Au seuil du sommeil
En 1992, j’ai reçu une lettre de M. Robert Utter, citoyen australien qui m’avait entendu parler de l’aura migraineuse à la télévision. « Après avoir décrit les motifs élaborés que voient certains migraineux, m’écrivait-il, […] vous disiez que cette manifestation laisse peut-être entrevoir l’existence de quelque profonde fonction cérébrale génératrice de formes », conjecture qui lui avait rappelé une expérience qu’il faisait régulièrement dans son lit :
Cela se produit en général lorsque ma tête touche l’oreiller le soir ; mes yeux se ferment […] et je vois toute une imagerie. Pas vraiment des tableaux, je veux dire, mais plutôt des motifs ou des textures : des formes répétées, des ombres de formes ou des parties d’images telles que l’herbe d’un paysage, divers grains de bois, des vaguelettes ou des gouttes de pluie […] qui subissent d’extraordinaires transformations à toute vitesse. Les formes se répliquent, se multiplient, s’inversent en leur négatif, etc. De la couleur s’ajoute, se nuance ou se soustrait, et les textures sont tout à fait fascinantes : l’herbe devient une toison qui devient des follicules capillaires qui deviennent eux-mêmes des rais de lumière ondulant et dansant, une centaine d’autres variations aux innombrables degrés intermédiaires étant beaucoup trop subtiles pour que mon grossier vocabulaire puisse les décrire.
Ces images et leurs changements subséquents surgissent puis s’estompent sans que je les contrôle. […] C’est une expérience fugitive, que sa durée se mesure en secondes ou en minutes. Je ne puis prédire ce qui apparaîtra : tout cela semble s’effectuer non pas sur mes rétines, mais au sein de je ne sais trop quelle dimension spatiale déployée devant moi. La force de l’imagerie varie, son intensité allant de l’à peine perceptible au très vivace, comme celle d’une image onirique. À la différence des rêves, néanmoins, ces images n’ont absolument aucune connotation émotionnelle : elles me fascinent mais ne m’émeuvent pas. […] Le sens de ce phénomène m’échappe totalement.
Il se demandait si cette imagerie pouvait être due à une sorte de « vagabondage » des aires visuelles de son cerveau momentanément privées de perceptions.
Ce que M. Utter m’a décrit dans cette lettre si évocatrice, ce ne sont pas des rêves, mais des images involontaires ou des quasi-hallucinations survenant juste avant le sommeil – des hallucinations hypnagogiques, pour reprendre le terme d’Alfred Maury, psychologue français qui créa cette appellation en 1848 : on estime que plus de 50 % des dormeurs y sont sujets, de temps à autre au moins, même si ce phénomène peut être si discret qu’il passe inaperçu.
Les observations initiales de Maury portaient toutes sur sa propre imagerie : l’une des premières études systématiques des hallucinations hypnagogiques fut celle de Francis Galton, qui tira ses informations de réponses à des questionnaires. Il remarqua dans ses Inquiries into Human Faculty (1883) que très peu de gens admettraient d’emblée disposer d’une telle imagerie, et le fait est que son insistance sur la banalité et l’innocuité de ces hallucinations concourut à libérer la parole de plusieurs de ses répondants.
Les descriptions d’hallucinations hypnagogiques frappèrent d’autant plus Galton qu’il en avait lui aussi, même s’il n’avait fini par le comprendre qu’à l’issue d’une lente et patiente auto-observation. « Si l’on m’avait interrogé à ce propos avant que j’eusse pensé à procéder à un test minutieux, écrivit-il, j’aurais catégoriquement déclaré que mon champ visuel est pour l’essentiel d’un noir uniforme dans l’obscurité, hormis le surgissement occasionnel d’une nébulosité mauve pâle et d’autres variations minimes » ; mais voici ce qu’il avait constaté lors d’un examen plus attentif :
un changement kaléidoscopique de motifs et de formes se déroule en permanence, ces visions étant trop fugitives et complexes pour qu’aucun de mes dessins n’ait la moindre chance de s’approcher de la vérité. Leur variété m’étonne. […] Je cesse de les voir et les oublie dès que je me mets à penser à quoi que ce soit, et je serais curieux de savoir pourquoi une réalité si souvent présente de toute évidence est si couramment ignorée.
Parmi les dizaines d’individus qui répondirent au questionnaire de ce psychologue figurait le révérend George Henslow (pasteur « dont les visions sont beaucoup plus vives que les miennes1 », souligna Galton). Après avoir commencé à halluciner une fois un arc-en-ciel suivi d’une flèche elle-même suivie d’une volée de flèches qui s’était transformée en pluie d’étoiles filantes, d’abord, et en flocons de neige, ensuite, Henslow avait vu lui apparaître tour à tour moult détails d’un presbytère et d’un parterre de tulipes rouges : malgré l’association visuelle qu’il avait repérée (les flèches étaient devenues des étoiles avant de se muer en flocons de neige, par exemple), ces brusques changements d’images ne présentaient aucune continuité narrative. L’imagerie d’Henslow était donc extrêmement vivace, mais ne s’apparentait pas à un rêve ou à une histoire.
