Chapitre 19 : Secrets révélés
Harry accompagna James, Zane, et Ralph pour un petit déjeuner tardif servi par les elfes de maison dans la cuisine, sous la Grande Salle. James reconnut l’elfe qui s’occupait de l’énorme fourneau à soufflets : c’était le vieux grincheux qui, quelques semaines plus tôt, après l’apparition de Zane dans la lingerie, avait donné aux trois garçons une période de probation. L’elfe leur jeta un long coup d’œil suspicieux, mais sans faire de réflexion. Harry, James, Zane, et Ralph s’installèrent (avec difficulté) sur une toute petite table installée sous une encore plus petite fenêtre. Ils dévorèrent avec appétit des harengs, des œufs et des tartines, tout en buvant du thé noir pour Harry, du café pour l’Américain, et du jus de citrouille pour les deux autres. Ensuite, Harry suggéra aux trois garçons d’aller se nettoyer, et de se reposer un peu de leurs épreuves de la nuit. James, Ralph et Zane ne s’étaient pas changés depuis le match de Quidditch – et le désastre du balai de Corsica, la veille. Leurs vêtements avaient souffert de leur nuit dans la forêt. D’ailleurs, James se sentait épuisé. Il était certain de s’écrouler sur son lit en dix minutes, malgré la crise que traversait l’école.
Avant de remonter dans la salle commune de Gryffondor, James décida de faire un détour par l’infirmerie pour y récupérer son sac à dos. Philia Goyle et Murdock n’étaient plus de garde devant les portes, bien entendu, mais James fut surpris de voir Hagrid, assis sur l’un des bancs, dans le couloir. Le demi-géant était occupé à lire un magazine dont le titre annonçait : Bêtes et Bestioles. En entendant des pas, il leva les yeux, et referma son magazine.
— James, je suis content de te voir ! s’exclama-t-il d’une voix qu’il essayait d’étouffer. J’ai entendu dire que tu t’en étais sorti sain et sauf. Tu as déjà vu ton père, j’imagine ?
— Oui, je viens de le quitter, répondit James, tout en jetant un coup d’œil vers l’infirmerie. Mais Hagrid, que faites-vous là ?
— Ça me paraît évident, non ? Je monte la garde. Personne ne doit sortir sans la permission de la directrice. Le pauvre homme a besoin de repos pour récupérer après tout ce qu’il a traversé.
— Qui ? demanda James, soudain intéressé.
En approchant davantage des portes vitrées, il vit qu’un des lits était occupé, mais sans distinguer de qui il s’agissait.
— Le professeur Jackson, bien sûr, répondit Hagrid. (Il se leva et rejoignit James près des portes. Lui aussi, regarda par la fente de son gros œil noir et rond.) Tu n’es pas au courant ? Il est arrivé dans la cour, devant le château, il n’y a pas une demi-heure, et franchement, il faisait peur à voir. Les élèves qui l’ont vu se sont mis à hurler. Nous l’avons ramené ici en vitesse, et la directrice m’a demandé de monter la garde, pendant que Mrs Gaze le soignait.
— Il est blessé ? demanda James.
Il tourna la tête vers le demi-géant qui le surplombait. Hagrid recula d’un pas.
— C’est ce que nous avons cru, au début, répondit-il. Mais d’après Mrs Gaze, il n’a que quelques côtes cassées, une brûlure sur le bras, et une énorme bosse sur la tête. Bien sûr, il est aussi couvert de coupures et d’écorchures. D’après elle, le professeur Jackson s’est battu en duel – et longtemps ! Ça s’est passé cette nuit, dans la forêt. C’est tout ce que nous avons pu tirer de lui avant qu’il perde conscience.
— Un duel ? répéta James, en agitant les sourcils. Mais c’est impossible ! Delacroix a cassé sa baguette !
— Tu crois ? s’étonna Hagrid, plutôt incrédule. Pourquoi aurait-elle fait une chose pareille ?
— C’est contre elle que Jackson s’est battu, Hagrid, dit James, de plus en plus épuisé. Elle et lui… Écoutez, je vous raconterai tout plus tard. Mais j’ai vu la reine vaudou casser en deux la baguette du professeur Jackson. J’ai même marché dessus. Il a laissé les morceaux sur l’île en partant derrière elle dans la forêt.
— Ben dit donc… ! s’exclama Hagrid avant de retourner s’asseoir sur son banc, ce qui provoqua un long craquement douloureux du bois. Le professeur Jackson est américain, tu sais. Ces gens-là doivent bien avoir deux baguettes sur eux. A mon avis, c’est un truc qui leur reste du Far-West, ouais, ils avaient toujours deux colts à l’époque. Le professeur Jackson devait avoir une baguette de rechange dans sa botte ou dans sa manche. D’après ce que j’ai entendu dire, certains les dissimulent même dans des cannes, ou des objets inoffensifs. Je croyais que tout le monde le savait.
Une fois encore, James regarda à l’intérieur de l’infirmerie, mais il ne voyait rien de plus que la forme étendue sous les draps.
— Désolé, professeur, dit-il à voix basse. J’espère que vous lui avez fait payer tout ça.
— Qu’est-ce que tu racontes, James ? s’enquit Hagrid en levant les yeux sur lui.
— J’étais venu récupérer mon sac à dos, répondit James très vite. Je l’ai laissé la nuit dernière à l’infirmerie.
— Tu ne crois pas que tu pourrais revenir plus tard ? insista Hagrid, gêné. Tu sais, j’ai des ordres. Personne ne peut entrer ou sortir. La directrice pense que celui qui a attaqué le professeur Jackson peut revenir s’en prendre à lui. À mon avis, il est bien possible que ce soit ce vieux cinglé qui prétend être Merlin.
— Non, Hagrid, c’était Delacroix. Mais tant pis, je reviendrai plus tard. Bon courage pour votre garde.
Hagrid hocha la tête, et reprit son magazine qu’il ouvrit et posa sur ses genoux. James tourna les talons, et s’éloigna.
La salle commune de Gryffondor était déserte. Dans la cheminée, tout le bois s’était consumé, mais il restait des braises encore chaudes. C’était inutile d’ailleurs, la température de la pièce était agréable. En montant les escaliers vers le dortoir, James sentit un courant d’air frais. Quelqu’un, de toute évidence, avait laissé une fenêtre ouverte à l’étage. Il se demandait encore s’il allait ou non la refermer, quand il arriva sur le palier, et vit Merlin confortablement installé sur son lit.
— Voilà enfin mon petit conseiller, dit Merlin en levant les yeux.
James remarqua que l’enchanteur lisait son cahier de Technomancie. Il tourna la tête vers la fenêtre ouverte, prêt de son lit, puis à nouveau, regarda Merlin.
— Vous… commença-t-il, tandis que son cerveau s’emballait. Vous avez… (Du doigt, il désigna la fenêtre, le visage perplexe.)
— Si j’ai volé par là ? précisa Merlin, en déposant le cahier sur la table de chevet avec une délicatesse extrême. Tu penses que mes amis oiseaux m’ont aidé à me faire pousser des ailes ? Est-ce réellement ce que tu crois, James Potter ?
