À l’origine, l’eau entrait pour une bonne part dans la composition de sa potion somnifère. Il suggéra à son pharmacien de lui laisser le soin d’effectuer lui-même le mélange. Les produits de base étant amers, il remplaça l’eau par de la liqueur de menthe et varia les doses de chloral et de bromure, en sorte que tantôt il devait se relever au milieu de la nuit pour en reprendre une seconde cuillerée et tantôt passait de longues heures dans une bienheureuse inconscience10 », lit-on dans L’Épreuve.

Mal en point, courbatu et affligé d’une mémoire qui lui joue de plus en plus de tours, Pinfold décide de faire une croisière en direction de l’Inde dans l’espoir que ce changement d’air l’aide à se rétablir, mais, une fois en mer, il vide sa bouteille de potion somnifère en deux ou trois jours à peine et continue à boire exagérément : son bateau n’a pas plus tôt largué les amarres qu’il se met à avoir des hallucinations auditives – la plupart consistent en des voix, mais il lui arrive également d’entendre une musique, l’aboiement d’un chien, le bruit d’une correction meurtrière administrée par le capitaine du navire et sa maîtresse, ou le raclement sur le pont d’une énorme masse de métal jetée par-dessus bord. Visuellement parlant, tout et tout le monde lui paraît normal : un paquebot paisible à l’équipage et aux passagers tout à fait quelconques franchit paisiblement le détroit de Gibraltar pour voguer en Méditerranée. Ses hallucinations auditives engendrent cependant des illusions complexes qui confinent quelquefois à l’absurde : par exemple, il comprend à tort que l’Espagne vient de revendiquer la possession de Gibraltar et arraisonnera bientôt le bâtiment, ou que, possédant des appareils capables de lire dans l’esprit humain, ses persécuteurs diffusent ses pensées les plus intimes par voie hertzienne.

Si certaines des voix qui s’adressent directement à lui sont sarcastiques, haineuses, accusatrices et lui suggèrent souvent de se suicider, il entend aussi une femme à la voix suave (la sœur d’un de ses bourreaux, devine-t-il) lui annoncer qu’elle est amoureuse de lui et lui demander s’il l’aime : Pinfold lui répondant qu’il a besoin de la voir et de l’entendre, elle lui déclare que c’est impossible car « contraire aux Règles11 » – les hallucinations de ce voyageur étant exclusivement auditives, ses illusions risqueraient de voler en éclats s’il lui était « permis » de voir son interlocutrice.

Les délires et les psychoses aussi complexes que l’épisode dont il vient d’être question présentent des caractéristiques à la fois ascendantes et descendantes, comme les rêves : de même que la lave d’un volcan en éruption jaillit des profondeurs de la croûte terrestre, ils proviennent des niveaux « inférieurs » du cerveau tels que le cortex somatosensoriel associatif, les circuits hippocampiques et le système limbique ; mais ils sont façonnés également par l’intellect, les émotions et l’imagination de l’individu concerné, d’une part, et les croyances et le style de la culture à laquelle il appartient, de l’autre.

 

Nombre de problèmes médicaux et de troubles neurologiques aussi bien que toutes sortes de substances chimiques (qu’elles soient prises à des fins thérapeutiques ou récréatives) peuvent temporairement déclencher des psychoses « organiques » de ce genre. L’un de mes patients dont je me souviens fort bien était un postencéphalitique charmant et cultivé qui répondait au nom de Seymour L. (j’ai fait brièvement allusion à cet homme et à ses hallucinations dans L’Éveil12) ; l’administration d’une dose très faible de L-dopa visant à traiter son parkinsonisme avait suffi à le faire basculer dans une excitation pathologique corrélée à un début d’audition de voix.

Entrant un jour dans mon bureau, il me lança : « J’ai été très choqué de vous entendre me dire : “Seymour, mettez votre chapeau et votre manteau, montez sur le toit de l’hôpital et sautez !” D’habitude, vous êtes plus gentil. »

Je lui répondis que jamais il ne me viendrait à l’idée de lui ordonner une chose pareille, et qu’il devait donc halluciner. « M’avez-vous vu ? », lui demandai-je.

