Banshee

Le shérif adjoint Lee Winters entrait cahin-caha dans Forlorn Gap, l’esprit confus, troublé. Son duel à Hoodoo contre un bandit recherché nommé Scrugg Amory l’avait perturbé et avait conditionné son imagination pour d’étranges aventures.

Il suffit d’un coup sec sur la bride pour que son cheval Cannon Ball s’arrête dans la poussière, sous le clair de Lune qui leur renvoyait leur ombre. Winters avait de bonnes raisons d’avoir fait halte : dans le vieux bâtiment connu du temps des années folles de Forlorn Gap sous le nom d’Opéra Bodep, on entendait distinctement un chant mélancolique. Derrière la porte entrouverte, on voyait de la lumière, semblable à celle que produirait un énorme ver luisant derrière un buisson.

C’était une voix de femme, jeune, superbe. Son naturel et sa légèreté suggéraient que la personne en question chantait pour son propre amusement, tout comme la femme du shérif, Myra, chantonnait souvent en faisant la cuisine. Comme lors d’autres situations inexplicables, Winters se dit que c’était juste son imagination. Aucun spectacle n’avait été produit là-bas depuis trois ou quatre ans. L’Opéra Bodep avait été déserté, ses jours de gloire restant vaguement dans la mémoire collective de la ville.

Cependant, alors qu’il écoutait tout en se morigénant, un mauvais pressentiment l’obligea à s’essuyer le front de sa manche, une inquiétude qui le poussait à déguerpir rapidement. Il refusa par la suite de regarder derrière lui, effrayé à l’idée de ce qu’il aurait pu apercevoir.

À deux pâtés de maisons de l’opéra, les lumières brillaient toujours dans le seul saloon encore en activité à Forlorn Gap. À l’intérieur, son propriétaire, Doc Bogannon, rangeait des verres, en vue de fermer, comme à son habitude, à minuit. D’apparence distinguée, Bogannon était grand et large d’épaules, les cheveux bruns, le front haut, et les traits suggérant une grande intelligence. À l’évidence, la nature l’avait doté d’assez d’atouts pour qu’il réalise de grandes choses. Néanmoins, pour des raisons connues de lui seul, Doc avait choisi de venir vivre dans cette ville solitaire et isolée avec sa femme, une métisse Shoshone.

Il avait levé la main pour éteindre une des lumières de son bar lorsque ses portes battantes s’ouvrirent et qu’entra un homme harassé arborant moustache noire, éperons et six coups.

« Winters ! s’écria joyeusement Bogannon. Ah, ça me fait plaisir de te voir ! »

Winters alla placer son offrande sur le comptoir.

« Du vin, Doc.

— Du vin, ça vient, Winters. »

Alors que Bogannon allait chercher un verre et une bouteille, une voix haut perchée se fit entendre pour se plaindre.

« Vous ne pourriez pas m’en servir un verre à moi aussi, par hasard, M. Bogannon ? »

Winters se retourna et aperçut, assis derrière lui, un homme d’une cinquantaine d’années, au visage fin.

« C’est qui, ce drôle d’oiseau, Doc ?

— Toutes mes excuses, dit Bogannon. Ce n’est pas un drôle d’oiseau. En fait, lui, c’est quelqu’un qui est perturbé par ce qu’on pourrait appeler des rêves. Il s’appelle, et je te promets que je ne plaisante pas, Al Bralong.

— Rien de bizarre à ça, rétorqua Winters. Quand j’étais jeunot, au Texas, on avait une voisine, à une cinquantaine de kilomètres après Trinity Slip, qui s’appelait Ella Paddifore. Ça m’a toujours semblé très comme il faut.

— Ça ne fait même aucun doute, insista Bogannon.

— Bon, comme je vous l’ai dit, insista Bralong plaintivement, je ne suis pas du genre à refuser un verre de vin ou de whisky quand on m’en offre un.

— Oui, cela dit, tu m’en as déjà extorqué deux », observa Bogannon.


Doc Bogannon avait déjà servi un verre à Winters. Celui-ci l’emporta et alla s’asseoir à la table d’Al Bralong.

« Apporte du vin et deux verres de plus, Doc. C’est pour moi. Je ne supporte pas de voir un malheureux. »

Bogannon s’exécuta rapidement. Une fois installé, il prit la parole en levant un sourcil qui, déjà, en disait long.

« Bralong est troublé par des rêves, Winters. Si tu étais astrologue ou devin, ça pourrait te valoir une place dans ses petits papiers. »

Bralong but avidement.

« Ah, Monsieur, je n’ai jamais parlé de rêves. J’ai juste dit que tout ça me rappelait quelque chose. »

Bogannon regarda Winters.

« Avant, Bralong travaillait à l’Opéra Bodep. Il faisait boucher, boulanger, et couleur de chandelles.

— C’est pas ça, corrigea Bralong. J’étais homme à tout faire. Si on me fournissait les bons outils, je fabriquais ce qu’on voulait.

— Mais où est-ce que tu étais passé, tout ce temps ? Et pourquoi tu es revenu ? »

Bralong tordit la bouche en un mauvais rictus.

