Chapitre 7 : Question de loyauté
Comme par hasard, le premier cours de la journée fut l’Entraînement Basique de vol sur balai. Le professeur, Cabriel Ridcully, était un sorcier gigantesque. Il portait une cape de sport brun clair et une tenue officielle de Quidditch, qui exhibait des avant-bras et des mollets musclés.
— Bonjour les nouveaux ! Beugla-t-il avec entrain. (James devina que Cabe Ridcully devait être du genre à se lever du bon pied le matin.) Bienvenue dans ce cours de Découverte et d’Entraînement Basique. La plupart d’entre vous me connaissent déjà, je pense que vous m’avez vu jouer dans de nombreux matchs de Quidditch – rencontres, tournois, etc. Nous allons passer l’année ensemble, à vous familiariser avec les notions fondamentales nécessaires pour bien voler. Je crois fermement à une approche pratique, aussi nous allons commencer directement par la manipulation du balai, et les principales commandes pour le contrôler. Que chacun d’entre vous choisisse un balai, s’il vous plaît !
James appréhendait énormément de recommencer à voler, mais au fur et à mesure que le cours progressait, il comprit que, avec des consignes précises, il était capable de diriger son balai, de s’envoler, et même de contrôler son altitude et sa vitesse. Il réalisa qu’il y avait des variations subtiles dans la façon dont le balai réagissait en fonction de l’inclination du corps. Si le balai était simplement en suspension, se pencher en avant le faisait avancer, se redresser arrêter. Mais une fois que le balai prenait de la vitesse, les mêmes mouvements provoquaient également une ascension ou une descente. Plus vite allait le balai, plus la posture de James contrôlait l’altitude plutôt que la vitesse. Donc, découvrir le bon équilibre entre une vitesse adéquate et une altitude adéquate dépendait de la vitesse du balai en cet instant précis. James sentit que, l’autre jour, la panique lui avait fait perdre le peu de contrôle qu’il avait eu. Il fut rassuré de pouvoir s’expliquer son spectaculaire échec durant les essais.
Malheureusement, sa joie fut vite tempérée. En regardant Zane, il ressentit une jalousie qu’il fut incapable de maîtriser. L’Américain, presque sans y penser, fit sur son balai, plusieurs figures et des loopings.
— Mr Walker, veuillez cesser de faire le pitre ! cria Ridcully d’une voix tonnante. (À sa grande honte, James savoura cette intervention.) Gardez vos acrobaties pour le match de ce soir.
Quant à Ralph, il était tout crispé en faisant de son mieux pour rester en équilibre sur son balai. Il avait réussi à s’élever d’un mètre, mais de toute évidence, il était coincé.
— Comment je fais pour rouler comme lui ? demanda-t-il, en regardant Zane.
— À mon avis, dit James en secouant la tête, tu devrais éviter de prendre ce genre de risques.
La suite de la matinée fut bien moins intéressante. James eut un cours de Sortilèges Elémentaires, suivi d’une Initiation aux Runes Anciennes. Au déjeuner, James put enfin à raconter à Ralph et à Zane ce qui s’était passé la nuit précédente. Il leur décrivit de son mieux le Chronolux de Franklyn, puis la conversation au dîner – y compris les pouvoirs vaudous de Mme Delacroix. Enfin, il leur rapporta l’entrevue qu’il avait surprise entre son père et le professeur Franklyn, et termina par ses propres déductions sur la façon dont l’histoire d’Austramaddux, concernant le retour de Merlin, correspondait au complot évoqué.
Quand il se tut, il regarda ses deux amis, et attendit leurs commentaires.
— Alors, dit Zane, les yeux étrécis, si je comprends bien, ton père possède une cape… qui rend n’importe qui invisible en la portant ?
James poussa un gémissement exaspéré.
— Oui ! Mais enfin, ce n’est vraiment pas le plus important.
— Parle pour toi. C’est incroyable, bien mieux que des rayons X. Pense à tout ce qu’un mec pourrait faire avec une cape d’invisibilité. Est-ce que ça craint la vapeur d’eau ?
James leva les yeux au ciel.
— Je n’en sais rien. Je ne pense pas que le sorcier qui a consacré sa vie à créer cette cape d’invisibilité l’ait fait pour se glisser en douce dans la salle de bain des filles.
— Donc, tu n’as pas vérifié, marmonna Zane, sans se démonter.
Ralph continuait à manger calmement, tout en réfléchissant.
— Alors, dit-il enfin, Franklyn a dit à ton père que de nombreux sorciers aux États-Unis partageaient les idées du Mouvement du Progrès ? Et qu’ils voulaient aussi l’égalité entre les Moldus et les sorciers ?
— Oui, acquiesça James, mais ils mentent. C’est évident ! Depuis quand les Serpentard font-ils quelque chose en faveur des Moldus ? Si les familles pur sang de Serpentard ont toujours réclamé la fin du secret, c’est juste pour pouvoir dominer le monde moldu. Ils se croient supérieurs aux Moldus, pas égaux.
Ralph parut légèrement troublé.
— Tu sais, je n’en suis pas certain. Tu as vu les élèves assemblés l’autre jour dans la cour ? Il n’y avait pas que des Serpentard. Tu l’as remarqué, non ?
Non, James n’avait pas fait attention.
— On s’en fiche, répondit-il. Ce sont quand même les Serpentard qui ont tout déclenché, avec leurs badges, leurs slogans du Mouvement du Progrès et tout le bataclan. Tu l’as dit toi-même, Ralph. C’est Tabitha Corsica qui a distribué les badges à tous les Serpentard. C’est elle qui a tout manigancé.
— Je ne crois pas qu’elle soit ce que tu dis, protesta Ralph. Et ton histoire de ramener Merlin d’entre les morts n’a rien à voir avec elle. Tabitha pense simplement que ce serait plus juste, à tout point de vue, que les Moldus et les sorciers aient les mêmes droits. Elle n’a pas du tout l’intention de faire la guerre ou de créer des problèmes. Et puis, en y réfléchissant, ça me paraît logique. Je ne trouve pas normal qu’on interdise aux sorciers de travailler dans le monde moldu, de participer aux jeux et aux compétitions. Pourquoi nous mettre à l’écart ? Ce n’est pas parce que nous avons des pouvoirs que nous sommes des parias !
— Tu parles vraiment comme eux ! s’écria James en colère.
— Tu trouves ? Aboya Ralph, dont le visage s’était empourpré. Et bien, c’est normal, je suis l’un d’entre eux, au cas où tu l’aurais oublié. Et je n’apprécie pas ta façon de parler de ma maison. Les choses ont beaucoup changé depuis l’époque de ton père. Et si tu t’intéresses tellement à la vérité et à l’histoire, tu devrais au moins accepter un débat ouvert sur le sujet. Je crois que Tabitha a raison, et que tu es de mauvaise foi.
James retomba sur son siège, bouche bée.
