Chapitre 9 : Un débat mouvementé

 

Au fur et à mesure que James s’habituait à la routine de l’école, le temps s’accéléra sans même qu’il en prenne conscience. Zane continuait à exceller au Quidditch ; James continuait à éprouver des sentiments ambivalents quant aux succès de son ami. Si James ressentait toujours un élan de jalousie en entendant la foule acclamer un coup particulièrement brillant de Zane frappant un souafle, il ne pouvait aussi s’empêcher de sourire devant l’enthousiasme de l’Américain, la passion qu’il mettait à jouer, marquer des buts, et partager avec les autres Serdaigle une camaraderie d’équipe. De plus, James prenait de plus en plus confiance en lui sur un balai. Très souvent, le soir après les cours, il s’entraînait avec Zane sur le terrain de Quidditch, absorbant sa technique et différents « trucs » de joueur. Zane ne lui ménageait pas ses encouragements, et affirmait qu’il était certain que James, l’an prochain, serait admis dans l’équipe Gryffondor.

 

   Et si c’est le cas, je devrais cesser de m’entraîner avec toi et de te montrer ma façon de jouer, dit Zane. (Il volait près de James, et devait hurler pour se faire entendre.) Pas question de fricoter avec l’ennemi.

 

Comme d’habitude, James ne savait pas trop si l’Américain plaisantait ou pas.

 

S’il appréciait d’être meilleur sur un balai, James était aussi surpris de découvrir qu’il aimait le football. Tina Curry avait divisé toutes ses années en équipes, et organisé des jeux interclasses. La plupart des élèves avaient compris le principe du jeu et, aimant la compétition, ils s’efforçaient de rendre chaque rencontre intéressante. De temps à autre, un élève oubliait que le sport moldu était censé être « non-magique », et cherchait désespérément dans sa poche sa baguette. D’autres pointaient simplement la main sur le ballon et hurlait quelque chose comme : « Accio football ! », ce qui provoquait l’hilarité générale, et une pause durant le match. Une autre fois, une fille de Poufsouffle dans le feu de l’action, oublia la règle la plus basique : elle empoigna le ballon à pleine main, avant de charger et de traverser tout le terrain comme si elle jouait au rugby. James dut admettre, un peu à contrecœur, que le professeur Curry avait vu juste à son sujet. Il avait le don naturel de contrôler la balle du bout de ses chaussures de sport, tout en courant en zigzag sur le terrain. Il était l’un des meilleurs joueurs. Et quant aux buts marqués il avait le second score, derrière Sabrina Hildegarde. Comme Zane, elle était née-Moldu, mais contrairement à l’Américain, elle avait déjà joué dans des ligues juniors chez les Moldus étant enfant. De plus, elle avait quatre ans de plus que James, et ses shoots étaient fulgurants.

 

James et Ralph ne se parlaient toujours pas. Pour James, la colère initiale et le ressentiment s’étaient transformés en un éloignement buté. Quelque part, il savait qu’il aurait dû pardonner à Ralph – et même s’excuser de sa violente attaque verbale, ce jour-là, dans la Grande Salle. Il savait aussi que s’il avait gardé son calme, Ralph aurait fini par admettre son erreur, sans suivre les autres Serpentard. Tout au contraire, désormais, Ralph trouvait qu’il était de son devoir de supporter sa maison, ainsi que le Mouvement du Progrès. Bien sûr, ses efforts étaient plutôt mornes et moutonniers, aussi James trouvait-il difficile de rester en colère contre lui. Ralph portait les badges avec assiduité, et se rendait régulièrement aux réunions du Club de débat, mais il agissait comme un automate, programmé pour obéir. Selon James, une telle attitude devait être plus négative que positive. Quand un des Serpentard lui adressait la parole, Ralph sursautait et répondait une banalité, avant de retomber le plus vite possible dans son apathie. James souffrait un peu de le voir comme ça, mais pas suffisamment pour changer d’attitude envers lui.