Selon Henslow, ses hallucinations différaient grandement de ses images volontaires : ces dernières, insista-t-il, s’assemblaient aussi lentement et progressivement que les composantes d’un tableau et semblaient ressortir à l’expérience quotidienne, tandis que les premières apparaissaient spontanément et de leur propre chef tout en étant complètes d’entrée. En outre, ses visions hypnagogiques étaient « très souvent d’une grande beauté et fort brillantes : [j’aperçois] des objets en cristal taillé (beaucoup plus ouvragés que ceux que je me souviens d’avoir vus), des filigranes or et argent magnifiquement repoussés, des vases dorés et argentés, etc. ; de subtils motifs colorés de tapis aux teintes éclatantes ».
Si Galton loua la clarté et la précision de la description de Henslow, beaucoup d’autres individus lui avaient confié que le calme et l’obscurité des chambres où ils s’endormaient les amenaient à avoir des visions plus ou moins semblables à celles de ce pasteur – seule la vivacité du phénomène variait : l’imagerie était tantôt aussi pâle que celle de Galton, tantôt quasi hallucinatoire, mais ces sortes d’hallucinations n’étaient jamais confondues avec la réalité.
Pour Galton, la tendance à avoir des visions hypnagogiques n’avait rien de pathologique. Si fréquentes et intenses que pussent être les expériences des quelques personnes qui disaient halluciner chaque fois qu’elles allaient se coucher, il pensait que ces visions occasionnelles au moins chez la plupart des gens (sinon chez tout le monde) étaient un phénomène normal en dépit de la particularité des circonstances – l’obscurité ou la fermeture des yeux, un état de passivité mentale et l’imminence du sommeil – indispensables à sa survenue.
Les visions hypnagogiques ont ensuite beaucoup moins retenu l’attention des hommes de science jusque dans les années 1950, décennie au cours de laquelle Peter McKellar et ses collaborateurs entreprirent d’enquêter longuement sur les hallucinations proches du sommeil : non seulement ces chercheurs ont observé en détail pendant plusieurs dizaines d’années le contenu et la prévalence de ces hallucinations chez une vaste population (l’ensemble des étudiants de l’université d’Aberdeen) tout en les comparant à diverses autres productions hallucinatoires (à celles induites par la mescaline, notamment), mais leurs études postérieures sous EEG d’individus en train de passer de l’éveil intégral à un état hypnagogique ont utilement complété ces premières observations phénoménologiques à partir des années 1960.
Plus de la moitié des sujets étudiés par McKellar ont dit avoir une imagerie hypnagogique et halluciner des sensations aussi souvent visuelles qu’auditives (des voix, des cloches, des cris d’animaux ou d’autres bruits) – nombre de mes propres correspondants me décrivent eux aussi des hallucinations auditives simples : il peut leur sembler qu’un chien aboie, que leur téléphone sonne ou qu’on les appelle par leur nom.
Edmund Wilson a dépeint dans Upstate une hallucination hypnagogique des plus répandues :
Le matin, je crois entendre le téléphone sonner juste avant d’être complètement réveillé. Au début, j’allais répondre puis découvrais que personne ne m’appelait ; maintenant, je ne me lève plus : si la sonnerie ne se répète pas, je comprends qu’elle est imaginaire et reste couché.
Antonella B. entend de la musique quand elle s’endort. La première fois, m’a-t-elle écrit, « c’était un très beau morceau classique – un grand orchestre jouait une œuvre d’une grande complexité dont le titre m’était inconnu », et cette musique s’accompagne rarement d’images : « Mon cerveau s’emplit de sons magnifiques, c’est tout ! »
Les hallucinations auditives de Susan F. sont encore plus élaborées, comme cette bibliothécaire me l’a appris dans une lettre :
Depuis plusieurs décennies, j’entends quelqu’un prononcer des phrases sitôt que je me laisse glisser dans le sommeil. Elles sont toujours grammaticalement correctes, anglaises le plus souvent et généralement dites par un homme. (Je n’ai entendu que quelquefois une femme parler, et une seule fois dans une langue pour moi incompréhensible : les langues romanes diffèrent assez du chinois, du coréen, du japonais, du russe et du polonais pour que je les reconnaisse, mais ce n’était rien de tout cela.) Ces phrases sont parfois des ordres tels que « Va me chercher un verre d’eau ! », mais, d’autres fois, ce ne sont que des assertions ou des questions. L’été 1993, j’ai noté ce que j’entendais, et voici quelques exemples de ce qui était parvenu à mes oreilles : « Un jour où il marchait devant moi » ; « C’est à toi, peut-être ? » ; « Tu sais à quoi cette photo me fait penser ? » ; « Maman veut des biscuits » ; « Je sens une odeur de licorne » ; ou « Va acheter du shampoing ! ».
