Chapitre 1 : L’ombre d’une légende
James Potter avança lentement sur le quai étroit, le long du train, fouillant chaque compartiment d’un regard aussi nonchalant que possible. Ceux qui étaient déjà à l’intérieur penseraient probablement que James cherchait quelqu’un – un ami, ou un groupe de camarades de son année, avec lesquels passer du bon temps durant le voyage. Du moins, c’est ce que James espérait. Pour rien au monde, il n’aurait voulu que les autres devinent sa nervosité. Malgré l’air bravache qu’il avait affiché devant son jeune frère, Albus, James avait l’estomac noué, et douloureux, comme s’il avait avalé l’une des Pastilles de Gerbe de son oncle George. Il ouvrit la porte du Poudlard Express, au bout du wagon, et avança d’un pas prudent dans le couloir. Le premier compartiment qu’il trouva était rempli de filles. Elles parlaient avec animation, de toute évidence les meilleures amies du monde, alors qu’il était probable qu’elles venaient à peine de se rencontrer. L’une d’entre elles leva les yeux et aperçut James qui les regardait fixement. Aussitôt, il détourna le visage, comme s’il cherchait à voir derrière elle, par la fenêtre. Sur le quai, l’activité était toujours animée. Les roues brûlantes, James se remit en route. Si seulement Rose avait un an de plus, elle serait là avec lui. Ce n’était qu’une fille, bien sûr, mais c’était aussi sa cousine, et ils avaient grandi ensemble. James aurait apprécié la présence d’un visage familier.
Bien entendu, il y avait Ted et Victoire dans le train. Mais Ted était en septième année, aussi il avait été rapidement absorbé par la masse bruyante de ses amis. Il avait à peine eu le temps d’agiter la main avec un clin d’œil en direction de James avant de disparaître dans un compartiment bondé, d’où émanait une musique tambourinante. Victoire, qui avait cinq ans de plus que James, l’avait bien invité à venir s’asseoir auprès d’elle, mais James ne se sentait pas trop à l’aise avec cette cousine-là. Il n’avait aucune envie de l’écouter bavarder sans fin avec les quatre autres filles de son compartiment, sur les bienfaits du maquillage à la poudre de perlimpinpin, ou des sortilèges concernant les soins capillaires. Victoire avait du sang vélane, et jamais aucune difficulté pour se trouver des amis, des deux sexes. De plus, James sentait bien qu’il était important pour lui de se débrouiller seul, malgré son sentiment d’abandon.
Ce n’est pas tant qu’il redoute d’aller à Poudlard. Il avait attendu ce jour quasiment toute sa vie, depuis qu’il avait été suffisamment âgé pour comprendre ce que signifiait d’être un sorcier. Sa mère lui avait alors expliqué qu’il existait une école spéciale où, un jour, il irait : Un établissement destiné aux sorciers et aux sorcières, afin de leur apprendre à utiliser la magie. James brûlait d’anticipation à l’idée de ses premiers cours. Il voulait apprendre à utiliser la nouvelle baguette, récemment acquise, qu’il portait fièrement dans son sac à dos. Et plus que tout, il espérait briller au Quidditch, sur son premier vrai balai, il espérait peut-être faire partie de l’équipe… Peut-être…
Mais c’était alors que son excitation se transformait en angoisse. Son père avait été le plus jeune attrapeur de l’équipe Gryffondor, et de toute l’histoire de Poudlard. James n’avait aucun espoir de faire mieux qu’égaliser un tel record. D’ailleurs, c’est ce que tout le monde attendait de lui – le fils aîné du fameux héros. Il connaissait l’histoire, qui lui avait été racontée des dizaines de fois (mais jamais par son père), comment le jeune Harry Potter avait réussi à attraper son premier vif d’or en plongeant littéralement de son balai en plein vol, manquant avaler la petite balle dorée dans son enthousiasme. À chaque fois, ceux qui racontaient cet épisode s’esclaffaient à ce moment-là. Et si son père était présent, il se contentait de sourire, un peu gêné, tandis que tous les autres lui envoyaient de grandes bourrades dans le dos. A quatre ans, James découvrit le fameux vif d’or rangé dans une boîte à chaussures, sur la dernière étagère du buffet du salon. Sa mère lui expliqua qu’il s’agissait d’un cadeau que le vieux directeur de l’école avait fait à son père. Les petites ailes de la balle ne fonctionnaient plus très bien, et l’or de son revêtement s’était terni. Pourtant, James resta tétanisé devant sa découverte. C’était le premier vif d’or qu’il voyait d’aussi près. La balle lui parut à la fois plus petite et plus grande que ce qu’il avait imaginé. Et son poids, dans sa main, était impressionnant. C’est le fameux vif d’or, se répétait James émerveillé. Celui de l’histoire. Celui que mon père a gagné. Il demanda à Harry la permission de le garder dans sa chambre, rangé la boîte à chaussures – du moins, tant qu’il ne jouait pas avec. Son père accepta. Fou de joie, James emporta son butin qu’il cacha sous son lit, juste à côté de son balai-jouet. Il prétendit que le recoin noir, sous sa tête de lit, était son casier de Quidditch. Il passa de nombreuses heures à jouer sur l’herbe, plongeant et récupérant son vif d’or terni, tandis que résonnaient dans sa tête les cris enthousiastes d’une foule imaginaire.
Mais qu’arriverait-il si James n’était pas le joueur de Quidditch que son père avait été ? S’il ne savait pas s’y prendre ? Oncle Ron prétendait que faire voler un balai était dans le sang des Potter, tout comme le feu était dans celui des dragons. Mais si James n’y arrivait pas ? S’il était trop lent, trop maladroit, ou s’il tombait en vol ? Et si… il n’était même pas choisi pour faire partie de l’équipe de l’école ? Durant tout le reste de sa première année, une telle déception pèserait lourdement sur lui. Depuis que son père avait quitté Poudlard, certaines règles avaient changé. Désormais, il y avait des élèves de première année qui entraient dans l’équipe de leur maison. C’était rare, mais pour James, échouer à le faire signifierait ne pas être à la hauteur de ce qu’on attendait de lui : être aussi brillant que le grand Harry Potter. Et si James n’était pas capable de jouer au Quidditch comme son père – ce qui était élémentaire – comment pouvait-il seulement espérer égaler sa légende ? Celle du garçon qui avait vaincu un basilic, gagné la coupe des trois sorciers, et réuni les reliques de la mort, et aussi – dans la foulée – vaincu le vieux Voldy, le sorcier le plus dangereux qui ait jamais vécu.
Le Poudlard Express crachota bruyamment de la fumée. Sur le quai, la voix sonore d’un contrôleur exigea la fermeture des portes. Dans le couloir, James se figea, accablé par la certitude morne que le pire venait déjà de lui arriver. Il avait tout raté, avant même de commencer. Brutalement, sa famille lui manqua si fort qu’il dut cligner des yeux pour retenir ses larmes. Il jeta un coup d’œil dans le compartiment suivant. Il n’y avait que deux garçons à l’intérieur, et ils ne se parlaient pas. Chacun d’eux regardait par la fenêtre sur le quai 9 ¾, tandis que le train se mettait en marche. James ouvrit la porte, et se précipita vers la vitre, espérant voir sa famille restée sur le quai. Tout à coup, il avait un énorme besoin de croiser le regard de l’un d’entre eux, une dernière fois, avant qu’il ne soit trop tard. Il vit son reflet sur la vitre, éclairé par le vif soleil du matin. Au dehors, la foule s’agitait. Il y avait tellement de gens que jamais James ne retrouverait les siens dans cette masse grouillante. Désespéré, il scruta les visages. Et tout à coup, il les vit. Ils étaient restés à l’endroit où James les avait laissés, serrés en un petit groupe, debout et immobiles au milieu des autres, comme des rochers dans un cours d’eau. Ils n’avaient pas encore repéré James à sa fenêtre, ignorant dans quel comportement il se trouvait. Oncle Bill et tante Fleur agitaient les mains vers un autre endroit du train, probablement pour dire adieu à Victoire. Son père et sa mère avaient un vague sourire aux lèvres, tout en fixant les wagons qui accéléraient, cherchant parmi les visages collés aux fenêtres. Albus se tenait près d’Harry, tandis que Lily serrait la main de sa mère, les yeux écarquillés, braqués sur la locomotive rouge qui sifflait. Tout à coup, Ginny repéra James, et tout son visage s’illumina. Elle prévint les autres. Harry tourna la tête, et le vit aussi. Ses parents agitèrent la main, en souriant fièrement. Puis sa mère s’essuya les yeux du bout des doigts, sans lâcher Lily. Si James ne leur rendit pas leur sourire, il les fixa aussi longtemps que possible, et se sentit mieux. Ils disparurent tandis que le train prenait de la vitesse. James regarda encore un moment des inconnus massés sur le quai, puis le train passa sous un tunnel, et quitta la gare. James soupira, lâcha son sac à dos qui tomba sur le sol, et s’écroula dans un siège.