« Il y en a qui ne peuvent pas s’empêcher de poser des questions.

— Bralong ne se laisse pas interroger comme ça, expliqua Bogannon à Winters. Il faut que ça germe de l’intérieur, comme une graine. »

Bralong opina du chef avec approbation.

« Bon, comme je l’ai dit, j’étais à Saint-Louis. J’avais un magasin. Et quand j’ai appris qu’elle s’était échappée…

— Qui s’était échappé ?

— Shérif Winters, qui raconte cette histoire, moi ou vous ? »

Bogannon s’interposa gentiment.

« C’est vous, bien sûr, M. Bralong. Continuez.

— Bon, reprit ce dernier. Vous voyez, je travaillais à Bodep quand elle y était.

— Elle ? » demanda soudain Winters.

Bralong le regarda dédaigneusement.

« Il y en a vraiment qui ne savent jamais quand la boucler.

— Comme dirait Doc, toutes mes excuses », maugréa Winters.

Bogannon intervint de nouveau.

« Vous savez comment sont les gens, M. Bralong, dès qu’on parle de femmes, rien ne va plus. Mais le shérif Winters ne pensait pas à mal. »

Bralong vida son verre et observa Doc le remplir à nouveau, l’air satisfait.

« Comme je le disais, Messieurs, reprit-il de meilleure humeur, ce Jason Inbred était détenu à la prison fédérale pour vol de courrier. Quand j’ai appris qu’il s’était évadé, je me suis dit : « Al Bralong, ça, ça te rappelle quelque chose. « Je me suis mis à réfléchir : « Mais qu’est-ce que ça te rappelle au juste, Al ? « que je me suis dit. Et je peux vous dire une chose, Messieurs, quand je me mets à réfléchir, c’est du rapide vite fait. En moins de temps qu’il faut pour le dire, j’ai tout compris.

— Oh, ça ne m’étonne pas, ça, déclara Bogannon. Toi non plus, hein, Winters ?

— Et elle ? demanda Winters.

— Je ne vous l’avais pas dit, ça, M. Bogannon ? s’énerva Al Bralong. Il y a des gens, je ne sais pas si c’est parce qu’ils n’ont pas de cervelle ou pas de manières.

— Peut-être bien que c’est les deux quelquefois », commenta Bogannon en clignant de l’œil vers Winters.

Al Bralong retrouva sa maîtrise de soi en buvant un peu de vin.

« Je vous le dis, moi, Messieurs, Jason Inbred l’a assassinée. Mais il ne lui a pas pris ses bijoux. Vous savez pourquoi ? Eh bien, Messieurs, un jour, Miss Neverland m’a dit : «Monsieur Bralong», qu’elle m’a dit, «vous êtes un ami en qui je peux avoir confiance. J’aimerais que vous construisiez un panneau secret dans ma loge où je pourrai cacher mes bijoux sinon une nuit, quand je serai en train de chanter, quelqu’un me volera jusqu’au dernier penny». C’est ça, qu’elle m’a dit, Messieurs, et c’est à ça que je pense quand j’entends qu’il s’est échappé de la prison fédérale. Je me dis : Al Bralong, Collinda Neverland n’avait pas de famille. Comme d’autres, j’ai été soupçonné de meurtre, alors j’ai déguerpi, mais personne d’autre que moi ne sait où sont planqués les bijoux. D’après la loi, celui qui trouve, c’est celui qui garde. Eh oui, Messieurs, je serai bientôt riche ! »

Bogannon regarda sa montre et s’en alarma.

« Il est passé minuit ! Je ne suis pas superstitieux, mais ça n’augure rien de bon de rester ouvert après minuit. Si vous le permettez, Messieurs… »

Cependant, de nouveau, les doubles battants s’ouvrirent. Cette fois, un étranger d’une trentaine d’années à l’air distingué, la moustache noire, la barbe pointue, les yeux bleu-vert, s’inclina avec grâce.

« Messieurs, j’avais peur d’arriver trop tard. Permettez-moi de me présenter, je suis Ovid Train. »

Winters se glaça. La politesse et la menace avaient formé en cet homme une sinistre alliance. L’instinct animal de Winters lui fit reculer son siège, en attente d’une escalade de violence. Bogannon fit nerveusement : « J’allais fermer…

— Quelle déveine », répondit Train.

Il fit bouger son manteau de manière à exposer un pistolet qu’il avait sous le bras.

« J’en suis navré mais juste un verre de vin, s’il vous plaît. »

Winters fit un signe de tête à Bogannon.

« On n’est pas à une minute près, Doc.

— Bien sûr », réagit ce dernier.

Il se ressaisit et se précipita derrière le bar ; un verre tinta.

Winters jeta un coup d’œil vers Al Bralong et le vit les yeux écarquillés, blanc comme un linge.

Ovid Train avait observé Bralong lui aussi. Le regard de Train croisa de nouveau celui de Winters, qui put y voir luire l’éclat du souvenir. Train lui fit remarquer avec un joli mépris :

« Quand un gentleman se présente, les autres gentlemen en font généralement de même. »

Bogannon lui avait servi un verre.