James referma la bouche en réalisant qu’il s’agissait d’une sorte de test. Il repoussa fermement sa première idée, et réfléchit en regardant autour de lui.
— Non, répondit-il. En fait, vous avez dû ouvrir la fenêtre parce que vous aimez l’air frais.
— Effectivement, j’aime ses parfums, surtout à cette époque de l’année, répondit le grand sorcier, en tournant la tête vers la fenêtre ouverte. L’air porte l’essence même de la nature, de la vie qui jaillit de la terre, et remplit l’univers jusqu’aux cieux. Même les personnes dénuées de magie le ressentent. Au printemps, prétendent-ils, il y a de l’amour dans l’air. C’est une formule assez proche de la vérité, mais il ne s’agit pas de l’amour d’un homme pour une femme. C’est l’amour des racines pour le terreau, des feuilles pour le soleil, et des ailes pour le vent.
— Mais vous vouliez aussi me suggérer l’idée que vous étiez arrivé dans ma chambre par la fenêtre, non ? ajouta James, avec une audace soudaine.
Merlin eut un léger sourire, et étudia James un moment.
— A 90 %, la magie existe dans l’esprit de ceux qui la voient, James Potter. Le plus grand truc d’un enchanteur est de comprendre ce que son audience attend ou espère, et ensuite, de s’assurer qu’elle l’obtienne.
James s’approcha d’un autre lit, sur lequel il s’assit.
— Et vous êtes venus pour me l’expliquer ? dit-il. Ou parce que vous avez reçu mon message ?
— Depuis ce matin, depuis notre dernière rencontre, j’ai appris beaucoup de choses, répondit le sorcier. Je me suis déplacé de ci de la, à la récolte d’informations. J’ai parlé avec d’anciens amis, et renoué mes liens avec la terre, la flore et la faune. J’ai respiré l’air et le vent. Dans la forêt, j’ai rencontré de très étranges créatures – de nouveaux habitants de ces temps – qui m’ont expliqué comment fonctionnait actuellement le monde. J’ai étudié aussi les humains, toi-même et les autres.
Tout à coup, James eut un long sourire, en réalisant quelque chose.
— Vous n’êtes jamais parti ! Vous avez disparu au sommet de la tour pour nous laisser croire que vous vous étiez envolé avec les oiseaux, mais vous n’êtes pas parti. Vous êtes juste devenus invisible.
— Tu sais, James Potter, tu as un talent plutôt rare pour regarder la vérité qui se cache derrière l’illusion, de l’autre côté du miroir, répondit Merlin, la voix basse, le visage impassible. Mais je dois admettre avoir effectivement écouté ce qu’ont dit de moi, après mon départ, les professeurs Franklyn et Londubat, la Pendragon, et aussi ton père, bien entendu. J’ai été à la fois amusé et en colère qu’ils s’imaginent tous si bien me connaître. Et pourtant, je ne suis pas l’esclave de mon arrogance. Aussi, je me suis interrogé, pour savoir si ce qu’ils prétendaient était exact. Ensuite, j’ai quitté le château, et parcouru mes anciennes terres. Je suis allé très loin, mais la distance pour moi est sans importance. J’ai scruté les profondeurs de mon âme – comme Franklyn prétendait que je le devrais. Et j’ai trouvé qu’il y avait dans leurs paroles un atome de vérité. Mais seulement un atome…
Quand Merlin s’arrêta un très long moment, James décida de ne rien dire. Il se contenta donc, en silence, d’étudier le sorcier. Le visage de Merlin était immobile, comme figé, mais ses yeux avaient un regard lointain. Après plusieurs minutes, Merlin reprit la parole :
— Ceci n’aurait pas suffi à me ramener dans ce monde déchu où les paroles ont un double sens, où les loyautés sont ambiguës, où les batailles ne sont pas définies. J’étais déjà très loin, à explorer de nouveaux territoires, à rechercher des terres vierges que le vent m’indiquait, que la pluie m’expliquait, quand il y a eu soudain une nouvelle note dans la chanson des arbres. Ils m’ont envoyé ton message, James Potter.
Ce qui surprit le plus James fut de voir le visage imposant du sorcier exprimer enfin une émotion. Merlin le regardait, bouleversé, les yeux humides. Et James se sentit coupable jusqu’au fond de l’âme d’avoir provoqué chez cet homme gigantesque une telle angoisse. Il regretta tout à coup ses mots trop impulsifs qui semblaient avoir, de façon choquante, blessé ce cœur bien protégé. Mais presque instantanément, ce sentiment disparut comme s’il n’avait jamais existé, et le visage dur se recomposa. Il ne s’agissait pas d’un masque que remettait le sorcier, comprit James. Il venait simplement d’assister à la façon dont Merlin – un grand sorcier venant du fond des âges, d’une époque qui était pour James incompréhensible – gérait ses émotions. Son cœur était sans doute si près de la surface que ce qu’il ressentait apparaissait sur son visage, très rapidement, comme un nuage obscurcissant un moment le soleil.
Le sorcier se redressa lentement, jusqu’à ce que sa silhouette imposante semble remplir toute la chambre.
— Donc, James Potter, dit-il ensuite, je suis revenu. Je me mets à ton service. Tu as raison, mon âme en a besoin. J’ai beaucoup appris de ce monde, aujourd’hui, durant ces quelques heures. J’ai peu d’admiration pour lui, mais il existe bel et bien un risque terrible, sous un masque de duplicité. À mon avis, combattre le mal est moins important qu’arracher cette fausse façade de respectabilité que portent certains sorciers.
James eut un grand sourire. Il bondit hors du lit, sans savoir s’il devait serrer la main de Merlin, se jeter dans ses bras, ou simplement le saluer. Il se contenta donc de lever un poing dressé vers le ciel, en criant : « Yeees ! » Puis il se reprit, et bafouilla :
— Euh… Merci Merlin. Je veux dire Merlinus. Euh… Mr Ambrosius.
Cette fois, le sorcier eut un léger sourire, et une étincelle amusée naquit dans le bleu glacier de ses yeux.
— Alors, continua James, qu’allons-nous faire ? Vous savez, il ne reste que quelques heures avant que l’équipe de Prescott n’arrive à l’école, pour tout filmer. Oh, j’imagine qu’il faut que je vous explique tout ça. Zut, ça va prendre un bail.
— James Potter, je suis Merlin, répondit le sorcier avec un soupir. J’ai déjà appris ce qu’il me faut savoir de ce monde, et de son fonctionnement. À mon avis, tu serais très surpris de savoir tout ce que les arbres connaissent de votre culture. Mais tu n’as plus à t’inquiéter du problème de Mr Prescott. J’aurais simplement besoin de quelques alliés pour nous aider.
— Très bien, dit James, en se laissant retomber sur le lit. Quelle sorte d’alliés voulez-vous ?
Les yeux de Merlin s’étrécirent.