 

Quand il se trouvait seul le soir dans sa chambre, ou bien au calme, dans un coin de la bibliothèque, James prenait le temps d’étudier le poème que lui et Zane avaient vu sur la porte de la Caverne du Secret. Avec l’aide de l’Américain, James avait noté ce qui restait gravé dans sa mémoire, et il était quasiment certain de ne pas s’être trompé. Et pourtant, il n’en comprenait pas la signification. La seule chose qui lui paraissait clair était les deux premières lignes, rappelant que la Caverne du Secret n’apparaissait qu’au clair de lune. Tout le reste était mystérieux. Il s’attardait souvent sur la ligne qui disait : « Je quitterai enfin mon sommeil profond », en se demandant si c’était une référence à Merlin. Mais Merlin ne dormait pas, il était mort. Aussi, ça n’avait pas le moindre sens !

 

   A mon avis, chuchota Zane un jour dans la bibliothèque, ça ressemble à l’histoire de Rip Van Winkle, celui qui dort un demi-siècle sous un arbre.

 

Devant l’air éberlué de James, Zane dut lui raconter ce conte américain. (NdT : Rip est un brave homme affligé d’une épouse acariâtre. Un jour, il s’endort au pied d’un arbre après avoir rencontré d’étranges personnages. Quand il se réveille, il a vieilli de 50 ans et tout ce qu’il connaissait a disparu). James y réfléchit un moment. Ayant souvent entendu son père discuter avec d’autres Aurors, James savait que la plupart de la mythologie moldue provenait de leurs très anciennes rencontres avec des sorciers ou sorcières. Les traditions du monde magique avaient, au cours du temps, été transformées en contes de fée. Puis, déformées et amplifiées, elles étaient devenues des légendes et des mythes. Peut-être, songea James, cette histoire du très long sommeil d’un homme qui se réveillait un demi-siècle plus tard était-elle un écho chez les Moldus de l’histoire de Merlin ? Mais ceci n’aidait ni James ni Zane à comprendre comment Merlin, mort depuis des siècles, pourrait revenir sur terre. Et les deux garçons n’avaient pas davantage d’indices sur ceux qui s’étaient impliqués dans ce complot.

 

La nuit, alors qu’il s’apprêtait à s’endormir, James se trouvait souvent à ressasser le problème. Et, à sa grande surprise, lui revenait alors sa conversation avec le portrait de Severus Rogue. Rogue avait affirmé qu’il « surveillait » James, mais ce devait être une erreur, parce que James ne voyait pas comment Rogue pouvait le faire. A ce qu’il en savait, il n’y avait qu’un seul portrait de Rogue dans tout le château, et ce tableau se trouvait dans le bureau de la directrice. Comment Rogue pouvait-il alors surveiller James ? L’ancien Serpentard – d’après les parents de James – avait été un sorcier puissant, et un génie en ce qui concernait les potions mais en quoi ces deux talents permettraient-ils à un seul portrait de surveiller tout le château ? Et pourtant, James croyait Rogue. Si l’ancien directeur avait affirmé qu’il le surveillait, il avait dû trouver le moyen de le faire. Mais comment ? Et ce fut seulement deux semaines après cette conversation, alors que James y avait pensé, encore et encore, qu’il fit une découverte surprenante. D’après Rogue – ainsi que le pensait tout le monde, y compris James lui-même – James était comme son père. « Tel père, tel fils », avait dit l’ancien sorcier en ricanant. Par contre, contrairement au reste du monde magique, Rogue ne semblait pas du tout considérer que c’était une bonne chose.

 

Tandis que les feuilles des arbres du parc et de la Forêt Interdite jaunissaient et tombaient au fur et à mesure que l’automne s’installait, les badges bleu et rouge du Mouvement du Progrès annoncèrent soudain le premier débat de l’école. Ainsi que Ralph l’avait prédit, le thème était : « Réévaluation de ce qui s’est passé, vérité ou conspiration ? ». Et comme si les mots n’étaient pas suffisants, les bannières et les tracts que les Serpentard affichèrent partout portaient un éclair en forme Z, qui clignotait, ostensiblement. Zane – qui, d’après Petra, était plutôt doué dans une confrontation verbale – expliqua à James qu’un comité préliminaire avait discuté longtemps avant de tomber d’accord sur le thème du premier débat. Si Tabitha Corsica ne faisait pas partie de ce comité, sa complice, Philia Goyle, en était la présidente.