« Voilà pour vous, Monsieur.

— Un moment », répondit Train, les yeux braqués sur Winters.

Ce dernier avait beau avoir des sueurs froides, il refusait de se laisser intimider.

« Débrouille-toi pour le savoir, étranger.

— Vous parlez au shérif adjoint Lee Winters, intervint Bogannon. Moi, c’est Doc Bogannon et notre ami, là-bas, c’est M. Bralong. »

Train s’inclina raidement et s’avança pour prendre son verre. Il le vida, paya et sortit à grands pas. Winters écouta avec soulagement le bruit de ses pas s’éloigner puis dévisagea froidement Al Bralong.

« Tu le connaissais, ce clown, hein ? »

Bralong ravala sa salive et secoua la tête vigoureusement.

« Jamais vu de ma vie, non Monsieur.

— Et toi, Doc ? »

Bogannon descendit une de ses lampes de bar, en souffla la flamme, fit le tour du comptoir et en saisit une autre.

Il dit en tremblant : « Winters, je suis presque aussi terrifié que M. Bralong. Je dirais pour ma part, en tout cas, que ce Train a un air colérique et peu engageant que j’ai sûrement déjà vu avant, mais où ? »

Bogannon secoua la tête.

Winters attrapa Al Bralong par le col et lui fit signe de sortir. Une fois qu’il fut dehors, Winters fit à Bogie :

« Je suis sûr que lui comme toi, vous auriez pu me dire de qui il s’agissait.

— Désolé, Winters, mais je n’en suis vraiment pas sûr. En gage de bonne foi, je te promets d’y réfléchir.

— Et quand tu y réfléchiras, tu trouveras en moins de temps qu’il faut pour le dire, c’est ça ? » répliqua Lee d’un ton sarcastique.


Après avoir soupé en compagnie de sa charmante épouse, Winters, installé devant leur cheminée, regardait les braises incandescentes rougeoyer. Mira vint s’installer près de lui.

« Tu es inquiet, Lee ? »

Il sursauta avant de reprendre un air assuré.

« Moi ? Pourquoi je serais inquiet ?

— C’est moi qui te pose la question : pourquoi ?

— Eh bien, comme tu lis dans mes pensées, tu peux peut-être me trouver la réponse ?

— Bon. J’ai l’impression que tu as vu un fantôme.

— Les fantômes n’existent pas, répliqua-t-il rapidement. Ce qui peut y ressembler a toujours une explication.

— Alors c’est vrai, tu en as vraiment vu un ?

— On ne te la fait pas, hein, dit-il, secrètement fier de ses intuitions. Eh bien, je pensais juste à des maisons abandonnées. L’Opéra Bodep, par exemple.

— Ah-ha, s’exclama Mira, d’une voix triomphante. Alors c’était bien un fantôme.

— Tu veux dire qu’il y a bien un fantôme à Bodep ?

— Bien sûr : Bodep est hanté par une banshee, un esprit chanteur. »

Lee sentit ses cheveux se dresser sur sa tête.

« Tu plaisantes !

— Je pensais même que tout le monde était au courant. »

Il ravala sa salive et se passa la main sur la moustache.

« Et on sait qui ça pourrait être, cette banshee?

— Évidemment. »

Il la fixa du regard.

« Aussi simple que ça, hein ?

— Bien sûr. C’est Collinda Neverland.

— Pourquoi elle ?

— Parce qu’elle y a été assassinée. Tu ne peux pas t’en souvenir, c’était il y a plus de trois ans. Ça s’est passé avant que tu arrives à Forlorn Gap. Collinda était une jeune chanteuse aux yeux bleus, blonde, d’une beauté de rêve. Pourtant, elle avait un sourire qui divisait l’opinion. Certains pensaient qu’elle souriait parce qu’elle aimait quelqu’un, d’autres parce qu’elle se moquait, tout simplement, comme si elle prenait les autres pour des singes. Ce mystère ne semblait déranger personne à part un chanteur-acteur nommait Jason Inbred. Il a réglé le problème en l’assassinant.

— Et ça lui a valu la potence, sûrement. »

Myra secoua la tête.

« On ne l’a jamais retrouvé. »

Winters musa un moment.

« Tu es allée à Bodep, toi, je suppose.

— Naturellement. C’était toujours bondé. On trouvait beaucoup d’or, à l’époque, et ceux qui en avaient le dépensaient.

— Elle a dû recevoir beaucoup de cadeaux, j’imagine.

— Tout ce qu’on peut imaginer. Elle avait tellement de bijoux qu’elle ne savait sûrement plus quoi en faire. Certains pensaient que c’était pour ses bijoux qu’Inbred l’avait assassinée, même si d’autres pensaient que c’était par jalousie. Une chose est sûre : elle restait belle même dans la mort. »

Winters tâcha de garder l’esprit pratique.

« Tu pourrais sûrement me les décrire, tous les deux, hein ? »

Myra se pencha, posant délicatement le menton sur la main droite.