Ralph baissa les yeux et continua :
— Tabitha veut que je participe au premier débat du club, à l’école, dans l’équipe A. Je présume que tu connais le thème de la rencontre ? Il s’agit de : « Réévaluation de ce qui s’est passé, vérité ou conspiration ? »
— Et toi, tu va être dans son équipe ? s’exclama James incrédule. Tu vas prétendre que mon père et ses amis ont inventé toute l’histoire de Voldemort pour faire peur aux gens, et pouvoir garder le secret sur le monde sorcier ?
Ralph parut gêné.
— Non, personne ne croit que ton père a tout inventé, mais… (Il s’arrêta, sans savoir comment terminer sa phrase.)
— Génial ! S’écria James, en levant les mains au ciel. Tes arguments sont si convaincants qu’ils me laissent sans voix. Avec toi, Tabitha aura un partenaire de choc, pas à dire.
— … mais peut-être que ton père n’était pas du bon côté, rétorqua Ralph d’une voix forte. Bien sûr, toi, tu n’y as jamais pensé. Il y a eu des morts – et c’est normal en temps de guerre. Mais pourquoi les morts sont-ils considérés différemment en fonction du camp dans lequel on se trouve ? Si ton père tue Voldemort, c’est un triomphe, mais si Voldemort tue quelqu’un, c’est une atrocité. Tu vois, ce sont les gagnants qui écrivent les livres d’histoire. Du coup, la vérité qui se transmet n’est pas forcément objective. Comment sais-tu ce qui s’est réellement passé ? Tu n’étais même pas né !
James jeta sa fourchette sur la table.
— Je connais mon père ! Hurla-t-il. Il n’a jamais tué personne ! Il était du bon côté, parce que c’est un homme bon. Voldemort était un monstre sanguinaire ! Il ne rêvait que du pouvoir, et tuait tous ceux qui le gênaient, même ses propres amis. Et tu devrais t’en souvenir, si tu tiens tellement à prendre le parti de ceux qui pensent comme lui.
Ralph étudia James en silence, puis il déglutit péniblement. Dans un recoin de son cerveau, James était conscient de réagir trop violemment. Après tout, Ralph était né chez les Moldus. Il ne connaissait de Harry Potter et de Voldemort que ce qu’il avait lu d’eux, quinze jours plus tôt, dans un livre d’histoire. De plus, Ralph vivait chez les Serpentard, qui ne cessaient de lui marteler des mensonges. Et Ralph cherchait désespérément à s’adapter parmi eux. Malgré tout, James était enragé au point de vouloir le frapper – peut-être parce qu’il lui était impossible de frapper les autres Serpentard responsables des mensonges vicieux visant son père.
James fut le premier à détourner les yeux. Il entendit Ralph ramasser ses livres et les ranger dans son sac à dos.
— Les mecs, intervint Zane, je voulais vous proposer de venir ce soir, après le match, boire une Bièraubeurre avec les Gremlins, mais à mon avis, je vais faire un bide.
Aucun des deux autres ne lui répondit. Peu après, Ralph s’en alla.
— Tu n’as pas été très sympa avec lui, remarqua Zane d’une voix calme.
— Moi ? s’écria James.
— Avant que tu m’expliques ta position, coupa Zane en levant la main d’un geste conciliant, laisse-moi te dire que tu as raison. Bien sûr, tout ça, c’est des foutaises. Mais il s’agit de Ralph. Il essaye juste de s’adapter. Tu dois le comprendre.
— Non, dit James sèchement. Je ne peux pas le comprendre. Pas quand « s’adapter » signifie raconter des mensonges sur mon père.
— Il ne sait pas que ce sont des mensonges, expliqua Zane. C’est la première fois qu’il entend cette histoire. Il aimerait te croire, mais il aimerait aussi se sentir à l’aise dans sa maison. Dommage pour lui, il a été envoyé chez une bande d’abrutis, complètement siphonnés, à qui la folie des grandeurs est montée à la tête.
En entendant ça, James fut un peu adouci. Il savait que Zane avait raison, mais il n’arrivait pas à regretter de s’être emporté contre Ralph.
— Et alors ? Toi aussi, tu entends cette histoire pour la première fois. Pourquoi n’es-tu pas encore affilié au Mouvement du Progrès pour demander une bannière ?
— Parce que tu as la chance… (Zane jeta un bras autour du cou de James,) que j’aie été envoyé chez les Serdaigle, et je te garantis que là-bas, tous détestent le vieux Voldy autant que les Gryffondor. De plus… (Il prit un air enamouré,) je trouve Petra Morganstern bien plus chouette que Tabitha Corsica.
James grogna, et repoussa Zane d’un coup de coude.
Les deux garçons se rendirent ensuite dans la bibliothèque pour travailler. C’était Knossus Shert, le professeur de Runes Anciennes, qui surveillait l’étude ce jour-là. Assis derrière le grand bureau, sur l’estrade, avec ses lunettes épaisses, ses longs membres dégingandés, et sa robe verte, il ressemblait tout à fait à une mante religieuse.
Zane recopiait des théorèmes d’Arithmancie sur lesquels il travaillait. James ne souhaitait pas le déranger mais il n’arrivait pas à se concentrer sur son travail. Aussi, il sortit de son sac l’exemplaire de la Gazette du sorcier, qu’il avait embarqué au petit-déjeuner. À nouveau, les lèvres serrées de dégoût, il lut les grands titres. En bas de la page principale, James fut furieux de voir une photo de Tabitha Corsica. Elle arborait son expression habituelle, aimable, raisonnable et polie. « Un des préfets de Poudlard propose un débat sur le Mouvement du Progrès » annonçait le titre sous sa photo. Tout en sachant qu’il ne devrait pas lire cet article, James ne put s’empêcher de le parcourir des yeux.
« Bien entendu, ma maison ne cherche pas troubler la bonne entente de l’école, mais nous devons respecter le désir des élèves de toutes les maisons, et leur droit d’exprimer leurs inquiétudes » a expliqué Miss Corsica. Il est évident qu’elle regrette la violence de la manifestation du jour, mais reconnaît cependant la validité des motivations de ses amis. « Malgré la réticence de notre directrice, qui semble peu pressée de mettre en place le calendrier des débats, je suis confiante que nous obtiendrons le droit de nous exprimer, à cœur ouvert, sur les pratiques quelque peu abusives des Aurors du Ministère. »
Miss Corsica est une élève de cinquième année à Serpentard, et également le capitaine de l’équipe de Quidditch de sa maison. « J’ai acheté mon balai chez un artisan moldu », explique-t-elle d’une voix posée. « Bien entendu, il n’était pas conscient des propriétés magiques du bois qu’il avait façonné. Je l’ai enregistré à l’école comme un objet moldu, bien entendu. Mais je trouve que tester le travail de nos amis moldus est une expérience juste et utile. Il se trouve que mon balai est l’un des plus rapides de l’école, » ajoute-t-elle, en se mordant modestement les lèvres. « Voyez-vous, il faute reconnaître aux Moldus la qualité de leur travail, et non en accorder tout le mérite aux sortilèges qui ont ensuite amélioré l’aérodynamisme de mon balai. »
Furieux, James agita bruyamment les pages de son journal avant de le claquer sur la table. Le professeur Shert le regarda d’un air sévère, et lui fit signe de se taire.