Les propos que j’entends n’ont rien à voir avec mes lectures, mes perceptions visuelles, mes expériences ou mes souvenirs du jour, de la veille, de la semaine ou de l’année. Lorsque je fais de longs trajets en voiture avec mon époux, il n’est pas rare que je m’endorme sur le siège du passager, et les phrases se succèdent alors très rapidement : je m’assoupis une seconde, j’entends une phrase à demi éveillée, je la répète à mon mari, je m’assoupis de nouveau puis j’entends une autre phrase dans mon demi-sommeil, et ainsi de suite jusqu’à ce que je décide de rester éveillée.
Nabokov a magistralement décrit sa propre imagerie hypnagogique – à la fois auditive et visuelle, en l’occurrence – dans son autobiographie :
Aussi loin que je remonte le cours des souvenirs […], je constate que j’ai été sujet à de légères hallucinations. […] Juste avant de sombrer dans le sommeil, je perçois souvent une sorte de conversation unilatérale qui se poursuit dans un secteur adjacent de mon esprit, tout à fait indépendamment du cours réel de mes pensées. C’est une voix neutre, détachée, anonyme que je surprends à dire des mots qui n’ont pour moi aucune espèce d’importance – une phrase anglaise ou russe, ne s’adressant même pas à moi, et si insignifiante que je n’ose guère en proposer des exemples […]. Ce phénomène absurde semble être la contrepartie auditive de certaines visions d’avant-dormir, qui me sont familières aussi. […] Elles surviennent et s’en vont, sans la participation de l’observateur somnolent, mais sont essentiellement différentes des images vues en rêve, car il est encore maître de ses sens. Elles sont souvent saugrenues. Je suis importuné par des profils polissons, par un certain nain rubicond, aux traits grossiers, ayant une narine ou une oreille qui se gonfle. Parfois, cependant, mes photismes revêtent un caractère flou assez apaisant, et alors je vois – en projection, pour ainsi dire, sur la face interne de la paupière – des silhouettes grises qui se promènent entre des ruches, ou de petits perroquets noirs qui disparaissent peu à peu parmi les neiges éternelles, ou bien, au-delà de mâtures mouvantes, un lointain mauve qui va s’estompant2.
Une hallucination hypnagogique particulièrement banale consiste à voir des visages, comme Andreas Mavromatis l’indique dans son encyclopédique Hypnagogia : The Unique State of Consciousness Between Wakefulness and the Sleep – il cite ici le cas d’un homme qui, dépeignant ce phénomène en 1886, écrivit à propos des visages qu’il apercevait :
Ils semblent d’abord émerger de l’obscurité comme la brume monte du sol, mais le tracé se précise ensuite très vite, cette transformation leur conférant la rondeur et la netteté de la vie réelle. Ils ne disparaissent que pour être remplacés par d’autres, qui se suivent à un rythme stupéfiant et foisonnent prodigieusement. Ils étaient autrefois formidablement laids : humains et bestiaux à la fois, encore qu’aucun animal à l’air aussi diabolique n’eût été créé. […] Puis ils sont devenus splendides : désormais, des formes et des traits à la perfection irréprochable se succèdent, leur diversité et leur nombre étant infinis.
Beaucoup d’autres descripteurs qui insistent sur la fréquence de leurs visions de visages isolés ou groupés soulignent qu’aucun n’est reconnaissable, si hautement individualisé soit-il. Dans son article de 1925 consacré à l’hypnagogie, F. E. Leaning avait avancé que l’importance de cette partie du corps « suggérerait presque l’existence d’une propension mentale spécifique à la “vision des visages” », et l’on sait depuis peu que le substrat anatomique de cette hypothétique « propension » est très précisément localisé dans la portion spécialisée du cortex visuel dite « aire fusiforme des visages » – les études IRMf de Dominic ffytche et al. ont montré en effet que c’est bien cette aire de l’hémisphère cérébral droit qui est activée quand des visages sont hallucinés.
L’activation d’une aire homologue de l’hémisphère gauche peut produire des hallucinations lexicales – de lettres, de chiffres, de notes de musique, de mots ou de pseudo-mots ou même de phrases. L’un des sujets étudiés par Mavromatis lui avait déclaré : « Lorsque je somnole ou suis près de m’endormir, […], c’est comme si je lisais un livre. Je vois clairement les caractères et distingue les mots, mais je parviens rarement à attribuer la moindre signification particulière à l’un ou l’autre de ces vocables ; et, sans m’être vraiment familiers, les livres que j’ai l’impression de lire traitent souvent de mes lectures récentes. »
(Bien que la plupart des images hypnagogiques de visages et de lieux ne soient pas reconnaissables, cette imagerie doit être distinguée de la variété distincte d’hypnagogie que McKellar et Simpson qualifient de « persévérative » : on hallucine ou l’on visualise dans ce cas des images récurrentes de quelque chose à quoi on a été exposé plus tôt le même jour. Les automobilistes qui ferment les yeux après avoir conduit toute la journée, par exemple, continuent parfois à « voir » défiler une haie ou une rangée d’arbres.)