« Oui, je pense. Collinda était plutôt petite et mince, mais aussi pleine de vie. Tellement, d’ailleurs, que lorsqu’elle dansait, elle semblait flotter dans les airs. Mais quelquefois, quand elle chantait, elle tournait, tournait, ce qui lui donnait une voix d’outre-tombe. Jason Inbred était de taille moyenne, droit comme un i, mince, élégant, mais froid, hautain. Il avait toujours une mine particulière. Les gens parlaient beaucoup de cette mine étrange qu’il avait, surtout après le meurtre de Miss Neverland. »

Lee était impressionné par l’assurance de Myra, vu ce qu’elle lui avait dit. Néanmoins, ses dires contenaient ce qu’il appelait un raisonnement de femme. Il lui posa une question bien précise :

« Comment est-ce que tu peux être sûre que c’est bien Jason Inbred qui a assassiné Collinda ? »

Elle se redressa.

« Comment je peux le savoir ? s’étonna-t-elle. Mais qui d’autre aurait pu le faire ? C’était lui son prétendant le plus persistant, le plus ardent. Tout le monde le savait. On l’a retrouvée poignardée dans sa loge à l’aide d’une dague plaquée argent. C’était la dague de Jason Inbred. Et lui, on l’a jamais revu depuis. Ça ne te suffit pas, comme preuve ?

— Si, si, répondit-il. C’est amplement suffisant, et ça explique tout. Inbred a assassiné Collinda. Le fantôme de celle-ci est revenu à Bodep hanter son meurtrier. Mais, une question : comment peut-il le hanter s’il n’est pas là ?

— Je n’ai jamais dit qu’il était revenu hanter son meurtrier.

— Ah non ?

— Non, mais j’ai comme dans l’idée que tu l’as entendue chanter, non ?

— Mais non, c’est ridicule.

— Et tu as aussi vu Jason Inbred, c’est ça ?

— Tu aurais dû être avocate. »

Il se leva et lui tapota la tête.

« Allons nous coucher. »

Le lendemain matin, Winters se rendait à cheval à son bureau lorsqu’il rencontra un groupe de chercheurs d’or près du magasin de Pepper Mill. Ils avaient formé un cercle et regardaient par terre. Winters arrêta son cheval et jeta un œil au-dessus de leurs têtes.

« Qu’est-ce qu’il y a, là ? »

Quelques-uns reculèrent pour qu’il puisse voir.

« C’est un homme, Winters. On l’a torturé puis étranglé. Tu as vu la corde qu’il a autour du cou ?

— Il a l’air mort, non ? fit Winters.

— Il est aussi mort qu’il en a l’air. Tu le connais Winters ? »

Lee descendit de cheval pour regarder de plus près le visage meurtri et ensanglanté.

« Peut-être que certains d’entre vous se souviennent de lui : c’est Al Bralong. »

Le grand Moss Tyner écarquilla les yeux.

« Bien sûr que je me souviens de lui. Al Bralong, c’était l’homme à tout faire de l’Opéra Bodep.

Un autre demanda :

« Bralong n’avait pas quitté le coin il y a des années ? »

Lee remonta à cheval.

« Quelles que soient ses autres affaires ailleurs, maintenant, il n’en a plus qu’une, ici et avec un croque-mort. Occupez-vous-en, les gars. »

Il continua vers son bureau. Il passa en revue les photos des bandits recherchés et enfin trouva ce qu’il désirait : un tirage de Jason Inbred. Il alla au saloon de Doc Bogannon et montra à celui-ci ce qu’il avait trouvé.

« C’est bien Inbred, déclara Bogannon. Je me souviens de lui du temps où il était acteur. Il avait du talent, il savait chanter aussi.

— Mais est-ce qu’il ressemblait à Ovid Train ? »

Bogannon réfléchit.

« Oui, je dirais que oui… Avec une moustache et des favoris, Inbred lui ressemblerait considérablement. »

Winters replia son affiche et la rangea dans sa veste.

« Tu savais que ton Al Bralong s’était fait assassiné la nuit dernière ?

— Non ! s’écria Bogannon, sous le choc.

— Je me suis dit que lui et Train se connaissaient, Doc.

— Il y avait des indices qui montraient qu’ils s’étaient reconnus ; moi aussi, j’avais remarqué.

— Autre chose, poursuivit Winters. Je suppose que ce qui a fait revenir Al Bralong avait aussi fait revenir Train : une chasse au trésor, Doc. Bralong savait où Collinda avait caché les bijoux. On l’a torturé pour qu’il le dise, et puis étranglé pour qu’il la boucle. »

Bogannon se tourna vers une étagère.

« Ça me rappelle, Winters. Cette lettre est arrivée par la diligence de Brazerville hier. Envoyée ce matin du Goodlett Hotel. »

Winters l’ouvrit.


Cher Winters,

Jason Inbred, en prison pour vol de courrier, s’est échappé. Tu devrais le connaître. Il jouait la comédie et chantait à Forlorn Gap. On rapporte qu’il y est retourné. Il dit qu’on ne lui remettra pas la main dessus de son vivant. Retrouve-le, Winters.

