Les porteuses d’eau

Le shérif adjoint Lee Winters descendait au petit trot la rue principale de Forlorn Gap, en silence, dans la crainte d’une lettre dont il espérait qu’elle n’était pas arrivée. Depuis peu, il avait l’esprit troublé par un sentiment de péril imminent. Tôt ou tard, ruminait-il, une catastrophe surviendrait, aux conséquences si tragiques qu’il ne pourrait pas en réchapper. Si les livres de Myra lui inspiraient des visions cauchemardesques, plus perturbantes encore lui apparaissaient les maisons de Forlorn Gap, vides, aux entrées béantes, aux bruits singuliers et à la solitude communicative. Il avait l’impression – et ce, tout particulièrement lorsqu’il chevauchait seul, de vivre dans un monde où il n’avait pas sa place, ou dans une époque enfouie dans le passé.

Cet état d’esprit allait parfois jusqu’à lui faire croire qu’il était peut-être déjà tombé sous les balles d’un bandit recherché, et qu’il errait dorénavant sous la forme de son propre fantôme. Or, comme il possédait une imagination étonnamment débordante, d’étranges créatures venaient le hanter lorsqu’il se retrouvait seul au beau milieu de ses pensées. À chaque poussée d’adrénaline inhabituelle, telle que celles provoquées par le revolver d’un malfrat faisant chanter le plomb, il avait tendance à partir pour des contrées fantasmagoriques. Il y faisait de curieuses accointances, semblables aux créatures des livres de sa femme. Certaines d’entre elles étaient des divinités païennes, d’autres des humains, ou encore un mélange des deux, ce dont on n’entend parler que dans les légendes.

En revanche, au saloon de Doc Bogannon, il se trouvait en terrain connu. Après avoir attaché son cheval et pénétré dans l’établissement à grands pas, la voix de Bogie semblait plus vraie que nature.

« Winters ! Tu es en avance, mais entre ! Sois le bienvenu ! »

Bogannon donnait l’air d’être grand par la taille, mais aussi par l’esprit. À l’inverse de la stature filiforme, lasse, et rabougrie de Winters, Doc faisait l’effet d’un homme d’État ayant trop tôt pris congé du pouvoir et des réunions importantes. À Forlorn Gap, il vivait avec sa femme, une métisse Shoshone, et avait comme seul gagne-pain manifeste l’unique saloon encore en activité de la ville. Son passé, il le gardait secret, même devant Winters, un ami en qui il avait toute confiance.

Lee se laissa tomber sur une chaise.

« Du vin, Doc, et rien de plus, j’espère.

— Du vin, bon, très bien, Winters, répondit piteusement Bogie. Par contre, je vais te décevoir. »

Il arriva avec une bouteille et deux verres. Tout en versant, il lâcha une enveloppe près du verre de Lee.

« Diligence de minuit en provenance de Brazerville. »

Winters lut la lettre avant de vider son verre.

« Ça vient du shérif Hugo Landers, Doc.

— … qui te demande de coffrer deux bandits recherchés, je parie.

— Comment tu sais ça ?

— Ils étaient là il y a une heure. Je venais d’ouvrir quand ils sont entrés, un blond frisé et un mince avec qui je t’aurais confondu, de loin. Deux revolvers chacun, Winters, et un regard de tueur. »

— Des nouveaux sur ma liste de fugitifs, commenta Winters. Dorcas Adfield et Cain Hargis. Dans sa lettre, Hugo les décrit de la même manière. Ce coup-ci, il veut leur peau. Vols et meurtres. Ils sont passés par où ? »

Bogie remplit le verre de Lee, leva le sien.

« Allez, un petit verre, Winters. »

Bogie but un peu, puis reposa son verre.

Winters décela un certain malaise chez Bogie. Ses propres inquiétudes grandirent en conséquence.

« Doc, qu’est-ce qui te tracasse ? »

Bogie se détourna, le regard perdu dans le vide.

« Je réfléchissais juste à quelque chose, Winters. Je sais que tu ne crois pas aux fantômes, et moi non plus, d’ailleurs. Et pourtant… De temps en temps, je ressens quelque chose de bizarre. Dans ces moments-là, je repense à un poème. Je ne sais pas de qui il est. Peut-être de moi, tout simplement… J’aurais très bien pu l’écrire et le mémoriser tout en oubliant que j’en étais l’auteur. Ça donne ça :

« Aujourd’hui nous renvoie à d’anciennes visions
Le temps d’antan se confond avec l’avenir
Hier n’est passé que pour mieux revenir
Demain dont il était en fait la prédiction »

Winters finit son verre, s’essuya la moustache du revers de la main, puis se leva en jetant une pièce.

« Ta poésie a sûrement beaucoup de sens, mais tout ça me dépasse. Bon, maintenant, dis-moi dans quelle direction ils sont partis, ces gibiers de potence.