 

   Au final, expliqua Zane à James, cette réunion a été un parfait exemple de la démocratie en action. Tout le monde a discuté toute la nuit, mais au final, c’est la présidente qui a tranché.

 

L’Américain haussa les épaules d’un air las.

 

James sentait son sang bouillir en regardant les tracts, les bannières, les badges, surtout ceux qui étaient barrés de cet éclair en Z, si suspect. Aussi, lorsqu’il découvrit Ralph, sur une échelle, occupé à accrocher une nouvelle bannière au-dessus de la porte de Technomancie, il craqua.

 

   Ça m’étonne que tu aies besoin d’une échelle, Ralph, aboya James, sous l’emprise d’un accès de rage. Tu es devenu un si grand personnage auprès de Tabitha Corsica à présent. Je ne vois pas la laisse qu’elle t’a mise autour du cou.

 

Zane, qui marchait à ses côtés, poussa un soupir et secoua la tête, avant de s’engouffrer dans la classe. Ralph n’avait pas remarqué James avant qu’il ne lui parle. Il baissa les yeux, avec une expression à la fois surprise et blessée.

 

   Et c’est censé vouloir dire quoi ? demanda-t-il.

 

   Je croyais que tu en aurais assez d’être une marionnette, dit James, qui regrettait déjà d’avoir ouvert la bouche.

 

Il eut honte, tout à coup, du désespoir affiché sur le visage de Ralph.

 

Mais Ralph avait bien retenu sa leçon.

 

   Ce sont les gens du ministère et les Aurors qui tirent les ficelles des marionnettes, en abusant des craintes des esprits faibles pour maintenir une démagogie basée sur l’injustice et la ségrégation, récita-t-il, sans trop de conviction.

 

Sans répondre, James leva les yeux au ciel, et rentra lui aussi dans la salle de classe.

 

Contrairement à son habitude, le professeur Jackson n’était pas à l’endroit habituel, derrière son bureau. James s’installa aux côtés de Zane, au premier rang. Il mit un point d’honneur à plaisanter et rire avec quelques autres Gryffondor, assis non loin de lui. Il savait que Ralph le regardait depuis le couloir. Le plaisir que lui procura sa petite vengeance mesquine lui laissa un goût amer dans la bouche, mais il refusa de s’y attarder.

 

Tout à coup, le silence tomba dans la salle. James leva les yeux, et vit le professeur Jackson entrer, portant quelque chose sous le bras. L’objet était large, plat, et protégé par du tissu.

 

   Bonjour à tous, dit Jackson, de son habituel ton brusque. J’ai noté vos devoirs de la semaine passée, et je les ai laissés sur mon bureau. Mr Murdock, voudriez-vous les distribuer je vous prie. En général, c’est à peu près correct, mais je pense que la plupart d’entre vous devaient remercier le ciel que Poudlard ne soit pas plus exigeant sur le niveau requis aux examens.

 

Jackson posa délicatement son paquet sur le bureau. Lorsqu’il enleva le tissu, James remarqua qu’il s’agissait de trois tableaux, plutôt petits. Aussitôt, il évoqua le portrait de Severus Rogue, et son attention s’aiguisa.

 

   Aujourd’hui, vous devrez prendre des notes, dit Jackson d’une voix tonnante, et je peux vous certifier que c’est important.