Durant plusieurs minutes, en silence, James regarda Londres défiler derrière la vitre. Quand le train atteignit les faubourgs, les habitations devinrent plus rares, et les zones plus industrielles. L’activité, en ce brillant matin, était à son comble. James se demanda, comme il le faisait souvent, à quoi ressemblait la vie des personnes qui ne connaissaient pas à la magie. Pour la première fois, il les envia, parce qu’ils allaient dans des écoles bien moins difficiles (du moins, il le pensait.) Au bout d’un moment, il détourna la tête, et étudia les deux autres garçons qui partageaient son compartiment. L’un d’eux était assis à ses côtés, près de la porte. Il était très grand, avec une tête carrée, et de courts cheveux noirs. Il feuilletait nerveusement un magazine intitulé Magie élémentaire : que faut-il savoir pour bien débuter sa première année ? James avait remarqué sur le quai le vendeur ambulant qui proposait ce magazine. Sur la couverture, un sorcier adolescent très sûr de lui portait une robe noire et brandissait une baguette avec laquelle il faisait apparaître différents objets, dont un arbre dont les fruits étaient des cheeseburgers. James n’en vit pas davantage car le garçon tourna la page pour lire un des articles. Du coup, James tourna les yeux vers le blond qui lui faisait face – et qui l’étudiait aussi, ouvertement, avec un sourire.
— J’ai apporté un chat, annonça tout à coup le garçon.
Étonné, James cligna des yeux, avant de remarquer la boîte posée sur le siège près du garçon. Il y avait une porte grillagée, et on voyait à l’intérieur un petit chat noir et blanc qui se léchait délicatement les pattes de devant.
— J’espère que tu n’es pas allergique aux chats, continua le garçon.
— Oh, non, répondit James. Je ne pense pas. A la maison, on a un chien, mais ma tante Hermione a un énorme chat plein de poils. Il est très vieux. Et je n’ai jamais eu aucun problème avec lui.
— Tant mieux, dit le blond. (Il avait un accent américain que James trouvait plutôt amusant.) Mes parents sont tous les deux allergiques aux chats, alors je n’ai jamais pu en avoir. Mais je les aime. Quand j’ai vu qu’on pouvait apporter un chat à l’école, j’en ai tout de suite voulu un. Il s’appelle Pouce. Tu as vu, il a six griffes. Une de trop sur chaque patte. Bien sûr, ça n’a rien de particulièrement magique, mais je trouve que ça en fait un animal intéressant. Et toi, qu’as-tu apporté ?
— Une chouette. Il y a plusieurs années qu’elle est dans ma famille. C’est une vieille effraie des clochers, avec beaucoup d’heures de vol. Je voulais un crapaud, mais mon père prétend qu’il vaut mieux commencer avec une chouette. Il dit que c’est l’animal le plus utile pour sa première année. En fait, je pense qu’il veut simplement que j’en aie une parce que c’est ce que lui-même avait choisi d’avoir.
L’autre garçon eut un grand sourire.
— Alors, ton père aussi est un sorcier ? Pas le mien. D’ailleurs, ma mère non plus. Je suis le premier sorcier de la famille. Nous avons juste découvert l’existence du monde magique l’année dernière, et je n’arrivais pas à y croire. J’ai toujours pensé que la magie était destinée aux petits gosses pour animer leurs fêtes d’anniversaire. Tu sais, avec ces faux magiciens qui ont de grands chapeaux noirs et qui te sortent des dollars d’argent de l’oreille. Des trucs comme ça. Waouh ! Toi, tu as connu l’existence de la magie toute ta vie ?
— À peu près. C’est plutôt logique quand les premiers souvenirs d’enfance sont l’arrivée des grands-parents pour Noël par le réseau des cheminées, répondit James, qui vit les yeux du blond s’agrandir. Bien sûr, je n’y trouvais rien d’anormal. Je croyais que tout le monde faisait pareil.
Le garçon poussa un long sifflement d’admiration.
— C’est vraiment dingue. Tu as de la chance. Au fait, je m’appelle Zane Walker. Et je viens des États-Unis, comme tu as pu le deviner. Cette année, mon père travaille en Angleterre. Il est dans le cinéma, ce qui est bien moins drôle qu’il n’y paraît. L’année prochaine, je retournerai probablement dans une école de magie américaine, mais cette année, ce sera Poudlard. Et ça me va très bien. Sauf que, s’ils essayent encore de me coller du poisson ou des rognons au petit-déjeuner, je vais péter un câble. Je suis content de te connaître.
Il avait terminé son discours plutôt vite, et il tendit la main en avant. Un geste si automatique que James faillit éclater de rire. Il accepta cependant la main offerte, heureux d’avoir si vite trouvé quelqu’un à qui parler.
— Je suis heureux de te connaître, Zane. Je m’appelle Potter. James Potter.
Zane se renfonça dans son siège, et regarda James, en penchant la tête d’un air curieux.
— Potter. James Potter ? Répéta-t-il.
Comme d’habitude, James ressentit un léger frisson de fierté et de satisfaction. Il avait l’habitude d’être reconnu, même s’il prétendait parfois que ça le gênait. Zane plissa les yeux, et eut un sourire de connivence.
— Alors, agent 007, où est Q ?
James perdit son sourire.
— Pardon ?
— Quoi ? Oh, désolé, dit Zane, tandis que son expression se faisait perplexe. Je croyais que tu faisais une plaisanterie au sujet de James Bond. Avec l’accent que tu as, c’est difficile à dire.
— James qui ? demanda James, avec la sensation d’avoir complètement perdu le fil de la conversation. Et quel accent ? C’est toi, qui en a.
— Tu t’appelles vraiment Potter ?
Cette fois, l’interruption venait du troisième garçon qui partageait leur compartiment. Il avait quitté son magazine des yeux.
— Oui, James Potter.
— Potter ! s’exclama Zane, en tentant, de façon ridicule, de prendre un accent britannique. James Potter, répéta-t-il sur les syllabes.
Il avait aussi levé le poing près de son visage, tandis que deux de ses doigts pointaient vers le plafond, comme un pistolet.
— Serais-tu le fils de Harry Potter ? demanda le voisin de James, en ignorant Zane. Je viens juste de lire son nom dans un article qui rappelle les principaux événements du monde magique. Ce gosse semble avoir eu un rôle drôlement important.
— Ce n’est plus un gosse aujourd’hui, dit James en riant. C’est mon père. Et il paraît drôlement moins important quand tu le vois le matin, manger des Corn Flakes en caleçon.
Ce n’était pas tout à fait vrai, mais ça mettait toujours les gens à l’aise d’imaginer le « grand » Harry Potter mener une vie normale. Le grand brun leva les sourcils, plissant légèrement le front.
— Waouh ! Cool ! Ils disent là-dedans qu’il a vaincu en duel le plus dangereux des sorciers noirs. Un mec qui s’appelait… Euh… (Il jeta un coup d’œil à son magazine, le parcourant rapidement.) Je l’ai vu quelque part. Volda-machin-truc.
— Oui, c’est vrai, admit James. Mais franchement, maintenant, c’est juste mon père pour moi. Cette histoire date d’un bail.
Mais le grand brun avait tourné les yeux vers Zane.
— Toi aussi, tu es né-Moldu, pas vrai ? demanda-t-il.
L’Américain le regarda avec des yeux ronds.
— Quoi ? Je suis né… quoi ?
— Tu es né de parents non-magiques, comme moi, répondit le grand brun d’un ton sérieux. J’essaie d’apprendre le langage des sorciers. Mon père prétend qu’il est important, dès le début, d’avoir des bases solides. C’est un Moldu, mais il a quand même déjà lu l’Histoire de Poudlard d’un bout à l’autre. Durant notre voyage jusqu’à la gare, il a passé son temps à me poser des questions dessus. Essayez de me coincer vous aussi. Demandez-moi quelque chose, n’importe quoi.
Il leur jetait des coups d’œil, passant de Zane à James.
James leva les sourcils avant de regarder Zane, qui secoua la tête.
— Euh… Combien font 7 fois 43 ?
Le grand brun leva les yeux au ciel, et se renfonça dans son siège.
— Je parlais de Poudlard et du monde magique.
— J’ai acheté une nouvelle baguette, dit Zane sans plus se préoccuper de lui. (Il se retourna pour fouiller dans son sac.) Elle est en bouleau, avec un crin de licorne à l’intérieur. Mais je n’arrive pas à la faire marcher pour le moment. Et pourtant, je peux te garantir que j’ai essayé.
Il leva sa baguette encore enveloppée d’un papier jaune, et l’agita frénétiquement.
— Au fait, je m’appelle Ralph, dit le grand brun en rangeant son magazine. Ralph Deedle. Moi aussi, je viens d’acheter une baguette. Elle est en bois de saule, avec un poil de barbe de yéti à l’intérieur.
James sursauta et le fixa.
— Un quoi ?