— Ça me navre, que tu doives les pourchasser, Winters, répondit Bogie d’un air sombre. Mais puisqu’il le faut, ils se dirigeaient vers le sud-ouest pour traverser Alkali Flat. Je sais que tu seras prudent ; j’espère aussi que tu seras chanceux.

— Merci, Doc. »

Winters sortit sans regarder derrière lui. Quelques heures plus tard, il se rendit compte qu’il n’avait pas été très prudent ; en tout cas, pas autant qu’il aurait dû l’être. Les empreintes de chevaux l’avaient amené dans une région de canyons écroulés, de précipices et de sentiers sinueux à donner le vertige. Au moment où il comprit qu’il se trouvait en bas d’un grand ravin en cul-de-sac, une voix lui aboya :

« Bon, monsieur le shérif adjoint, c’est ici qu’on s’arrête de pister les gibiers de potence, comme tu les appelles. »

Lee darda un rapide regard à droite, puis à gauche. Adfield et Hargis le flanquaient de chaque côté ; il était trop tard pour faire marche arrière. Devant lui, de gros rochers qu’il ne pouvait pas franchir à cheval. Pourtant, d’un coup d’éperons, Winters fila tout droit. Adfield et Hargis firent feu puis se mirent à couvert quand Winters leur cracha du plomb à son tour. Lorsqu’il arriva au pied d’un canyon, il fit un écart pour aller se réfugier derrière un pan de rocher.

Puis, à sa grande surprise, une voix l’appela doucement :

« Grimpe, Winters. Grimpe plus haut. »

Il jeta un œil inquiet tout autour de lui, mais ne vit qu’Adfield et Hargis. Sautant de rocher en rocher, ils grimpaient comme grimpait Winters. Hargis, observa-t-il avec étonnement, lui ressemblait tellement qu’il aurait pu passer pour son jumeau.

Adfield cria :

« Tu ne t’échapperas pas, Monsieur le shérif adjoint. On se doutait que tu suivrais notre piste. Toi, par contre, tu étais loin de te douter qu’on te tendait un piège. »

Ils le tenaient, ça ne faisait aucun doute. Adfield montait par la gauche, Hargis par la droite.

De nouveau, la même voix feutrée l’appela :

« Retourne-toi, Winters, et puis cache-toi et attends. »

Winters était aussi mystifié que terrifié, mais après un coup d’œil circulaire, il comprit qu’en continuant, il s’exposerait aux tirs de ses deux ennemis. S’il restait là où il se trouvait, ils monteraient tranquillement et l’aligneraient sans mal. Il se retourna en s’agenouillant rapidement sous un promontoire et s’immobilisa.

Quelques secondes plus tard, Hargis fit son apparition. Il longeait furtivement un rocher. Puis il se raidit quand une balle le toucha.

« Dorcas ! enragea-t-il, sous le choc.

— Cain ! répondit Adfield, horrifié par son erreur. Je ne t’avais pas reconnu ! »

Il escalada un rocher comme il put et se dépêcha d’aider son compagnon blessé.

« Non ! Non ! » hurla-t-il alors que Hargis, mû par une vengeance hargneuse, le mettait en joue.

« Tu m’avais bien dit que tu essaierais de me buter un jour, grogna Hargis, mais je t’emmène avec moi, comme je te l’avais promis. »

Il fit fumer son revolver. Adfield et lui continuèrent à faire feu l’un sur l’autre jusqu’à ce qu’ils s’écroulent tous les deux sans plus nuire à personne.


Winters sortit de sa cachette en rampant. Il fouilla leurs poches, qu’il trouva pleines du butin de leurs derniers crimes. En plus de cela, il leur prit des papiers qui serviraient à les identifier, ainsi que leurs ceinturons et leurs armes, puis redescendit là où attendait Cannon Ball. Il se remit en selle et partit en direction de ce qu’il croyait être le chemin du retour.

Cependant, l’environnement, qui jusqu’alors ressemblait à des paysages qu’il avait appris à connaître lors de chevauchées solitaires, se mit à se transformer. Une fois de plus, il perçut cette curieuse sensation de vivre à une époque qui lui était étrangère. La piste qu’il suivait le mena dans un petit pré où une rivière coulait le long de berges couvertes d’herbe. Un saule pleureur y avait grandi, ses branches tombantes animées par une petite brise.

Tout à coup, il eut soif. Il descendit de cheval, s’allongea sur le ventre et but tout son soûl. L’eau paressait si limpide que le sable doré semblait être asséché. Pourtant, les lèvres de Winters touchaient une eau froide et rafraîchissante, aux effets revigorants, mais aussi aux résultats effrayants. Chasseur fatigué quoique victorieux, cette eau l’avait changé en homme neuf, mais aussi en victime, désorientée et aux aguets, de forces étranges et invisibles.

Il se releva d’un bond, une seule idée en tête : remonter Cannon Ball et se sauver au galop.

Toutefois, des bruits le freinèrent. D’un regard scrutateur, il découvrit, près d’une source, assises sur la berge, trois jeunes femmes peu vêtues, incroyablement belles. Elles se ressemblaient beaucoup, mais se distinguaient à leur chevelure ornée d’une couronne de fleurs. La première avait les cheveux noirs, la deuxième, dorés, et la troisième, argentés.