L’imagerie hypnagogique n’est pas toujours pâle ou incolore : des couleurs vives et hautement saturées sont souvent décrites également. Ardis et McKellar ont cité en 1956 le cas d’un sujet qui faisait état d’« une intensification des couleurs du spectre aussi marquée que si elles avaient été inondées de lumière », phénomène qu’ils ont comparé, comme d’autres auteurs, à l’exagération de la couleur due à la mescaline. La luminosité ou la définition des contours peuvent sembler elles aussi anormalement accentuées au cours des hallucinations hypnagogiques, de même que les ombres ou les rides sont exagérées – certaines exagérations peuvent avoir trait à des personnages ou des scènes de dessins animés. Quantité d’hallucinateurs insistent de fait sur la clarté « impossible » ou les détails « microscopiques » de leurs visions hypnagogiques : le grain des images peut paraître plus fin que celui des perceptions réelles, comme si l’œil intérieur avait une acuité de 20/5 plutôt que de 20/20 (cette hyperacuité est commune à de nombreux types d’hallucinations visuelles).
L’hypnagogie peut faire « voir » une constellation d’images (un paysage au milieu, un visage jaillissant du coin supérieur gauche, un motif géométrique complexe en bordure) qui se présentent toutes simultanément puis évoluent ou se métamorphosent chacune indépendamment en constituant une sorte d’hallucination multifocale – beaucoup d’individus décrivent une polyopie hallucinatoire : des objets ou des personnages se multiplient sous leurs yeux (l’un des sujets étudiés par McKellar voyait un cacatoès rose auquel ne tardaient pas à succéder des centaines de volatiles de la même espèce et de la même couleur en train de se faire la causette).
Les personnages ou les objets peuvent donner l’impression de s’approcher à toute allure, ce mouvement les agrandissant et les rendant plus détaillés avant qu’ils finissent par reculer : les images hypnagogiques s’insinuent tout à coup dans la conscience, s’y maintiennent une ou deux secondes puis disparaissent, d’autres images sans rapport apparent ni associables en quoi que ce soit les remplaçant éventuellement – d’où la comparaison fréquente avec des séries d’instantanés ou de diapositives.
Les visions hypnagogiques paraissent parfois émaner d’un « autre monde » – cette formule revient sans cesse sous la plume de leurs descripteurs. Edgar Allan Poe souligna que ses propres images hypnagogiques non seulement ne lui évoquaient rien de familier, mais surpassaient par leur « absolue nouveauté3 »4 toutes ses impressions visuelles antérieures.
La plupart des images hypnagogiques se démarquent des véritables hallucinations à deux égards : on ne les perçoit pas comme réelles, et elles ne sont pas projetées dans l’espace extérieur ; mais nombre de leurs autres traits sont typiquement hallucinatoires : elles sont involontaires, incontrôlables et autonomes ; leurs couleurs et leurs détails ont souvent quelque chose de surnaturel ; et elles subissent des transformations rapides et bizarres, contrairement à l’imagerie mentale normale.
Les transformations propres à l’imagerie hypnagogique sont si rapides et spontanées qu’elles donnent à penser que le cerveau « vagabonde », comme mon correspondant M. Utter l’a suggéré. Les spécialistes des neurosciences viennent de découvrir l’existence de « réseaux cérébraux par défaut » qui génèrent leurs propres images, et l’on pourrait peut-être aller jusqu’à parler de « jeu » à ce propos : il est également permis de postuler que le cortex visuel joue à effectuer des permutations, ce jeu n’ayant ni but, ni orientation, ni sens – qu’il se livre à une activité aléatoire, ou peut-être régie par un si grand nombre de microdéterminants qu’aucun motif ne se répète jamais. La vision hypnagogique d’une succession torrentielle de configurations et de formes presque infiniment variées et en constante évolution peut s’interpréter de la sorte : peu de phénomènes montrent mieux à quel point la créativité et la puissance de calcul du cerveau humain sont phénoménales.