— Je veux des gens rapides d’esprit, à la fois intelligents et imaginatifs ; qui n’ont pas peur d’affronter les conventions pour atteindre leur but ; qui ont des allégeances dépassant les apparences. Il est inutile que ce soient des guerriers. En réalité, James Potter, ce que je veux aujourd’hui, ce sont des vauriens honorables.
James hocha la tête, avec un grand sourire.
— Des vauriens honorables ? Génial. J’ai exactement le groupe qu’il vous faut.
— Alors allons-y, mon jeune conseiller, dit Merlin, dont le sourire devint tout à coup plutôt terrifiant. Je te suis.
Peu après, James conduisit le grand sorcier à travers le portrait de la Grosse Dame, dans le couloir. Il ne put s’empêcher de demander :
— Pensez-vous que nous allons gagner ?
— Mr Potter, répondit Merlin d’un air hautain, (il s’arrêta, les poings sur les hanches,) vous avez gagné à la minute précise où j’ai décidé de prendre l’affaire en main.
— Ah, s’enquit James d’un ton un peu incertain. N’est-ce pas une nouvelle preuve de la fameuse arrogance du Grand Merlin ?
— Je vous rappelle, répondit Merlin, avant de se remettre en route, suivant James de sa longue foulée souple, que 90 % de la magie est dans la tête de celui qui la perçoit. Les 10 % restants, Mr Potter, sont purement et simplement de la foutaise. Ne l’oubliez pas, et vous vous en sortirez très bien.
Après une matinée lumineuse et quelque peu brumeuse, la journée devint de plus en plus chaude, étonnamment en réalité pour la saison. La directrice McGonagall avait insisté pour que toutes les classes continuent normalement, même durant le tour de Martin J. Prescott et de son équipe. En dépit de ces ordres formels, de très nombreux élèves s’étaient agglutinés dans la cour, pour assister à l’arrivée des journalistes moldus. Dans les premiers rangs, James et Harry se tenaient côte à côte. Au sommet des marches, la directrice McGonagall attendait à l’heure dite, flanquée de Miss Saccarine et Mr Mecreant. Quelques marches plus bas, Martin Prescott ne cessait de regarder sa montre.
— Êtes-vous bien certaine que leurs voitures passeront par le chemin que vous nous avez indiqué, Miss Saccarine ? dit-il, en levant la tête vers la sorcière, tout en plissant les yeux sous la forte luminosité du soleil. Vous savez, nos voitures ont des roues. Des roues. Il ne s’agit pas de tapis volants magiques, ou de traineaux tirés par des trolls.
Avant que Saccarine n’ait pu répondre, un bruit de moteur se fit entendre, pas très loin. Prescott sursauta, et se tourna vivement vers l’origine du bruit, la tête tendue en avant. Il tenait manifestement à être le premier à percevoir son équipe. James regarda la directrice, et lui trouva une posture et un visage impassibles, ce qui était remarquable compte tenu de la situation. Elle serra seulement les lèvres lorsque deux gros 4x4 arrivèrent bruyamment et s’arrêtèrent dans la cour. James les reconnut pour être des véhicules tout terrain, ceux que Zane appelait des Land Rover. Le premier avança carrément jusqu’au bas des marches du château. Les quatre portes s’ouvrirent en même temps, et des hommes en descendirent, clignant des yeux devant la vive lumière. Ils portaient tous de lourds sacs de cuir, avec de nombreuses poches. Prescott se précipita à leur rencontre, les saluant chacun par leur nom. Il se mit ensuite à hurler, en pointant du doigt dans toutes les directions.
— Je veux des spots et un éclairage particulier à gauche des marches, dirigés vers les portes. C’est là que je ferai mes derniers commentaires après l’émission, et tiendrai mes interviews. Eddie, tu as les sièges ? Non ? Tant pis, on restera debout. D’ailleurs, s’asseoir et bien trop banal, trop… habituel. Je veux que toute l’émission soit en live. Vince, tu as quoi comme caméra ? Je veux des films en 25 mm tout du long. Et n’oublie pas, je veux deux caméras, par sécurité. Nous vérifierons ici même nos films, et je veux que ça fasse vécu, sur le vif, tout ça quoi ! Une double prise, c’est bien compris ? Parfait. Où en est Greta avec le maquillage ?
Les autres journalistes s’activaient déjà sous les ordres de Prescott, ignorant complètement les élèves assemblés aussi bien que la directrice et les officiels du ministère plantés sur les marches. Tout autour des deux voitures, les Moldus installaient déjà des caméras, tiraient des fils électriques et des lampes, branchaient des microphones sur de longs bâtons métalliques, ou bien ils criaient à tour de rôle: « Test », et « Check » dans de petits micros qu’ils accrochèrent ensuite au rebord de la veste de Prescott. James remarqua, parmi les nouveaux venus, un individu qui ne se préoccupait pas des préparatifs techniques. D’ailleurs, il était mieux vêtu que les autres, et semblait curieux du château et de ses environs. C’était un homme agréable, d’un certain âge, au crâne chauve, qui portait un costume d’un gris pâle. Il se dirigea vers les escaliers, vers la directrice.
— Voici bien de l’agitation, n’est-ce pas, madame ? dit-il, en désignant de la main les deux voitures et les journalistes. (Puis il se tourna et s’inclina respectueusement devant Mrs McGonagall.) Je suis Randolph Finney, inspecteur, de la Police Spéciale Britannique. Pas encore à la retraite, mais ça ne devrait tarder. Je pense que Mr Prescott vous a parlé de moi ? J’ignore pourquoi il tenait tellement à ma présence pour cette émission. Si vous voulez mon avis, j’imagine qu’il espérait trouver quelque chose de plus… inhabituel, si vous voyez ce que je veux dire. Vous dirigez une école, à ce que j’ai cru comprendre ?
— Effectivement, Mr Finney, intervint Saccarine, la main tendue. Je suis Brenda Saccarine, directrice du Département des Relations Internationales du Ministère de la Magie. J’imagine que la journée d’aujourd’hui sera pour vous une véritable révélation.
— Le… ministère de la magie ? Comme c’est intéressant, dit Finney, en serrant la main de Saccarine d’un air plutôt distant. (Son regard restait braqué sur la directrice.) Et qui êtes-vous, madame ?
— Voici… commença Saccarine.
Elle ne put continuer. McGonagall avait l’habitude d’interrompre les importuns, de surmonter le bruit et le tumulte. Elle n’eut aucun mal à élever la voix pour noyer celle de Saccarine.
— Minerva McGonagall, Mr Finney, dit-elle. Enchantée de vous rencontrer. Je suis la directrice de cette école.
— Je suis charmé, madame, positivement charmé, s’exclama Finney. (Il s’inclina avec révérence sur la main de la directrice.) Mrs McGonagall, c’est un véritable plaisir de vous connaître. Vous savez, moi aussi je suis d’origine écossaise.
— Je vous en prie, appelez-moi Minerva, dit McGonagall.
Sidéré, James remarqua qu’elle avait rougi.