Toutes les trois pleuraient.

« Il ne peut nous aider ; voyez son physique ingrat, dit l’une d’elles.

— Oui, acquiesça une autre. Nous avons perdu notre temps, je pense, en le sauvant de ceux qui voulaient le tuer.

— Nous pourrions tout de même lui laisser sa chance. De toute évidence, nous n’arrivons à rien par nous-mêmes.

— Tu as sans doute raison, ma douce Ina. Oui, Leta, Ina a raison. Nous devrions vraiment lui laisser sa chance, même s’il n’a rien de séduisant.

— Electa, je ne suis pas d’accord, intervint Leta. Nous espérions qu’Apollon en personne viendrait à notre aide. Il est impossible qu’il soit venu sous les traits de ce rustre à cheval. Non, essayons une fois encore, comme nous l’avons si souvent fait par le passé.

— Une fois encore, alors », consentit Ina.

Elle se pencha au dessus de l’eau, admira la splendeur de son reflet blond, puis repmlit à ras-bord une coupe dorée, avant de se relever.

Electa se pencha à son tour, attendit que cessent les ondoiements de la source afin qu’y apparaissent ses tresses brunes, puis y plongea une coupe de pierre.

Leta fut la dernière, de toutes la plus vaine, mais aussi la plus belle. Elle se leva enfin, sa coupe d’argent brillante et ruisselante.

« Partons, fit-elle. La pitié et l’espoir renaissent dans mon cœur. Pourquoi, je ne sais pas. Peut-être n’est-ce qu’un stratagème de dieux cruels afin de nous faire souffrir d’autant plus lorsque nous échouerons. »

Elles se tinrent côte à côte un moment. Ensuite, elles s’éloignèrent par un sentier traversant le pré, chacune emportant précautionneusement sa coupe. Elles se dirigeaient, à quelques centaines de mètres de là, vers un arbre portant une incroyable variété de fruits.


En apercevant cet arbre, Winters perçut également l’incomparable parfum qu’il diffusait. C’était un grand arbre aux branches ployant sous le poids de leurs fruits.

Ce qu’il vit ensuite lui coupa le souffle. Au pied de l’arbre se trouvait un homme au physique splendide, simplement vêtu d’un pagne. Il avait la peau exceptionnellement blanche, ce qui suggérait qu’il marchait peu, hormis à l’ombre. Au moment où Ina, Leta et Electa s’approchèrent, il se tourna, leva la tête et tendit les bras vers elles.

Lorsqu’elles ne furent plus qu’à quelques pas de lui, elles trébuchèrent, s’écroulèrent et se mirent à pleurer. Doucement, elles se relevèrent et firent demi-tour. À présent, chacune tenait négligemment sa coupe, vidée de son contenu. De retour à leur source, les trois femmes gémirent à s’en faire briser le cœur.

Ces filles-là, pensa Winters, elles ont l’air de savoir ce que c’est que le malheur.

Soudain, Leta se releva et s’approcha de lui, ses cheveux d’argent entourés d’une guirlande de fleurs bleues. Elle s’arrêta si près de lui qu’elle pouvait le toucher puis leva les yeux, ses yeux bleus luisants de larmes et de suppliques.

« Oh, Winters, s’il te plaît, aide-nous ! implora-t-elle d’une voix déchirante.

— Vous aider ? balbutia-t-il.

— Oui, Winters. Cela fait mille ans que nous essayons en vain. Il me semble qu’on ne pourra plus réessayer… Pourtant, il le faut, j’en ai bien peur.

— Réessayer quoi ?

— N’as-tu pas vu par toi-même, Winters ? »

Ses deux compagnes la rejoignirent. Les yeux verts d’Ina luisaient devant lui comme des émeraudes aspergées d’eau.

« On nous a promis un sauveur ; mais… un immortel ? Un mortel ? Cela, nous l’ignorons. Winters, bien que tu aies l’air mortel, peut-être incarnes-tu cet être élu.

— Si c’est moi, en tout cas, c’est la première fois que j’entends parler de ça. »

Les yeux inquisiteurs d’Electa se parèrent d’un éclat obscur.

« Alors en effet, tu n’es qu’un homme, et, à vrai dire, pas aussi héroïque qu’on l’aurait cru. Le sort s’acharne contre nous, hélas.

— Tu es injuste, Electa, intervint Leta. On ne peut attendre d’un mortel qu’il soit beau comme un dieu. Et qu’ont fait les dieux pour nous ? Rien, à part nous condamner au désespoir et à la servitude éternels. »

Elle leva de nouveau un regard implorant.

« Aide-nous, s’il te plaît ! Nous t’avons sauvé la vie il y a peu, en faisant en sorte que ces malfaiteurs s’entretuent. Tu nous dois bien cela, non ?