James resta longtemps les yeux fixés sur le journal, sans même le voir. Il n’arrivait pas à croire qu’on puisse gober de telles inepties. Tabitha Corsica et son prétendu balai moldu n’étaient que la cerise sur le gâteau. Et elle le savait. Quand James l’avait croisée dans la cour, Tabitha était interviewée par Rita Skeeter. Il revoyait encore l’avidité sournoise du visage de la journaliste, tandis que sa Plume à Papotes dansait sur le parchemin. Cette stupide femme a été manipulée, pensa James. Mais Rita Skeeter était fidèle à sa nature, et à son lectorat. James se souvenait des histoires concernant la première rencontre de son père et de Rita Skeeter, au cours du Tournoi des Trois Sorciers. Tante Hermione avait piégé la journaliste en découvrant un secret à son sujet, comme quoi Rita Skeeter était un animagus non déclaré. Elle pouvait prendre la forme d’un scarabée, et espionner sans se faire voir. Tante Hermione avait réussi à capturer la sorcière sous sa forme d’animagus, l’empêchant ainsi de nuire, du moins durant un moment, et de répandre ses mensonges contre Harry Potter dans la Gazette du sorcier. Or, le matin même, ce même Harry Potter avait annoncé à James que la vérité avait d’autres combats, et que discuter avec des gens comme Rita Skeeter ne servait à rien. Ecœuré, James secoua la tête. Il préférait nettement les méthodes de Tante Hermione à celles que son père utilisait à présent.
Tout en ruminant sa colère frustrée, James jeta un coup d’œil machinal sur le journal plié devant lui. Un titre, sur la dernière page, attira son attention. Il se pencha en avant, le front plissé.
L’effraction au ministère reste inexpliquée.
Londres : la semaine dernière, une effraction a été commise au Ministère de la Magie, et les enquêteurs n’ont pu obtenir le moindre indice, ni sur ce que cherchaient les voleurs, ni sur les complicités internes qu’ils avaient obtenues. Comme nous l’avons déjà rapporté dans ces pages, trois individus au passé chargé ont été arrêtés lundi matin, 31 août, après avoir vandalisé une section du ministère. Les trois voleurs, deux sorciers et un Gobelin, ont été découverts au cours d’une ronde de routine, quelques heures après leur tentative.
Les trois malfaiteurs étaient inconscients, et soumis au sortilège de Bloclang, ce qui les rendait incapables de répondre aux questions. Ils sont actuellement à l’hôpital Ste Mangouste des Maladies Magiques, sous bonne garde. Au ministère, le Bureau des Changes et des Devises, le Département de la Coopération Magique Internationale, et le Département des Mystères, qui se trouvent tous trois aux alentours de l’endroit où ont été retrouvés les voleurs, indiquent que rien ne leur a été dérobé. De ce fait, les charges qui pèsent sur les trois malfaiteurs sont uniquement le vandalisme et l’effraction. Leur tentative, bien que curieuse, n’a pas été jugée de grande importance, jusqu’à ce que les médecins de Ste Mangouste découvrent qu’aucun de leurs contre sortilèges n’avait le moindre effet sur le Bloclang auquel les trois voleurs ont été soumis.
« Il s’agit d’un sortilège particulièrement puissant, qui de toute évidence, a été renforcé par de la magie noire, » indique le docteur Horatio Flack, chef du Département de Contre-sortilège de l’hôpital Ste Mangouste. « Si nous sommes incapables de le briser, j’ai bien peur que ce sort devienne permanent. »
À ce qu’il paraît, l’un des malfaiteurs, identifié par notre journaliste comme le Gobelin Mr Fikklis Bistle, a brièvement répondu aux contre-sortilèges au cours du week-end. « Il a émis quelques grognements, qui ne peuvent être qualifié de véritables mots, » a admis l’une des infirmières, en réclamant l’anonymat. À l’aube ce matin, Mr Bistle a été retrouvé mort dans son lit, victime apparemment d’une erreur médicale. Bien entendu, ceci n’a fait que ranimer les hypothèses concernant l’effraction, sur lequel travaillent de plus belle les enquêteurs.
Quorina Greene, qui dirige l’enquête, a tenu une conférence de presse et dit : « Nous recherchons tout particulièrement par quels moyens ces trois individus ont pu pénétrer dans les bureaux du ministère. Il s’agissait de petits escrocs sans envergure, qui jamais n’avaient tenté un coup pareil. Nous ne pouvons exclure une complicité interne du ministère. La mort de Mr Bistle est bien évidemment suspecte, mais elle semble accidentelle. Il est cependant heureux que les malfaiteurs aient échoué, et que rien n’ait disparu. »
— Allez, chuchota Zane – ce qui fit sursauter James, plongé dans sa lecture. Je file pour avoir le temps de m’échauffer un peu sur mon balai. Tu viens avec moi pour me porter chance ? Á mon avis, je vais en avoir besoin.
Ravalant sa jalousie, James décida de suivre son copain. D’ailleurs, lui-même pourrait aussi s’entraîner sur son balai. À nouveau, il replia son journal, et le remit dans son sac à dos.
— J’aimerais bien savoir comment tu peux t’arrêter aussi sec que tu l’as fait ce matin durant le cours d’initiation, dit James tandis que les deux garçons remontaient les escaliers pour aller se changer. J’aimerais aussi apprendre à faire des loopings. Tu me montreras ?
— Bien sûr, mec, répondit Zane avec entrain. Mais garde-le pour toi. Je préfère que Ralph n’essaye pas, du moins pas avant qu’il soit un peu plus détendu sur un balai.
En entendant le nom de son copain, James se sentit mal à l’aise, puis il se secoua. Quelques minutes plus tard, les deux garçons, en jean et en tee-shirt, couraient joyeusement dans la lumière ensoleillée, vers le terrain de Quidditch.