— J’en serais ravi, et appelez-moi Randolph. J’insiste vraiment. Entre compatriotes, n’est-ce pas ? (Avec un grand sourire, Finney regarda quelques secondes de plus la directrice, puis il s’éclaircit la voix et ajusta ses lunettes. Ensuite, il se retourna, et examina une fois de plus le château et les jardins alentour.) J’ignorais complètement qu’il y avait une école dans les environs, pour vous dire la vérité. Surtout, aussi magnifique que celle-ci. Je me demande pourquoi vous n’êtes pas enregistrés au patrimoine historique, Minerva, je vous assure que vous le mériteriez. Comment s’appelle cet endroit ?
Une fois de plus, Saccarine voulu répondre, mais quand elle ouvrit la bouche, rien n’en sortit. Elle gargouilla, toussota, puis posa une main délicate sur ses lèvres, avec une expression d’intense perplexité sur le visage.
— Poudlard, Randolph, répondit McGonagall, avec un léger sourire. L’école de magie Poudlard, destinée aux sorciers et sorcières.
— Vraiment ? répliqua Finney, en la regardant. Quelle délicieuse imagination !
— Oui, c’est ce que nous pensons aussi.
— Inspecteur Finney ! cria tout à coup Prescott
Il remonta les marches, le visage couvert d’un épais maquillage bras, et du papier toilette tout autour du cou.
— Je vois que vous avez déjà rencontré la directrice de l’école, continua-t-il. Miss Saccarine et Mr Mecreant vont nous accompagner durant notre visite. C’est la raison de leur présence ici, bien entendu. La directrice n’est là que pour donner… euh – la couleur locale.
— Ce qu’elle réussit parfaitement, dans cette tenue, dit Finney, regardant une nouvelle fois Mrs McGonagall avec un grand sourire.
James remarqua que la directrice portait une écharpe en tartan écossais – et aussi qu’elle faisait un effort (héroïque) pour ne pas lever les yeux au ciel.
— Auriez-vous aussi fait connaissance avec Miss Saccarine et Mr Mecreant ? insista Prescott, en avançant, pour se placer entre l’inspecteur et la directrice. Miss Saccarine, peut-être pourriez-vous indiquer à Mr Finney votre position exacte ?
Avec un sourire mielleux, Miss Saccarine glissa son bras sous celui de Mr Finney, dans l’intention manifeste de l’écarter de Mrs McGonagall. Elle essaya de parler, ne produisit aucun son, referma la bouche, et essaya de cacher sa stupéfaction. L’inspecteur Finney la regarda, d’un air perplexe.
— Vous vous sentez bien, Miss ?
— Miss Saccarine souffre simplement du climat, inspecteur Finney, intervint Mr Mecreant. (Il affichait un sourire forcé, qui n’avait pas du tout le même impact que celui dont Miss Saccarine s’était fait une spécialité.) Laissez-moi vous guider. Cette école pratique la magie, comme la directrice l’a mentionné. En fait, c’est bien une école destinée aux sorciers et aux sorcières. Nous…
La suite du discours de Mecreant sembla s’étouffer dans sa gorge. Il resta la bouche ouverte, au bord de l’asphyxie, fixant Finney comme un poisson hors de l’eau. Après un long moment, plutôt gênant, il referma la bouche. À nouveau, il chercha à sourire, exhibant de larges dents jaunes et mal rangées.
L’inspecteur fronçait toujours les sourcils. Il se dégagea du bras de Saccarine, et la regarda, ainsi que Mecreant, le front plissé de contrariété.
— Oui ? Que voulez-vous dire ? Seriez-vous malade vous aussi ?
Prescott était tellement excité qu’il sautait pratiquement d’un pied sur l’autre.
— C’est sans importance ! Commençons la visite sans attendre. D’ailleurs, je connais déjà le chemin. Nous pourrons filmer des que… dès que…
Il réalisa tout à coup avoir encore des serviettes sous le col de sa chemise. Il les arracha, et les enfouit d’un geste nerveux dans la poche de son pantalon.
— Miss Saccarine, reprit-il, vous m’aviez annoncé la présence d’une tierce personne. Un expert, disiez-vous, qui pourrait expliquer les choses aux non-initiés. Le moment me semble parfait pour introduire cette personne.
Saccarine pencha la tête, les yeux écarquillés, la bouche ouverte. Après un silence tendu, la directrice s’éclaircit la voix, et agita la main vers la cour, devant le château.
— Voici, je présume, celui que vous attendiez, Mr Prescott. Il est bien connu que ce pauvre Mr Hubert est toujours dans la lune. Un de ces jours, le cher homme oubliera sa tête, je le crains. Mais c’est un génie dans sa partie, ne pensez-vous pas, Brenda ?
La bouche toujours ouverte, Saccarine se tourna pour suivre la direction indiquée par la main tendue de McGonagall. Un autre véhicule approchait de la cour. Il était très ancien, et son moteur crachotait en laissant derrière lui un nuage de gaz d’échappement. Finney fronça légèrement les sourcils quand le véhicule avança dans la cour. Saccarine et Mecreant ouvraient de grands yeux affolés, et plissaient le nez d’un air dégoûté. La foule des élèves s’écarta pour laisser passer la voiture, qui, après un dernier rebond, s’arrêta en face de la première Land-Rover. Le moteur toussa bruyamment, puis s’éteignit sur un hoquet.
— C’est une Ford Anglia, non ? dit Finney. Il y a des années, sinon des décennies, que je n’en avais pas revue une. Je suis vraiment étonné qu’elle puisse encore rouler.
— Oh, notre Mr Hubert possède un don rare avec les moteurs, Randolph, dit McGonagall d’une voix ferme. En fait, c’est presque de la magie.
La portière, côté conducteur, grinça et s’ouvrit, tandis qu’une immense silhouette en émergeait. L’homme était si lourd que les amortisseurs de la voiture grincèrent quand il quitta son siège. Une fois dehors, il plissa les paupières sous la vive luminosité, et tourna la tête vers les marches, avec un sourire quelque peu vacant. Il avait de longs cheveux d’un blond argenté, une barbe similaire, et portait, de façon incongrue, d’énormes lunettes noires aux montures de corne. Les cheveux de l’homme étaient tirés en arrière, en une queue de cheval bien nette.
— Voici Mr Terrence Hubert, le présenta Mr McGonagall, le chancelier de l’école de magie Poudlard. Soyez le bienvenu, cher monsieur. Laissez-moi vous présenter nos invités.
Avec un sourire, Mr Hubert fit le tour de la Ford Anglia, et ouvrit la portière côté passager.
— J’espère que ça n’ennuiera personne, dit-il, en ajustant ses lunettes, mais j’ai emmené ma femme avec moi. Ma chère, venez dire bonjour à tout le monde.
James étouffa un cri en voyant Mme Delacroix émerger péniblement de la voiture. Elle eut un vague sourit, puis répondit : « Bonjou’ » d’une voix mécanique.
Hubert la regarda d’un air enamouré.
— Elle est adorable, non ? Très bien, par où commençons-nous la visite ?