— Eh bien, sûrement, reconnut Winters, mais je n’ai pas compris ce que vous vouliez que je fasse.

— Oh, fit doucement Ina. Alors, c’était ça ! Ne connais-tu pas un arbre maléfique du nom de Tantale ? Ni Melos, le plus charmant des mortels ? Ni Clymente, la plus belle de toutes les demoiselles ? »

Winters commençait à comprendre.

« Tu mélanges tout, expliqua-t-il. Tantale, c’était un homme, pas un arbre.

— Pourquoi t’exprimes-tu si curieusement ? s’enquit Electa.

— Enfin, c’est ce que dit le livre de Myra. Myra, c’est ma femme. »

Ina, Leta et Electa demandèrent : « N’est-ce pas cette belle dame de Thèbes, que beaucoup de prétendants courtisent en vain ?

— Elle n’est pas moche à regarder, si c’est ce que vous voulez dire.

— Oui, confirma Leta, c’est bien ce que nous voulons dire. Et elle t’a épousé, toi ? Alors tu dois sûrement être un héros courageux sous des dehors de rustre. »

Soudain, on entendit un gémissement à fendre le cœur.

« De l’eau ! De l’eau ! »

Leta eut vite les yeux pleins de larmes.

« Ce pauvre, pauvre Melos ! Il a si terriblement soif. »

Elle se retourna.

« Venez, mes chères, reprit-elle, il nous faut réessayer. »

Elles partirent. Une fois de plus, elles admirèrent leur reflet, puis remplirent leurs coupes et s’en allèrent. Une fois de plus, pour des raisons mystérieuses, elles trébuchèrent et tombèrent par terre. Une fois de plus, elles revinrent en pleurant.


Cette fois-ci, elles firent face à Winters avec colère.

« Nous pensions que tu te montrerais brave et héroïque, déclara Leta.

— Et reconnaissant, ajouta Electa.

— Mais tu restes là à nous regarder, en nous traitant comme si tu te moquais de nous, comme si notre douleur te laissait indifférent.

— Vous êtes les plus déraisonnables des femmes que j’ai entendues parler, tempêta Winters. Pourquoi vous êtes si grognonnes, tout d’un coup ?

— Grognonnes ?

— Oui, grognonnes. »

Ina jeta un œil triste à sa coupe vide.

« Je pense qu’il nous demande pourquoi nous sommes fâchées.

— Bien sûr, allons ! bondit-il. Alors ? Pourquoi ?

— Eh bien, parce que… entama Ina.

— Parce que tu ne veux pas nous aider, poursuivit Electa.

— Parce que tu restes là, sans rien faire, à nous regarder essayer en vain de porter à boire à Melos, renchérit Leta.

Elle se tourna, leva son joli bras et montra du doigt.

« Vois-tu ce pauvre Melos qui s’abaisse pour boire l’eau qui coule à ses pieds ? reprit-elle. Cette source s’appelle Blithe, qui signifie tenter puis refuser. Le pauvre Melos est enchaîné à un rocher.

— Or donc, ajouta Ina, Blithe, fraîche et claire, monte lui entourer les pieds. Mais lorsque Melos se penche pour boire, les eaux de Blithe repartent hors de sa portée. Melos a soif, mais ne peut jamais boire.

— Et lorsque nous essayons de lui apporter de l’eau de cette source appelée Sheron, nos pieds se retrouvent mystérieusement empêtrés. Nous tombons, et nous renversons nos coupes.

— C’est une belle histoire, fit Winters. Pourquoi tu ne regardes pas où tu mets les pieds ? Et pourquoi il ne mange pas les fruits ? demanda-t-il en montrant Melos du pouce. Ils sont empoisonnés ?

— Ah mais, railla Electa, tu sais si peu de choses.

— Une petite minute, rétorqua Winters. Je me rappelle, maintenant. Dans les livres de Myra, on dit qu’à chaque fois qu’il essaie d’attraper un fruit, un grand vent souffle et les repousse.

— Et une fois encore, le livre de ta Myra fait erreur, déclara Electa, dont les yeux noirs luisaient de sévérité. Tantale n’a pas besoin de vent pour repousser des fruits. C’est une créature maléfique qui ne songe qu’à torturer. Regarde ! »

Elle désigna du doigt Melos qui tentait d’attraper ce qui avait tout l’air d’une belle poire juteuse. Il la touchait presque, mais lorsqu’il se mit sur la pointe des pieds, Tantale leva ses lourdes branches juste un peu plus haut. Cette poire, Melos avait failli toucher, et encore à présent, il la touchait presque ; mais il avait beau s’étirer, elle restait toujours un rien hors de portée du bout de ses doigts.

« Alors ça, c’est sacrément mesquin, tonna Winters. Même un homme qui a fait ce que Melos a fait ne mérite pas d’être tourmenté comme ça.

— Oh, Winters, s’écria Leta, ta colère est comme une promesse. Viens, laisse-nous t’emmener auprès de Melos, où tu pourras voir de plus près quelle est sa situation et à quel point il souffre.

