Les chariots de sel

Le shérif adjoint Lee Winters, surpris par la nuit parmi les canyons et les étendues sauvages au sud-ouest de Forlorn Gap, arrêta son cheval pour le faire boire à une petite source claire. Il était temps de rentrer : Sanson Tigert, nouveau venu sur la liste des bandits recherchés que pistait Winters, s’était volatilisé.

Ce n’était pas Winters qui s’en serait plaint. Depuis qu’il avait épousé la belle Myra, il avait sérieusement songé à abandonner son dangereux métier et à acheter des terres. Les gachettes faciles comme Sanson Tigert s’opposaient à ce rêve, alors lorsque l’un d’entre d’eux lui filait entre les doigts, il se disait que c’était autant un coup de chance pour le chasseur que pour la proie.

Tandis que Cannon Ball buvait tout son soûl, Winters observait les environs. Le clair de Lune se reflétait déjà sur la face est de hautes montagnes. Une heure encore, et il pourrait rentrer par les sentiers que la Lune éclairerait ; un avantage non négligeable pour un voyageur solitaire susceptible de rencontrer des grizzlis, des pumas, des bandits, ou des fantômes.

Surtout des fantômes. Ici, Winters était confronté à un choix peu enviable. Soit il continuait son chemin vers l’est et un canyon qui s’ouvrait sur Alkali Flat, territoire infesté de spectres, soit il prenait au nord en direction d’un autre canyon qui s’élevait vers une vallée appelée par les premiers trappeurs « Terre des revenants. »

Son indécision finit par lui faire découvrir un coin de lumière à une cinquantaine de mètres à l’est. On avait fait un feu de camp et le vent apportait des odeurs de fumée, de graisse chaude et de café brûlant.

À l’affût du danger, Winters guida son cheval sur le bas-côté sablonneux afin d’avancer à pas feutrés. Cannon Ball levait les sabots timidement, le corps tremblant d’une appréhension instinctive devant une présence invisible et mystérieuse.

Cependant, ils ne virent qu’un homme ; un de ces individus qui, inexplicablement, préféraient mener une vie de solitude. Petit, barbu, il s’employait à faire frire des tranches de viande maigre. Il leva les yeux avec intérêt. Cannon Ball s’était arrêté et regardait à droite et à gauche, comme s’il ne voyait rien tout en sachant qu’il se trouvait près de quelque chose d’anormal.

« Salut, fit Winters.

— Salut à toi, Winters.

— Hein ? s’étonna Winters en le dévisageant un moment. Je ne te remets pas, l’ami, alors que toi, tu as l’air de me connaître.

— Moi, c’est Tatum, Winters. Harrison Tatum. Mais on m’appelle Unaka Tatum. Viens, mange un morceau, Winters. »

Celui-ci descendit de cheval.

« Il y a encore un bon bout de chemin jusqu’à Forlorn Gap, alors si ça ne te dérange pas, je veux bien qu’on partage ton café.

— Ça ne me dérange pas le moins du monde, confirma Tatum. Et prends de la viande, aussi. C’est de la viande d’ours, mais pas d’un vieil ours dur à mâcher. Quand on attrape un de ces grizzlis qui sont juste assez grands pour tuer un petit élan, on en tire de bons steaks.

— C’est vrai que ça sent bon », approuva Winters.

Tatum avait fait une espèce de grand pancake qu’il avait laissé refroidir sur un rocher plat. Il en arracha un morceau et, de la pointe de son couteau, déposa un de ses steaks dessus.

« Tiens, Winters. Quel plaisir que tu me tiennes compagnie. Un homme comme moi, condamné à passer l’éternité à chercher de l’or sans jamais rien trouver qui vaille le coup, ça se sent seul loin de ses semblables. »

Il versa une tasse de café à Winters et la lui tendit.

« Tiens, bois ça. Tu verras, tu n’as jamais rien bu de tel de toute ta vie. »

Winters s’empara prudemment de ce que lui offrait Tatum. Celui-ci, bien que de forme humaine, avait l’air étrange, immatériel. Winters hésitait à manger, mais finit par céder à la faim et à la soif.

« Pas mauvais. Et ce café… humm ! Le meilleur que j’aie jamais bu. »

Il engloutit sa part, vida sa tasse, et s’essuya la moustache.


D’étranges événements s’ensuivirent. Le café le stimula comme autant de minuscules aiguilles le parcourant de la tête aux pieds. Il vit de petits éclairs lui tomber devant les yeux. Il regarda autour de lui afin de voir si les montagnes et les canyons avaient la même apparence qu’avant.

« Ça décoiffe un peu, hein, Winters ?

— Ouais, admit Winters en serrant les dents avant de fixer Tatum d’un regard noir et suspicieux. J’ai l’impression que tu m’as joué un sale tour, Tatum. »

Il se tourna vers Cannon Ball et remonta en selle.