Une fois de plus, Saccarine toussota, et ses yeux s’écarquillèrent de façon alarmante tandis qu’elle regardait Delacroix rejoindre Hubert au pied des marches. D’un coup de coude, Saccarine essaya de prévenir Mecreant, mais le sorcier était lui aussi incapable de s’exprimer.
— Chancelier ? dit Prescott, ses yeux soupçonneux passant de Hubert à McGonagall. Mais il n’y a jamais eu de chancelier ! Depuis quand cet homme est-il chancelier ?
— Effectivement, monsieur, vous n’avez pu encore me rencontrer, dit Hubert. (Il monta les marches, suivi par Delacroix qui souriait d’un air hagard.) J’ai été absent ces dernières semaines. J’avais une conférence à donner à Montréal, et j’en ai profité pour explorer le Canada. Ils ont des fournitures tout à fait remarquables. Vous savez, nous n’utilisons ici que le matériel de magie le plus sophistiqué. Je préfère inspecter moi-même les usines avant de passer la moindre commande. Bien entendu, je n’en dirai pas plus pour ne pas gâcher votre surprise, hé hé hé.
Il se tourna vers Prescott, se tapotant le coin du nez de l’index, avec un air de conspirateur.
Le visage du journaliste se crispait de plus en plus. Il dévisagea Mr Hubert, puis Mme Delacroix. Finalement, il leva les mains, et ferma les yeux.
— Très bien, c’est sans importance ! Mr Hubert, si vous devez nous guider, allons-y.
Il jeta un coup d’œil derrière lui, et fit à son équipe un signe nerveux, pour que tous les suivent à travers les portes gigantesques qui menaient au château.
— Chancelier Hubert, pourriez-vous indiquer à nos téléspectateurs ce que vous faites ici, à l’école de magie Poudlard ?
— Bien entendu, répondit Hubert, qui s’arrêta au beau milieu de l’entrée. Nous apprenons la magie. Nous sommes, dans notre branche, la plus connue des écoles d’Europe. (Pour la première fois, le chancelier sembla réaliser la présence d’une caméra, et il eut un sourire niais, en agitant les doigts dans sa direction.) Nous recevons des élèves pensionnaires, et nous leurs apprenons les plus anciennes techniques de magie, divination, et illusion. Nous utilisons toutes les formes d’art, vous savez, la prestidigitation, les miroirs, les jeux de lumière, etc. etc.
Prescott regardait Hubert, les joues empourprées, le visage figé.
— Je vois. Vous admettez donc enseigner entre ces murs de la vraie magie.
— Mais bien entendu, jeune homme. Pourquoi le nier ?
— Confirmeriez-vous aussi, insista Prescott, d’une voix tonnante, qui y a ici-même, dans cette pièce, des peintures qui bougent.
Quand il indiqua, d’un geste grandiloquent du bras, les murs de l’entrée, le caméraman pivota et avança, aussi souplement et régulièrement que possible, vers les tableaux alignés près de la porte. Un microphone, porté par un opérateur radio, avança en même temps, pour s’assurer d’enregistrer la réponse de Hubert.
— Des peintures qui b-bougent ? répéta Hubert d’une voix absente. Oh. Oh… oui, bien sûr ! En quelque sorte, je pense qu’on peut les décrire comme ça. Vous savez, il y a certains tableaux qui sont peints de façon à ce que leurs yeux vous suivent toujours, quelle que soit votre position dans la pièce. (Hubert leva les mains, et manifestement, s’échauffa sur le sujet.) C’est incroyable, non ? On a vraiment l’impression que leurs regards pèsent sur vous, où que vous alliez !
Le caméraman baissa sa caméra, et se tourna vers Prescott, les sourcils froncés. Le visage du journaliste exprimait une colère impuissante.
— Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire ! cria-t-il d’une voix aigue. Je veux qu’ils bougent. Vous savez qu’ils le peuvent ! (Il pivota sur ses talons et s’en prit à McGonagall.) Hier, je vous ai entendue tenir une conversation dans votre bureau avec un portrait. Je vous ai vue ! Et le tableau parlait.
La directrice le regarda, avec une expression tellement stupéfaite qu’elle en devenait comique. James, qui se tenait près de la porte, avec de très nombreux autres élèves, eut du mal à retenir son rire.
— Je ne vois pas du tout ce que vous voulez dire, répondit McGonagall à Prescott.
L’inspecteur Finney avança d’un pas à comme pour protéger la directrice. Elle avait au moins une tête de plus que lui.
— Prescott, je vous prie d’utiliser un autre ton pour vous adresser à cette dame, dit-il sèchement. Faites votre si précieuse émission, mais n’en rajoutez pas. Vous devenez grotesque !
Durant quelques secondes, Prescott faillit exploser, puis il reprit contenance à grand peine.
— D’accord. Oublions les peintures. Que je suis bête ! (Il se retourna vers Hubert.) Je présume que certaines classes sont en cours à l’heure actuelle, chancelier ?
Hubert sursauta, comme arraché à ses pensées
— Hum ? Quelles classes ? Euh – en cours ? Eh bien, oui… j’imagine. Mais je ne pense pas qu’il soit possible de…
— Ah-ah ! Que se passe-t-il dans ces classes que vous aimeriez nous cacher ? coupa Prescott. Nos téléspectateurs ont le droit d’être au courant, de découvrir de ce qui se passe juste sous… euh – sous leur nez.
— Vos téléspectateurs ? répéta Hubert en se tournant vers la caméra. Oh, je vois, vous filmez en direct ?
Prescott grinça des dents, et sembla quelque peu défait.
— Non, Mr Hubert, nous ne sommes pas en direct. Personne ne vous a expliqué comment se déroulerait cette émission ? Quelle organisation, vraiment ! Nous allons filmer, trier, puis diffuser. Miss Saccarine, je croyais que nous avions un accord ?
Quand le journaliste se tourna vers Saccarine, elle sourit et écarta les bras. Elle essaya de parler, et mima quelques mots, puis agita la main devant sa gorge. Mecreant affichait toujours son sourire idiot, qu’il exagéra encore. Il avait le front trempé de sueur.
— Génial, marmonna Prescott. Je vois. On n’est pas aidé. Bon, continuons.
Il soupira, et jeta un regard noir à Hubert avant de dire :
— Mr Hubert, nos téléspectateurs tiennent à savoir ce qui se passe dans ces prétendues classes. Veuillez nous indiquer le chemin.
Hubert se tourna vers Delacroix.
— Que préférerez-vous, très chère, divination ou lévitation ?
— Les deux cou’s sont tout aussi ‘éussis, répondit Delacroix, avec une prononciation laborieuse.
De toute évidence, elle avait envie d’en dire davantage : ses mâchoires remuèrent, mais ses lèvres se refermèrent.
— Ma femme est étrangère, comme vous pouvez l’entendre, dit Hubert, comme en s’excusant. Elle fait de son mieux.
— Où sont les classes, s’il vous plaît, chancelier ? insista Prescott. Je vous rappelle la liberté de la presse ! Nous avons des droits !