— Remplissez vos coupes », leur ordonna-t-il.


Elles retournèrent vite à la rivière. Pour ne pas perdre de temps, elles se penchèrent en même temps pour s’admirer dans Sheron, et ensuite, elles remplirent leurs coupes. Côte à côte, elles s’en allèrent vers leur mission éternellement vaine. Winters mena Cannon Ball sur un chemin parallèle, posant le regard tour à tour sur elles et sur Tantale. D’après lui, Tantale était un arbre démoniaque, mais qui avait encore certaines choses à apprendre concernant la torture.

Ina et ses compagnes se prirent à chanter doucement, puis à échanger de petits soupirs d’espoir et de joie.

« Enfin, enfin, fit faiblement Leta, je crois que notre tâche prendra bientôt fin.

— Attendez une minute, tempéra Winters. Je pense que je vais encore vous laisser trébucher. Je veux seulement observer la scène.  »

Elles s’arrêtèrent, et Winters passa devant. Chose étrange, Tantale se mit à secouer ses branches, dont les mouvements se faisaient plus violents et rapides à mesure que Winters progressait. On entendit aussi des sifflements, des grognements, comme si d’innombrables prédateurs se cachaient à proximité.

« Prends garde, s’exclama Leta. Tantale a peur de toi. Il te détruira, s’il le peut.

— Ce n’est pas un arbre, répondit Winters, c’est un démon déguisé en arbre. »

Winters s’arrêta juste avant d’arriver à la portée des plus grandes branches de Tantale, puis il étudia la situation. À la base, des racines noueuses et tordues comme des tentacules. Quelques-unes étaient enterrées, d’autres étaient remontées à la surface. Celles-ci demeuraient immobiles, comme les racines d’un arbre ordinaire sorties de terre par des pluies torrentielles.

Winters porta alors son intérêt vers Milos, qui le dévisageait. C’était un être bien trop beau pour être seulement humain. Ne portant qu’un pagne, il se tenait droit, grand, ravissant. Les cheveux bouclés blond pâle, il avait des yeux bleu foncé d’une tristesse confinant au désespoir. Debout sur un rocher, il avait les pieds enchaînés. Autour de lui, un point d’eau incroyablement claire, dont les petits clapotis arrivaient à quelques centimètres à peine de ses pieds.

« Winters, enfin, tu es là ! s’exclama Melos, le reproche et la colère allant crescendo dans sa voix. Apparemment, le temps n’a pas de prise sur toi ! Chaque jour de ta vie, tu as de l’eau à boire, ainsi tu ignores ce que cela signifie de mourir de soif mille fois. Bien qu’il y ait de l’eau à mes pieds, je ne peux la boire ; il y a de quoi me nourrir au dessus de moi, pourtant je ne peux manger. Sans arrêt, j’ai faim et soif. Malgré tout, tu es là, maintenant, et pour cela, tu as droit à quelques remerciements.

— Oui, fit Winters, mais ne crois pas que j’avais prévu ça comme ça. Pour tout te dire, je n’avais rien à voir là-dedans. »

Sans avertissement, Winters sentit un coup puissant dans les jambes qui le fit tomber par terre. Par chance, cependant, il avait perçu un vif déplacement. Il comprit alors que les racines de Tantale, qui, toutes tordues, avaient l’air complètement inoffensives, lui servaient en réalité de bras capables de mouvements si rapides qu’on les distinguait à peine.

« Hélas ! soupira Melos. À l’évidence, tu n’es pas immortel, ni, dois-je malheureusement ajouter, très intelligent : tu as permis à Tantale de t’attaquer par surprise.

— Je n’ai rien permis du tout, rétorqua Winters. Il ne m’a pas demandé la permission ; d’ailleurs, je dirais qu’il fait des coups bas.

— Pour des raisons que j’ignore, il semble avoir peur de toi, Winters. Je me demande bien pourquoi. Tu es certainement le héros le moins impressionnant de tous les temps.

— Ça me fait penser, répliqua sèchement Winters. D’après moi, et d’après ce que je sais de toi, les hommes savent aussi se conduire bien bassement. Ça ne m’étonne pas que tu te fasses torturer. »

Melos baissa tristement les yeux.

« Oui, Winters ; ce que tu dis est vrai. Ordinairement, il n’y a aucun mal à ce qu’un jeune homme tombe amoureux d’une belle jeune femme. Mais il ne faut jamais chercher à posséder ce sur quoi un dieu a jeté son dévolu. J’ai eu le malheur d’aimer et d’être aimé par la splendide Clymente, que Zeus le grand, Zeus le vengeur avait observée et désirait. Pire malheur encore, j’ai enlevé et caché Clymente. Elle fut mienne avant que Zeus ne pose ses mains néfastes sur elle. Mais je paie pour ma folie. Constamment affamé et assoiffé, je suis perpétuellement tenté par quantité de choses à manger et à boire, si proches et si loin à la fois.