« Je ne veux rien avoir à faire avec des filous dans ton genre. »

Tatum leva vite la main.

« Une petite minute, Winters ; avant que tu partes, j’aimerais te demander une faveur.

— Ah oui ? »

Tatum le regardait comme s’il l’implorait.

« Winters, tu n’aurais pas un peu de sel dans les poches, par hasard ?

— Du sel ? » répéta Winters, étonné.

Tatum acquiesça fermement.

« Oui, du sel.

— Bien sûr que non, allons, Tatum.

— Tu veux dire que tu n’as pas de sel dans les poches ?

— Certainement pas. »

Tatum tourna la tête et cracha.

« Alors ça, c’est quand même un monde.

— Ce serait un monde si j’avais du sel dans les poches, justement, répliqua Winters avec irritation.

— Pas de sel ! s’exclama Tatum en tapant du pied dans une petite pierre. Eh bien, la prochaine fois que je verrai le shérif Hugo Landers à Brazerville, je te jure que je te dénoncerai. Et si possible, je te ferai renvoyer !

— Ça, s’enthousiasma Winters, ce serait un fier service à me rendre. »

Tatum montra la poêle où un steak d’ours cuisait encore dans de la graisse fumante.

« Alors moi, je suis là à vivre de viande d’ours non salée, alors que tout le monde devrait savoir que la viande d’ours sans sel, c’est tout sauf de la viande. Et toi, tu arrives, tu manges ma pitance, tu bois mon café, et tu n’as même pas de sel dans les poches ! Je n’ai jamais rencontré plus ingrat que toi, Winters.

— Et je n’ai jamais rencontré de rat du désert plus déraisonnable que toi, Unaka Tatum. Si j’avais un tonneau d’eau salée, je te noierais dedans ! Des gens aussi déraisonnables que toi ne devraient rien manger d’autre que du sel pendant un mois. »

Tatum donna un grand coup de pied dans sa poêle et son feu de camp.

« Winters, tu n’es plus le bienvenu ici. Va-t’en au nord, à l’est ou à l’ouest, mais ne reste pas une minute de plus ici ! Hors de ma vue, et ne reviens plus, à moins d’avoir du sel dans les poches. »

Tatum prit un caillou et le jeta par terre. Il allait et venait à grands pas furieux, crachant et maugréant.

Winters ne le considérait plus qu’avec dégoût.

« Je suis le premier désolé d’avoir mangé ta tambouille, lança-t-il pour lui rendre la monnaie de sa pièce. De toute façon, on ne devrait même pas servir ça à un chien. Et ne t’inquiète pas, je ne reviendrai pas. Même si un crapaud géant t’avalait, ça ne me ferait ni chaud ni froid ! »

Puis, d’un coup de talon dans les flancs de Cannon Ball, il repartit vers l’est.

« Pas de sel ! grommela Tatum en direction de Winters. Ceux qui se promènent sans sel dans les poches, on devrait les abattre ! »

Winters, s’attendant presque à se faire tirer dessus, se tint aux aguets, l’œil alerte, prêt à riposter. Pourtant, à chaque fois que Winters jetait un œil derrière lui, Tatum ne faisait rien d’autre que de ramasser des cailloux qu’il lançait juste après, en donnant occasionnellement un coup de pied dans son feu de camp. Pour Winters, nul doute que ce Tatum n’était pas normal.


Deux heures plus tard, Winters emprunta la dernière courbe du canyon et déboucha sur une vaste plaine désertique, blanchâtre sous la Lune, qui s’étendait sur des kilomètres à l’est, au nord et au sud. Alkali Flat ! Soudain subjugué, il arrêta son cheval.

Il n’avait jamais aimé traverser Alkali Flat la nuit, car c’était une région hantée. Toutefois, comme les fantômes tardaient à sortir – ils n’apparaissaient que vers minuit – , il avait pensé traverser cet endroit avant que les pires de ses occupants ne se manifestent.

Cependant, il se retrouva face à autre chose. Nulle part ailleurs, il n’avait jamais rien vu ni entendu de tel. Il n’eut même pas le temps de voir arriver près de lui un attelage de quatre chevaux tirant un grand chariot, et les centaines, voire les milliers d’autres qui le suivaient. Ils formaient une ligne qui se prolongeait jusqu’à l’horizon. Les sabots et les roues soulevaient la poussière, qui, emportée par un vent venu du sud-ouest, flottait vers le nord-est comme un drap gigantesque.

Sur chaque siège de conducteur trônait un homme solitaire, rênes et fouet en main, le visage empreint de détermination. Soudain, leur premier équipier leva la main et hurla : « Wo-ho-o ! » Son cri fut repris par d’innombrables voix, comme un écho dans le lointain. Les chariots s’arrêtèrent presque en même temps.

Leur chef baissa les yeux vers Lee.