 

Il avait aligné les trois peintures contre le tableau noir, appuyés sur la margelle où l’on déposait les craies. Le premier représentait un homme mince, au crâne chauve, portant de grosses lunettes rondes qui lui donnaient l’air d’une chouette. Il clignait des yeux, en regardant la classe, avec une expression à la fois agitée et inquiète. On aurait pu croire qu’un élève risquait, tout à coup, de bondir vers lui en criant : « Bouh ! ». Le tableau suivant était vide, et représentait un salon plutôt conventionnel. Quant au dernier, c’était le portrait d’un clown absolument affreux, avec un visage plâtré de blanc et une large bouche sanglante au sourire peint. Le clown ricana comme un fou furieux en regardant les élèves, tout en agitant vers eux une petite canne au pommeau rond. Avec un frisson désagréable, James réalisa qu’il s’agissait en fait d’une représentation miniature de la tête du clown, avec un sourire encore plus factice et dément.

 

Quand Murdock eut terminé de distribuer les copies à chaque élève, il retourna s’asseoir à sa place. James baissa les yeux sur son devoir. Sur la première page, d’une écriture parfaitement lisible, Jackson avait écrit : « Passable. Peut mieux faire. Revoir la grammaire. »

 

   Comme toujours, dit Jackson, toute question concernant vos devoirs devra m’être soumise par écrit. Et si vous voulez de plus amples explications, venez me voir dans mon bureau, du moins si vous vous souvenez de l’endroit où il se situe. Pour le moment, avançons. (Jackson se mit à arpenter l’espace devant le tableau, en agitant la main devant les trois peintures.) Comme je pense que la plupart d’entre vous s’en rappellent, lors de mon premier cours, nous avons eu une brève discussion grâce à Mr Walker… (De derrière ses épais sourcils, le professeur jeta un coup d’œil dans la direction de Zane,) concernant la nature de l’art magique. Je vous avais expliqué que les intentions d’un artiste se gravent sur la toile par un procédé à la fois magique et psycho-kinésique, qui permet à la peinture de prendre l’apparence du mouvement et de la vie. Ce que nous obtenons, en réalité, est un dessin qui imite la vie, selon l’imagination de l’artiste créateur. Aujourd’hui, nous allons étudier diverses formes d’art, qui tous illustrent ce même concept de façon différente.

 

Pendant que le professeur parlait, on n’entendait dans la classe que le grincement fébrile des plumes prenant des notes, en essayant de suivre le rythme rapide de son débit. Comme d’habitude, Jackson arpentait la salle durant son monologue.

 

   Dans le monde magique, l’art de peindre a deux aspects. Le premier ressemble à ce que j’ai illustré le premier jour, en version plus poussée. En clair, il s’agit d’une création imaginaire que l’artiste invente à son gré. Et la seule différence avec les représentations moldues est l’animation voulue par le peintre ou le dessinateur, dans les limites de son imagination. Notre ami, Mr Bigles ici présent, le représente parfaitement, continua Jackson, avec un geste de la main en direction du clown. Fort heureusement, Mr Bigles n’existe pas dans la réalité. Il n’a d’existence que dans le cerveau de celui qui l’a créé.

 

À l’annonce de son nom, le clown s’était animé. Il sautillait dans son cadre, agitant les doigts de sa main droite, gantée de blanc, tout en faisant de la gauche de grands moulinets de sa canne. La petite tête du clown, sur le pommeau, tirait la langue et louchait. Jackson regarda un moment ces pitreries d’un œil noir, puis il soupira et se remit à déambuler.

 

   La seconde forme de l’art magique est bien plus précise, poursuivit-il. Elle nécessite des sortilèges avancés, et une peinture mêlée à une potion spéciale pour représenter un individu ou autre créature vivante. Le nom technomantique de cet art spécifique est imago aetaspeculum, ce qui signifie… Quelqu’un peut-il me donner la réponse ?

 

Quand Petra leva la main, Jackson eut un hochement de tête pour l’autoriser à parler :

 

   Je pense qu’il s’agit d’une sorte de reflet magique, professeur.

 

Jackson étudia un moment la réponse.