— Bien sûr, bien sûr, je vous comprends, dit Hubert. (Il se retourna et avança au fond de la pièce, suivi par tous les journalistes.) En fait, un peu de publicité ne peut pas faire de mal. Bien sûr, nous sommes prestigieux, mais il est difficile, dans les temps actuels, de garder la tête hors de l’eau. La magie représente une véritable vocation, vous savez, et c’est plutôt exclusif comme spécialité. Seuls de rares individus ont la patience de s’y consacrer durant toute une carrière. Ah, nous y voici. La classe de Divination.
Tout excité, Prescott entra comme un prédateur dans la classe que venait d’ouvrir Hubert. Son équipe le suivit, et l’opérateur radio tendit immédiatement ses perches-micro. L’inspecteur Finney resta à l’arrière du groupe, aussi proche que possible de la directrice. Harry et James, au premier rang de la foule des curieux, se penchèrent à la porte pour mieux voir.
— Ici, nos élèves apprennent l’art ancien et toujours difficile de prédire le futur, dit Hubert d’un ton grandiloquent.
Un groupe d’environ douze élèves était réuni autour du professeur Trelawney. Devant eux, posés sur les bureaux, il y avait différents objets. Tout à coup, le professeur leva les bras au ciel, et les nombreux bracelets qu’elle portait au poignet se mirent à cliqueter.
— Regardez bien dans vos tasses, élèves ! s’écria-t-elle d’une voix stridente. Cherchez, au plus profond du cosmos, ce que vous représentent les courants de l’esprit qui parcourent l’infini. Vous y trouverez votre destin, et les chemins divers qui s’ouvrent dans votre avenir.
— Des feuilles de thé ! s’exclama Finney avec entrain. Ma mère aussi avait l’habitude de chercher à deviner l’avenir dans des feuilles de thé, pour amuser les touristes. De temps à autre, franchement, ça mettait du beurre dans les épinards. Je suis enchanté de voir que de nos traditions pittoresques sont ainsi maintenues.
— Des traditions ? s’écria Trelawney outrée. (Elle quitta son bureau, ses longues robes souples virevoltant autour d’elle.) Peuh ! Il s’agit de bien davantage, monsieur. Toutes les vérités de la nature existent dans les feuilles de thé, passé, présent et le futur. Tout est lié. Il faut simplement savoir ouvrir son troisième œil, pour bien déchiffrer les messages du cosmos.
— Oui, c’est exactement ce que disait ma mère, dit Finney avec un petit rire.
— C’est avec du thé que vous prévoyez le futur ? s’exclama Prescott, dégoûté, en examinant le fond d’une tasse que tenait l’un des élèves. C’est ridicule. Où sont vos boules de cristal ? Et la fumée, et les émanations spectrales ?
— Bien entendu, Mr Prescott, nous utilisons également ces autres vecteurs, admit Mr Hubert. Qu’en pensez-vous, ma chère ?
— Pas avant la deuxième année, en divination avancée, répondit Delacroix. Le laboratoi’e nous a coûté 200£ de maté’iel.
— C’est exact, les boules de cristal ne sont pas données de nos jours, s’excusa Hubert. Nous les commandons spécialement en Chine, où ils les font à la main. De plus, certains étudiants les emmènent à la fin de l’année quand ils rentrent chez eux. Pour réviser, en quelque sorte.
— Vous avez également parlé de lévitation, coupa Prescott en quittant la pièce.
Son équipe le suivit vivement, tirant derrière les équipements, fils électriques et appareils.
— Bien entendu, répondit Hubert, qui suivit Prescott dans le couloir, vers une autre classe. Vous savez, la lévitation est une étape importante de l’enseignement magique. Nous combinons ces cours avec des tours de prestidigitation basique. C’est juste là.
Quand la porte s’ouvrit, Zane était au centre de la pièce, une baguette magique à la main. Plusieurs élèves étaient assis, contre le mur, regardant avec admiration le buste de Godric Gryffondor flotter et osciller en l’air, suivant apparemment les indications données par la baguette de Zane. L’équipe de Prescott poussa un cri en surgissant dans la salle de classe. Immédiatement, le caméraman s’accroupit, et zooma pour bien saisir toute la scène.
— Ah-ah, cria Prescott, surexcité. De la vraie magie ! Vous voyez ? Et c’est un enfant qui s’en charge !
— Oui, bien entendu, c’est dans notre brochure, répondit fièrement Hubert. Nous sommes une école, je vous le rappelle. Mr Walker fait partie de nos meilleurs élèves. Mr Walker, en quelle année êtes-vous ?
— En première année, monsieur, répondit Zane, avec un grand sourire.
— Excellente prestation, mon garçon, le félicita Hubert. Pourriez-vous tenter une pirouette ?
Les élèves applaudirent poliment quand le buste se leva, et commença à tournoyer. Et tout à coup, il tomba, et atterrit sur le matelas placé au centre de la pièce.
— Dommage, Mr Walker, remarqua Hubert. Vous y étiez presque.
— Ce n’est pas de ma faute! protesta Zane. C’est mon auxiliaire qui s’est planté. Ted, andouille, tu t’es encore emmêlé les pinceaux ! Franchement, il faut que les mouvements des deux ficelles soient coordonnés, sinon, ça bascule, combien de fois devrais-je te le rappeler ?
— Hey ! s’exclama une voix.
Il y eut un grand bruit, puis Ted émergea d’un placard au fond de la pièce. Il tenait dans les mains plusieurs cordelettes de fil de pêche, pratiquement transparents, attachés à des poignées de bois. Les journalistes levèrent la tête, et remarquèrent alors les poulies qui couraient au plafond.
— Tu veux qu’on change de place ? continua Ted en s’adressant à Zane. Je ne vois rien, dans ce placard. C’est trop noir. D’ailleurs, tout est de la faute de Noah. C’est lui qui devait modifier l’angle de la poulie. Il est bien trop lent.
Les profondeurs du placard, une autre voix furieuse répondit :
— Quoi ? Franchement, j’en ai marre. La prochaine fois, je veux la baguette. Pourquoi est-ce toujours moi qui tire le rôle de l’assistant ? Je veux aussi un chapeau de magicien !
— Zane n’a pas de chapeau, Noah, dit Ted en éclatant de rire.
— Plus tard, j’aurais un chapeau, cria Noah en sortant du placard. Tous les vrais magiciens ont un chapeau. Au moins, ça indique un statut. Ceux qui n’ont pas de chapeau ne sont que des assistants.
— Voyons, voyons, les garçons, intervint Hubert, d’une voix apaisante. Chaque expérience de magie a besoin d’un exécutant et de deux assistants, et vous le savez très bien. De plus, nous n’avons qu’un seul chapeau par classe, et c’est Miss Morganstern qui s’en sert aujourd’hui pour en faire sortir un lapin. Mr Prescott, Mr Finney, aimeriez-vous assister à cette autre expérience ?
— Volontiers, s’exclama Finney avec entrain.