« Bonjour, Winters.

— Hein ? s’exclama Winters, aussi intrigué qu’effrayé. Enfin, je veux dire, salut.

— Je ne pense pas que tu me connaisses, Winters. Je m’appelle Parmenter. Plus précisément, je viens de Thrace, au-delà du Pont-Euxin. Je suis marchand de sel. »

Winters déglutit et cligna des yeux. Le chariot de Parmenter était rempli d’une substance blanche.

« Tu veux dire que tout ton chargement, là, c’est du sel ? »

Parmenter se retourna sur son siège et indiqua l’est, derrière lui.

« Apparemment, tu ne sais pas grand-chose à propos du sel, Winters. Tous mes chariots, tous, transportent du sel.

— Du sel ?

— Oui, Winters, du sel ! »

Lee se passa la main sur le front.

« Je ne savais même pas qu’il y avait autant de sel sur Terre. »

Parmenter le dévisagea sans aménité.

« Heureusement que ce n’est pas à moi d’endosser la responsabilité de ton ignorance, Winters. Mais j’ai quand même une question à te poser.

— Vas-y, pose-la. »

Parmenter, qui avait l’air grand et fort, se pencha légèrement vers Winters.

« Merci, l’ami, c’est bien aimable. Alors, ma question. Connaîtrais-tu quelqu’un qui voudrait avoir du sel ? »

Winters réfléchit un instant. Certains aspects irréels de cette situation le perturbaient. Puis il se rappela quelque chose et ricana doucement.

« Ça, oui, je connais quelqu’un que ça intéresserait.

— Très bien, s’exclama Parmenter. Alors, tu nous guideras à lui. »

Winters se raidit.

« Attendez, ça, c’est une toute autre histoire. Je n’ai jamais dit que j’irais jusqu’à vous emmener voir un type qui veut du sel.

— C’est jouer sur les mots », fit Parmenter.

Portant aux lèvres sa trompette, il joua deux notes courtes et aiguës. Immédiatement, un détachement de cavaliers, coiffés de casques à plumes et arborant des ceintures étincelantes, arriva au galop. Parmenter s’adressa à leur chef.

« Capitaine Argos, cet homme, Winters, entretient le doute lorsqu’on lui demande s’il veut bien nous guider. Faites disparaître ce doute. »

Un signe de tête de la part du capitaine Argos et Winters se fit vite encerclé. Il fixa d’un regard impressionné Argos et ses cavaliers. Il se rappelait avoir vu dans les livres d’histoire de Myra des illustrations d’hommes habillés de la sorte, portant sandales, jambières, jupe, ceinture, corset de cuir, et casque aux longues plumes de couleurs vives. Le capitaine Argos lui-même en était un beau spécimen. Blond, athlétique, les jambes longues, il avait malgré tout un regard et un rictus qui trahissaient un caractère dur et impitoyable.

« Montre-nous le chemin, Winters. Tu es courageux, mais tu n’es pas idiot. »

Winters n’était pas homme à mener des combats perdus d’avance. Il obtempéra et chevaucha aux côtés d’Argos. Une fois qu’on obéissait à ses ordres, le capitaine Argos ne se montrait pas inamical ; il parlait librement de son monde et de lui-même. Winters, de toutes ses soirées passées à écouter Myra lire des livres d’histoire ancienne, se souvenait des endroits que mentionnait Argos : la Lydie, Sparte, Hellespont, la Macédoine, Athènes, Thèbes…

Ils allaient bon train juste devant Parmenter. Derrière eux, les chariots de Parmenter les suivaient. L’écho du bruit des roues produisait un vacarme continuel. Parfois, Winters regardait ce spectacle avec détachement, en se demandant où ces hommes pouvaient bien aller. Puis il estimait qu’il faisait partie de ce qu’il voyait et, de son plein gré, se laissait emmener comme par la marée. Il était censé être leur guide mais les autres ne semblaient plus faire attention à lui. Ils avançaient comme poussés par une force irrésistible, ou tirés par un inexorable destin.

Les parois de grands canyons s’élevaient autour d’eux. À mesure qu’ils progressaient, Winters eut la formidable sensation d’être soustrait au cours du temps pour se retrouver projeté dans un passé sans âge et particulièrement stimulant.

« Tu entendras encore parler de moi, dit Argos. Un jour, je serai moi aussi un grand marchand. Je ferai commerce de toutes sortes de choses. Mes caravanes et mes flottes seront connues à travers le monde entier. On les appellera les Argosies. Et dans les histoires que l’on n’a pas encore écrites, Argosie sera synonyme de commerce, d’aventure et de richesse.

— Tout à fait, confirma Winters, se sentant plein d’assurance concernant l’avenir. Je sais déjà tout ça. »

Argos approcha son cheval plus près de Winters et le dévisagea.

« Ah oui ? Comment le saurais-tu ?