« Non, rétorqua-t-il. Je vous ai juste entendu. »

« Si vous entendez cette voix de nouveau, intervins-je alors, regardez autour de vous pour vérifier si je suis là. Si vous ne me voyez pas, vous saurez qu’il s’agit d’une hallucination. »

Après avoir réfléchi un instant, il hocha la tête de droite à gauche puis marmonna : « Ça ne marchera pas ! »

Le lendemain, il entendit encore ma voix lui ordonner de mettre son chapeau et son manteau, de monter sur le toit de l’hôpital et de sauter, mais elle ajouta cette fois : « Et inutile de vous retourner, car je suis vraiment là. » Heureusement pour lui, M. L. résista à la tentation de se jeter dans le vide, et ses voix se turent dès que nous interrompîmes l’administration de L-dopa. Trois ans plus tard, il réagit magnifiquement à un nouvel essai de traitement : nous n’observâmes plus aucun indice de délire ni de psychose.


1.

En plus du délire patent auquel les problèmes de santé potentiellement mortels peuvent être associés, il n’est pas rare qu’un délire soit si léger ou bénin que le malade omettra de consulter son médecin à propos de ce symptôme que lui-même oublie ou ignore : la migraine « s’accompagne souvent d’un délire calme dont rien ne subsiste par la suite », remarqua Gowers en 1907.

La définition du délire a toujours été entachée d’illogisme, et, comme Dimitrios Adamis et al. l’ont souligné dans leur recension de ce sujet, ce trouble a été fréquemment confondu avec la démence et d’autres états : chez Hippocrate « seize mots qualifient et désignent le syndrome clinique aujourd’hui nommé “délire” », lit-on dans cet article. La médicalisation de la folie propre au XIXe siècle a aggravé cette confusion : comme German Berrios l’a relevé, les fous étaient alors censés souffrir d’un « délire chronique ». Même de nos jours, l’appellation « psychose toxique » encore accolée au délire montre à quel point la terminologie reste ambiguë.

2.

Troisième dessin animé de Walt Disney où le personnage de Mickey apparaît sous l’aspect d’un moussaillon (NdT).

3.

Vladimir Nabokov, Autres Rivages. Autobiographie, trad. par Yvonne Davet et Mirèse Akar, Paris, Gallimard, 1991, p. 46 (NdT).

4.

Emil Kraepelin, Introduction à la psychiatrie clinique, trad. par MM. Albert Devaux et Prosper Merklen, Paris, Vigot frères, 1907, p. 131 et 127 (NdT).

5.

Ibid., p. 126 (NdT).

6.

Des apparitions et disparitions similaires d’images délirantes concomitantes soit de la fermeture, soit de l’ouverture des yeux, sont décrites dans le mémoire de John Maynard Keynes intitulé Le Docteur Melchior :

Quand nous fûmes rentrés à Paris, je me sentis très mal et dus me mettre au lit deux jours plus tard. J’eus de fortes fièvres […]. J’étais couché dans ma suite du Majestic, presque délirant, et, dans le noir, l’image du motif en relief sur la tapisserie art nouveau attaquait si vigoureusement ma sensibilité que c’était un soulagement d’allumer et, en revenant à la réalité, d’être débarrassé un instant de la pression encore plus hideuse de ces contours imaginés (John Maynard Keynes, Le Docteur Melchior, un ennemi vaincu, trad. par Bernard Hoepffner, Castelnau-le-Lez, Éd. Climats, 1993, p. 53).

7.

Série d’émissions de la BBC comparable à Au théâtre ce soir en France (NdT).

8.

Équivalent américain du Vidal (NdT).

9.

« Il y a trois ans de cela, monsieur Waugh a traversé une brève phase hallucinatoire semblable à celle ici dépeinte. […] Monsieur Waugh ne nie pas que “monsieur Pinfold” soit largement tiré de lui », a écrit Evelyn Waugh dans une note de sa préface à l’une des rééditions de ce roman : on peut donc partir du principe que L’Épreuve décrit un « cas » de psychose organique, même si aucun récit purement médical ne saurait rivaliser avec le génie de l’observation et de la description – ni avec le sens de l’intrigue et du suspense – dont ce texte autobiographique est empreint.

W. H. Auden remarqua un jour que, faute de lui avoir « appris quoi que ce soit », l’épreuve de Waugh lui permit au moins d’écrire un mémoire si comique qu’il diffère totalement de toutes ses œuvres précédentes.

E. Waugh, L’Épreuve de Gilbert Pinfold, trad. par Claude Elsen, Paris, 10-18, 1982, p. 36-37 (NdT).

Op. cit., p. 64 (NdT).

Voir Oliver Sacks, L’Éveil, op. cit., p 380-381 et 490 n. 10 (NdT).