Même s’il écrit que l’hypnagogie est « le seul état de conscience qui jette un pont entre l’éveil et le sommeil », Mavromatis ne la rapproche pas moins d’autres états de conscience – ceux des rêves, de la méditation, de la transe et de la créativité – aussi bien que des modes de conscience altérés de la schizophrénie, de l’hystérie et de diverses pathologies d’origine médicamenteuse ou toxicomaniaque : bien que les hallucinations hypnagogiques soient sensorielles (et par conséquent corticales, dans la mesure où les sensations dont elles s’accompagnent sont produites par les cortex visuel, auditif, etc.), il suppose que les processus déclencheurs se déroulent dans des parties plus primitives du cerveau telles que les zones sous-corticales, autre particularité commune, peut-être, de l’hypnagogie et des rêves.
Ce sont pourtant deux états nettement distincts. Les rêves surviennent par épisodes et non par flashes, par exemple, et l’on y repère une continuité ou une cohérence narrative et thématique ; qui plus est, nous participons à nos rêves ou les observons tout en y participant, au lieu de simplement y assister comme dans l’hypnagogie. Non seulement les rêves renvoient aux souhaits et aux peurs du rêveur, mais ils concourent souvent en outre à consolider la mémorisation en faisant revivre des expériences remontant à un jour ou deux et semblent parfois suggérer la solution d’un problème ; éminemment personnels, ils sont surtout déterminés à partir du haut – ce sont des créations largement « descendantes » (quand bien même, comme Allan Hobson le soutient, maintes preuves à l’appui, ils recourent également à des processus « ascendants »). Il n’en va pas de même de l’imagerie hypnagogique ou de l’hallucination, manifestations largement sensorielles sur de nombreux plans – intensification ou exagération des couleurs, des détails et des contours, luminosité, déformations, multiplications et effets de loupe, entre autres – mais détachées de l’expérience personnelle qui relèvent l’une et l’autre d’un processus principalement « ascendant ». (Mais c’est une simplification, car, comme les informations circulent à double sens à chaque niveau du système nerveux, la plupart des processus neuronaux sont en même temps ascendants et descendants.) L’hypnagogie et le rêve à la fois sont donc des états de conscience extraordinaires qui diffèrent autant l’un de l’autre que de la conscience éveillée.
Les caractéristiques respectives des hallucinations hypnopompiques – celles qui se produisent au réveil – et des hallucinations hypnagogiques tendent à profondément différer5. Vues les yeux fermés ou dans l’obscurité, les hallucinations hypnagogiques progressent posément et fugacement au sein de leur propre espace imaginatif et sont rarement confondues avec la représentation d’êtres ou d’objets physiquement présents dans la pièce où l’on se trouve ; vues en général les yeux ouverts sous un éclairage lumineux, les hallucinations hypnopompiques sont à l’inverse fréquemment projetées dans l’espace extérieur et semblent être dotées de tous les attributs de la matérialité et de la réalité : elles amusent parfois ou procurent du plaisir, mais elles angoissent ou même terrorisent plus souvent encore en raison de l’intentionnalité dont elles peuvent paraître empreintes – l’hallucinateur peut se croire agressé dès le réveil. Cette intentionnalité est absente des hallucinations hypnagogiques, qui sont toujours vécues comme des spectacles sans rapport avec la vie ou la personnalité de l’hallucinateur.
Bien qu’occasionnelles seulement chez la plupart des individus, les hallucinations hypnopompiques peuvent être plus fréquentes, comme en témoigne le cas de Donald Fish, Australien que j’ai rencontré à Sidney après qu’il m’eut écrit les lignes suivantes à propos de la force de ses visions :
À peine sorti d’une nuit calme et d’un rêve somme toute assez normal, je sursaute dès le réveil, car là, devant moi, j’aperçois une créature que même Hollywood serait incapable de créer ! Ces hallucinations disparaissent au bout d’une dizaine de secondes tout au long desquelles je parviens à bouger – en fait, je fais en général un bond de trente centimètres et me mets à crier. […] Elles se sont tellement aggravées – j’en ai quatre par nuit environ, désormais – que j’ai très peur de me coucher. Voici quelques exemples de ce que je vois :
L’immense silhouette d’un ange qui se dresse au-dessus de moi, à côté d’une personnification de la mort tout de noir vêtue.
Un cadavre pourrissant près de moi.
Un énorme crocodile accroché à ma gorge.
Un bébé mort gisant sur le sol couvert de sang.
Des faces hideuses qui rient de moi.
Des araignées géantes – très souvent.
Une main gigantesque au-dessus de ma tête, ainsi qu’une autre posée par terre, un mètre cinquante plus loin.
Des toiles d’araignée emportées par le vent.
Des oiseaux et des insectes qui s’écrasent sur ma figure.
Deux visages abrités sous un rocher d’où ils m’observent.
Une image de moi-même, plus vieux, debout à côté du lit, en costume.
Deux rats en train de manger une pomme de terre.
Un tas de drapeaux de différentes couleurs descendant vers moi.
Un primitif laid comme un pou, au corps couvert de touffes de poils orange et allongé par terre.
Des éclats de verre qui s’abattent sur moi.
Deux casiers à homards en fil de fer.
