Troy Chéri,

Un souvenir me revient toujours. Quand tu avais neuf ans, tu insistais pour me réveiller à quatre heures du matin pour écouter les chants de l’aube. Encore endormie, je sortais dans le jardin en titubant, emmitouflée dans ma robe de chambre, alors qu’il faisait un froid glacial et que l’herbe était trempée. Je pensais rester quelques minutes avec toi pour te faire plaisir, et retourner aussitôt dans mon lit bien chaud. Mais tu étais tout habillé – jean, grosses chaussures et veste chaude , et tu avais pris les jumelles de papa. Nous attendions au bout du jardin et tout à coup…, comme si on avait actionné un interrupteur…, les oiseaux se mettaient à chanter. Il y en avait partout. Comme tu étais fou de joie, j’en oubliais le froid. Tu me montrais les oiseaux sur les branches et je pouvais attribuer un chant à chaque bec ouvert, à chaque gorge déployée. Nous restions des heures, puis nous allions dans la cuisine et je faisais du chocolat chaud et des œufs brouillés. Tu me disais, la bouche pleine : « Ah, si ça pouvait être comme ça tout le temps ! »

Naturellement, tu ne liras pas ces mots, mais c’est pour toi que je les écris car tu es la seule personne à qui j’ai envie de parler. Je te parle tout le temps. J’ai peur qu’un jour je ne cesse de te parler, parce que, ce jour-là, tu seras vraiment mort.