— Un poil de barbe de yéti, c’est un animal qui vit dans l’Himalaya. Et c’est très rare, d’après le mec qui nous a vendu cette baguette. Il a demandé à mon père vingt gallions. Compte tenu du change, c’est un sacré tarif. Je pense. (Puis il étudia les visages de Zane et James et s’inquiéta :) Qu’est-ce qu’il y a ?
James releva les sourcils.
— Je n’ai jamais rencontré de yéti de l’Himalaya.
Ralph ne se pencha en avant, les coudes sur les genoux.
— Bien sûr, mais au moins tu en connais l’existence non ? Parfois, on les appelle les « abominables hommes des neiges ». J’ai toujours cru qu’ils n’existaient pas. D’un autre côté, ce n’est qu’à mon dernier anniversaire que mon père et moi avons découvert que j’étais un sorcier. J’ai toujours cru aussi que les sorciers n’existaient pas. Et maintenant, j’apprends des tas de trucs dingues, et tout ce que je croyais imaginaire est en fait la réalité.
À nouveau, il ramassa son magazine, et feuilleta les pages d’une main, tandis que de l’autre, il les indiquait du doigt.
— Juste par curiosité, demanda James une voix prudente, où as-tu acheté ta baguette ?
Ralph eut un grand sourire.
— Et bien, je dois te dire, je croyais que ce serait le truc le plus difficile à trouver. On ne peut pas dire qu’il y ait des marchands de baguette magique à chaque coin de rue, pas vrai ? Du moins, là où je vivais, dans le Surrey, ce n’est pas le cas. Alors, nous sommes venus à Londres, en espérant qu’il y ait plus de choix dans une grande ville. Nous cherchions à trouver le Chemin de Traverse. Et là, miracle, nous avons rencontré un vendeur ambulant dès que nous y sommes entrés.
Zane regardait Ralph d’un air intéressé.
— Un vendeur ambulant, insista James.
— Oui. Bien sûr, il ne montrait pas ses baguettes à tout le monde. En fait, il vendait des cartes pour les touristes. Mon père en a acheté une, et lui a demandé où nous pourrions trouver le meilleur vendeur de baguettes de la ville. Mon père travaille dans l’informatique, il installe des logiciels de sécurité pour des ordinateurs. Je vous l’ai déjà dit ? Bon, peu importe. Il a demandé au marchand le meilleur vendeur de baguettes. Et on a eu la chance, parce que ce type était justement un spécialiste en baguettes. Il n’en fait que très peu, mais il les garde pour des occasions spéciales, pour des gens qui en ont réellement besoin. Aussi mon père a pris la meilleure du lot.
James avait du mal à garder un visage impassible.
— La meilleure du lot… Répéta-t-il.
— Oui, confirma Ralph, qui fouilla dans son propre sac à dos et en sortit un long paquet fin emballé dans du papier kraft.
— …celle avec un poil de yéti, dit James.
Tout à coup, Ralph lui jeta un coup d’œil, en cessant son déballage.
— Tu sais, quand tu en parles comme ça, ça paraît complètement idiot, remarqua-t-il d’un air morose. Ah, zut.
Il écarta le papier marron et sortit un bâton d’environ 45 cm de long, aussi épais qu’un manche à balai. Le bout avait été limé et arrondi, et peint d’un vert criard. Les trois garçons contemplèrent l’objet avec des yeux ronds. Au bout d’un moment, Ralph s’adressa à James d’un ton presque désespéré :
— Tu crois que ce truc ne vaut rien du tout pour faire de la magie ?
James pencha la tête de côté.
— Écoute, tu pourras toujours t’en servir pour tuer un vampire en lui perçant le cœur. Du moins je présume.
— C’est vrai ? demanda Ralph, rasséréné.
Zane se redressa et pointa du doigt la porte du compartiment.
— Regardez, génial. Voilà de quoi manger. Dis-moi, James, tu as de l’argent sorcier ? Je crève la dalle.
Une vieille sorcière poussant un chariot de sucreries s’arrêta devant la porte ouverte de leur compartiment.
— Auriez-vous envie de quelque chose, mes mignons ?
Zane était déjà debout, et il examinait de plus près ce qu’elle proposait sur son chariot. Il se tourna vers James, et le regarda d’un air interrogateur.
— Allez viens, Potter, voici ta chance d’accueillir comme il se doit des nés-Moldus dans le monde magique. Je suis sûr que les sorciers sont connus pour leur générosité. Moi je n’ai que des dollars américains. (Il se tourna vers la sorcière.) Est-ce que par hasard vous accepteriez les billets verts yankee ?
Elle le regarda, d’un air horrifié.
— Les billets verts… Pardon ?
— Pétard, je m’en doutais, répliqua Zane, avant de tendre la main vers James, en agitant les doigts.
James fouilla dans la poche de son jean, à la fois surpris et amusé par le culot de l’Américain.
— Tu sais, l’agent sorcier, ce n’est pas de l’argent Monopoly, dit-il, d’un air de reproche, mais il ne pouvait cacher son sourire.
Une fois de plus, Ralph leva les yeux de son magazine.
— Est-ce qu’il a vraiment dit « pétard » ?
— Oooh ! Regardez un peu ça, s’écria Zane avec enthousiasme. Des Chaudrons en chocolat et des Baguettes réglisse. Pas à dire, vous-autres sorciers avez le sens de la métaphore. Euh… Nous-autres sorciers, je veux dire.
James paya la sorcière, et Zane retomba dans son siège, tout en ouvrant une boîte de bonbons. Plusieurs petites baguettes réglisse, de couleurs différentes, étaient alignées à l’intérieur. Zane en sortit une rouge, la brandit, puis la pointa vers Ralph. Il y eut un « pop » et une pluie de petites fleurs violettes s’éparpilla sur la chemise de Ralph, qui baissa les yeux pour les regarder.
— Incroyable, dit Zane, avant de croquer dans sa baguette. Je n’ai jamais réussi à faire ça avec ma vraie baguette.
James était à la fois surpris et heureux de découvrir qu’il avait oublié sa nervosité. Du moins, presque. Il ouvrit une boîte contenant une chocogrenouille, rattrapa la bestiole au moment où elle sautait, et lui croqua la tête. En regardant au fond de la boîte, il vit le visage de son père lui sourire. « Harry Potter, celui-qui-a-survécu » disait la légende sur la carte. Il sortit la carte de la boîte, et la tendit à Ralph.
— Tiens, dit-il. Voici un petit cadeau pour mon nouvel ami né-Moldu.
Ralph accepta la carte, mais sans la regarder. Il mâchonnait avec attention une des fleurs violettes que Zane avait produites.
— Je ne suis pas certain, dit-il, en les examinant, mais à mon avis, c’est de la meringue.
Après l’excitation du départ, l’inquiétude, et le plaisir de faire des rencontres, le reste du voyage paru particulièrement facile. James se retrouvait soit dans le rôle du guide, pour expliquer à ses deux nouveaux amis le monde de la magie, soit dans celui du spectateur, dès que la conversation se tournait vers la vie moldue, avec des concepts qui lui étaient inconnus. Il trouvait incroyable que les deux autres aient passé autant de temps durant leur enfance à regarder la télévision. Et quand ce n’était pas le cas, eux et leurs amis jouaient à des jeux vidéo, où ils faisaient « semblant » de conduire des voitures, d’avoir des aventures virtuelles, ou de pratiquer des sports qui n’existaient que sur leur écran. Bien sûr, James connaissait l’existence de la télévision et des jeux vidéo. Mais vu que tous ses amis étaient des sorciers, il avait pensé que les enfants moldus ne s’adonnaient à de tels passe-temps que s’ils n’avaient réellement rien de mieux à faire. Quand il posa la question à Ralph – à savoir pourquoi faire « semblant » de jouer plutôt que de pratiquer un sport réellement – le grand brun se contenta de lever les yeux au ciel, avec un grognement exaspéré, puis il jeta un coup d’œil à Zane comme pour lui demander de l’aide. L’Américain envoya une grande claque sur le dos de James, et répondit :
— James, mon pote, c’est un truc de Moldu. Tu ne peux pas comprendre.
En échange, James leur expliqua de son mieux ce qu’il connaissait de Poudlard et du monde magique. Il leur parla du secret qui entourait le château, et les sortilèges qui empêchaient qu’on le découvre, à moins d’y avoir été spécifiquement invité. Il décrivit les quatre maisons de l’école, et le système des points pour gagner la Coupe des Quatre Maisons, remise en jeu chaque année, comme ses parents le lui avaient appris. Il essaya, de son mieux, de leur faire comprendre les règles du Quidditch, mais de toute évidence, les deux autres en restèrent perplexes, et peu intéressés. Zane avait dans l’idée que seules les sorcières montaient sur un balai – d’après un film dont le titre était Le sorcier d’Oz. Faisant montre de patience, James tenta de les convaincre qu’aussi bien les sorciers que les sorcières volaient sur des balais, et que ce n’était pas du tout un « truc de fille ». Zane sentit sa consternation et persista cependant à croire que les sorcières avaient la peau verte et de grosses verrues poilues sur le nez. A un moment, la conversation tourna à l’aigre.