De plus en plus de points rouges – des milliers, finalement – semblables à des éclaboussures sanglantes.
Des piles de bûches qui me dégringolent dessus.
On lit souvent que les hallucinations hypnagogiques et hypnopompiques sont plus frappantes et donc moins facilement oubliées dans l’enfance qu’à l’âge adulte, mais M. Fish avait halluciné presque toute sa vie – à huit ans pour la première fois, alors qu’il est maintenant octogénaire. Pourquoi était-il si enclin à se réveiller en hallucinant ? C’est pour moi un mystère ! Quoi qu’il en soit, ses milliers d’hallucinations hypnopompiques ne l’ont pas empêché de mordre la vie à pleines dents tout en maintenant un haut niveau de créativité : la brillante imagination visuelle de ce graphiste n’a pas manqué de bénéficier de ses hallucinations surréalistes.
Si extrême soit-elle par sa fréquence (ainsi que par son caractère angoissant), l’imagerie hypnopompique de M. Fish n’est atypique par aucune de ses autres caractéristiques – elle ressemble à celle d’Elyn S., qui m’a écrit ceci à propos de ses images hypnopompiques :
Le scénario le plus typique se déroule comme suit : assise sur mon lit, je vois un être humain – une vieille dame, le plus souvent – me regarder à proximité du pied de mon lit. (J’imagine que certaines personnes croiraient halluciner des fantômes, mais je ne l’ai jamais pensé.) Je pourrais aussi citer l’exemple de l’araignée, large de trente centimètres, qui a escaladé mon mur sous mes yeux ; des feux d’artifice que je contemple ; et du petit démon qui fait du vélo sur place devant mon lit.
Une sorte d’hallucination particulièrement puissante, sans être explicitement sensorielle, consiste à sentir la proche « présence » d’un être ou d’un objet qui est perçu comme malveillant ou bienveillant : on peut être irrésistiblement convaincu que quelqu’un ou quelque chose est là.
Mes propres expériences hypnopompiques sont généralement plus auditives que visuelles, et elles prennent toutes sortes de formes. Ce sont parfois des persistances de rêves ou de cauchemars : un jour où j’entendis un grattement provenir d’un coin de ma chambre, je ne fis d’abord guère attention à ce bruit – il y a une souris dans les murs, me dis-je –, mais il s’amplifia ensuite à un tel point qu’il finit par m’effrayer. De plus en plus inquiet, je lançai un oreiller vers ce coin, action (ou ma représentation imaginaire de cet acte, plutôt) qui acheva de me réveiller : après que j’eus découvert en ouvrant les yeux que je me trouvais dans ma chambre à coucher et non dans l’espèce de chambre d’hôpital de mon rêve, je continuai à entendre ce grattement pendant plusieurs secondes après mon réveil, le bruit devenant si fort qu’il me parut totalement « réel ».
J’ai déjà eu des hallucinations musicales (quand je prenais de l’hydrate de chloral pour dormir) qui prolongeaient à l’état de veille une musique entendue en rêve – notamment, une fois, un quintette de Mozart : mes capacités normales de mémorisation et d’imagination musicales étant assez limitées (je ne saurais entendre chaque instrument d’un quintette jouer dans ma tête, sans parler d’un orchestre au complet), l’audition hallucinatoire de chacun des cinq instruments de cette œuvre de Mozart fut pour moi une expérience aussi stupéfiante que merveilleuse. Dans des circonstances plus normales, mes états hypnopompiques avivent tant ma sensibilité musicale (sans rehausser pour autant mon sens critique !) que l’écoute de n’importe quelle composition suffit alors à m’enchanter : cela se produit chaque fois ou presque que la musique classique diffusée le matin par mon radio-réveil me tire du sommeil. (Un ami artiste m’a dit que sa perception de la couleur et de la texture s’intensifie pareillement tous les matins où il s’attarde dans son lit juste après avoir ouvert les yeux.)
Plus récemment, j’ai eu une hallucination visuelle qui m’a autant surpris qu’ému. Je ne saurais dire de quoi je venais de rêver, ni même si je sortais ou non d’un rêve, mais je me souviens de m’être éveillé en voyant mon propre visage – ou, plutôt, celui du quadragénaire à la barbe noire et au sourire un peu timide que j’étais autrefois. Suspendu en l’air à une soixantaine de centimètres de moi, ce visage grandeur nature aussi pâle qu’un pastel peu saturé me donna l’impression de me regarder avec curiosité et affection durant cinq ou six secondes avant de finir par disparaître. « Aurais-je déjà vu dans ma jeunesse mon visage actuel d’homme bientôt âgé de quatre-vingts ans m’adresser un semblable “bonjour” hypnopompique à quarante ans de distance ? », me demandai-je ensuite dans mon lit, envahi par la nostalgie que cette étrange continuité établie avec cette version plus jeune de moi-même m’avait inspirée.