— Oh, j’ai mes sources », déclara Winters comme si une voix autre que la sienne parlait pour lui.

Argos se raidit, soudain plus distant.

« Tu serais mal avisé de te vanter, Winters. De là où je viens, les vantards sont tout de suite poussés à prouver leurs dires. »

Il fit adopter à son cheval une allure plus vive.

« Nous n’avons pas le temps, toutefois, reprit-il. Quoi qu’il en soit, prends garde à toi. »

Ils quittèrent la région des canyons pour arriver sur une plaine nappée de brume. Winters tourna les yeux vers l’est. Il aperçut de hautes falaises dressées vers un ciel piqué d’étoiles et d’une lune éclatante.

Il frissonna, ayant enfin reconnu cet endroit impressionnant. La Terre des Revenants.

Parmenter fit sortir son chariot de la caravane et s’arrêta. Avec du bois qu’il transportait, il assembla un piédestal, sur lequel il monta. Chaque conducteur sauta de son siège et se mit en position, l’épée tirée du fourreau. Les cavaliers d’Argos s’étaient placés près de Parmenter afin de servir de garde mobile.


Winters, curieux et mécontent de ne pas être mis au courant, se rapprocha du capitaine Argos.

« Tu veux bien m’expliquer ce qui se passe, Capitaine ?

— Avec plaisir, répondit courtoisement Argos. Mais tu devrais le savoir, pourtant. C’est toi qui nous as amenés ici, n’est-ce pas ? C’est bien toi qui as dit à Parmenter que tu connaissais quelqu’un qui voulait acheter du sel ? »

Winters réfléchit une seconde. Il s’était souvenu qu’Unaka Tatum avait besoin de sel, mais pas dans de telles proportions. En outre, il valait mieux rester discret et ne pas avouer qu’il avait essayé de faire de l’humour.

« Oui, dit-il, c’est vrai. Mais il a dû poursuivre sa route. D’ailleurs… »

Il s’interrompit. Il allait dire que ce n’était pas ici qu’il avait vu l’homme qui voulait du sel, mais cela serait revenu à admettre qu’il leur avait fait suivre une fausse piste. Parmi ces féroces soldats et commerçants, on avait tout intérêt à faire attention à ses confessions.

« Taisez-vous ! » cria Parmenter.

Le silence se propagea comme une onde de choc sur la Terre des Revenants.

Puis, Winters vit à nouveau Parmenter porter aux lèvres sa trompette. Cette fois, il souffla longtemps et fort ; tellement fort, se disait Winters, que les montagnes en tremblaient et que les morts de longue date, en l’entendant, finiraient par se lever de leurs tombes.

Lorsque les échos cessèrent enfin, de nouveaux bruits les remplacèrent, et de cette terre brumeuse surgirent, vers l’ouest, une poignée de gens. D’autres les suivirent, et bien vite on en distinguait, chose à peine croyable, une innombrable multitude.

Winters en avait d’abord une vision floue, qui s’éclaircit par la suite. Curieusement, cela ne l’effrayait pas ; pour une fois, il n’était plus simple observateur ; dans ce cas précis, il faisait partie de l’armée de Parmenter.

Il fit pencher Cannon Ball du côté du cheval d’Argos.

« Capitaine, qui sont ces gens ?

— Ils sont venus acheter du sel, répondit sèchement Argos. Ils nous voleraient si nous n’étions pas armés. Ils essaieront de nous jouer un mauvais tour alors sois sur tes gardes. »

Ce qu’Argos avait voulu dire par « tour » devint bientôt évident. De cette horde alignée sortirent de jeunes hommes au physique splendide, torse nu. Ils déroulèrent des matelas de paille parallèlement à la file des chariots de Parmenter qui s’étendait plus loin que l’horizon. Des concours de pugilat et d’autres sports commencèrent sur le champ.

Puis, s’approchant plus près, vinrent des colosses, deux par deux, qui jetèrent leurs matelas par terre et se mirent à lutter.

« Ils font ça bien, dit Argos en aparté à Winters, mais que cela ne te fasse pas baisser ta garde. Regarde à gauche. »

Winters tourna le regard. À quelques centaines de mètres à leur gauche, un petit groupe se dirigeait subrepticement vers les chariots de Parmenter.

« Des voleurs ? demanda Winters.

— Des voleurs.

— Des voleurs de sel ?

— Des voleurs de sel.

— Pourquoi ils n’achètent pas ? Ils sont obligés de voler ?

— Ils ne sont pas obligés, expliqua Argos en gardant un œil sur eux. Certains n’ont pas d’argent, c’est vrai, mais même ceux qui en ont voleraient s’ils pouvaient nous distraire suffisamment.

— Comment ils se procurent du sel, s’ils n’ont pas d’argent ?

— Ils le troquent contre autre chose. »

Argos fit un signe de tête à un officier subalterne montant un cheval noir.