James passa le reste de l’après-midi sur le terrain avec Zane, d’abord à faire des exercices d’entraînement, puis à regarder les équipes Serdaigle et Gryffondor se rassembler et faire quelques passes. Ensuite, Zane suivit son équipe pour une dernière réunion avant le dîner. Aussi, James accompagna les Gryffondor, remonta avec eux dans la salle commune, puis les attendit tandis qu’ils se changeaient, et redescendaient se sustenter. Avant le premier match de la saison, il y avait toujours une sorte d’excitation générale. La Grande Salle était joyeuse et bruyante, les moqueries amicales volaient d’une table à l’autre, entrecoupées de cris ou de slogans en faveur de l’une des deux maisons en compétition. Au moment du dessert, Noah, Ted, Petra et Sabrina, arborant fièrement la tenue sportive de Gryffondor, s’alignèrent en se tenant les coudes, devant leur table, comme s’ils s’apprêtaient à pousser la chansonnette. Ensemble, dans une gigue irlandaise, ils tapèrent du pied sur le sol dallé, attirant ainsi l’attention de tous les élèves, puis se lancèrent dans une chorégraphie brouillonne mais enthousiasme, sur des paroles que Damien avait écrites pour eux un peu plus tôt :
Oooh – Nous-autres Gryffondor aimons bien jouer et plaisanter,
Mais sur un terrain de Quidditch, nous partons en guerre
Souhaitons aux Serdaigle du courage et du savoir-faire,
Parce que le lion va bientôt attaquer,
Oooh – Quand le jeu est brutal, il y a du danger,
Et un joueur tombe souvent de son balai,
Mais jamais les Gryffondor ne s’avouent vaincu,
Et nous sommes doués pour les coups de pieds au…
Le dernier mot disparut dans un rugissement général, rires et applaudissements du côté des Gryffondor, huées et protestations chez les Serdaigle. Les quatre Gremlins saluèrent avec un grand sourire, de toute évidence enchantés d’eux-mêmes. Puis ils rejoignirent les autres, et tous ensemble, les joueurs se précipitèrent sur le terrain pour se préparer.
James savait que les matchs les plus courus, au Quidditch, étaient le premier et le dernier de la saison. À la fin de l’année, quand se décidait le vainqueur de la coupe de Quidditch parmi les quatre maisons, tout le monde connaissait bien les équipes et les différents joueurs, et choisissait son champion parmi les deux concurrents en lice. Mais en début d’année, chacun ne soutenait que sa propre maison. Les gradins étaient combles, et de nombreux professeurs assistaient aussi au match. Les maisons étaient séparées en différents gradins, chaque élève agitant drapeaux et bannières à ses couleurs. Quand James entra sur le terrain, il fut heureux de voir et d’entendre la foule déchaînée. Tout en prenant leur siège, les élèves hurlaient et se lançait des plaisanteries les uns aux autres. En général, les professeurs choisissaient les bancs supérieurs qui correspondaient à leur maison. Quand James grimpa les marches dans la section de Gryffondor, il vit son père assis dans la tribune officielle, flanqué à sa droite par les officiels du ministère, et à sa gauche par la délégation américaine. Quand Harry aperçut James, il agita la main dans sa direction avec un grand sourire. Dès que James s’approcha de lui, Harry obligea tous les autres à se décaler sur le banc pour faire de la place à son fils. James prit place en marmonnant quelques excuses, mais plutôt amusé de constater que Miss Saccarine avait pour une fois oublié son sourire factice : furieuse d’avoir été écartée, elle grinçait des dents.
— Comme je vous l’ai expliqué, disait le professeur Franklyn à Harry, oui, nous aussi avons des équipes de Quidditch aux États-Unis. (Le vieux professeur devait hausser le ton pour se faire entendre au milieu du tumulte de la foule.) Mais, pour une raison étrange, ce jeu n’est pas aussi populaire chez nous que le Sautebuisson, le Trou du serpent ou le Virenvol. D’après ce que j’ai entendu dire, notre équipe de coupe du monde n’est pas mauvaise. J’avoue rester sceptique.
James étudia les Américains, curieux de voir ceux qui s’étaient déplacés, de savoir ce qu’ils allaient penser du match. Mme Delacroix était assise au bout du banc, le visage figé, et les mains serrées sur les genoux. James grimaça, trouvant que ces doigts noueux ressemblaient à une balle de jointures brunes et déformées. Le professeur Jackson regarda James, et le salua d’un signe de tête. James remarqua, posé entre ses pieds, le sac de cuir dont le professeur ne se séparait jamais, cette fois bien fermé sur son étrange contenu. Le professeur Franklyn portait probablement sa tenue officielle, une robe noire avec un haut col blanc, et une lavallière en dentelle. Ses lunettes carrées renvoyèrent les rayons du soleil tandis qu’il souriait aimablement autour de lui en examinant les gradins.
— Où est Ralph ? demanda Harry à James. Je pensais le voir ce soir avec toi.
James haussa les épaules, sans croiser le regard de son père.
— Ah, je crois que ça commence, annonça Franklyn, en se redressant pour mieux voir.
L’équipe de Gryffondor venait effectivement d’apparaître, émergeant d’une haute voûte en bois sous les gradins. Une cape rouge claquait derrière chacun d’eux comme un drapeau.
— Voici en premier sur le terrain l’escadrille de Gryffondor, menée par le capitaine Justin Kennely, hurla la voix de Damien Damascus qui commentait le match, de la tribune officielle.
L’équipe monta vers le ciel dans une formation en tire-bouchon, qui se resserra en vrille ascendante, puis éclata au sommet de la figure, l’ensemble des joueurs sur leur balai formant un gigantesque G au-dessus de la tribune de leur maison. Les joueurs rompirent ensuite la formation, plongèrent les uns après les autres dans une démonstration acrobatique aérienne, pour reformer la lettre P. Ils étaient tous dressés sur leur balai, face à Harry et James, qu’ils saluèrent avec un bel ensemble et un grand sourire. Quand la tribune Gryffondor les applaudit à pleines mains, James vit de nombreux visages se tourner vers eux, pour étudier la réaction de Harry Potter. Son père se leva, et salua aimablement cette ovation.
— On croirait vraiment que je suis la reine d’Angleterre en visite, marmonna Harry en se rasseyant.
— Et maintenant, voici les Serdaigle, cria Damien, dont la voix résonnait sur tout le stade. Ils sont menés par le capitaine Gennifer Tellus, qui a gagné la coupe l’an passé.
L’équipe de Serdaigle jaillit à son tour de sous les gradins, comme une fusée, chaque joueur optant pour une direction différente, avant de revenir sur la ligne centrale. Ils se jetaient un souafle de l’un à l’autre, à une vitesse que l’œil ne suivait pas. Après plusieurs secondes à tourner en spirale devant les gradins, les Serdaigle se dirigèrent tous ensemble vers le centre du terrain, où ils s’arrêtèrent net pour faire face à la foule, leurs balais formant les branches d’une étoile. Chacun des joueurs leva le bras droit, et Gennifer, au centre, tendit le souafle par-dessus sa tête. Les gradins de Serdaigle poussèrent des cris assourdissants devant la perfection de la chorégraphie.
Finalement, Gennifer et Justin se retrouvèrent en position au centre du terrain. Chaque équipe s’aligna derrière son capitaine. En dessous d’eux, debout dans sa tunique officielle, l’arbitre du match, Cabriel Ridcully avait un souafle sous le bras, et le pied posé sur la malle où étaient gardés les autres ballons.
— Je veux assister à un match honorable, hurla le professeur aux élèves. Capitaines, êtes-vous prêts ? Joueurs, êtes-vous en formation ? Attention… (Il leva le souafle, le bras tendu.) C’est parti !