Le soir tombait, et le ciel devenait d’un violet pâle. À l’extérieur, les arbres se fondaient peu à peu dans l’obscurité. Un garçon plus âgé, avec des cheveux blonds coupés courts, frappa soudain à la porte du compartiment et l’ouvrit.
— Nous arrivons bientôt à Poudlard, dit-il d’une voix décidée. Vous feriez bien de mettre vos robes de sorcier.
Zane fronça les sourcils, et le regarda d’un air inquisiteur.
— Vraiment ? demanda-t-il. Il fait presque nuit. Vous êtes vraiment certain que nous y sommes obligés ?
Il avait prononcé « vraiment » avec un accent anglais caricatural, et le nouveau-venu le regarda d’un air menaçant.
— Je m’appelle Steven Metzker, cinquième année, dit-il, et je suis préfet. Et toi ?
Zane se redressa d’un bond, et tendit la main, avec le même geste que celui qu’il avait offert à James au début du voyage. Mais pas tout à fait dans le même esprit.
— Walker. Zane Walker. Enchanté de te rencontrer, Mr Préfet.
Steven baissa les yeux vers la main tendue, puis décida, en faisant un effort visible, de la prendre et de la serrer. Puis il s’adressa à l’ensemble du compartiment pour dire :
— Il y aura un dîner d’accueil dans la Grande Salle peu après votre arrivée au château. Les robes officielles sont exigées. D’après votre accent, Mr Walker, continua-t-il en reculant d’un pas et en examinant l’Américain, je présume que vous êtes étranger au concept de s’habiller pour le soir. J’espère que ça vous viendra assez vite.
Il croisa le regard de James, cligna rapidement de l’œil, et disparut dans le couloir.
— Je n’en doute pas, répondit Zane avec entrain.
James dut aider Ralph et Zane à mettre leur robe. Ralph l’avait enfilée devant derrière, et ressemblait à un jeune clerc de notaire. Quant à Zane, trouvant le look amusant, il avait fait la même chose exprès, en prétendant qu’il était important de créer la mode et non de la subir. James dut insister sur le fait que l’école et les professeurs prendraient ça pour de l’irrespect, avant que Zane consente, à contrecœur, à remettre sa robe à l’endroit.
James avait entendu parler, de nombreuses fois, de ce qui l’attendait à l’arrivée du train. Il connaissait l’existence de la gare de Poudlard. Il s’y était même rendu, de temps à autre, étant enfant, même s’il n’en gardait aucun souvenir. Il savait que les « première année » seraient emmenés au château en bateau, à travers le lac. Il avait déjà vu des dizaines de photos du château lui-même. Et pourtant, il découvrit que rien de ce qu’il avait appris ne l’avait réellement préparé à la grandeur solennelle du moment. Tandis que les petites barques traversaient le lac, en créant un sillage en V sur l’eau étincelante, James regarda, émerveillé. Le spectacle lui parut encore plus superbe que ce qu’il attendait. Le château était énorme, et surplombait un énorme monticule de roche. Il s’étendait très largement, avec ses tours et ses remparts, chaque détail de sa structure souligné d’un côté par les ombres de la nuit qui tombait, et de l’autre par les derniers rayons du soleil couchant. Une multitude de fenêtres apparaissait sur les murs du château, brillant d’une lumière jaune et accueillante, qui renvoyait des éclats d’or. L’ensemble était massif, énorme, et James en sentit le poids tomber sur lui avec une expectative agréable. Tout son corps en fut traversé, et eut la sensation de s’enfoncer, profondément, comme un reflet, dans le miroir du lac.
Tout à coup, il réalisa quelque chose auquel il ne s’était pas attendu. Après le premier moment de surprise, alors que les conversations reprenaient parmi les nouveaux élèves qui s’interpellaient d’une barque à l’autre, et faisaient de grands gestes, James remarqua une autre embarcation sur le lac. Contrairement aux petites barques sur lesquelles lui et ses amis se trouvaient, ce bateau inconnu n’était pas éclairé par une lanterne. De plus, il ne s’approchait pas du château. Au contraire, il semblait s’en écarter. Et l’embarcation était plus importante, mais néanmoins petite, et presque perdue dans l’ombre à l’autre bout du lac. Il n’y avait qu’une seule personne à bord, très mince, presque squelettique. On aurait dit une araignée. James pensa qu’il s’agissait d’une femme. Et au moment où il apprêtait à se détourner de cette vision, après tout sans importance, la silhouette leva les yeux et le regarda, comme si elle avait remarqué sa curiosité. Dans le clair-obscur qui s’assombrissait, James fut presque certain que leurs yeux se croisèrent. Tout à coup, de façon inattendue, un grand froid le traversa. C’était bien une femme. Elle avait la peau sombre, et le visage osseux, dur, avec de hautes pommettes et un menton pointu. Une écharpe était nouée en turban sur sa tête, et lui cachait les cheveux. Tout en le regardant, le visage de cette inconnu ne démontrait ni peur ni colère. En fait, on aurait dit un masque sans expression. Puis elle disparut. James cligna des yeux, surpris, avant de réaliser que cette disparition était en réalité due à une haie de roseaux derrière laquelle le bateau s’était glissé. Il secoua la tête, avec un sourire moqueur envers lui-même. Comme toutes les « première année », il était plutôt nerveux. Puis il tourna les yeux vers le château qui approchait.
Les élèves de première année débarquèrent dans la cour dans un brouhaha d’excitation et de bavardage. James fut bousculé et poussé en avant par le reste du groupe tandis que tous montaient les escaliers dans un corridor largement éclairé. Mr Rusard les attendait, et James le reconnut à ses cheveux rares, son visage renfrogné, et surtout sa chatte, Miss Teigne, qu’il tenait au creux du bras. En regardant autour de lui, James aperçut les escaliers magiques, qui changeaient de position, sans un craquement ni un grincement. Les autres élèves poussèrent immédiatement des cris de surprise et de plaisir. Et tout à coup, ils se retrouvèrent dans la Grande Salle, dont les panneaux sculptés brillaient somptueusement dans la lumière des chandeliers. Tandis que tous les élèves s’agglutinaient les uns contre les autres, les conversations s’étouffèrent. Zane était debout devant, l’épaule collée à celle de Ralph, qui avait quasiment une tête de plus que le reste du groupe. L’Américain tourna la tête, et regarda James tout en agitant les sourcils avec un grand sourire.
Les portes grincèrent et s’ouvrirent. De la lumière et du brouhaha jaillirent de la pièce immense qui révélait la Grande Salle dans toute sa splendeur. Les longues tables des quatre maisons s’alignaient, déjà remplies des anciens élèves, et il y eut des centaines de visages souriants, riant et papotant à découvrir. James chercha Ted dans la foule, mais il ne le trouva pas.
Un professeur très grand et légèrement voûté, qui les avait accompagnés jusque-là se tourna tout à coup vers eux avec un sourire d’une franchise désarmante.
— Bienvenue à Poudlard, pour votre première année, dit-il, en élevant la voix pour couvrir les bruits de la Grande Salle. Je suis le professeur Londubat. Vous allez être immédiatement répartis dans les différentes maisons. Dès que ce sera fait, vous vous installerez à votre table, et le dîner sera servi. Suivez-moi.
Il se retourna et avança d’un pas vif qui faisait claquer les longs plis de sa robe. Les « première année » le suivirent dans la Grande Salle. Tous se sentaient plutôt nerveux, et ils durent trotter pour rester derrière le professeur. James remarqua que Zane et Ralph renversaient la tête en arrière, le menton pointé de plus en plus haut. Il avait presque oublié le plafond magique. Lui aussi leva la tête, mais juste un peu, pour ne pas montrer à quel point il était impressionné. Plus il regardait, plus le plafond disparaissait, comme transparent, révélant de façon splendide et sidérante le ciel extérieur. De nombreuses étoiles y brillaient de leur lumière glacée, comme une poussière d’argent sur le velours sombre du ciel. Sur le côté, juste au-dessus de la table des Gryffondor, une demi-lune montait, et son sourire figé ressemblait à celui d’un géant, à moitié fou.
— Il a vraiment dit que son nom était « Londubat » ? demanda Zane à James du coin de la bouche. « Long du bas », ça ressemble presque à « long popotin » non ?
— C’est Neville Londubat, répondit James froidement.
— Waouh ! Chuchota Zane. Vous-autres, les Britanniques, avez à vous décoincer niveau humour. Avec un nom pareil, je ne sais même pas où ça peut s’arrêter.
Ralph lui indiqua de se taire, tandis que la foule autour d’eux faisait silence, ayant enfin remarqué l’arrivée des « première année », devant l’estrade des professeurs.