« Amène tes hommes vers la gauche, Alcibiade. »

Alcibiade et une vingtaine d’hommes s’en allèrent rapidement. Un peu plus tard, Winters les vit user de leurs épées afin de faire avancer devant eux la bande de voleurs. Les quelques brigands qui résistèrent furent transpercés.

« Alors, c’est ça, votre façon de traiter les voleurs », commenta Winters.

Le capitaine Argos crut déceler de la désapprobation dans la remarque de Winters.

« Peut-être les aurais-tu traités différemment ?

— De toute façon, si ça ne tenait qu’à moi, je serais déjà loin d’ici, rétorqua sèchement Winters.

— Tu es là, néanmoins, trancha Argos. Fais attention à ne pas commettre d’erreurs diplomatiques. »


Winters fut surpris de constater qu’il comprenait ce qu’Argos voulait dire. Depuis qu’il s’était marié avec Myra, c’était devenu quelqu’un d’instruit. Myra ? Ah, mais à quoi pensait-il ? Comment Myra pouvait-elle exister alors que les événements dont il était maintenant témoin se déroulaient des siècles avant sa naissance ?

Tandis que son esprit luttait contre la confusion, les athlètes et les combattants disparurent. Leur ruse avait fait long feu. À leur place apparurent des centaines de belles femmes, vêtues de robes à peine plus épaisses que des toiles d’araignées. Elles se mirent tout de suite à chanter et à danser. Winters tourna la tête à droite, puis à gauche, mais finit par braquer le regard droit devant lui : le spectacle était incroyable. Sans détourner les yeux, il demanda à Argos :

« Capitaine, ce n’est pas un peu… indécent ?

— Si c’est tout ce que tu trouves à en dire, Winters, tu n’as rien à craindre. C’est fait pour être enchanteur. Si mes hommes y succombent, les voleurs déroberont tout ce que possède Parmenter. »

Winters ravala sa salive.

« Capitaine, c’est vrai que ça enchante un homme, d’une certaine façon, non ? »

Il prit une seconde pour jeter un regard en coin à Argos. Ce dernier ne faisait pas plus attention aux femmes qui dansaient qu’à la poussière sous les sabots de son cheval. Il continuait à anticiper de nouvelles tentatives de vol. Il avait le visage dur et sérieux. Winters sut pourquoi lorsqu’il regarda de nouveau à sa gauche. À l’endroit de la file laissée sans surveillance par le retrait d’Alcibiade et de ses hommes, un nouveau groupe de voleurs s’était formé.

« C’est maintenant que tu vas voir de l’action, Winters. Viens, si tu veux. »

Le capitaine Argos lança son cheval au galop. Certains voleurs se désolidarisèrent de ceux qui se battaient, et fuirent tandis qu’Argos les taillait en pièces. Mais si efficace qu’il soit, le capitaine restait tout de même prudent, car lorsqu’il vit des hommes armés d’arcs et de flèches se précipitant à sa rencontre, il fit demi-tour et reprit ses positions près du promontoire de Parmenter. À leur droite, d’autres voleurs avaient été repoussés.

Cette diversion eut un effet bénéfique sur Winters : le sortilège en fut brisé. Les superbes femmes qui dansaient perdirent leur emprise sur lui. Il se tourna légèrement pour observer son énigmatique compagnon.

« Tu te défends, à l’épée, Capitaine.

— Tu ne m’as pas accompagné, Winters », fit Argos, quelque peu absent car il était toujours en alerte en cas de nouveaux problèmes. Il avait les yeux désormais rivés sur la plaine assombrie par la brume, où une immense foule s’était amassée. Cependant, il n’avait pas complètement oublié que Winters était là.

« Tu ne manques pas de courage, j’espère, dit-il à Winters tout en regardant de l’autre côté.

— En tout cas, tu peux être sûr que je ne me mêlerai pas des combats des autres. »

Argos ignora cette réponse.

« Alors, Winters, voilà quelque chose qui, à coup sûr, mettra à l’épreuve ta valeur. »

De cette étrange foule en face d’eux arrivèrent d’autres femmes. Elles paraissaient encore plus belles que celles qui dansaient. Chacune d’entre elles portait une outre de vin et une coupe en or.

« Si elles apportent du vin, commenta Winters, en ce qui me concerne, elles sont les bienvenues ! »


Argos observait ses hommes. Ils formaient maintenant un long rang de splendides cavaliers au panache ployant légèrement sous le vent.

Argos déclara, sans doute plus pour lui-même que pour Winters :

« Ne les regarde pas. Ne les écoute pas. Bouche-toi les oreilles. »

Il suivit son propre conseil en se fourrant des morceaux de laine dans les oreilles et en regardant d’un bout à l’autre du rang qu’il avait formé.

Winters trouva ce comportement ridicule.