Cordialement,

Hugo Landers, shérif.


« Cherche Ovid Train et tu retrouveras ton homme », proféra Bogannon.

Winters y réfléchit brièvement.

« Peut-être que je n’ai pas envie de le retrouver, Doc.

— Ah, pour ça, je te comprends. Peut-être que si tu attendais tranquillement en ville…

— Ou si je rentrais me cacher ? l’interrompit Winters. Non, Doc, il faut que je le traque. »

Il chercha plusieurs heures dans Forlorn Gap et apprit qu’un homme répondant à la description de Train était parti à cheval tôt ce matin.

Après le meurtre d’Al Bralong, Train voulait sûrement se cacher un moment. S’il arrivait à court d’argent, il volerait quelqu’un un peu plus loin d’ici. Ses recherches à l’Opéra Bodep pouvaient attendre maintenant qu’Al Bralong était mort.

Plus tard, dans l’après-midi, après avoir étendu son champ de recherches au nord, Winters arrêta brusquement son cheval sur un sentier de montagne donnant sur Pangborn Road. Une diligence tirée par quatre chevaux noirs et enfilant les virages à vive allure avait attiré son attention. Immédiatement, il fut témoin d’un drame tels ceux dont il avait déjà entendu parler mais qu’il n’avait jamais vus de ses propres yeux. Un cavalier solitaire sortit de derrière un rocher et força la diligence à faire halte d’un coup de son quarante-cinq.

En quelques secondes, un garde armé fut abattu, la diligence délestée de son courrier et les passagers de leurs objets de valeur. Winters était trop loin pour intervenir, et en même temps assez près pour observer d’importants détails. Le voleur solitaire qui, calmement assis sur son cheval, regardait ses victimes disparaître au loin, se tenait comme Ovid Train. Une fois qu’il eut ôté son masque, on put voir la petite barbe pointue de Train. Il avait rangé son pistolet dans le holster qu’il portait sous le bras. Autre détail important : Train ne reprit pas Pangborn Road mais tourna dans un canyon, qui, se souvint Winters, finissait en cul de sac. La descente vers Pangborn Road obligeait à chevaucher sur une route serpentant sur près de cinq kilomètres. L’obscurité était tombée avant que Winters ne puisse atteindre le chemin de la cachette de Train. Entretemps, en revanche, Winters avait pensé à un plan. Train, ne se sachant pas poursuivi, se ferait un feu pour la nuit. Ce feu le trahirait.

Winters progressait prudemment. Il se rappela qu’une source coulait à quelques kilomètres de là : c’était probablement là-bas que Train camperait. Une fois à cent mètres de l’endroit, Winters descendit de son cheval, qu’il attacha, et poursuivit à pied.

La fumée d’un feu de camp le mit sur la voie. Peu de temps après, il en entraperçut la lumière. Le six coups sorti et armé, il sortit d’un pan de rocher.

« Pas un geste ! » aboya-t-il.

La surprise se lut vite sur les deux visages. Winters ne vit pas son voleur aux beaux vêtements. À la place, un homme aux favoris touffus et à la chemise sale et bouffante d’un prospecteur, en pantalon et en bottes, le regardait, étonné et perplexe.

« Pas la peine de me faire peur comme ça, étranger. Le vieux Tweed Eadle n’a rien pour toi. »

Winters paressait aussi étonné que cet homme, mais restait sur ses gardes malgré tout.

« Désolé mon vieux, tu n’es pas celui que je m’attendais à trouver.

— Eh bien, j’espère que non. Tweed Eadle n’a jamais embêté personne. Viens t’asseoir et mange un bout de venaison grillée. C’est pas fréquent que deux visiteurs viennent me voir la même nuit.

— Deux ?

— Deux, confirma Eadle en dodelinant de la tête. Le premier, il avait l’air pressé. À voir ton badge sur ta veste, je me dis que tu es officier et que tu cours après l’autre gars.

— Tu as bien deviné, fit Lee. Je suis le shérif adjoint Lee Winters de Forlorn Gap.»

« J’ai entendu parler de toi, Winters. On dit ici et là que tu es plutôt rapide pour dégainer le flingue que tu as là. Je ne veux pas me mêler des affaires des autres, que ce soit légal ou illégal, mais j’ai peut-être bien quelque chose à te dire.

— Vas-y, dis-moi tout.

— Ça t’évitera de perdre ton temps à cheval, Winters. Tu es sur une mauvaise piste. Le type que tu cherches s’est arrêté prendre de l’eau et m’a demandé comment aller à Fudge Around, puis de là-bas à Forlorn Gap, sans que je sache que c’était un criminel, cet étranger. Je lui ai dit : « Tu n’arriveras pas à Fudge Around en continuant dans ce canyon fermé. « Il me dit : « Tu veux dire que ce canyon est un cul de sac ? « J’ai répondu : « À ton avis, ça fait dix ans que je prospecte dans ces montagnes. Je devrais le savoir, non ? « Ça l’a scié. Tu imagines bien ce qu’il a fait.