James jeta un coup d’œil sur la table où ils étaient tous installés, et essaya de repérer ceux qu’il connaissait déjà. Il vit le professeur Slughorn, toujours aussi gros et étrangement vêtu, comme ses parents le lui avaient décrit. James se souvint que Slughorn était rentré à Poudlard à contrecœur et de façon temporaire, quand ses parents y étaient encore élèves, et pourtant, il n’en était jamais parti. A côté de lui, il y avait le fantôme du professeur Binns, puis le professeur Trelawney, qui clignait ses yeux de chouette derrière ses lunettes gigantesques. Un peu plus loin, reconnaissable à sa taille minuscule (James remarqua qu’il était assis sur trois énormes livres de cuir) se trouvait le professeur Flitwick. Il y avait d’autres visages, que James ne reconnut pas, des professeurs arrivés depuis le départ de ses parents, et qui lui étaient étrangers. Il ne vit pas Hagrid parmi les convives, mais James savait que le demi-géant était actuellement en mission chez les géants, avec son demi-frère Grawp. Il ne devait pas revenir avant le lendemain. Finalement, au beau milieu de la table, il vit la directrice de l’école, Minerva McGonagall, qui se levait et tendait les bras vers eux
— Bienvenue, à tous, aux élèves que nous connaissons déjà, et à ceux que nous accueillons pour la première année, dit-elle de sa voix ferme. Bienvenue à tous pour ce premier banquet de notre nouvelle année à Poudlard, école de magie et de sorcellerie.
En réponse, il y eut un grand cri unanime de tous les étudiants assis derrière James. Il jeta un coup d’œil vers eux, scrutant la foule. Et soudain, il remarqua Ted, assis à la table de Gryffondor, les deux mains en porte-voix autour de la bouche, entouré par un groupe de filles et de garçons tous plus beaux les uns que les autres. James essaya de lui sourire, mais Ted ne le remarqua pas.
Tandis que les applaudissements diminuaient, la directrice McGonagall continua :
— Je suis heureuse de constater que vous paraissez si excités à l’idée d’être ici. Soyez assurés que c’est le cas aussi pour vos professeurs et toute l’équipe de l’école. Espérons que ce bel esprit de compréhension mutuelle perdurera toute l’année.
Elle fouilla des yeux la foule, s’attardant sur certains individus. James entendit les chaises remuer, puis le silence tomba tandis que certains sourirent se faisaient un peu coupables.
— Et maintenant, continua la directrice, en se tournant vers une chaise posée sur l’estrade que venaient d’apporter deux élèves plus âgés. (James remarqua que l’un d’entre eux était le préfet Steven Metzker qu’ils avaient rencontré dans le train.) Nous allons suivre la tradition de chaque première rencontre de l’année, et laisser le choixpeau décider de la maison à laquelle appartiendront nos nouveaux élèves. Les « première année », veuillez approcher de l’estrade. Je vais appeler vos noms un par un. Puis vous monterez, et vous installerez sur ce siège…
James ne suivit par la suite. Il connaissait très bien le processus de la cérémonie, que ses parents lui avaient rappelé encore et encore. Durant les jours précédents, il avait été terriblement excité à l’idée de découvrir dans quelle maison il irait, sans penser à rien d’autre. Tout à coup, il réalisait que son excitation avait en fait dissimulé une terreur horrible. Parce que le choixpeau serait la première des épreuves qu’il aurait à traverser afin de prouver qu’il était réellement le digne héritier que ses parents espéraient, que tout le monde sorcier avait d’ores et déjà décidé. James lui-même ne s’en était rendu compte qu’en voyant un article de La Gazette du sorcier quelques semaines plus tôt. C’était un petit article bien juteux, du genre « Qu’arriverait-il si… ». En le lisant, James avait connu sa première sueur froide. L’article commençait par une biographie synthétique de la vie de Harry Potter, désormais marié à son amour de jeunesse, Ginny Weasley. Il annonçait aussi que le fils aîné de Harry et Ginny Potter rentrerait cette année à Poudlard. Et James n’avait pu oublier la dernière ligne de l’article. Il s’en souvenait encore mot à mot : « Toute l’équipe de La Gazette du sorcier, comme tout le reste du monde magique, adresse ses vœux les plus sincères au jeune Mr Potter qui, n’en doutons pas, sera le digne héritier d’un homme légendaire. Qui sait, peut-être surpassera-t-il même notre bien-aimé héros. »
Et que dirait l’équipe de La Gazette du sorcier et le reste du monde magique si « l’enfant du bien-aimé héros et de l’homme légendaire » était envoyé par le choixpeau ailleurs qu’à Gryffondor ? Avant de quitter le quai 9 ¾, James avait confié à son père son inquiétude à ce sujet.
— Un sorcier est tout aussi valable en venant de Gryffondor ou de Poufsouffle, de Serdaigle ou de Serpentard, James, avait dit Harry, accroupi devant son fils, la main posée sur son épaule.
James avait serré les lèvres, sachant bien à l’avance que ce serait la réponse de son père.
— Est-ce que ça t’aurait réconforté, autrefois, avant que tu t’asseyes sur cette chaise pour mettre le choixpeau sur ta tête ? Avait-il demandé d’une petite voix sérieuse.
Tout d’abord, son père n’avait pas répondu, puis il avait souri un peu tristement avant de secouer la tête.
— Tu sais, à l’époque, je n’étais qu’une andouille, morte de peur, sans la moindre idée de ce qui m’attendait. James, mon garçon, n’essaye pas d’être comme moi, d’accord ? Nous connaissons de très grands sorciers et sorcières qui ont appartenu aux quatre maisons. Je serais fier et honoré que mon fils soit admis dans chacune d’entre elles.
James avait hoché la tête, mais sans trop y croire. Il savait bien que, malgré tous ces beaux discours, son père voulait – espérait – le voir à Gryffondor, la maison où sa mère et lui avaient été, comme tous ses oncles et tantes, comme tous les héros de toutes légendes qu’on lui avait racontées durant son enfance. Après tout, Godric Gryffondor lui-même avait été le plus grand sorcier des quatre fondateurs de Poudlard.
Et pourtant, à présent, debout devant l’estrade, à examiner le Choixpeau présenté par la main maigre de la directrice McGonagall, James découvrit que ses peurs et inquiétudes avaient disparu. Durant les dernières heures, il en avait peu à peu pris conscience. Et tout à coup, la réponse évidente était juste en face de lui. Depuis le début, il avait cru ne pas avoir le choix – cru être obligé de suivre les traces de son héros de père. Et bien entendu, il craignait de ne pas être à la hauteur d’une telle tâche. Et de faillir. Mais si… s’il y avait une alternative ? Si James n’essayait même pas ?
James leva les yeux, le regard flou, tandis que le premier des élèves était appelé sur l’estrade. Le choixpeau fut déposé sur sa tête, cachant presque ses yeux affolés et curieux à la fois. James était figé, raide comme une statue qui aurait eu les cheveux noirs de son père, rebelles et ébouriffés, et les traits de sa mère, ouverts et expressifs. Et s’il n’essayait pas de vivre dans l’ombre de son père ? Après tout, ce serait génial de suivre sa propre voie. Une voie différente. Une voie que lui-même aurait choisie autre. Et s’il commençait immédiatement, à l’instant même ? Juste là, sur cette estrade, en ce premier jour, en étant envoyé n’importe où… mais pas à Gryffondor. Ça n’aurait pas réellement d’importance, à moins que…
— James Potter, annonça la voix de la directrice, avec sa façon spéciale de faire rouler le dernier « r » de son nom
James sursauta, et la regarda éberlué, comme s’il avait oublié son existence. Elle lui parut être gigantesque, debout sur cette estrade, le bras tendu vers lui, désignant de l’autre le choixpeau désormais posé sur une chaise où il jetait une ombre triangulaire et menaçante. James s’apprêtait à avancer et à monter les quelques marches, quand soudain il y eut un bruit derrière lui. Il se figea, à la fois surpris et inquiet. Il eut soudain la crainte irrationnelle d’avoir exprimé ses pensées à haute voix, et de s’être trahi. Serait-ce la table des Gryffondor qui le huait ? Mais ce n’était pas une huée mais un applaudissement, poli et continu, en réponse à l’appel de son nom. James se tourna vers la table des Gryffondor, un sourire de gratitude aux lèvres, une expression déjà joyeuse sur le visage. Il découvrit alors que ce n’était pas eux qui l’applaudissaient. Ils restaient assis, immobiles. La plupart des têtes étaient tournées vers la source du bruit. James suivit leurs regards. L’ovation provenait de la table des Serpentard.
James en resta tétanisé. Toute la table le regardait, avec des sourires aguicheurs, et chacun d’entre eux l’applaudissait. L’une des élèves, une fille grande et très jolie, avec de longs cheveux noirs et de grands yeux brillants, était debout. Elle tapait des mains, en le regardant droit dans les yeux. Peu à peu, les autres tables s’en mêlèrent, et une ovation retentissante en résulta.