« Je ne ferme jamais les yeux quand j’ai devant moi quelque chose de toute beauté. »

Argos répondit sèchement :

« Ce sont des sirènes, Winters. Les hommes qui cèdent à leurs enchantements sont changés en porc. Si tu souhaites devenir un porc, alors regarle-les et partage leur vin. »

Des sirènes ! se répéta Winters en frissonnant. Maintenant qu’il avait compris, il était à la fois intrigué et effrayé. Il entendait leur chant distant qui s’approchait de plus en plus. Jamais musique ne s’était faite plus douce ni plus prometteuse. Winters tremblait désormais. Il fouilla frénétiquement dans ses poches. Il avait un bandana autour du cou. Il l’enleva, en arracha des morceaux qu’il s’enfonça ensuite dans les oreilles juste à temps, car une femme, belle au-delà des rêves les plus fous d’un homme, se tenait juste en dessous de lui. Elle avait posé les yeux sur le capitaine Argos, des yeux pleins d’envie et de promesses. Ses lèvres dirent : « Du vin, mon beau ? »

Elle versa du vin dans sa coupe dorée, puis la leva.

Mais Argos avait les yeux perdus dans le lointain.

Elle s’approcha ensuite de la jambe droite de Winters. Il entendait sa voix en sourdine :

« Ô étranger, j’aimerais te donner du vin, un vin si merveilleux que tu n’auras ensuite plus jamais soif. »

Winters la fixa du regard. Bien qu’il n’entendît sa voix qu’indistinctement, c’était comme entendre dix mille voix qui entonnaient des chants à propos de magnifiques jardins, de rivières coulant à gros bouillons, de superbes paysages, de repos et de plaisir infini. Elle leva sa coupe et Winters se pencha pour la prendre.

« Non ! » cria le capitaine Argos.

Il frappa la coupe de son épée et renversa le vin. Winters ne pouvait détacher le regard de l’endroit, près du sabot avant droit de son cheval, où le vin avait été absorbé par le sable. De cet endroit se levèrent des effluves montant en volutes jusqu’à ses narines. Une fois de plus, Argos intervint violemment. Il arracha le chapeau de Winters et le lui enfonça sur le visage, de sorte que Winters n’arrivait ni à voir, ni à respirer. Celui-ci fut pris de convulsions. La transformation avait débuté, mais un pouvoir défiant sa compréhension leva le sortilège. Libéré de cette magie et du chapeau qui l’étouffait, il vit un spectacle lamentable et néanmoins impressionnant. Les somptueuses sirènes avaient disparu. La plupart d’entre elles s’étaient évaporées dans le royaume brumeux d’où elles étaient venues, mais Winters en distinguait encore quelques unes.

Elles aussi s’éloignaient ; moins vite, toutefois, car derrière chacune d’entre elles se dandinait un porc. Winters soupira et jeta un œil vers Argos, qui enlevait la laine de ses oreilles. Winters l’imita.

« J’ai l’impression que je te dois une fière chandelle, Capitaine. »

Argos avait l’air plus à l’aise à présent.

« On trouve toujours des faibles, Winters. Je choisis bien mes hommes et je suis heureux que la plupart aient prouvé leur valeur. Comme tu l’as vu, quelques uns ont failli et ne seront plus jamais humains. »


Comme les fourberies s’étaient révélées futiles, les affaires commencèrent. Les clients formaient des centaines de files avançant rapidement, des conteneurs à sel à la main. Devant eux galopait un homme vêtu de violet, portant une sorte de couronne sur la tête. Accompagné d’une escorte montée, il arriva au promontoire, descendit de cheval et monta s’installer près de Parmenter.

« Qui est-ce ? demanda Winters.

— Cet homme, répondit Argos, c’est le prince Azzir-Izzir. Il est là afin de prendre possession du tribut que l’on réserve au grand roi Cyrus de Susa, roi des rois. C’était à lui que je pensais quand je te mettais en garde contre les erreurs diplomatiques. Vois ! »

Argos fit un signe de tête vers les acheteurs de sel. Ils s’étaient tous prosternés devant le prince Azzir-Izzir. Winters demeurait perplexe.

Il s’enquit d’un ton sérieux :

« Comment ça se fait que vous ne vous agenouillez pas, toi, tes hommes et ceux de Parmenter ? »

Argos leva le menton hautainement.

« Nous sommes Grecs. Nous ne nous inclinons devant aucun homme. Seulement devant nos dieux.

— Grand bien te fasse, reprit Winters. J’ai entendu dire beaucoup de choses à propos de la Grèce antique.

— Antique ! s’exclama Argos. Que veux-tu dire par là ? »

Winters se pinça le menton. Qu’avait-il encore dit là !

« Euh, j’ai bien peur que mes mots aient dépassé ma pensée, tenta-t-il.