— Non ! Hurla Prescott en même temps, le teint quasiment apoplectique.
Tabitha Corsica apparut soudain devant la porte, après avoir traversé la foule des élèves agglutinés. Elle aussi avait le visage rouge de colère.
— Mr Prescott, commença-t-elle, vous…
Herbert se tourna lentement vers elle.
— Miss Corsica, ce n’est vraiment pas le bon moment pour réclamer un autographe.
— Je ne suis pas ici pour un autographe, chancelier… cracha Tabitha d’un ton menaçant.
Elle leva lentement le bras vers Hubert. Elle tenait dans la main… un petit carnet et un crayon. Elle s’interrompit à mi-phrase et regarda ces deux objets, l’air interloqué. Le carnet avait une couverture rose et un petite étiquette avec le mot : « autographes » » en lettres blanches.
— Miss Corsica, je vous assure que vous aurez tout le temps voulu, après l’émission, pour faire signer Mr Prescott. Il ne manquera pas d’apprécier votre juvénile… euh – enthousiasme.
— Chancelier Hubert, intervint Petra. (Sa tête émergeait de sous une table, à travers un chapeau ridiculement trop grand, posé sur un linge à paillettes.) Je crains que mon lapin n’ait un problème. Il me semble bizarre qu’il reste couché sur le dos, tout raide.
— Pas maintenant, Miss Morganstern, je suis occupé, dit Hubert. (Il agita négligemment la main.) Mr Prescott, aimeriez-vous assister à une expérience de personnes coupées en deux à la scie ? C’est un grand classique !
Mais Prescott avait disparu. Passant d’un pas furieux devant les élèves – dont Tabitha Corsica, soudain muette – le journaliste fonça dans le couloir. Son équipe courut derrière lui. Sans frapper, Prescott ouvrit plusieurs portes au hasard, et les referma aussitôt. Arrivé au bout du couloir, il poussa tout à coup un cri de triomphe, et agita la main, pour que son caméraman le rejoigne au plus vite dans la salle la plus éloignée.
— Voilà ! hurla Prescott, en gesticulant de façon démente.
Le reste de l’équipe se précipita dans la classe, et les élèves les suivirent, de plus en plus curieux. Certains commençaient à sourire.
— Un fantôme ! hurlait Prescott. Un professeur fantôme ! Attention, filmez-le bien ! Nous avons la preuve définitive qu’il existe une autre vie après la mort !
Mais aucun des membres de son équipe, cette fois, ne poussa le moindre cri d’admiration ou d’étonnement. Vince se contenta d’avancer jusqu’à l’apparition, l’œil collé à sa caméra.
— Ah oui, le professeur Binns ! s’écria Hubert qui les avait rejoints. Professeur, dites bonjour à nos invités.
Le professeur Binns cligna ses yeux de chouette, et regarda la foule agglutinée :
— Bonjour, dit-il, d’une petite voix flûtée.
— C’est juste un hologramme, annonça Vince, le caméraman.
— Vous savez, protesta Hubert, manifestement offensé, personne n’est censé s’approcher aussi près. Les élèves restent toujours assis à leur bureau. Et je trouve que ça crée une ambiance surnaturelle qui correspond bien au thème général de notre école.
Ralph faisait partie des élèves assis dans la classe, devant le professeur fantôme. Il se tourna vers le caméraman, et dit, légèrement ennuyé :
— Franchement, vous cassez l’ambiance. Je me demande à quoi ça sert. Qu’est-ce que vous faites ici ?
— Bonjour, répéta Binns, en s’adressant à la foule.
— C’est impossible ! hurla Prescott fou de rage, avant de s’approcher lui aussi de Binns. C’est un fantôme. J’en suis certain.
— C’est juste une projection, Martin, dit Vince en baissant sa caméra. J’en ai souvent vues. En fait, elle n’est même pas tellement réussie. On entend le bourdonnement du projecteur qui doit être… oui, sous le bureau. Tiens, tu vois ? L’hologramme est envoyé directement par ce trou.
— C’est un peu gênant, Mr Prescott, intervint Finney, depuis la porte, d’un ton réprobateur. Votre attitude est très peu professionnelle.
— Bonjour, répéta le professeur Binns.
Prescott devint enragé. De toute évidence, il perdait les pédales.
— Non ! hurla-t-il encore une fois. C’est un coup monté ! Tout est de sa faute. (Du doigt, il désignait Hubert.) Il essaye de vous tromper. C’est une illusion, de la prestidigitation !
— Mais bien entendu, acquiesça Hubert avec un sourire poli. C’est précisément ce que nous enseignons ici, vous savez. De la prestidigitation, sous sa meilleure forme. Mais je préfère que vous l’appeliez illusion, si ça ne vous gêne pas.
— C’est de la maaagie ! s’écria Delacroix d’une voix aiguë.
On aurait cru qu’elle devenait folle. Elle avait un sourire de plus en plus effrayant.
— Je vois très bien ce que vous tentez de faire, aboya Prescott. Tous !
Le journaliste avait toujours le doigt pointé vers Hubert, mais il se retourna ensuite pour désigner tour à tour la directrice McGonagall, et même Saccarine et Mecreant, malgré leurs vigoureuses dénégations muettes.
— Vous cherchez à détruire mon émission, grinça Prescott, à me faire passer pour un malade mental. Vous n’y réussirez pas. Mon public me connaît bien, et aussi mes producteurs et associés. Vous ne pourrez pas à tout cacher. Il y a les escaliers magiques, et les géants, et aussi… (Tout à-coup, il s’arrêta, le doigt encore en l’air. Il resta un moment l’air songeur, puis eut un mauvais sourire.) Je vais vous piéger… et je sais comment. Vince, Eddie, et tous les autres, venez avec moi.
Hubert suivit la foule agitée qui mêlait les journalistes, les professeurs et les élèves, de plus en plus nombreux.
— Où comptez-vous aller, Mr Prescott ? demanda-t-il aimablement. Je vous signale que je suis officiellement votre guide. Je peux vous montrer ce que vous voulez.
— Vraiment ? dit Prescott en se retournant pour l’affronter.
Immédiatement, la foule des curieux s’écarta. Prescott, d’un air affolé, passa de l’un à l’autre des visages qui l’entouraient, comme s’il cherchait un allié.
— Bien entendu, insista Hubert. Où voulez-vous aller ?
— Je voudrais visiter… (Il fit une pause théâtrale, volontaire, puis releva la tête,) le garage ?
— Le… commença Hubert.
Il cligna des yeux, puis se tourna vers la directrice McGonagall. James sentit la main de son père se crisper sur son épaule. Quelque chose n’allait pas.
— Le garage ? répéta Hubert, comme s’il ne comprenait pas le sens de ce mot.