— Oui. Merci, cria la directrice pour couvrir le bruit des applaudissements. Ça suffit maintenant. Nous sommes tous très – euh – heureux de recevoir parmi nous cette année le jeune Mr Potter. Veuillez reprendre vos places…
James monta lentement vers l’estrade tandis que les applaudissements cessaient. Il se tourna pour faire face à la Grande Salle, et s’assit sur la chaise, tout en entendant la directrice marmonner :
— …autant qu’on en finisse, pour pouvoir dîner avant la prochain équinoxe.
James la regarda, mais il ne vit que l’ombre énorme du choixpeau qui s’approchait de lui. Il ferma les yeux très fort, et sentit une douceur fraîche lui tomber sur la tête, glissant sur son front.
Tout à coup, le brouhaha disparut. James se retrouva en tête-à-tête avec l’esprit du choixpeau – ou peut-être était-ce le contraire. Le choixpeau parla, sans s’adresser réellement à James.
— Potter, James, oui. Celui-là, je l’attendais. Le troisième Potter à venir sous ma visière. C’est toujours difficile avec eux… (D’après le ton, la voix semblait apprécier le challenge.) Du courage oui comme toujours, mais le courage vient facilement aux jeunes. Quand même, voilà un vrai Gryffondor, comme tous les autres avant lui.
James sentit son cœur avoir un raté. Puis il se souvint d’avoir souhaité une autre option, peu de temps auparavant, devant l’estrade, et il hésita. Je n’ai pas à suivre les règles du jeu, pensa-t-il. Je n’ai pas obligatoirement à devenir un Gryffondor. Il pensa aux applaudissements, au visage si agréable de cette fille aux longs cheveux noirs, et à la bannière verte et argent qui surplombait la table.
— Il pense à Serpentard, dit le choixpeau dans sa tête, en étudiant cette option. Bien sûr, c’est toujours une possibilité. Comme son père. Il aurait fait un grand Serpentard, mais il a refusé. Hmm, celui-là doute beaucoup de lui-même. Pour un Potter, c’est une première. L’incertitude est peu appréciée, aussi bien chez les Gryffondor que chez les Serpentard. Peut-être aurait-il ses chances chez les Poufsouffle…
Non, pas Poufsouffle, pensa James. Une ronde de visages tournoyaient dans son esprit : ses parents, son oncle Ron, sa tante Hermione – tous des Gryffondor. Puis ils s’effacèrent, et James revit la fille à la table des Serpentard, qui lui souriait et l’applaudissait. Il se revit un peu plus tôt, devant l’estrade, tandis qu’il pensait : Je pourrais trouver une voie différente, choisir une voie différente…
— Pas Poufsouffle, hein ? Oui, tu as raison. Oui, maintenant je vois : tu es troublé, mais tu n’es pas indécis. Mon premier instinct a été correct, comme toujours.
Et tout à coup, le choixpeau annonça à haute voix le nom de la maison où il envoyait James.
Quand on lui enleva le choixpeau de la tête, James crut un moment avoir entendu le mot « Serpentard » qui renvoyait des échos d’un mur à l’autre. Avec une horreur soudaine, il jeta un coup d’œil sous la bannière verte et argentée, pour regarder si on l’applaudissait à nouveau. Mais ce n’était pas le cas. C’était la table rouge et or qui était debout et claquait des mains. La table des Gryffondor. Étourdi par les cris d’acclamation et de bienvenue, James réalisa soudain à quel point cet accueil était différent des applaudissements sans âme qu’il avait entendus un peu plus tôt. Il bondit de sa chaise, courut le long des marches, et fut aussitôt enveloppé par les siens. Des mains lui tapaient le dos, serraient la sienne, des voix indistinctes s’adressaient à lui. Une place fut dégagée pour lui, et tout à coup, une voix lui parla à l’oreille :
— Je n’ai jamais douté de toi, mon pote, dit quelqu’un avec enthousiasme.
James se tourna et vit Ted secouer la tête avec appréciation, avant de se rasseoir. Puis James se détendit pour regarder la suite de la cérémonie. Tout à coup, il se sentait parfaitement heureux, au point qu’il avait la sensation d’être coupé en deux. Il n’avait pas besoin de suivre exactement les traces de son père, mais peut-être pourrait-il commencer demain à choisir d’agir différemment. Pour l’instant, il savourait le fait que ses parents seraient heureux d’apprendre que, tout comme eux, leur fils aîné avait été choisi par la maison Gryffondor.
Quand le nom de Zane fut appelé, l’Américain se précipita, et bondit sur la chaise comme s’il craignait qu’on lui prenne sa place. Il souriait déjà quand l’ombre du choixpeau s’approcha de sa tête, et y resta à peine une seconde, avant de crier : « Serdaigle ». Zane haussa les sourcils, puis fit une grimace comique tandis que la foule éclatait de rire. Les Serdaigle l’accueillirent bruyamment à leur table.
Les autres « première année » furent choisis un par un, et les tables des différentes maisons se remplirent peu à peu. Ralph Deedle fut l’un des derniers à monter sur l’estrade, et à coiffer le choixpeau. Il sembla se recroqueviller sous son ombre. Et resta immobile, un très très long moment. Tout à coup, le chapeau annonça : « Serpentard. »
James en resta sidéré. Il avait été certain que celui-là, au moins, de ses nouveaux amis viendrait s’asseoir à ses côtés à la table des Gryffondor. Et pourtant, ni l’un ni l’autre n’était avec lui. Et l’un d’entre eux, contre toute attente, était devenu un Serpentard. James oubliait que lui-même avait presque réussi à se faire envoyer là-bas. Mais Ralph ? Un 100 % né-Moldu ? James se retourna, et vit Ralph s’asseoir au bout de la table des Serpentard, dont quelques-uns lui tapaient dans le dos. À nouveau, la fille aux yeux brillants et aux longs cheveux noirs souriait, agréable et accueillante. Peut-être les Serpentard avaient-ils changé, pensa James. Mais ses parents auraient du mal à le croire.
Enfin, la directrice McGonagall fit emporter le choixpeau.
— « Première année », appela-t-elle, je vous signale que votre maison est votre nouveau foyer, mais que l’école représente votre famille. La compétition est une bonne chose, de temps à autre, mais n’oubliez jamais l’essentiel et à qui s’adresse votre loyauté. Et maintenant, dit-elle, en repoussant sur son nez les lunettes qui avaient glissé, voici quelques annonces. Comme toujours, la Forêt Interdite est strictement défendue à tous les élèves, de tous les niveaux. Et soyez certains qu’il ne s’agit pas simplement d’un avertissement pour la forme. Les « première année » peuvent demander aux autres élèves – sauf à Mr Ted Lupin et à Mr Noah Metzker, dont les conseils sont définitivement à éviter – des renseignements sur les dangers qui existent en ne tenant pas compte de cette règle de sécurité.
James suivit à peine le reste des annonces, et s’occupa plutôt en étudiant les visages autour de lui. Zane, à la table des Serdaigle, s’appliquait à vider un bol de noix qu’il avait accaparé. De l’autre côté de la pièce, Ralph croisa le regard de James, et fit un geste de sa poitrine au reste de ses compagnons, comme pour demander si tout allait bien. James haussa les épaules, puis hocha la tête, sans se compromettre.
— Et pour terminer, une dernière annonce d’importance, dit la directrice, tandis que le brouhaha s’apaisait quelque peu. Vous avez pu remarquer qu’il y a une chaise vide à la table des professeurs sur l’estrade. Mais ne vous inquiétez pas, nous avons déjà un nouveau professeur de Défense contre les Forces du Mal, à la fois qualifié et même expert sur le sujet. Il arrivera demain après-midi, en même temps qu’un groupe d’élèves, de professeurs et autres sorciers, dans le cadre d’un échange international d’un genre nouveau. J’espère vous voir tous, demain après-midi, dans la grande cour, pour l’arrivée de la délégation américaine de l’école Alma Aleron, au nom du Département administratif de la Magie.
Plusieurs cris surpris, mêlés de remarques ironiques, firent irruption dans la Grande Salle, tandis que les étudiants se mettaient immédiatement à commenter cette annonce plutôt incroyable. James entendit Ted dire :
— C’est un Yankee qui va nous enseigner la Défense contre les Forces du Mal ? Ces gens-là ne savent que regarder la télévision.
Tous ses amis éclatèrent de rire. James se retourna, cherchant Zane du regard. Quand il le trouva, il le pointa du doigt et mima : « Des copains à toi. » Zane posa la main sur son et salua, bien bas.
Peu après, les plats apparurent sur la table, comme par magie, et James, comme tous les autres, plongea dessus avec appétit.
Il était presque minuit quand James arriva enfin devant le portrait de la Grosse Dame qui marquait l’entrée de la salle commune de la maison Gryffondor.
— Mot de passe ? Chantonna-t-elle.
James s’arrêta net. Il laissa son sac à dos vert glisser de son épaule et tomber lourdement sur le sol. Personne ne lui avait indiqué le moindre mot de passe.
— Je ne le connais pas encore, je suis de première année. Mais je suis un Gryffondor, ajouta-t-il penaud.