— Moi aussi, j’en ai bien peur, en effet ! Nous, les Grecs, nous ne nous considérons pas comme antiques ! »

Il regarda Winters d’un air interdit avant de détourner le regard.

Quel spectacle, pensa Winters. Il n’avait jamais vu autant de sortes de gens différents, ni de marché de sel aussi grand. L’énorme quantité de sel qu’il croyait inépuisable avait diminué jusqu’à ce que tous les chariots soient complètement vides.

Enfin, il ne restait plus que les indigents qui n’avaient pas acheté de sel. Ils avançaient à contre-cœur avec leurs femmes ou leurs filles. C’étaient elles qu’ils échangeaient contre du sel.

Winters cligna plusieurs fois des yeux, trouvant cela difficile à croire. Puis un homme à béquilles vint se placer sous le promontoire de Parmenter. Il avait dans les quarante ans, plus blond que la plupart d’entre eux mais aussi plus triste. Il n’avait plus de pied gauche ni de main droite. À ses côtés se trouvait une jeune femme d’une humilité et d’un charme rare.

L’infortuné leva les yeux.

« Monsieur, implora-t-il, je n’ai pas d’argent. Mais il me faut du sel pour ma femme et mes enfants. »

Parmenter fit froidement :

« Qu’as-tu à échanger contre du sel ?

Après un moment d’hésitation et de tristesse, il répondit :

« Voici ma fille. Vous ne devriez pas la prendre, en revanche. Elle a un amant qui veut bien s’occuper d’elle, et c’est ma préférée. S’il vous plaît, Monsieur. Vous disposez d’une grande fortune, et j’ai si peu. »

Il baissa les yeux avant de reprendre : « C’est le grand roi Cyrus, puisse-t-il régner à jamais, qui a ordonné qu’on me coupe le pied et la main. Depuis, je ne puis plus faire que de menus travaux. Pitié, Monsieur. »

Le prince Azzir-Izzir avait dans les yeux une lueur de convoitise. Il s’adressa à la fille du mendiant :

« Comment t’appelles-tu, ma beauté ? »

Elle leva les yeux, apeurée.

« Je m’appelle Veeda. Mon malheureux père s’appelle Unuk. Il a dit la vérité, nous sommes très pauvres.

Azzir-Izzir fit un signe de tête à Parmenter.

« Prends-la, et quand tu l’auras prise, je te la réclamerai en guise de taxe sur tes riches profits. Elle sera mon esclave.

— Très bien », annonça Parmenter.

Winters avait observé la scène, en proie à une colère mêlée d’incrédulité. Il chevaucha jusqu’à Parmenter.

« Tiens, dit-il en lançant une pièce dans les mains de Parmenter. Prends ça pour ton sel, et laisse cette demoiselle rentrer avec son père. »

Parmenter examina cette étrange pièce d’or en écarquillant les yeux.

« Mais, cet or… Avec cet or… je pourrai m’acheter cinquante servantes encore plus belles. »

Le prince Azzir-Izzir foudroya Winters du regard.

« Qui est ce rustre qui s’oppose à ma volonté ?

— Je suis Lee Winters, espèce de sale vaurien.

— Ah, fit Azzir-Izzir, cela s’annonce très agréable.

— Winters, je t’avais prévenu, aboya le capitaine Argos. Tu as commis une bourde impardonnable. Il faudra que je te livre au prince Azzir-Izzir qui se fera sûrement une joie de te torturer à mort. »


Azzir-Izzir enleva le magnifique arc qu’il s’était passé autour de l’épaule et sauta à terre. Il s’éloigna de cinquante pas et prit position en face de Winters. Les cavaliers qui servaient de garde du corps au prince formèrent un demi-cercle derrière lui.

« Descends de ton cheval, rustre, ordonna-t-il à Winters, que je te perce le cœur d’une flèche. Tu conviendras que c’est préférable à la torture. »

Winters mit prestement pied à terre et avança, s’éloignant de plusieurs mètres d’Argos. Il entendit un petit cri effrayé. Lorsqu’il tourna la tête, Veeda, la fille d’Unuk, courait vers lui pour l’enlacer.

« Mon brave, c’est moi qui ai attiré le malheur sur vous. Pardonnez-moi. »

Winters se libéra de son étreinte et la repoussa délicatement.

« Ne vous inquiétez pas pour moi, Mademoiselle, Azzir-Izzir ne s’en ira nulle part. »

Elle ne le quittait pas des yeux, stupéfaite.

« Quel courage… Et dire que vous faites tout ça pour moi. »

Elle détacha vite une fine chaîne en or qu’elle avait autour du cou et la plaça dans la main de Winters. Un petit rubis y était attaché.

« Donne cela à celle que tu aimes et elle ne perdra jamais sa beauté.

— Non, répondit-il en la lui rendant, tu ne me dois rien. »

Elle refusa de la reprendre et recula avant de courir rejoindre son père.