— Ouais, fit Winters, ça, c’est plutôt clair. Mais l’histoire que tu racontes, c’est certainement pas celle dont je me souvenais.

— Et de quoi te souvenais-tu, Winters ?

— Dans le bouquin de ma femme, tu étais censé servir du ragoût aux dieux et aux déesses, préparé avec de la viande humaine bouillie.

— Quelle horreur ! s’écria Melos en frissonnant. Mais je comprends bien pourquoi on raconte de telles calomnies. Ceux qui méconnaissent les dieux de l’Olympe et leur cruauté n’auraient pas cru que j’aurais pu être puni pour un simple amour de jeunesse.

« Mais c’est ainsi, soupira-t-il. Ne rends pas jaloux ceux qui ont un pouvoir sur toi ni ne convoite ce qui les priverait d’une quelconque gloire. Se comporter de la sorte attire la malveillance et le désastre.

— Tu me rappelles mon père, commenta Winters. Quand j’étais gamin, à Trinity Valley, il m’a dit un jour : «Fiston, ne lève jamais la tête quand il ne faut pas, surtout si tu ne veux pas te faire tirer dessus.» Et autre chose qu’il disait : «Si tu ne veux pas être souffre-douleur, apprends d’abord à tirer.» Melos, j’ai l’impression qu’on a un peu négligé ton éducation.

— Tu te moques, Winters, tu te moques alors que je meurs de faim et de soif. »

Melos pencha la tête, sans force, conscient de son propre malheur. Une brise vint souffler sur Blithe et fit onduler sa surface cristalline, ce qui lui rappela qu’il y avait de l’eau tout autour de lui. De la même façon, Tantale baissa ses branches jusqu’à ce que pommes et prunes dansent contre sa joue.

« Non, fit Melos. On m’a trompé si souvent et pendant si longtemps que je n’essaie même plus. »

Winters, sentant le danger, fit soudain un pas en arrière. Au même instant, quelque chose le frappa brusquement, lui entaillant le menton.

La colère lui rappela qu’il avait son quarante-cinq sur lui. Il referma la main sur sa crosse.

« Je ne sais pas ce qu’une dose de plomb pourrait bien te faire, annonça-t-il froidement, mais si tu me refais un coup comme ça, Tantale, je ne tarderai pas à le savoir. »

Melos leva les yeux alors que les branches furent prises de tremblements. Il regarda Winters.

« Il te craint, Winters, tout comme il craint les éclairs de Zeus. Je préfère t’avertir : ne t’approche pas plus près de lui. Craindre, c’est haïr, et haïr, c’est tuer, quand cela se peut.

— Ne t’inquiète pas, je le vois venir », répliqua Winters.

Il se souvint alors qu’il s’était approché aussi près pour une raison, à savoir, apprendre pourquoi Ina, Leta et Electa n’arrivaient jamais à apporter de l’eau à Melos. Winters jeta un œil de leur côté et les vit en train d’attendre impatiemment.

« Pouvons-nous avancer ? demanda Leta.

— Ça ne servirait à rien, répondit Winters. Attendez un peu. »

Il se tourna de nouveau vers Melos et fit un geste de la tête.

« Au fait, c’est qui, ces filles, Melos ?

— Ah, Winters, elles aussi subissent un châtiment. Clymente, sans avoir commis de plus grande faute que celle de m’aimer, a été changée en biche blanche par Zeus. Elle sera poursuivie par des chasseurs et leurs chiens, de par les collines et les vallées, jusqu’à ce que je sois libéré, ce qui pourrait ne jamais arriver. Ces trois jeunes filles, Ina, Leta et Electa, parce qu’elles nous ont aidés à nous cacher de Zeus durant toute une saison, sont condamnés par leur pitié et leur compassion à m’apporter de l’eau dans leurs coupes, faisant d’incessants efforts pour soulager ma soif. Zeus, mon cher Winters, a autant de ressource qu’il est mesquin. »


Une fois de plus, Winters fut pris par surprise. Il reçut un coup dans les jambes d’une telle force qu’il se cogna la tête par terre.

« Là, ça commence à bien faire », éructa-t-il en se relevant et en réajustant son chapeau.

Tout en parlant avec Melos, Winters avait prudemment jeté quelques regards vers Tantale. Il avait alors découvert ce qui apparaissait comme un point central, où se trouvait une sorte d’œil entouré d’écorce, sous une région aux pulsations lentes. D’un mouvement comparable en vitesse aux coups de fouet de Tantale, il dégaina et fit feu.

Ina et ses compagnes poussèrent des cris.

Melos, terrorisé, se jeta à terre.

Ce que fit Tantale fut effectivement terrifiant. Au premier tir de Winters, cet étrange œil enveloppé d’écorce disparut. La deuxième fois, Winters tira sur la région aux pulsations, et du sang en sortit à gros bouillons. Tantale frémit. Ses branches, elles, s’agitaient comme s’il était pris dans une tornade. Ses racines se levèrent en poussant comme un hurlement et se tordirent comme des serpents à l’agonie. Ce terrifiant accès de violence gagna en intensité jusqu’à ce que Tantale soit complètement déraciné. Alors, sans attaches, il tomba par terre. Ses feuilles dépérirent, ses branches s’affaissèrent ; Tantale, dans toute sa masse, gisait sans vie.