— Vous êtes peut-être un Gryffondor, rétorqua la Grosse Dame en le regardant de bas en haut, d’un air de patience polie, mais vous ne rentrerez pas sans mot de passe.
— Peut-être pourriez-vous m’aider un peu pour cette fois ? demanda James, en tentant un sourire charmeur.
La Grosse Dame lui renvoya un regard froid.
— Il est évident que vous n’avez pas du tout compris la signification d’un mot de passe, mon cher.
Il y eut de l’agitation, et un escalier non loin se mit brusquement en mouvement. Des marches apparurent, et s’allongèrent vers le palier. Un groupe d’élèves plus âgés en descendit, chahutant et riant, et se bousculant les uns les autres. Ted était parmi eux.
— Ted, s’écria James soulagé. J’ai besoin du mot de passe. Tu peux m’aider ?
Ted l’aperçut tandis qu’il approchait avec les autres.
— Genisolaris, dit-il, puis il se tourna vers l’une des filles de son groupe. Dépêche-toi, Petra. Il ne faut pas que le frère de Noah te voie.
Elle hocha la tête, et passa devant James dès que le portrait de la Grosse Dame pivota pour révéler l’entrée de la pièce commune, où brûlait un grand feu. James s’apprêtait à la suivre quand Ted le retint par l’épaule. Il le fit pivoter et le ramena sur le palier.
— Mon cher James, tu n’imagines quand même pas que nous allons te laisser grimper dans ton lit à une heure aussi indue ? Il y a des traditions Gryffondor auxquelles tu dois te soumettre, merlipopette.
— Quoi ? Bafouilla James. Mais il est minuit. Tu es au courant ?
— Dans le monde des Moldus, minuit, c’est l’heure du crime, ou l’heure des sorciers, dit Ted d’un ton sentencieux. Bien entendu, c’est un raccourci. Il serait plus exact de dire : « C’est l’heure des sorciers qui ont décidé de jouer quelques tours pendables aux Moldus du pays ». Mais je t’accorde que ça fait un peu long à retenir. Entre nous, nous disons seulement que : « C’est l’heure de lancer la Caspule. »
Ted entraînait déjà James vers les escaliers. Trois autres Gryffondor les suivaient.
— La quoi ? demanda James, tout en essayant de ne pas trébucher.
— Ce Pied-tendre ne connaît pas notre Caspule, dit Ted, l’air chagrin, à l’attention de ses complices. Et dire que son père est l’heureux possesseur de la carte du maraudeur. Pensez un peu comme il nous serait plus facile d’agir si nous pouvions mettre la main sur un tel bijou. James, laisse-moi te présenter le reste des Gremlins, un groupe dont tu auras peut-être l’honneur de faire partie. Bien entendu, ça dépendra pour beaucoup de ta prestation de ce soir.
Ted s’arrêta, se tourna, et ouvrit les bras en grand, présentant les trois autres :
— Voici mon bras droit, Noah Metzker, dont le seul défaut est d’avoir, bien malgré lui, un frère préfet en cinquième année. (Noah s’inclina profondément, avec un sourire.) Et voici notre trésorier, Sabrina Hildegarde, du moins quand nous réussissons par hasard à avoir un sou de côté.
Une jolie jeune fille au visage couvert de taches de rousseur, ses cheveux roux retenus en l’air par une plume, sourit en hochant la tête.
— Et voici notre bouc émissaire, dans les cas extrêmes où de tels services sont exigés, Damien Damascus.
Ted prit par l’épaule un garçon massif, qui portait des lunettes à verres épais. Il avait un visage aussi rond qu’une citrouille, et fit la grimace en grognant.
— Et voici enfin mon alibi, mon parfait écran, l’élève idéale que tous les professeurs adorent, Miss Petra Morganstern.
Tout en la présentant, Ted agitait la main avec affection vers la fille qui ressortait de la salle commune. En la voyant mettre quelque chose de petit dans la poche de son jean, James réalisa que tous les autres s’étaient changés, quittant leurs robes de soirée pour des jeans et des tee-shirts sombres.
— Tout est prêt pour le décollage ? demanda Ted à Petra quand elle les rejoignit.
— Affirmatif. Tous les systèmes sont opérationnels, Capitaine, répondit-elle.
Damien ricana. Ensuite, le groupe se mit en route et descendit les escaliers, Ted emmenant fermement James avec eux.
— Tu ne crois pas que je devrais moi aussi me changer ? demanda James, d’une voix tremblante, tandis qu’on lui faisait dévaler les escaliers.
Ted le regarda et secoua la tête.
— Non, dans ton cas, ce ne sera pas nécessaire. Du calme, mon pote. Tu vas avoir un franc succès. En quelque sorte. Attention, saute ! Il ne faut surtout pas à poser le pied sur cette marche-là.
James sauta, et son sac à dos glissa de son épaule. Il se sentait entraîné par l’enthousiasme du groupe, mais surtout par la prise ferme de Ted sur son coude. En arrivant sur le palier d’un long couloir éclairé par des torches, il trébucha et faillit tomber. Au bout du corridor, le groupe rencontra trois autres élèves, qui les attendaient dans l’ombre d’une statue massive, représentant un sorcier bossu coiffé d’un immense chapeau.
— Bonsoir, amis Gremlins, chuchota Ted, tandis que tous les élèves se serraient les uns contre les autres dans l’ombre de la statue. Voici James, le fils de mon parrain – un type qui s’appelle Harry Potter.
James eut un sourire gêné devant les nouveaux visages, puis il remarqua le troisième du groupe.
— James, dit Ted, voici nos Serdaigle, Horace, Gennifer, et… machin. (Il se tourna vers Gennifer.) Comment s’appelle celui-là ? demanda-t-il en agitant la main vers le plus jeune du lot.
— Zane, répondit Gennifer, en posant le bras sur les épaules du garçon, qui sourit, et se laissa secouer sans protester. Nous venons juste de le récupérer ce soir, mais il y a un regard dans ses yeux qui m’a tout de suite fait penser à un Gremlin. À mon avis, il y a eu un lutin dans ses ancêtres.
— Il paraît que nous allons jouer à jeter la Caspule ! dit Zane à James, dans un murmure si enthousiaste qu’il s’entendit dans tout le couloir. Ça me paraît bizarroïde, mais si c’est le bizutage local, je me suis dit qu’il fallait bien y passer.
James n’arrivait pas trop à déterminer si Zane plaisantait ou non, puis il réalisa que c’était sans importance.
— Pas la jeter, la lancer, corrigea Noah.
James décida qu’il était temps pour lui de prendre une part active dans la conversation.
— Alors, où est cette fameuse « Caspule » ? Et pourquoi sommes-nous tous entassés dans ce coin, derrière cette statue ?
— Il ne s’agit pas de n’importe quelle statue, dit Petra, tandis que Ted s’accroupissait sous le socle, comme s’il cherchait quelque chose. Il s’agit de St Lokimagus, à la Production Perpétuelle. Nous avons appris son histoire cette année seulement, et cela nous nous a amené à faire une découverte… je dois dire, extraordinaire.
— C’est toi qui as trouvé, corrigea Ted, d’une voix étouffée. Toute seule
Petra pencha la tête, puis acquiesça.
— C’est vrai, admit-elle, calmement.
— Du temps de ton père, dit Noah, alors que Ted grattouillait toujours derrière la statue, il y avait plusieurs passages secrets qui permettaient d’entrer et de sortir de Poudlard. Mais ça, c’était avant LA bataille. Ensuite, plusieurs parties du château ont dû être reconstruites, et les travaux ont fermé les vieux passages. Mais ce qui est drôle, dans un château magique, c’est qu’il semble sans arrêt s’y creuser de nouveaux passages. Nous n’en avons trouvé que deux, et ce grâce à Petra et à nos amis Serdaigle ici présents. St Lokimagus, à la Production Perpétuelle est l’un d’entre eux. Et il correspond exactement à sa devise.
Noah indiqua du doigt les mots gravés sur le socle de la statue : Igitur Qui Movo, Qui et Movea.
Soudain, Ted poussa un grognement triomphal, et il y eut un claquement sonore.
— Vous ne devinerez jamais où c’était caché ce soir, dit-il, en grommelant derrière la statue.
Dans un grincement de pierre, la statue de St Lokimagus se redressa aussi haut que son dos bossu le lui permettait, puis elle sortit de sa niche, et traversa le couloir d’un pas légèrement déhanché. Elle disparut par une porte qui, James le remarqua, ouvrait sur les toilettes des garçons.
— Que signifie sa devise ? demanda James tandis que les Gremlins plongeaient, un par un, dans l’ouverture dégagée par le départ de la statue.
Noah grimaça un sourire, en haussant des épaules.
— Quand faut y aller, faut y aller.