Dès que Ridcully balança le souafle, il enleva en même temps son pied du coffre, dont le couvercle s’ouvrit, libérant les deux cognards et le Vif d’Or. Les quatre balles s’envolèrent, de tous les côtés, tandis que les joueurs passaient à l’action. En réponse, les gradins hurlèrent leur soutien.
James s’efforça de suivre le jeu de Zane parmi les Serdaigle. Les cheveux blonds de l’Américain étaient faciles à repérer sur le bleu roi de sa cape. Il vit Zane foncer à travers une mêlée de joueurs, exécuter une roulade étonnante, et techniquement parfaite, puis se pencher à la limite du déséquilibre, avant de renvoyer le souafle d’un revers puissant. Le ballon contourna la mêlée, et si Zane ne marqua pas, ce fut grâce à Noah qui le récupéra de justesse. La foule hurla – les Gryffondor de joie, les Serdaigle de déception.
En ce bel après-midi, la chaleur devint vite pesante. Elle fatiguait les joueurs, bien sûr, mais aussi les spectateurs agglutinés sur leurs bancs. Durant le match, les deux équipes avaient accès à un stand de rafraîchissement, aux deux extrémités du terrain. Ces stands, gérés par une équipe de maintenance, comportaient une dizaine de seaux remplis d’eau. De temps à autre, un joueur agitait sa baguette en un signal convenu, alertant l’équipe au sol son passage imminent. A son approche, un des attenants faisait léviter un seau d’eau, le renversait et inondait le joueur d’une douche rafraîchissante. À chaque fois, la foule explosait de rire, parce que la vitesse du joueur transformait l’eau en geyser, ce qui créait une myriade d’arc-en-ciel étincelant autour de lui.
Durant un moment, les Gryffondor menèrent le jeu, puis Serdaigle égalisa en début de soirée. Le soleil baissait lorsque Serdaigle prit la tête. Très vite, le jeu devint à la fois fébrile et agité, car le score était encore rattrapable. James surveilla les attrapeurs, essayant de trouver lui aussi le reflet doré du vif d’or. Mais dans la luminosité rasante, il ne put apercevoir la petite balle rapide. Et pourtant, au moment même où il détournait les yeux, un éclat lui attira l’œil non loin des gradins Poufsouffle. James plissa les yeux, et tout à coup, il le vit, s’agitant près des mats où flottaient les bannières. L’attrapeur de Serdaigle avait aussi remarqué le vif d’or. James se releva d’un bond, et trépigna sur place, le doigt pointé en avant. Il hurla un avertissement à Noah, l’attrapeur de Gryffondor. Noah l’entendit. Il fit pivoter son balai et suivit la direction indiquée. Il repéra le vif d’or au moment où la balle s’enfuyait, tout droit dans la mêlée des joueurs qui se disputaient les cognards.
L’attrapeur de Serdaigle plongea pour récupérer le vif d’or qui passait sous son balai. Il le rata, et faillit tomber. Il partit en vrille, puis se rattrapa, et se lança à nouveau dans le match. Ted, un des batteurs de Gryffondor, le visa d’un revers de cognard, obligeant l’autre garçon à dévier sa trajectoire, mais pas longtemps. De l’autre côté du terrain, Noah se rapprochait. Il zigzagua pour éviter de heurter les autres joueurs. La foule avait enfin compris ce qui se passait. Un par un, les spectateurs se mettaient debout, hurlant conseils et encouragements. Et tout à coup, au beau milieu de l’action, James remarqua autre chose… qui le surprit tellement qu’il perdit tout intérêt pour le match – pour la première fois depuis l’envoi des ballons.
L’intrus – le Moldu – était sur le terrain, appuyé au stand de rafraîchissement des Serdaigle. James n’arrivait pas à croire ce qu’il voyait, mais pourtant l’homme était bel et bien là, dissimulé sous la cape de l’équipe de Serdaigle. Il regardait aussi le match, le visage levé, avec une expression à la fois sidérée et émerveillée. Il porta quelque chose à ses yeux, et James comprit qu’il devait s’agir d’une caméra moldue. L’homme filmait le match ! James détourna les yeux de l’intrus, et regarda Harry, assis à côté de lui, hurlant avec entrain pour encourager les joueurs. James tira sur la manche de son père, et cria :
— Papa ! Papa regarde, il y a quelqu’un là-bas en bas, dit-il, le doigt pointé, essayant de montrer le stand au milieu de la foule des spectateurs.
Avec un grand sourire, Harry se tourna son fils et essaya de comprendre.
— Quoi ? Hurla-t-il, en se penchant.
— Regarde là-bas – en bas, hurla James, le doigt toujours pointé. Cet homme n’est pas censé se trouver là. C’est un Moldu. Et je l’ai déjà vu au château.
Instantanément, le visage de Harry se modifia. Son sourire disparut. Il se redressa de toute sa taille, et scruta le terrain. James fit comme son père, cherchant l’intrus moldu. Il était absolument certain que l’homme avait profité de ce délai pour disparaître, laissant James passer pour une andouille. Mais non, l’intrus était toujours là, les yeux levés sur le jeu qui continuait. Il avait baissé sa caméra, qui restait suspendue à un fil accroché à son poignet droit. En regardant mieux, James repéra aussi que l’homme avait des pansements sur le bras, et quelques-uns sur le visage. Il avait dû se blesser en passant à travers la fenêtre du vitrail, mais de toute évidence, pas assez pour ne pas revenir.
Harry se frayait déjà un passage à travers la délégation et américaine, s’excusant poliment, mais avançant fermement vers les escaliers. James le suivit, courant pour ne pas être distancé. Ensemble, père et fils dévalèrent les marches deux par deux, puis arrivèrent au niveau du terrain. James réalisa que son père était en plein mode Auror : sans réfléchir, il laissait ses instincts réagir. Pour le moment, il n’était pas utile de paniquer, s’inquiéter, ou se mettre en colère. Il s’agissait simplement de découvrir à tout prix ce qui se passait. Harry traversa le terrain, toujours suivi de près par James. Un hurlement général annonça alors la fin du jeu. Le tumulte se fit assourdissant, et d’autres personnes se mirent à courir à travers le terrain. L’équipe de rafraîchissement avança aussi pour récupérer ses seaux vides. Les joueurs commençaient à atterrir, tombant sur l’herbe comme des flocons de pissenlit. Cabe Ridcully se précipita vers le centre du terrain et utilisa sa baguette pour rappeler les ballons. Sans se laisser distraire, Harry continua à marcher d’un pas décidé vers l’autre extrémité du terrain, où lui et James avaient remarqué l’étranger. Désormais, il leur était impossible d’en avoir une vue directe, avec la foule, le bruit, et l’animation générale. Mais James savait que l’homme avait déjà pu, d’une centaine de façons différentes, se faufiler hors du terrain et disparaître dans l’ombre, vers les collines et les bois derrière le terrain de Quidditch.