Winters rechargea son six coups.

« Debout, Melos. »

Tremblant de stupéfaction, Melos obéit.

« Oui, ô puissant Winters.

— Écarte les pieds », aboya ce dernier.

Melos s’exécuta et Winters visa précautionneusement. Les chaînes que Melos traînait aux chevilles étaient passées à un anneau scellé dans la pierre. C’était cet anneau que Winters prenait en joue. Il appuya sur la détente : l’anneau et les chaînes volèrent en éclats comme du verre.

Durant de longues secondes, Melos était incapable de comprendre qu’on l’avait libéré de ses entraves. Il regardait ses pieds détachés, hébété, silencieux. Il leva un pied bien haut, les yeux rivés dessus, le rabaissa puis fit de même avec l’autre. Lentement, il finit par se rendre compte qu’il était libre.

De son rocher à la rive, il n’y avait qu’un pas. Il le franchit d’un grand bond euphorique.

« Melos ! » s’écria Ina.

Elle courut vers lui, renversant son eau en chemin. Ses compagnes la suivirent. L’une après l’autre, elles portèrent leurs coupes aux lèvres de Melos. Celui-ci les vida, puis les porteuses d’eau se dépêchèrent d’aller en rechercher.

Pendant leur absence, Melos tomba à genoux et inclina la tête devant Winters.

« Ô puissant Winters, je me prosterne non de peur, mais de gratitude. Puisses-tu vivre une longue vie en paix.

— Arrête un peu, Melos, fit Winters. Je ne pense pas avoir fait quoi que ce soit d’exceptionnel. Alors, il n’y a pas de quoi. »

Melos se releva. Il allait dire quelque chose, mais tressaillit.

Blithe laissait un trou béant, son eau cristalline s’écoulant bruyamment dans une caverne obscure.

« Hélas, Winters, ce que tu as accompli est tout à fait exceptionnel, gémit Melos. Tu m’as libéré d’entraves attachées par Zeus en personne. Cela, aux yeux d’un Olympien, ne se pardonne pas. Tu dois fuir si tu tiens à la vie. J’ai peur que Blithe ne revienne, non sous forme de source, mais sous un aspect incroyablement terrifiant. Fuis, je t’en supplie.

— Tu as peut-être raison. Mais regarde par là-bas, Melos. »


Melos se tourna rapidement et poussa un cri de joie. À faible distance se trouvait une biche blanche d’une grâce telle que Winters n’en avait jamais vue auparavant. Melos s’élança d’un bond et ils se retrouvèrent tous les deux dans une effusion d’amour suivie d’une fantastique transformation. Ce n’était plus une biche que Melos enlaçait, mais une jeune femme d’une grande beauté.

Ina et ses compagnes étaient revenues, leurs coupes pleines dans les mains.

« Clymente, souffla Ina.

— Alors à présent, dit Leta, il ne souffrira plus de la soif. »

Electa déversa lentement l’eau de sa coupe par terre.

« Nous aussi, nous sommes libres. Mais il nous faut quitter ces lieux au plus vite ; le redoutable Zeus va se mettre dans une telle colère qu’il changera Sheron en boue pestilentielle et Blithe en fontaine d’eau bouillante. Tout ce vaste pré deviendra un endroit défendu comme il n’en existe nulle part ailleurs en Hadès.

— Et autre chose, ajouta Winters, vous feriez bien de partir de ces montagnes aussi, elles sont pleines de croquemitaines.

— De croquemitaines ? fit Leta.

— C’est bien ça.

— Je ne comprends pas. »

Winters se tourna vers Cannon Ball et se mit en selle.

« Si tu ne sais pas ce que c’est qu’un croquemitaine, je serais bien en mal de te l’expliquer.

— Attends, appela Electa. Tu ne peux t’en aller en nous croyant ingrates. Tiens. Cette coupe, c’est tout ce que je possède ; je te la donne en souvenir. Elle est faite d’améthyste. Bois ton vin dans cette coupe et, sans que tu perdes la vue ni la raison, ton vin aura le goût d’un nectar élyséen.

— Non, mais écoute, protesta Winters, tu ne me dois rien. Si j’ai pu vous aider, eh bien j’en suis bien content et c’est tout.

— Ne refuse pas cette dernière requête, implora Electa.

— Bon, si tu en fais une affaire de principe, d’accord », répondit Winters.

Il accepta le présent d’Electa et lui fit de la place dans une fonte.

« Un instant encore, s’écria Leta. Ma coupe aussi est tienne. Elle est en argent ; tant que tu la garderas, tu recevras de précieux cadeaux.

— J’arrête de rouspéter », fit Winters.

Il prit le cadeau de Leta.