— Non, qu’est-ce qu’il a fait ?

— Eh bien, il a grimpé sur son cheval et il a déguerpi. »

Winters se sentit mal à l’aise et nerveux lorsqu’il comprit que d’un coin sombre, on pointait un pistolet sur lui. Derrière Tweed Eadle, des objets qu’il ne voyait pas complètement étaient enveloppés dans du tissu sale. Lee laissa traîner un regard suspicieux puis demanda sévèrement :

« À quoi il ressemblait, ton autre visiteur ? »

Eadle retourna tranquillement le steak qu’il faisait cuire.

« Eh bien, il était à peu près aussi grand que toi, Winters, mais quand même plus costaud. Il était plus bel homme aussi. Pas une espèce de vieille peau desséchée comme toi. Probablement plus jeune que toi, aussi, mais quand même la trentaine bien tapée. »

À chaque fois qu’il sentait un danger qu’il ne parvenait pas à identifier, Winters se disait que c’était le moment de filer. Il rebroussa chemin lentement puis, malgré l’obscurité, partit d’un pas rapide. Lorsqu’il se remit en selle, il fit galoper Cannon Ball comme un cheval de compétition.

La vérité ne lui apparut qu’une fois son cheval attaché devant le bar de Bogannon.

« Par tous les diables », grogna-t-il.

Ce vaurien qui se faisait appelait Tweed Eadle était en fait Ovid Train déguisé. Winters avait oublié que Train, sous l’identité de Jason Inbred, avait été acteur. Maintenant que Winters s’en souvenait, il avait eu l’impression qu’Eadle forçait son accent. Son déguisement ne lui avait pas non plus fait oublier son air louche.

Bogannon, seul à une table, sursauta lorsque ses doubles battants s’ouvrirent.

« Winters ! J’espérais bien que tu viendrais. Assieds-toi, je vais chercher du vin. »

Satisfait du fait que personne d’autre ne soit présent, Winters alla s’installer.

« Doc, il y a quelque chose qui te fait peur, hein ? »

Bogannon arriva et remplit les verres.

« Winters, depuis peu, je commence à avoir des visions.

— Voyez-vous ça, soupira Winters. Il n’y a que moi qui ai des visions.

— Il n’y a pas de quoi se moquer, Winters. »

Bogannon fit un signe de tête vers un buffet surélevé derrière son bar.

« Tu vois ce buffet à bibelots ? »

Winters savait qu’il avait toujours été là mais n’y avait jamais vraiment prêté attention.

« Oui, je le vois, évidemment.

— Et tu vois que sa vitrine en verre est ouverte ?

— Bien sûr.

— Est-ce que tu vois la dague en argent plaqué que le shérif Hugo Landers en personne m’avait offerte ? »

Winters écarquilla les yeux.

« Doc, elle n’est plus là ! »

— C’était la dague de Jason Inbred, la dague qui a tué Collinda Neverland. »

Bogannon remplit leurs verres.

« Tu ne me croiras jamais, Winters, mais à moins que je sois complètement fou, ça s’est réellement produit. Peu de temps avant ton arrivée j’étais là à me reposer d’une dure soirée lorsque mes portes se sont ouvertes puis refermées, comme sous l’effet d’une bourrasque. Je n’ai rien vu. Quelques secondes plus tard, la porte du buffet s’est ouverte. Ma dague plaquée argent s’est élevée dans les airs avant de disparaître. Une fois de plus, les battants s’ouvrirent, cette fois vers l’extérieur. »

Bogannon s’essuya le visage de son mouchoir.

« Pour te paraphraser, Winters, reprit-il, je n’y comprends rien. »

Winters s’épongea le visage de la manche.

« Moi non plus, Doc. »


Ils se figèrent tous les deux sous l’effet d’un bruit distant de sabots. Un cheval au galop s’approchait de plus en plus et enfin s’arrêta à la balustrade devant le saloon. Les battants s’ouvrirent et un homme entra à grands pas. À la vue de Winters il s’arrêta, aussitôt tendu, prêt à agir.

« Ce cher Ovid Train, s’exclama Bogannon avec un ton d’hospitalité forcé. Joins-toi à nous, Train, tu arrives juste à temps pour notre dernier verre. »

Winters, encore assis sur sa chaise, avait été pris au dépourvu. De manière à gagner du temps, il fit un signe de tête vers une chaise en face de lui.

« Assieds-toi, Train, c’est moi qui rince. »

Train s’avança hautainement et s’installa.

« Je peux très bien me payer un verre tout seul. »

Winters avait entraperçu le pistolet que Train conservait sous le bras. Son propriétaire avait démontré sur Pangborn Road qu’il pouvait tuer de sang-froid. La fonction de Winters l’obligeait à arrêter ce meurtrier, et pourtant il hésitait, dissuadé de le faire par Train qui le surveillait sans ciller.

Son sens de la discrétion lui intima de surprendre sa victime désignée. À cette fin, il dit banalement :

« C’est pas une heure pour voyager ! »

Train se montra peu aimable.

« Il y a une loi contre ça ?