 

   C’est en partie vrai, Miss Morganstern, et votre effort rapportera cinq points à Gryffondor. En réalité, la définition exacte de ces termes latins est « peinture magique qui capture un reflet vivant de l’individu représenté, mais dans la limitation de son aetas – ce qui signifie sa durée de vie. » En clair, le portrait ne contient nullement l’essence vivante du sujet, mais simplement le reflet de ses caractéristiques, à la fois intellectuelles et émotionnelles. De ce fait, le portrait ne peut plus rien apprendre, ni progresser au-delà de l’époque de la mort de son sujet. Par contre, il reflète exactement la personnalité du sujet représenté au cours de sa vie. Ainsi, nous avons l’exemple de Mr Cornelius Pissenlit.

 

Jackson indiquait maintenant le sorcier mince et chauve du premier portrait. En se retrouvant le centre de l’attention, Pissenlit grimaça légèrement. Jaloux d’avoir perdu la vedette, Mr Bigles s’agita de plus belle dans son cadre.

 

   Mr Pissenlit, quand êtes-vous mort ? demanda Jackson, en passant devant la peinture, avant de recommencer un tour complet de la salle de classe.

 

La voix du portrait était aussi tenue que l’homme lui-même, avec une tonalité légèrement nasillarde et aiguë.

 

   Le 20 septembre 1945. J’avais 67 ans et trois mois, en arrondissant, bien entendu.

 

   Et quelle était – comme si ce n’était pas évident – votre profession ?

 

   J’ai été durant 32 ans intendant et comptable à l’école Poudlard, répondit le portrait avec un petit reniflement gêné.

 

Jackson se retourna pour regarder la peinture.

 

   Et maintenant, que faites-vous ?

 

   Pardon ? répondit le portrait, en clignant nerveusement des yeux.

 

   Avec tout le temps libre que vous avez à présent, que faites-vous ? insista Jackson. De nombreuses années sont écoulées depuis 1945. Quelles sont vos occupations, Mr Pissenlit ? Avez-vous trouvé un nouveau hobby ?

 

Pissenlit se mordit les lèvres, à la fois intrigué et surpris par la question.

 

   Un hobby ? Mais que… Hum – Je… J’ai toujours aimé les chiffres. Aussi je m’occupe en repensant à mon travail. C’est ce que je faisais, autrefois, du moins, quand je ne remplissais pas mes livres. Je réfléchis aux budgets, aux résultats ; je cherche à les revoir dans ma tête.

 

Jackson fixait toujours le portrait.

 

   Vous pensez toujours à vos budgets ? Et vous continuez à évoquer vos livres comptables, tels qu’ils étaient en 1945 ?

 

Pissenlit jetait des coups d’œil affolés à droite et à gauche dans la classe, comme s’il était traqué, et même acculé d’une certaine façon.

 

   Euh – oui. C’est ce que je fais. Vous comprenez, c’est ce que j’ai toujours fait. Je ne vois aucune raison de changer. Je suis comptable, vous savez. Du moins, j’étais comptable. Et intendant aussi.

 

   Je vous remercie, Mr Pissenlit. Votre témoignage a parfaitement illustré mon propos, dit Jackson, avant de se remettre à marcher.

 

   Je suis à votre service, répondit Pissenlit un peu sèchement.

 

À nouveau, Jackson s’adressa aux élèves.

 

   Le portrait de Mr Pissenlit, comme certains d’entre vous le savez peut-être, est normalement accroché dans le couloir qui mène au bureau de la directrice, avec ceux des autres membres du personnel de l’école au cours des années. J’ai cependant eu l’occasion de mettre la main sur un autre portrait de Mr Pissenlit, qui se trouve d’ordinaire sur le mur de sa maison de famille. Ce portrait est le dernier, comme vous pouvez le constater, de ma série présentée ici. Mr Pissenlit, s’il vous plaît ? appela Jackson, devant le portrait vide au milieu de la rangée.

 

Pissenlit leva les sourcils.

 

   Pardon ? Oh – oui, bien sûr.