Harry ne s’arrêta pas avant d’être à l’endroit exact où il avait repéré l’homme un peu plus tôt. Il se tourna la lentement, cherchant à découvrir où l’homme s’était enfui.
— Voilà, dit-il tout à coup, en désignant quelque chose de la main.
James regarda ce que son père indiquait. C’était au pied des gradins, une porte ouverte qui menait dans l’abri où les Serdaigle avaient leurs casiers personnels.
— Là, ou là, dit encore Harry, sans réellement s’adresser à James, mais plutôt à lui-même.
Il avait indiqué d’abord un chemin qui passait entre les gradins de Poufsouffle et de Serpentard, puis un appentis où étaient entreposés les équipements de Quidditch.
— Je ne pense pas qu’il soit rentré dans l’abri, ou dans l’appentis, il doit savoir qu’il ne pourrait pas en sortir. Bien sûr, ce serait une cachette, mais pas très bonne avec une pareille foule. À mon avis, il a pris le chemin vers la forêt. Il n’a pas plus de deux minutes d’avance. James ?
Les yeux écarquillés, James se tourna vers son père.
— Oui papa ?
— Va trouver la directrice, explique-lui ce que nous avons vu, ensuite, demande à Titus de me retrouver au bout de ce passage dans cinq minutes. Ne cours pas. Nous ne savons pas encore ce qui se passe, et je ne veux pas créer une panique générale. Marche simplement, et dis-leur ce que je t’ai demandé. D’accord ?
James hocha la tête, puis il tourna les talons, et obéit aux instructions de son père en rebroussant chemin d’un pas vif, mais sans courir. Alors qu’il remontait les escaliers, luttant contre la foule qui en descendait, James réalisa ignorer qui avait gagné le match. Il y penserait plus tard. Pour le moment, il éprouvait un soulagement incommensurable à l’idée que son père l’ait cru. James avait eu peur, quelque part, que son père refuse d’admettre la présence d’un Moldu sur le terrain, ou qu’il juge ça sans importance. Mais James avait aussi eu l’espoir que son père le connaissait suffisamment pour ne pas douter de lui. Et c’est bien ce que Harry avait fait : son père était immédiatement descendu pour enquêter sur l’étranger, sans hésitation ni question. Bien sûr, c’était ainsi que travaillaient les Aurors. D’abord, les faits, ensuite, les questions, si nécessaire. Mais quand même, James était heureux que son père lui fasse assez confiance pour, sur ses seules indications, s’être lancé à la poursuite de cet homme.
Malgré le soutien de son père, James regrettait que l’intrus ait pu s’échapper. Il avait le sentiment que ni Harry ni Titus ne parviendrait à le retrouver. Du coup, James se retrouverait exactement au même point qu’auparavant : il avait vu un inconnu assister au match de Quidditch, mais sans pouvoir prouver qu’il s’agissait d’un Moldu.
Tout en réfléchissant, James finit par tomber sur Titus Chateaubourg et le reste du groupe. Dès que Titus reçut le message, il s’excusa immédiatement, et dévala les escaliers, la main dans sa poche pour récupérer sa baguette. McGonagall et les autres membres du ministère écoutèrent les explications de James concernant l’homme que lui et son père avaient aperçu sur le terrain. Les réactions furent différentes : la directrice afficha une expression attentive et sombre ; Miss Saccarine et Mr Mecreant restèrent placides.
— Et tu prétends, mon cher garçon, que cet étranger avait un appareil ? demanda Saccarine.
— Oui, je l’ai déjà vu. Il prend des photos. Et il a filmé le match.
James vit Saccarine regarder Mecreant avec une expression incrédule. Il n’en fut pas surpris, mais il s’en fichait. Il tenait simplement à ce que McGonagall le croie. Il s’apprêtait à lui expliquer que c’était le même homme qu’il avait, par accident, fait tomber de la fenêtre, mais devant l’air pincé de Miss Saccarine, il préféra se taire. Autant attendre d’être en petit comité.
Quand il redescendit les marches, suivi de la directrice, des membres du ministère, et des Américains, James entendit enfin le score final. Serdaigle avait gagné. James le regretta, déçu pour les Gryffondor. Mais il fut heureux de savoir que Zane, au moins, passerait une bonne soirée.
Quand le groupe atteignit le chemin principal qui les ramènerait au château, la directrice McGonagall s’écarta et annonça d’une voix sèche :
— Professeurs, chers invités, je vous prie de retourner sans moi jusqu’au château. Je préfère aller m’assurer de la situation.
Sur ce, elle partit à travers champs, et James s’élança derrière elle. Lorsqu’il la rattrapa, elle baissa les yeux sur lui.
— Je présume qu’il est inutile de te signaler qu’un élève de première année n’a rien à faire dans cette histoire, dit-elle, admettant à contrecœur la présence de James comme inéluctable. L’Auror en charge étant ton propre père, il risque de te réclamer. D’ailleurs, je me demande comment il se débrouille ces jours-ci sans Miss Granger pour tout organiser.
Il fallut à James un moment pour réaliser que « Miss Granger » était sa tante Hermione, devenue Mrs Weasley depuis son mariage. Il ne put retenir un sourire, parce que la directrice voyait encore son oncle, sa tante et son père comme des élèves turbulents. Des enfants agréables, mais fatigants.
Lorsque la directrice et James rejoignirent le terrain de Quidditch, à la fin du passage entre les gradins de Serpentard et de Poufsouffle, ils y trouvèrent Harry et Titus Chateaubourg qui revenaient d’une première exploration des environs.
Ce fut McGonagall qui parla la première :
— Aucun signe de l’intrus ?
— Pour le moment, rien, répondit Chateaubourg de sa grosse voix. Le sol est trop sec pour garder la trace de ses pas, et il fait déjà trop sombre pour pouvoir le suivre sans une équipe organisée et un chien.
— Madame la directrice, dit Harry, (et James constata que son père était toujours en mode Auror,) j’aimerais avoir votre permission pour mener une fouille intensive de toute la zone. Nous aurons aussi besoin d’aide, et j’espère pouvoir choisir des personnes de confiance.
— Pensez-vous réellement que cet intrus soit une menace ? demanda la directrice à Harry avant de répondre à sa requête.
Harry écarta les mains, en haussant les épaules.
— Pour le moment, je manque d’information, et il m’est impossible d’en être certain. De toute évidence, l’homme que j’ai vu est trop âgé pour être un élève, et il ne fait partie ni des professeurs ni du personnel du château. Il portait, pour se déguiser, une cape empruntée à l’équipe des rafraîchissements, aussi, sa présence est suspecte. Et James m’a expliqué l’avoir déjà vu auparavant.
Bien entendu, toutes les têtes se tournèrent vers James.
— C’est celui dont je vous ai parlé l’autre matin, madame, dit James à la directrice. J’en suis certain. Il avait des pansements sur les bras et sur la figure. Il a dû se faire mal en tombant par la fenêtre.