— Ça se pourrait, répliqua Winters.

— Citez-m’en une. »

Winters calcula les distances. La main avec laquelle Train tirait était proche de son arme. La tension sur le visage de Train prévenait Winters que Train n’allait pas attendre qu’il tire le premier. Il avait l’avantage. L’objectif de Lee était de faire abaisser sa garde à son adversaire, mais il avait échoué : il avait même obtenu l’effet inverse. Train voulait le tuer. Même s’il se pouvait bien qu’ils y passent tous les deux, Winters ne pouvait pas simplement se défiler. Bogannon s’était arrêté net près d’eux, le verre de Train à la main. Soudain, il le reposa sur le bar.

Winters avait détecté un changement chez Jason Inbred, alias Ovid Train. Il avait fini par relâcher sa garde. Son attention fut détournée. Juste au moment où les choses se déroulaient comme il le voulait, il adopta une attitude proche de la transe, tout à l’écoute de quelque chose. Ses lèvres formèrent un mot qui s’éleva comme un soupir :

« Collinda ! »

Winters se calma aussitôt. Le saloon de Bogannon s’était empli de musique. Une fille chantait. Sa voix semblait venir de loin, et pourtant elle était claire, distincte, incroyablement douce. Lentement, Train se leva. Il ne se souciait plus de Winters ni de Bogannon. Il se tourna et sortit, comme un somnambule.

Winters n’était pas non plus immunisé contre cet enchantement. Collinda Neverland chantait, il en avait la certitude. La voix fantomatique de la chanteuse était vivante et entraînante. Son charme lui faisait perdre de vue la réalité. Il lui inspirait des visions, de grandes portes ouvertes qui le faisaient pénétrer sur les terres fabuleuses de l’au-delà. Il s’imaginait à portée de main d’une éternité de béatitude.

Il se leva lui aussi.

« On y va, Doc. »

La voix de Bogannon tremblait.

« Non, Winters. Ce que tu entends, c’est une oraison funèbre. »

Winters, décidé à ne pas perdre pied, se sentait toutefois attiré par des forces terribles. L’avertissement de Bogannon ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd, mais buta contre un esprit indisposé à le recevoir.


Une fois dehors, Winters s’arrêta brièvement. Puis, au moment où il aperçut Train se déplacer dans un état second vers l’Opéra Bodep, il s’élança sur ses traces.

Il était presque à l’entrée de l’Opéra lorsqu’il dégaina sans hésiter. Train avait disparu à l’intérieur. On ne pouvait pas être sûr que Train resterait ensorcelé. Winters savait que lorsque l’on tombait facilement dans un piège, on en ressortait difficilement.

Le shérif adjoint baignait dans la lumière du clair de Lune. Malgré son intention de rester sur le qui-vive, des illusions étranges l’assaillaient déjà. Les rayons de Lune semblaient trembler comme s’ils vibraient. La voix de Collinda – il se doutait que cela ne pouvait être que celle de la chanteuse – continuait son chant ensorcelant.

Elle chantait dans une autre langue, mais peu importait à Winters. Ce qu’il entendait, c’était de la musique, belle et étrange, mêlée d’une curieuse aura autour de lui. Elle l’invitait à l’oubli, le conviait et l’attirait vers elle. Il entra. Il avançait doucement, non pas par prudence, mais parce que d’autres forces que les siennes le retenaient captif.

À l’intérieur, tout d’abord, il ne se rendit compte que du vide vaste et obscur, illuminé ici et là par le clair de Lune qui traversait de hautes fenêtres. Ovid Train se tenait dans l’un de ces carrés de lumière. En dessous d’eux, il y avait une grande scène, qu’on distinguait à peine dans la pénombre, le rideau levé, les panneaux arrière arrangés comme pour une pièce de théâtre. Au centre, une lumière pâle luisait sans source apparente, et ne produisait aucune ombre. C’était de cette lumière que la voix résonnait. Winters avait les yeux écarquillés, encore envoûtés. Il croyait voir une jeune femme. Il était certain que l’obscurité de l’Opéra était en train de se dissoudre, jusqu’à ce que les murs, le plancher, les vieux gradins et même les toiles d’araignée deviennent visibles comme au crépuscule.

L’espace d’un instant, il aurait juré la voir, belle, toute de blanc vêtue. C’était à ce moment-là qu’elle se figea, tout en continuant à chanter. Lorsqu’elle bougea de nouveau, sa voix se brouilla. Alors que la chanson gagnait de plus en plus en intensité, ce halo qui l’entourait s’inversa. Son cœur se fit dense et brillant.

Tout à coup, sa voix s’éleva et retomba selon des variations de ton espacés également. Winters se souvenait, bien qu’hébété, de ce que Myra lui avait dit :

Quand Collinda dansait, elle semblait flotter dans les airs. Mais quelquefois, quand elle chantait, elle tournait, tournait, ce qui lui donnait une voix d’outre-tombe.