— Ah-ah, ricana Prescott, très satisfait de lui. Vous ne vous attendiez pas à celle-là, pas vrai ? Oui, pendant que vous étiez tous bien occupés ce matin, je me suis permis une petite visite des lieux. J’ai regardé ici et là, et je vous assure que ça m’a secoué. Il y a un garage, dit-il, en se tournant pour faire face à la caméra, mais c’est en réalité un couloir spatio-temporel, un portail magique entre cet endroit et un autre, situé de l’autre côté de la terre, à des milliers de kilomètres. À mon avis, il s’agit de l’Amérique. Je l’ai vu moi-même. J’ai senti une autre atmosphère provenant d’un endroit très lointain. J’ai vu le soleil se lever là-bas, alors qu’ici, nous étions en milieu de matinée. Il ne s’agissait pas d’une illusion, ni de prestidigitation. Ces gens veulent nous faire croire qu’ils ne sont pas de vrais magiciens, mais je prétends avoir vu le contraire. J’en ai été le témoin, de mes propres yeux. Ils ont des pouvoirs supranaturels. Et maintenant, je vais le prouver.
Avec un grand ce geste de la main, Prescott se retourna, et s’éloigna, vers l’entrée principale.
Harry chercha à s’approcher de Hubert, mais il ne réussit pas à attirer son attention.
— Mr Prescott, cria Hubert pour couvrir le tumulte de la foule, désormais agitée et nerveuse. Je dois insister pour que vous me laissiez… Mr Prescott ! Vous abusez de vos droits !
Mais Prescott était lancé. A la tête de son équipe, il quitta le château, dévala les marches, traversa la cour, et se dirigea vers le lac, au fond du parc. Les élèves agglutinés derrière lui étaient de plus en plus nombreux, et sur leur passage, le bruit des bavardages devenait vraiment assourdissant. A Poudlard, tout le monde connaissait le fameux Garage, du moins de l’extérieur, mais rares étaient ceux qui avaient été admis dans la tente. Dans le brouhaha, on percevait aussi bien de l’inquiétude que de la curiosité.
— Ça risque de mal tourner, James, dit Harry, à voix basse.
— Que pouvons-nous faire ?
Harry secoua la tête, et regarda Prescott avançait à grands pas vers la haute tente surplombant le lac. Une fois devant la structure de toile, le journaliste se tourna, face à la foule. Immédiatement, son équipe installa le matériel nécessaire, microphone, lumière, caméra. Prescott tourna légèrement la tête, afin de montrer son meilleur profil, et Vince s’accroupit légèrement, pour le cadrer d’en bas. James dut admettre que le la prise de vue était plutôt dramatique.
— Mesdames et Messieurs, commença Prescott, en prenant une voix d’orateur, mon équipe et moi-même – et vous tous, par la même occasion – avons été victimes d’un vaste complot de désinformation. Poudlard n’est pas une banale école qui enseigne des tours de cartes ou des trucs de magiciens. Non ! En ces murs, j’ai été le témoin de vraie magie, quelque chose d’intense et même de terrorisant. J’ai vu des portraits parler, des fantômes s’animer, des objets léviter. J’ai observé des portes qui apparaissaient de nulle part, dans de solides murs de pierre. J’ai vu des bêtes terribles, des géants. J’ai vu tant de choses que mon esprit en est encore troublé. Aujourd’hui, nous avons été trompés, délibérément, par un groupe de sorciers et de sorcières – de vrais magiciens, je vous assure ! – qui s’imaginent pouvoir nous leurrer. Mais c’est faux, et je vais prouver au monde entier la vérité. Derrière cette tente, il existe une magie que personne ne peut annihiler. Apprêtez-vous au plus grand choc qui soit.
« Quand la vérité sera révélée, Mr Randolph Finney, inspecteur de la Police Spéciale Britannique, sera (j’en suis sûr) incité à mener une enquête à grande échelle concernant cet établissement, et toutes les agences policières d’Europe y participeront aussi. Après aujourd’hui, Mesdames et Messieurs, nos vies ne seront plus jamais les mêmes. Après aujourd’hui, le monde, tel que nous le connaissons, aura disparu, parce que nous saurons, de façon certaine, que les sorciers et les sorcières existent, et qu’ils vivent parmi nous.
Prescott s’arrêta, laissant l’écho de ses paroles résonner sur la foule tétanisée. Puis il se tourna vers l’endroit où se tenaient McGonagall, Hubert, Saccarine et Mecreant. Finney restait fermement aux côtés de la directrice, les sourcils froncés, les yeux écarquillés.
— Mr Hubert, s’écria Prescott, veuillez nous ouvrir les portes ! C’est votre dernière chance d’être honnête envers la télévision.
L’expression du chancelier était grave. Il regarda le journaliste droit dans les yeux.
— Mr Prescott, sincèrement, vous ne devriez pas. Je vous déconseille tout à fait de filmer dans cette tente. Vous allez provoquer…
— Soit vous l’ouvrez volontairement, rugit Prescott, soit je m’en charge.
— Mais enfin, monsieur, s’exclama Hubert, vous allez nous causer de véritables ennuis !
Près de lui, se tenait Delacroix dont le sourire devenait de plus en plus dément.
— De véritables ennuis ? Vous avouez donc votre mascarade, Mr Hubert. Il est temps que le monde entier apprenne ce qui se cache derrière ces portes de toile.
Hubert semblait tétanisé. De toute évidence, il n’avait pas envie d’ouvrir le garage. Malgré tout, il fit un pas en avant, tête baissée. La foule, derrière lui, poussa un long cri expectatif. Prescott recula d’un pas, et jeta un coup d’œil triomphant en direction de sa caméra. Une fois devant la tente, Hubert resta un moment immobile, et il sembla marmonner dans sa barbe. Puis il soupira profondément, leva la main, et dénoua les cordons. Il se tourna ensuite vers Prescott pour accomplie le dernier geste qui découvrirait ce qui se cachait dans la tente. On aurait cru les rideaux d’une pièce de théâtre, s’ouvrant sur la scène. Il y eut un long silence, tous les spectateurs rassemblés regardaient.
James regardait aussi, les yeux écarquillés. Au début, il ne comprit pas vraiment ce qu’il voyait. L’intérieur de la tente était très sombre, et les voitures volantes avaient disparu. En fait, il n’y avait sous la toile qu’une seule chose, énorme et ronde, qui prenait presque toute la place. Plusieurs rires retentirent parmi les élèves les plus proches, et peu à peu, toute la foule explosa de rire.
— Bravo, vous avez réussi ! dit Hubert écœuré. Impossible dorénavant de garder le secret. C’était un secret pour la parade de fin d’année, vous savez. Tout est gâché à présent, vous êtes vraiment pénible, Mr Prescott.
Hubert s’écarta d’un pas, laissant l’équipe de journalistes regarder pleinement l’intérieur de la tente. De petites lumières colorées, comme des guirlandes de Noël, clignotaient en cadence sur une énorme soucoupe volante en papier mâché. Il y avait de grosses lettres noires, clairement visibles, tout autour de la structure.
— Je vous signale, Mr Lupin, dit Hubert d’un ton sévère en se tournant vers Ted, que vous avez mal écrit le mot « capsule ». Seriez-vous dyslexique ? Franchement, c’est embarrassant.