— Je me doutais bien que cette histoire serait intéressante, marmonna Harry, qui cacha son sourire.
— Mais enfin, Mr Potter, Mr Chateaubourg, dit la directrice, en s’adressant aux deux adultes, vous êtes bien conscients que personne ne peut entrer au château ! Nous sommes protégés par des sortilèges puissants. Dans ce cas, cette personne était probablement autorisée, et…
— Vous avez raison, Minerva, coupa Harry. Mais je vous certifie que l’individu que j’ai aperçu n’a pas réagi comme une personne autorisée sur les lieux. Aussi, s’il a été admis ici, qui l’a fait entrer, et comment ? Voici deux questions que j’aimerais réellement lui poser, et c’est pour ça que je tiens à fouiller immédiatement les alentours du château.
McGonagall croisa le regard de Harry, puis elle hocha la tête, comme à regret.
— Très bien, c’est d’accord. Qui voulez-vous dans votre équipe ?
— Hagrid, bien entendu. Personne ne connaît mieux Poudlard que lui. De plus, nous aurons aussi son chien, Snob. Il faudra se séparer en trois équipes, Hagrid et moi irons dans la Forêt Interdite. Titus contrôlera les bords du lac. Nous aurions besoin de renforts, dommage que Neville soit absent ce soir.
— Nous pouvons le convoquer, proposa Chateaubourg.
— Ce ne sera pas nécessaire, dit Harry en secouant la tête. Après tout, nous ne recherchons qu’un seul individu, et probablement un Moldu. Non, deux autres personnes suffiront, si elles se montrent attentives et capables de suivre une piste. Pourquoi pas Ted Lupin et toi, James ?
James essaya de le cacher, mais à l’annonce de son père, il ressentit un frisson de fierté. Il hocha la tête, et s’efforça de prendre un air digne et confiant, sans montrer son excitation fébrile.
— Y aurait-il des hippogriffes actuellement à l’école, madame ? demanda Titus. Il nous serait utile d’avoir une vue d’en haut. Si l’homme s’est déjà introduit dans le château, il doit camper par ici.
— Non, pour le moment, nous n’avons aucun hippogriffe, Mr Chateaubourg. Mais nous avons des sombrals.
Harry secoua la tête.
— Non, ils volent trop haut. De plus, ce sont des jeunes, qui risquent de ne pouvoir porter ni Titus ni moi. Quant à Hagrid, n’en parlons pas.
James réfléchissait fébrilement.
— Vous voulez voir de haut, demanda-t-il, mais à quel point ?
Étonné, Chateaubourg lui jeta un regard en coin.
— L’important, c’est de dépasser la taille d’un homme. À hauteur d’arbre, je dirais, parce que plus haut, dans l’obscurité, nous manquerions les détails. Pourquoi ? Tu as une idée ? On t’écoute, mon garçon.
— Pourquoi ne pas utiliser les géants ? proposa James après un silence. (Il s’inquiétait un peu que son idée paraisse stupide. Ce serait lamentable de sa part de perdre si vite la confiance que son père lui avait accordée en lui permettant d’assister aux recherches.) Il y a Grawp, qui fait trois fois la taille d’un homme, et aussi sa nouvelle copine. D’après Hagrid, elle est encore plus grande que Grawp, d’un bon mètre.
Chateaubourg regarda Harry, sans mot dire. Et Harry étudiait la proposition.
— Combien de temps faudrait-il à Hagrid pour les faire venir ici ? demanda-t-il, à la directrice.
— Voilà une question dont la réponse m’intéresse, répondit-elle, d’un air hautain. J’ignorais que nous avions deux géants à proximité. Je me charge personnellement de rencontrer Hagrid, et de réclamer ses services, ainsi que ceux de ses grands amis. (Puis elle se tourna et regarda James.) Quant à toi, va chercher Ted Lupin mais ne parle à personne de la situation. Vous retrouverez tous les deux ton père et Mr Chateaubourg à la cabane de Hagrid dans un quart d’heure. N’oubliez pas de prendre vos capes et vos baguettes. Pour moi, je dois retourner au château et m’occuper de nos hôtes.
— James, dit Harry, avec son sourire si particulier. Cette fois, tu peux courir.
James était à bout de souffle quand il arriva enfin à la salle commune de Gryffondor. Il y trouva Ted, toujours en tenue de Quidditch, qui se morfondait avec les autres joueurs sur le résultat du match.
— Ted, viens vite ! Cria James, cherchant son souffle. Nous n’avons pas beaucoup de temps.
— Franchement, ce n’est pas une façon d’entrer dans une pièce, dit Sabrina. (Assise sur le canapé, tourna la tête pour regarder James.) À te voir comme ça, on a franchement l’impression que tu as quelque chose à faire
— Parfaitement, répondit James, penché en avant, les mains sur les genoux. Et j’ai besoin de Ted aussi. Mais je ne peux rien vous raconter tout de suite. C’est interdit. Ils te réclament, Ted. Ils nous attendent à la cabane de Hagrid dans cinq minutes. Avec baguette et cape.
Ted se releva d’un bond, manifestement heureux de pouvoir oublier un moment la défaite au Quidditch. D’ailleurs, il était toujours partant pour de nouvelles aventures.
— Très bien, j’ai toujours su que ce jour viendrait. Qu’on reconnaîtrait mes talents uniques et mon intelligence. Bien, jeunes gens, reposez-vous, James et moi vous raconterons plus tard nos aventures. James, je te suis.
Tout en parlant, Ted avait enfoui sa baguette dans sa poche et jeté sa cape sur ses épaules. Tandis que les deux garçons ressortaient derrière le portrait de la grosse dame, James haletait toujours. Ted marmonnait, la mâchoire serrée. Derrière eux, Sabrina cria :
— N’oubliez pas de nous ramener des Bièraubeurre en revenant, ô nobles aventuriers.
Dans les escaliers, James fut surpris de tomber sur Zane, qui s’arrêta pour leur parler.
— Hey, Ted, super match, non ?
Furieux de ce rappel inopportun, Ted se contenta d’un grognement.
— Où allez-vous ? Continua Zane en courant pour ne pas se laisser distancer.
— Vivre une aventure terrible, dangereuse et mortelle, répondit Ted. Tu veux venir ?
— Ouais, génial ! C’est quoi le plan ?
— Non, protesta James. Désolé. Je suis censé n’en parler à personne, sauf à Ted. Mon père a dit…
Aussitôt, Zane leva les sourcils.
— Ton père ? Dément. Du boulot d’Auror. Allez, mec, tu ne vas quand même pas t’amuser sans m’emmener avec toi ?
Exaspéré, James s’arrêta devant les portes du château.
— D’accord, viens, mais si mon père t’envoie bouler, tant pis pour toi. D’accord ?
— Waouh ! Cria Zane en courant en avant, sautant les marches de l’entrée deux par deux. Allez, bougez-vous un peu, les mecs. L’aventure nous attend !