Soudain, Winters suffoqua. Là-bas, sur une petite table touchée par la lumière, se trouvait le cadeau de Bogannon : la dague plaquée argent. Puis, tandis que Winters regardait et écoutait, un changement se produisit : sa voix tomba. La lumière tournoyante qu’il avait vue s’effaça. Il eut le souffle court jusqu’à ce qu’il aperçoive un endroit près de lui. Il cessa alors complètement de respirer. Train avait disparu.

Winters se massa le front et secoua la tête vigoureusement. Il ne comprenait plus où il était, ni comment il était arrivé là. Il se sentait en danger, et s’en voulait pour ces folies qu’il n’arrivait pas à expliquer. La lumière réapparut. Cette fois-là, c’était lui qui en était enveloppé. Paniqué, il se retourna pour s’enfuir.

Puis il la vit. Elle se tenait devant lui, bloquant sa seule issue.

« Miss Neverland, chuchota-t-il, la gorge tendue.

— Oui, Winters, dit-elle calmement. Je suis Collinda Neverland. »

Elle était telle que Mira l’avait décrite, petite, mince, d’une beauté de rêve. Elle n’arborait pas ce sourire qui avait tellement divisé l’opinion. En fait, elle avait l’air plutôt triste et délaissé.

Winters tâcha de déglutir. Il s’expliqua d’une voix criarde :

« Désolé de vous avoir espionné comme ça. Si vous voulez bien me laisser passer, je m’en vais tout de suite. »

Elle resta immobile puis dit, déçue :

« Je ne t’attendais pas, Winters. Pourquoi es-tu venu ? »

Il ravala sa salive et murmura quelque chose à propos de son devoir :

« Je suis venu affronter un meurtrier.

— Oh, ce n’était pas la peine, mais puisque tu t’es donné tant de mal, tu peux venir avec moi.

« Où… où est-ce qu’on va ? »

L’attitude de Collinda devint alors étonnamment enthousiaste.

« Jason Inbred est revenu. En ce moment même, il est train de chercher mes bijoux.

— C’est lui que je cherche, dit Winters. Où est-ce qu’il les cherche ?

— Il est dans ma loge. Viens, je vais te montrer. »

Elle le dépassa et lui éclaira le chemin le long d’un couloir avant de prendre un escalier et d’arriver derrière la scène. Devant eux, une lumière brillait dans une pièce attenante.

Collinda s’arrêta et fit de nouveau face à Winters.

« Je n’ai pas de famille, Winters, ni d’être aimé, ni de gens que j’aime. Je n’ai pas non plus, en ma présente demeure, besoin de rubis ni de diamants. Tu es connu pour ta générosité, ta gentillesse, et ton bon vouloir. Ce que j’ai, alors, je te le donne. Après ce soir, tu ne me verras, ni ne m’entendras plus jamais. Il y a trente panneaux dans ma loge. Si tu commences à la porte et que tu continues sur ta gauche, compte jusqu’au septième. Change de côté, encore cinq, puis trois. Pousse le troisième, le septième, le cinquième, et tu auras les bijoux. Maintenant, voyons si tu es vraiment courageux. »

Elle reprit son chemin. Devant la porte de sa loge, elle disparut. Winters, terrifié, entra. Sa main cherchait frénétiquement son pistolet mais en vain. Jason Inbred cassait les panneaux les uns après les autres.

Au premier bruit, il se retourna et l’aperçut. Sur une commode, une bougie brûlait. Sa flamme menaçait de jeter une lumière tremblante. Inbred garda les yeux fixes un instant puis chercha son pistolet. Soudain, la lumière s’éteignit.

Winters se saisit de son fourreau vide. Soit il était devenu fou, se dit-il, soit il faisait un horrible cauchemar.

Le danger mortel où il se trouvait lui donna des ailes. Il se coucha par terre. Les flammes jaillirent du pistolet d’Inbred jusqu’à ce qu’il ait entendu six coups assourdissants. Un silence épouvantable s’ensuivit. Winters gardait les yeux grand ouverts dans l’obscurité remplie de fumée.

Si les miracles existaient, il était certain d’en avoir vu un de ses propres yeux. Là-bas, près d’Inbred, une pâle lumière apparut. Winters vit Inbred debout, les lèvres entrouvertes par la terreur. Il se tourna lentement, les yeux écarquillés, comme s’il regardait la mort approcher. Il hurla :

« Non ! Non ! »

Winters vit aussi ce qu’Inbred avait vu : une dague brillante pointée vers le cœur d’Inbred. Il se retourna. La dague recula, en équilibre un instant, puis suivit une trajectoire courbe pour se planter dans sa cible.

Le cri d’Inbred atteignit un paroxysme de terreur et de douleur. Puis, tout en poussant un dernier râle, il s’affaissa avant de toucher le sol dans un bruit sourd.

À cet instant, Winters, qui n’avait pourtant que peu de sympathie pour les criminels, éprouva de la pitié. Une fois qu’Inbred fut tombé, Winters sentit qu’on le touchait sur le côté. Prudemment, il bougea la main droite pour redécouvrir ce qui l’avait heurté. Il trouva son pistolet dans son fourreau. On ne le toucha plus. Il n’y eut plus un bruit.