Même quand elles sont tout à fait fantastiques et surréalistes, nous acceptons nos expériences oniriques parce que nous sommes comme enveloppés en rêve dans un cocon de conscience dont aucune conscience critique extérieure n’est le pendant (seul le rare phénomène du « rêve lucide » fait exception à cette règle). Les fragments dont nous nous souvenons au réveil sont une part si minime de nos songes que nous pouvons très facilement les écarter en pensant : « Ce n’est qu’un rêve ! »
Les hallucinations sont au contraire si saisissantes que nous avons tendance à les mémoriser en détail, et c’est en cela avant tout que les hallucinations liées au sommeil diffèrent des rêves. Bien que n’ayant eu qu’une seule hallucination hypnopompique durant toute son existence, mon confrère le docteur D. conservait un souvenir très vif de cet épisode vieux de trente ans :
Une paisible nuit d’été où je m’étais réveillé vers 2 heures du matin, comme cela m’arrive quelquefois au milieu de la nuit, j’aperçus soudain près de moi un Amérindien à l’imposante stature : un colosse haut de deux mètres aux muscles finement ciselés, à la chevelure brune et aux yeux noirs. Je compris simultanément, me semble-t-il, que, si ce personnage voulait me tuer, il n’y avait rien que je pusse faire, et qu’il était forcément irréel ; mais il était quand même là, droit comme une statue et très vivant à la fois. En un éclair, je me posai les questions suivantes : Comment avait-il pu s’introduire dans mon domicile ? […] Pourquoi restait-il si immobile ? […] Je savais qu’il n’avait rien de réel, mais sa présence m’effrayait malgré tout. Il devint diaphane au bout de cinq ou dix secondes, puis se vaporisa peu à peu jusqu’à se rendre invisible6.
Compte tenu à la fois de la bizarrerie de certaines images hypnopompiques, de leur résonance émotionnelle souvent terrifiante et de l’éventuelle exacerbation de la suggestibilité dont ces états peuvent s’accompagner, il n’est pas du tout étonnant que les visions hypnopompiques d’anges et de démons suscitent non seulement de l’émerveillement ou de l’horreur, mais incitent de surcroît à croire en leur réalité physique. On devrait même envisager la possibilité que l’idée de monstres, d’esprits spectraux ou de fantômes provienne en partie de ces genres d’hallucinations : si réel que soit le fondement physiologique de ces manifestations hallucinatoires, on imagine bien que leur conjonction à une propension personnelle ou culturelle à croire en l’existence d’entités désincarnées a toutes chances de renforcer la croyance au surnaturel !
L’adjectif « hypnopompique » a été forgé en 1901 par F. W. H. Myers, poète et humaniste anglais fasciné par la jeune discipline de la psychologie clinique : comme son ami William James, il fut l’un des membres fondateurs de la Society for Psychical Research, association dans les locaux de laquelle il tenta de corréler les phénomènes anormaux et paranormaux au fonctionnement psychologique normal – et ses travaux jouirent d’une grande considération.
Vivant à une époque où les séances de spiritisme et les médiums faisaient florès, Myers traita longuement des revenants, des apparitions et des fantômes. Comme tant de ses contemporains de la fin du XIXe siècle, il croyait en la survie de l’âme après la mort, mais il n’aspirait pas moins à replacer cette croyance dans un contexte scientifique : tout en considérant que des expériences susceptibles d’être interprétées comme des visitations surnaturelles étaient particulièrement à même de se produire au cours d’états hypnopompiques, il croyait également en la réalité objective d’un monde spirituel ou surnaturel auquel l’esprit humain pourrait brièvement accéder lors d’états physiologiques aussi divers que les rêves, les visions hypnopompiques, les transes et certaines formes d’épilepsie… cela, quoique pensant en même temps que les hallucinations hypnopompiques pouvaient être des fragments de rêves ou de cauchemars persistant à l’état de veille – des rêves éveillés, en quelque sorte.
Mais, qu’on lise les deux volumes de la Human Personality and Its Survival After Bodily Death7 que Myers fit paraître en 1903 ou qu’on se plonge dans la compilation de cas, intitulée Phantasms of the Living8, que Gurney et lui avaient publiée dès 1886, on reste sur la même impression : on subodore que presque toutes les expériences « psychiques » ou « paranormales » ici décrites ne sont rien d’autre que des productions hallucinatoires concomitantes d’un deuil, dues à l’isolement social ou à la privation sensorielle et, surtout, inhérentes à des états de somnolence ou de transe.
Le docteur B. – un collègue psychothérapeute – m’a raconté ce qui arriva à un garçon de dix ans qui s’était réveillé un matin en voyant une « femme habillée de bleu planer au pied de son lit, au milieu d’un radieux halo de lumière » :
Elle se présenta comme son « ange gardien » et s’adressa à lui avec douceur et gentillesse, mais l’enfant fut si terrifié qu’il alluma sa lampe de chevet dans l’espoir que l’image disparaîtrait – la femme continuant à léviter, il courut se réfugier dans la chambre de ses parents.