Le passage menait à un escalier, avec des marches de pierre dallées. Les Gremlins les descendirent bruyamment, puis se firent des signes « chut » les uns aux autres lorsqu’ils atteignirent une porte fermée. Ted poussa le panneau, l’entrouvrant à peine, et jeta un œil prudent par la fente. Peu après, il ouvrit la porte en grand, et indiqua d’un geste silencieux aux autres de le suivre à l’extérieur.
De façon totalement inexplicable, la porte donnait dans un appentis, près du terrain d’entraînement de Quidditch. James remarqua les gradins illuminés par le clair de lune. Ils paraissaient immenses et menaçants dans le silence nocturne.
— Le passage ne fonctionne que dans un sens, expliqua Sabrina à James et Zane tandis que le groupe courait sans bruit pour traverser le terrain de Quidditch et atteindre la colline au-delà. Si tu entres dans la cabane, sans être passé par le tunnel de St Lokimagus, il est impossible de trouver la porte. C’est vraiment pratique, parce que, même si nous sommes pris, personne ne pourra nous rattraper par le tunnel.
— Avez-vous déjà été pris ? demanda James un peu haletant en courant auprès d’elle.
— Non, mais c’est la première fois que nous essayons de l’utiliser. Nous ne l’avons découvert que durant les derniers jours de l’année passée.
Puis elle haussa les épaules, comme pour dire, « on verra bien ce que ça donnera ».
La voix de Zane résonna dans la nuit derrière James.
— Et que se passe-t-il si Mr Grosse-Envie sort des toilettes avant que nous ne soyons ressortis de son trou ?
James frissonna un peu devant l’image suggérée par cette formulation, mais il en admira cependant la logique. La question valait le coup d’être posée.
— De toute évidence, c’est une question pour un Serdaigle, annonça Noah, aussi calmement qu’il le put, mais personne ne lui répondit.
Après avoir couru dix minutes à l’orée d’un bois faiblement éclairé par la lune, le groupe passa une clôture de fil de fer barbelé pour entrer dans un champ. Ted sortit sa baguette de sa poche arrière, et approcha à travers un fourré de buissons et de mauvaises herbes. James le suivit, et vit qu’il y avait derrière une vieille grange basse, en ruine, est presque entièrement dissimulée par le lierre.
— Alohomora, dit Ted en pointant sa baguette sur le gros cadenas rouillé qui maintenait les portes fermées.
Il y eut un éclair jaune, qui frappa le verrou, puis se matérialisa sous la forme d’une main spectrale. Elle semblait protéger la serrure : un index levé s’agitait de droite à gauche, en signe de dénégation. Puis tout disparut.
— Parfait, le charme de protection est toujours en place, annonça Ted d’une voix joyeuse.
Il se tourna vers Petra, qui avança vers lui, sortant de la poche de son jean une grosse clé rouillée.
— C’est une idée de Gennifer, dit fièrement Horace, le second Serdaigle. Moi j’avais proposé un autre geste.
— J’imagine, dit Zane, ça aurait été distingué.
— Nous nous sommes dit que quiconque possédant une once de magie n’essaierait jamais d’ouvrir avec quelque chose d’aussi banal qu’une clé, expliqua Noah. Nous avons placé un Sortilège de Désillusion pour garder les Moldus à l’écart, mais ils ne viennent jamais ici. L’endroit est abandonné.
Petra fit tourner la clé et ouvrit le cadenas. Puis les portes de la vieille grange s’ouvrirent dans un silence surprenant.
— Les portes qui grincent, c’est bon pour les novices, dit Damien d’un ton docte, en tapotant son nez épaté.
James jeta un coup d’œil à l’intérieur. Il y avait dans l’ombre quelque chose d’énorme, plaqué contre le mur du fond de la grange. Il arrivait à peine à en distinguer la forme générale. En fait, ça ressemblait à une soucoupe volante des années 1960.
— Génial ! cria Zane enchanté, lorsqu’il comprit ce qu’il voyait. On va lancer la Caspule ! Tu as raison, James ! Ça ne ressemble en rien au magicien d’Oz.
— Le magicien de quoi ? demanda Ted à James en aparté.
— C’est un truc de Moldu, répondit James. Tu ne peux pas comprendre.
Frank Tottington se réveilla en sursaut, certain d’avoir entendu quelque chose dans le jardin. Immédiatement alerte et en colère, il rejeta ses couvertures, et balança ses jambes hors du lit, comme s’il s’attendait très exactement à ce genre de choses.
— Quessessest ? Marmonna sa femme, en soulevant sa tête endormie.
— C’est encore ces vauriens de petits Grindle qui se sont introduits dans notre jardin, annonça Frank très mécontent, tandis qu’il enfilait ses pantoufles. Je t’avais bien dit qu’ils venaient en douce la nuit, piétiner mes bégonias et voler mes tomates. Ah, sales gosses ! Cracha-t-il.
Il enfila une vieille robe de chambre dont les pans claquèrent sur ses tibias nus tandis qu’il descendait l’escalier quatre à quatre. Avant de sortir, il récupéra, accroché à un clou, un fusil à canon scié chargé de petits plombs.
Les gonds de la porte de derrière grincèrent quand il ouvrit le panneau, le faisant claquer contre le mur extérieur en sortant comme un taureau enragé.
— Très bien, petits salopiauds. Lâchez immédiatement ces tomates, et approchez vers la lumière pour que je vous voie.
Il leva son fusil d’une main, dirigeant le canon vers le ciel étoilé.
Tout à coup, une lueur apparut sur sa tête, l’illuminant d’un rayon blanc qui résonnait d’un bourdonnement étrange. Franck se figea, le fusil toujours en l’air, braqué sur le rayon de lumière. Très lentement, il leva la tête et plissa les yeux. Son menton barbu jetait une ombre pointue sur l’avant de sa vieille robe de chambre. Quelque chose descendait vers lui. Il était difficile d’en deviner la taille. C’était rond, noir, avec des petites lumières qui clignotaient tout autour. Ça tournait sur lui-même, et semblait descendre…
Frank poussa un cri rauque, trébucha, et faillit lâcher son fusil. Puis il se reprit, et recula très vite, sans quitter des yeux l’objet qui bourdonnait toujours. Et qui descendait, comme s’il était aimanté par son rayon de lumière. Le bourdonnement se fit plus fort, plus vibrant.
Franck se baissa, ses genoux vacillants cédant sous lui. De terreur, il grinçait des dents.
Tout à coup, il y eut un jet de vapeur et un sifflement, et une porte apparut sur les côtés de l’objet. C’était en pleine lumière. Franck haleta, leva son arme, et la tint à l’épaule. Un éclair de lueur rouge le fit sursauter. Il voulut appuyer sur la gâchette, mais rien ne se passa. La gâchette avait disparu, et à la place, il y avait une sorte de bouton rond collé à la crosse. Il baissa les yeux sur son fusil, et le regarda de près, en état de choc. Ce n’était plus un fusil, mais une petite ombrelle avec une poignée de bois qu’il n’avait jamais vue auparavant. Il reconnut immédiatement la présence d’un extraterrestre, aussi il lâcha l’ombrelle et tomba à genoux.
Une silhouette, petite et mince, apparut dans le carré de lumière. Sa peau était verdâtre, avec des reflets pourpres. Sa large tête était informe, mais on devinait de grands yeux en amande à peine esquissés. Il commença à descendre la rampe, pour avancer vers Frank, d’un pas qui paraissait prudent, presque maladroit. L’extraterrestre se pencha tout à coup en avant, puis trébucha, et tomba à l’extérieur. Il agita les bras, comme s’il s’apprêtait à s’envoler vers Frank qui recula, désespéré, terrifié. Le petit monstre avançait toujours, et son énorme tête sembla enfler encore davantage.
Sous le coup de la panique, Frank s’évanouit. La dernière idée qui lui vint fut qu’il était étrange que l’extraterrestre porte sur l’épaule un petit sac à dos vert, franchement ordinaire. Même inconscient, Franck garda sur le visage une expression de surprise étonnée.
Le lendemain matin, James se réveilla épuisé. En ouvrant péniblement les yeux, il étudia ce qui l’entourait. Il était dans un lit à baldaquin, dans une grande chambre ronde et basse sous plafond. Le soleil brillait gaiement par la fenêtre ouverte, éclairant trois autres lits vides, aux draps froissés. Lentement, comme une chouette faisant le tour de sa cage, James revit les épisodes de la soirée précédente : le choixpeau ; la Grosse Dame ; son ignorance du mot de passe ; la rencontre de Ted et des Gremlins…
Il s’assit d’un bond et passa la main sur son visage, tapotant ses joues, son front, ses yeux. Puis il poussa un grand soupir soulagé. Tout paraissait redevenu normal. Quelque chose voleta sur son lit, près de lui : un journal local que James ne reconnut pas. Il était plié de façon à mettre en évidence un article dont le titre annonçait : « Un fermier affirme que des Martiens en Capsule volante lui ont volé des Tomates. » James leva les yeux. Noah Metzker était débout au pied de son lit, le visage très sombre.
— Ils ne sont pas fichus d’écrire correctement Caspule, dit-il.