« Il n’a pas d’arme, Prince, cria le capitaine Argos. Donnez-lui un arc et des flèches.

— Armer mon ennemi ! répliqua Azzir-Izzir avec mépris. Ne me prenez pas pour un idiot, Capitaine.

— Winters, déclara Argos, tu mérites de mourir, et c’est ce qui va t’arriver. Ta mort, en revanche, n’aura aucune importance, mais si d’aventure tu faisais couler le sang royal, la faute rejaillirait sur nous, les Grecs, ce qui aurait de lourdes conséquences, à vrai dire. Cela signifierait la guerre entre l’est et l’ouest.

— Tu devrais t’en réjouir, rétorqua Winters, c’est une guerre que vous allez gagner.

— Winters, en plus d’être trop confiant, tu plaisantes et blasphèmes. Fais face à ton ennemi car tu es sur le point de mourir. »

Winters posa la main sur son six coups et se dressa en face d’Azzir-Izzir. Celui-ci lui adressa un sourire froid et ajusta cruellement une flèche sur son arc. Puis, à la vitesse de l’éclair, il le leva, tira sur la corde et décocha sa flèche. Mais Winters avait déjà fait un pas de côté et dégainé. Son pistolet cracha le feu dans un bruit de tonnerre. Azzir-Izzir se tendit, le visage n’exprimant que surprise, et s’écroula face contre terre.

Des cris de consternation s’élevèrent. La garde du prince se précipita sur Winters, les lances abaissées afin de l’empaler. D’autres voix se firent entendre : le capitaine Argos et ses hommes intervinrent et les massacrèrent.

Parmenter leva sa trompette et sonna la retraite. En quelques secondes, ses chariots s’en allèrent. Ils prirent rapidement de la vitesse, soulevant un nuage de poussière dans un fracas de sabots et de roues. La cavalerie d’Argos forma une arrière-garde. Le capitaine Argos vint se placer près de Winters, qui s’était remis en selle. Il leva la main en guise de salut.

« Tu t’exprimes par le tonnerre de Zeus. Cet événement deviendra une légende et un bel exemple à suivre pour les Grecs. Nous devons maintenant partir, car lorsque l’on apprendra qu’un prince royal a été tué, une puissante armée nous poursuivra. Adieu.

— Salut, Capitaine, et bonne chance. »

Winters les vit partir, leurs panaches magnifiquement colorés s’animant au rythme des chevaux.

« L’histoire leur apportera la gloire », se dit-il.


À Forlorn Gap, on voyait encore de la lumière à quelques fenêtres. De nombreuses maisons n’avaient plus que de grandes ouvertures là où autrefois on avait mis de la menuiserie. À un endroit de cette ville fantôme, toutefois, toutes les lampes brillaient. C’était là-bas que Winters se dirigeait.

Dans le saloon de Doc Bogannon, le seul de la ville qui restait, son grand et beau propriétaire annonça aux couche-tard :

« Désolé, les amis, mais il est minuit, c’est l’heure de fermer. »

Les derniers clients se levèrent et partirent. Bogannon rangea son dernier verre et allait éteindre la lumière de son bar lorsque ses portes à battants s’ouvrirent.

« Winters ! »

Celui-ci, pâle et peu sûr de ses mouvements, avança et plaça une pièce sur la comptoir.

« Du vin, Doc. »

Bogannon le dévisagea

« Winters, tu es blanc comme un linge… À croire que tu as vu un fantôme !

— Ne crois pas ça, Doc. Je n’ai pas vu de fantôme et j’espère bien que je n’en verrai jamais.

— Prends une chaise, Winters, on prendra un dernier verre ensemble. J’ai l’impression que tu vas bientôt t’écrouler. »

Winters alla s’asseoir à une table, bientôt rejoint par Bogannon. Ce dernier versa deux verres de vin et prit place en face de Winters. Celui-ci but doucement et reposa son verre en s’essuyant la moustache du revers de la main. Il ouvrit alors sa main gauche et laissa tomber quelque chose. Entre son verre et celui de Bogie se trouvait une très fine chaîne qui brillait de mille feux et un étonnant rubis aussi rouge que du sang fraîchement versé.

« Tu as vu ça, Doc ? »

Bogie s’en saisit mais la lâcha immédiatement.

« Winters, s’exclama-t-il, je me suis pris une décharge électrique ! »

Winters ramassa la chaîne affectueusement.

« C’est magique, Doc, celui ou celle qui la porte gardera sa beauté toute sa vie.

— C’est bizarre, ce que tu dis, Winters. Tu as dû vivre une sacrée expérience. Où est-ce que tu l’as eu, ce truc, d’abord ? »

Winters vida son verre et le tendit pour se faire resservir.

« Doc, dit-il doucement à moitié rêveur, tu ne me croirais pas si je te le disais. Je n’y crois guère moi-même. Et pourtant… »