Son père et sa mère tentèrent en vain de le convaincre qu’il avait rêvé : leur explication ne parvenant pas à le rassurer, cet enfant eut l’impression d’avoir vécu un événement d’autant plus inintelligible que l’image de l’ange gardien lui était totalement étrangère – sa famille n’était pas croyante. Envahi par la peur, il devint insomniaque et craignit de plus en plus de revoir cette femme au réveil ; son agitation, sa distraction et sa difficulté croissante à se lier à autrui ou à partager les activités de ses camarades n’échappant ni à ses professeurs ni à ses parents, ces derniers téléphonèrent à son pédiatre, qui conseilla des examens psychiatriques suivis d’une psychothérapie.
Mettant ces consultations thérapeutiques à profit, ce garçon auparavant exempt de problèmes fonctionnels, de troubles du sommeil ou de symptômes physiques et apparemment très équilibré jusqu’alors s’appliqua assez assidûment […] à démêler le sens de ce qui s’était passé pour finir par comprendre que l’événement en question est un type d’hallucination des plus fréquents au sortir du sommeil.
« Si élevée que semble leur prévalence chez les sujets en bonne santé et jouissant d’un bon équilibre psychologique, ajouta le docteur B., les hallucinations hypnopompiques sont potentiellement traumatiques, et il importe donc d’explorer la signification et les implications personnelles de ces phénomènes. »
Les expériences de ce genre sortent tant de l’ordinaire qu’elles vont gravement à l’encontre de l’image du monde et du système de croyances de celles et ceux qui les vivent : Comment les expliquer ? Que signifient-elles ? La poignante histoire de ce jeune patient atteste que l’insidieux réalisme de ces visions nocturnes peut bousculer les fondements mêmes de la raison.
Le révérend Henslow était le fils du botaniste John Stevens Henslow, professeur de Cambridge sur la recommandation duquel Darwin embarqua sur le Beagle pour y occuper le poste de naturaliste.
Vladimir Nabokov, Autres Rivages. Autobiographie, op. cit, p. 41-43 (NdT).
Edgar Allan Poe, Marginalia, trad. par Lionel Menasché, Paris, Éditions Allia, 2007, p. 55 (NdT).
Persuadé que le prolongement des hallucinations hypnagogiques peut enrichir l’imagination, Poe s’efforçait d’accéder soudain à un état pleinement vigile tout en continuant à halluciner : les visions extraordinaires qu’il parvint ainsi à noter par écrit lui inspirèrent nombre de poèmes et de nouvelles. Charles Baudelaire, son très grand traducteur français, fut fasciné lui aussi par la qualité à nulle autre pareille de ces visions hallucinatoires (surtout si elles étaient renforcées par la consommation d’opium et de haschich) qui influèrent sur toute une génération d’écrivains du XIXe siècle – sur Coleridge et Wordsworth aussi bien que sur Southey et De Quincey, comme l’ont démontré les explorations d’Alethea Hayter dans son Opium and the Romantic Imagination et d’Eva Brann dans son remarquable World of the Imagination : Sum and Substance.
Les hallucinations hypnopompiques sont beaucoup moins fréquentes que leurs équivalents hypnagogiques, et certains sujets ont des hallucinations aux propriétés hypnagogiques au réveil, ou hypnopompiques en s’endormant.
En 1664, Spinoza décrivit une hallucination similaire dans une lettre adressée à son ami Pierre Balling :
Un matin, alors que le ciel s’éclairait déjà et que je m’éveillais d’un rêve très pénible, les images qui s’étaient présentées à moi durant mon sommeil se sont offertes à mes yeux avec autant de vivacité que s’il se fût agi d’objets réels, en particulier celle d’un Brésilien noir et crasseux que je n’avais jamais vu auparavant. Cette image disparaissait en grande partie lorsque, pour me distraire par un autre objet, je fixais mes yeux sur un livre ou quelque autre chose ; mais dès que je m’en détournais et que je ne fixais plus rien avec attention, la même image du même Éthiopien m’apparaissait avec la même vivacité à plusieurs reprises, jusqu’à ce que, peu à peu, elle eût disparu (Baruch Spinoza, Lettre XVII – Au très sage et très prudent Pierre Balling, trad. par Robert Misrahi in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1954, p. 1115-1116).
Trad. fr. par le docteur S. Jankelevitch, La Personnalité humaine, sa survivance, ses manifestations supranormales, Paris, F. Alcan, 1905 (NdT).
Trad. fr. par L. Marillier, Les Hallucinations télépathiques, Paris, F. Alcan, 1891 (NdT).