« La mienne également, ajouta Ina dont les yeux émeraude pétillaient. Elle est en or. Muni de cette coupe, tu seras toujours généreux. Tu ne seras jamais dans le besoin, car avec chaque cadeau que tu offriras seront plantées des semences d’amour, et en retour tu seras maintes fois béni.

— Merci à vous toutes. »

Winters rangea leurs présents et saisit les rênes de Cannon Ball. Il éprouvait maintenant une forte envie de rester. Il posa les yeux sur Ina, Leta et Electa. Il se disait qu’un homme se sentirait presque au paradis si toutes les femmes étaient aussi belles qu’elles.

Comme si elles avaient lu ses pensées, elles sourirent en opinant de la tête.

« Adieu », dirent-elles.

D’un pan de montagne au loin, une voix les appelait urgemment. Ils virent Melos et Climente leur faire signe de venir. En un instant, Winters se retrouva tout seul.

Il ignorait où il se trouvait, mais Cannon Ball le savait sûrement. Un cheval possédait un meilleur instinct qu’un homme en la matière. Winters le fit avancer du genou.

« Hue, mon cheval, à la maison. »

Ce qui débuta par une chevauchée tranquille changea bien vite. Winters entendit derrière lui un gargouillis inhumain. En tournant la tête, il aperçut une énorme mare de boue. De grosses bulles accompagnées de vapeur jaune s’en dégageaient. Puis, là où Blithe coulait auparavant, on entendit un grondement de tonnerre, suivi d’un jet d’eau et de vapeur qui monta à des centaines de mètres avant de se diffuser en un nuage blanc frémissant.

« Allez, Cannon Ball, on décampe ! » hurla Winters.


À Forlorn Gap, les lampes du soir avaient brillé un bon moment avant de s’obscurcir. Les clients de Doc Bogannon s’en étaient retournés chez eux. Bogannon allait éteindre la lumière de son bar lorsque les portes à battants s’ouvrirent.

« Winters ! s’exclama-t-il d’un ton joyeusement surpris. Entre, Winters. »

Ses lourdes sacoches à la main, Winters entra à grands pas et prit place à une table.

« Du vin, Doc, et deux verres.

— Deux verres, très bien, Winters », répondit Bogie.

Il vint s’installer en face de Winters et remplit les verres en dévisageant son invité.

«Pardonne-moi, Winters, mais tu as l’air d’avoir vécu quelque chose de particulier. Ce sang sur ton visage… Tu as pris une balle ? »

Winters se toucha d’abord le menton et découvrit qu’il avait du sang séché sur la joue gauche et sur le cou.

« Non, Doc, je n’ai pas pris de balle. J’ai la tête un peu embrouillée, mais je crois que je me suis pris comme un coup de fouet.

— Comme un coup de fouet ? »

Bogannon sirota son vin puis demanda, anormalement inquiet : « Winters, pour une fois, ça m’intéresse plus que d’habitude : tu as eu le dessus sur Adfield et Hargis ?

— On peut dire ça comme ça, Doc. Ce qui s’est vraiment passé, c’est qu’ils avaient le dessus sur moi ; mais ils sont tous les deux morts, si c’est ce que tu voulais savoir. »

Bogie sortit son portefeuille de son manteau et en prit une liasse. Il compta jusqu’à cent dollars.

« En gage de ma gratitude, Winters, fit-il en poussant les billets vers Winters. Ces deux gentilshommes m’ont dérobé deux-cents dollars quand ils sont passés me voir de bon matin. »

Winters repoussa les billets vers Bogannon. Il ouvrit une sacoche, en sortit un sac de pièces et le tendit à Bogie.

« Tes deux-cents dollars, Doc. Ces deux clowns n’avaient nulle part où les dépenser. »

Il chercha de nouveau dans sa fonte et cette fois en sortit un six coups flambant neuf, à la poignée en bois de cerf incrustée d’or.

« Hargis te fait parvenir ça, Doc. Pour t’exprimer ses regrets. »

Bogannon écarquilla les yeux. Il prit son cadeau et l’admira avec le respect d’un amateur pour un véritable artisan.

« D’habitude, je n’aime pas les pistolets, Winters, mais celui-ci, il m’a tapé dans l’œil. »

Winters se baissa une troisième fois. Cette fois-ci, il sursauta. Dans sa deuxième sacoche, il aperçut trois coupes : une d’argent, une d’or et une d’améthyste. Il les aligna devant les yeux médusés de Bogie.

« Qu’est-ce que tu en penses, Doc ? »

Bogannon était subjugué.

« Je n’en crois pas mes yeux. Où est-ce que Hargis et Adfield ont trouvé des objets aussi précieux que ces anciennes coupes de libation ? Winters, il n’y a que dans les temples de la Grèce olympienne qu’on en voyait de pareilles.

— Mauvaise déduction, Doc. Adfield et Hargis ne les ont jamais vues. C’est trois femmes qui me les ont données, trois beautés qui s’en servaient pour apporter de l’eau d’une source appelée Sheron. En gage de leur reconnaissance. »