 

Il se redressa, brossa sur sa robe bien nette quelques poussières inexistantes, puis s’approcha prudemment du bord de son tableau. Durant quelques secondes, les deux cadres furent vides… puis Pissenlit réapparut sur le portrait du centre. Il portait des vêtements légèrement différents, et lorsqu’il s’assit dans le salon, il se mit de profil, en présentant son nez proéminent.

 

   Encore merci, Mr Pissenlit, dit Jackson, qui s’appuya contre son bureau et croisa les bras. Même s’il existe quelques exceptions (comme toujours), un portrait ne s’anime en principe qu’à la mort de son sujet. La Technomancie ne peut encore expliquer complètement la raison de cette restriction, mais ça semble répondre à la loi naturelle de la Conservation des Personnalités. En d’autres mots, l’univers, pris dans le sens cosmique, ne peut supporter qu’un seul Mr Cornelius Pissenlit à la fois. (Quand la classe répondit par un rire étouffé, Pissenlit fronça légèrement les sourcils. Puis Jackson continua :) Un autre facteur intéressant qui entre en jeu à la mort du sujet est l’interaction entre ses divers portraits. S’il existe plusieurs peintures magiques du même sujet, elles se connectent. Ce qui permet au sujet de se déplacer entre ses différentes représentations. Par exemple, Mr Pissenlit peut, à son gré, venir nous rendre visite à Poudlard, et ensuite rentrer chez lui, dans son autre portrait.

 

James peinait à suivre le rythme rapide du professeur Jackson, et à noter tous ses commentaires, mais il savait que Jackson avait le don, durant ses contrôles, de poser les questions les plus inattendues sur les détails les plus mineurs. En fait, il avait du mal à se concentrer parce qu’il ne cessait de penser au portrait de Severus Rogue. Il se risqua à lever la main.

 

Jackson le repéra immédiatement, et releva légèrement les sourcils.

 

   Une question, Mr Potter ?

 

   Oui, professeur. Est-il possible à un portrait de quitter son cadre ? Peut-il, par exemple, pénétrer dans celui d’autrui ?

 

Les sourcils toujours levés, Jackson étudia James un moment.

 

   Excellente question, Mr Potter. Nous allons immédiatement en faire l’expérience. Mr Pissenlit, puis-je à nouveau abuser de votre temps ?

 

Dans son portrait familial, Pissenlit essayait de garder la pose et d’afficher un air songeur, le regard lointain. Il jeta un coup d’œil de côté, en direction de Jackson.

 

   Je suppose que oui. Comment puis-je vous aider ?

 

   Avez-vous remarqué la peinture plutôt horrible de Mr Bigles, dans le cadre près de vous ?

 

En entendant prononcer son nom, Mr Bigles fit semblant d’être choqué et intimidé. Il se couvrit la bouche d’une main, en battant vite des paupières. La petite tête du clown, au bout de la canne, ricana, et fit des bruits obscènes avec la bouche.

 

   Oui, répondit Pissenlit. Je la vois.

 

   Pourriez-vous tenter, juste un moment, de pénétrer dans ce cadre, s’il vous plaît ?

 

Cette fois, Pissenlit se tourna franchement vers Jackson, ses yeux vitreux tout écarquillés derrière ses grandes lunettes.

 

   Même si c’était possible, ce qui n’est pas le cas, je ne pourrais endurer une telle compagnie. Je suis désolé.

 

Jackson eut un hochement de tête qui exprimait son approbation.

 

   Je vous remercie. Bien entendu, je vous comprends, Mr Pissenlit. (Il se tourna vers sa classe.) Voyez-vous, bien qu’une magie bien plus poussée soit nécessaire pour créer une imago aetaspeculum, elle ne suffit pas à autoriser le sujet d’un portrait à entrer dans une œuvre d’imagination. Ce serait, en quelque sorte, comme si vous tentiez de pénétrer de force dans un dessin accroché à une porte. Vous le voyez, mais vous ne pouvez y entrer. Par contre… Mr Bigles ?