Baguettes allumées, Harry et Titus Chateaubourg attendaient devant la cabane de Hagrid quand les trois garçons arrivèrent.
— Merci d’être venu, Ted, dit Harry, stoïque. Et voici un invité surprise que je n’attendais pas. Bonsoir, Zane.
— C’est moi qui lui ai demandé de venir, Harry, annonça Ted, le visage grave. Il est nouveau, mais il est vif. J’ai pensé qu’il pourrait nous rendre service, si tu as un plan pour ce soir.
Ted examina Zane d’un œil critique. Aussitôt, Zane effaça à son sourire béat, et tenta (sans succès) de prendre un air compétent. Harry les regarda tous les deux.
— En fait, nous avons surtout besoin d’observateurs. Zane a deux yeux, comme tout le monde, aussi je présume qu’il se qualifie. Espérons que Minerva ne va pas découvrir trop vite que j’ai embarqué un autre « premier année » dans la Forêt Interdite. Je suis à peu près certain qu’elle trouverait un foutu moyen de tous nous coller en retenue. James ne vous a rien raconté de ce qui s’est passé ce soir ?
Ted secoua la tête.
— Pas un mot. Il a juste dit que c’était top secret.
Harry examina James d’un regard étréci.
— La directrice t’avait prévenu de ne rien dire à personne, mon garçon.
— Je n’ai rien dit ! Protesta James, qui jeta un œil noir à Ted. J’ai juste dit que je n’avais rien le droit de dire.
— La meilleure façon de rendre les gens soupçonneux, James, c’est de leur annoncer un truc pareil. (Mais Harry ne semblait pas en colère, plutôt amusé.) C’est sans importance à présent. Nous devrions avoir fini, et être rentrés au château avant que tes copains Gremlins ne lancent une mission de reconnaissance. Pas vrai, Ted ?
— Il est déjà tard, parrain, ils doivent tous être couchés, affirma Ted avec sérieux.
James leva les yeux au ciel.
Puis il prit conscience d’une sorte de vibration sous ses pieds. Peu après, il entendit les aboiements lointains de Snob, l’énorme bullmastiff que Hagrid avait récemment acquis, après le décès de son bien-aimé Crockdur. Toutes les têtes se tournèrent vers la forêt, et la vibration devint plus forte. Une minute après, d’énormes silhouettes apparurent dans l’obscurité, plus hautes que les arbres. C’était leurs lourdes démarches qui provoquaient le tremblement. Snob courait entre les jambes des géants, inconscient qu’il risquait de terminer en carpette si l’un deux lui marchait dessus. Il aboyait, plein d’excitation, et paraissait tout à coup minuscule auprès des deux montagnes. Hagrid émergea le premier de la forêt. Il cria à Snob de se taire, mais sans conviction.
— C’était facile de faire venir Grawp, annonça-t-il en s’approchant. Il est toujours d’accord pour aider. Il a vraiment un cœur d’or, ce petit. Et il parle de mieux en mieux. Mais sa copine par contre… (Hagrid baissa la voix, affectant une nonchalance qui, selon James, était à peu près aussi subtile qu’un banshee dans une boîte d’allumettes.) Elle n’est pas encore très habituée à rencontrer des gens. Pas comme Grawp. Et elle n’a pas apprécié que je la réveille. En fait, elle comprend à peine quand je lui parle, mais je trouve préférable de continuer à essayer. Elle aussi finira à s’habituer, même si ça demande du temps. Il faut juste prendre des gants avec elle.
En entendant cette affirmation, James se souvint que Hagrid avait voulu élever (pour le plaisir) des Scroutts à pétard et estimait toujours que la principale caractéristique d’un dragon était sa gentillesse. Aussi, une annonce de prudence de sa part sur le caractère d’une créature bizarre était à prendre en considération. Quelques secondes plus tard, les deux géants sortirent de la forêt. Grawp le premier, avec un bon sourire, clignait des yeux dans la lumière des baguettes allumées. Pour saluer Harry, il leva vers une paume aussi large qu’un piano.
— Salut Harry, dit le géant, d’une voix profonde et caverneuse. (James la sensation que les mots n’étaient pas trop adaptés à sa nature.) Comment va Hemi… Hemonie.
Harry voulut lui épargner de continuer.
— Hermione va très bien, Grawp. Elle sera contente de recevoir de tes nouvelles quand je la reverrai.
Grawp parut un peu perdu devant tant de mots.
— Salut, Hemonie…Hemo-niii… Répéta-t-il, reprenant le nom d’Hermione alors que sa géante sortait derrière lui de la forêt.
James renversa la tête en arrière, saisi malgré lui d’un frisson de terreur. La géante était si grande qu’elle devait écarter le feuillage des arbres pour passer entre les troncs. Il y eut des craquements sourds du bois martyrisé. La lumière des baguettes n’atteignait que sa poitrine, environ à la hauteur de la tête de Grawp. Le reste restait dans l’ombre et planait au-dessus des arbres, comme une menace qui assombrissait le ciel étoilé. Elle avança plus lentement que Grawp et son pas lourd donnait l’impression qu’une avalanche secouait la forêt.
— Ça ne va pas être évident niveau discrétion, commenta Chateaubourg les yeux fixés sur la monstrueuse apparition.
— Harry, Titus, James, Zane et Ted, dit Hagrid d’une voix très lente, voici Prechka. Prechka, ce sont mes amis.
Prechka se pencha lentement, et approcha sa tête de l’épaule de Grawp. Elle poussa un grognement sourd, légèrement interrogateur. James aurait pu jurer avoir entendu vibrer derrière lui les volets rouillés de la cabane de Hagrid. Mais Harry, très calme, leva sa baguette allumée et lui adressa un sourire.
— Prechka, Grawp, merci d’être venus. Merci de nous aider. Ça ne prendra pas longtemps. Hagrid ? demanda-t-il ensuite au demi-géant, vous leur avez expliqué ce que nous attendions d’eux ?
Ce fut Grawp qui répondit.
— Harry cherche méchant homme. Grawp et Prechka aider.
— Parfait, dit Harry. (Il se tourna ensuite à son groupe.) Hagrid, vous partirez devant avec Snob, en le lançant sur la piste de l’intrus. Peut-être votre chien trouvera-t-il quelque chose d’intéressant, soit vers la Forêt Interdite, soit aux abords du lac. Si c’est le cas, prévenez-nous d’un signal rouge. Ted, tu viens avec moi, nous irons avec Prechka dans la forêt. Zane et James, vous irez avec Titus et Grawp vers le lac. Nous devons tous chercher la trace de l’intrus – des branches cassées, des feuilles déplacées, ou autres indices du genre. Surveillez aussi ce qui peut faire penser à un homme, des morceaux de vêtements, des débris, des papiers. C’est bien compris ?
— Qui cherchons-nous au juste, Harry ? demanda Ted.
Harry s’approchait déjà, prudemment, de la géante.
— Aucune idée, dit-il sans se retourner. Nous verrons bien quand nous le trouverons.