 

Le clown fit un bond comique, et exprima son enthousiasme en entendant une fois de plus son nom. Puis il regarda Jackson, affichant une expression attentive et caricaturale. Jackson indiqua de la main le cadre central près de celui du pitre.

 

   Mr Bigles, pourriez-vous rendre visite à Mr Pissenlit dans son portrait ?

 

Cornelius Pissenlit parut d’abord outré de la suggestion, puis horrifié en voyant le clown bondir de son cadre et pénétrer dans le sien. Mr Bigles atterrit derrière le fauteuil de Pissenlit. Lorsqu’il s’y accrocha pour retrouver son équilibre, il faillit renverser le vieux sorcier. Bien que Pissenlit bredouille de fureur, le clown se pencha sur lui, la tête posée sur son épaule gauche, sa canne pointée du côté droit. Le pommeau tirait la langue en direction de l’oreille du vieillard.

 

   Professeur Jackson ! s’exclama Pissenlit. (Sa voix, qui avait monté d’une octave, tremblait tant qu’elle en devenait presque inaudible.) J’insiste réellement pour que vous ôtiez cette… ce cauchemar ambulant de mon portrait !

 

Tous les élèves éclatèrent de rire quand le clown sauta par-dessus le siège du sorcier pour atterrir sur ses genoux, les deux bras autour de son cou maigre. Et le pommeau de la canne continuait ses pitreries.

 

   Mr Bigles ! tonna Jackson. En voilà assez. Retournez immédiatement dans votre cadre.

 

De toute évidence, le clown n’avait pas envie d’obéir. Il quitta les genoux de Pissenlit et se cacha derrière son siège. Puis il jeta un coup d’œil de derrière l’épaule du sorcier. Pissenlit se retourna et le repoussa d’un geste de la main comme s’il s’agissait d’une araignée dont le contact lui répugnait mais qu’il souhaitait néanmoins tuer. Jackson sortit de sa manche sa baguette – 30 centimètres en bois d’hickory, (NdT : arbre d’Amérique du Nord, de grande taille et très résistant) – et la pointa en direction du cadre vide d’où le clown s’était échappé.

 

   Mr Bigles, dois-je détruire tout ce qui vous appartient ? Vous finirez bien par revenir. Et vous trouverez votre fauteuil couvert de ronces japonaises.

 

Malgré son épais maquillage, la grimace du clown fut visible. Il se releva et, boudeur, quitta le portrait de Pissenlit pour retourner dans le sien.

 

   C’est donc une règle simple, dit Jackson, face à la classe tandis que le clown lui jetait un regard particulièrement venimeux. Une œuvre imaginaire peut pénétrer dans le cadre d’une personne réelle, mais pas le contraire. Les portraits sont confinés dans leur environnement, tandis que les sujets imaginaires peuvent passer dans ceux qui les jouxtent. Ceci répond-il à votre question, Mr Potter ?

 

   Oui professeur, répondit James, avant d’insister : Une chose encore. Un portrait peut-il apparaître dans plusieurs cadres à la fois ?

 

Jackson réussit à la fois à sourire à James tout en fronçant les sourcils.

 

   De toute évidence, votre intérêt sur le sujet est sans limite, Mr Potter. Oui, il est possible à un sujet d’apparaître sur plusieurs portraits, mais c’est rare. Seuls les très grands sorciers, dont les peintures sont nombreuses, semblent développer une sorte de… multiplication des personnalités, ce qui leur permet d’apparaître dans plusieurs cadres. Bien entendu, comme vous pouvez le deviner, c’est le cas de votre Albus Dumbledore. Mais il est extrêmement difficile de mesurer ce phénomène, qui dépend entièrement des talents magiques du sorcier ou de la sorcière représenté. Est-ce tout, cette fois, Mr Potter ?

 

   Professeur Jackson ? demanda une autre voix.

 

James se retourna, et vit la main levée de Philia Goyle, assise au fond de la classe.

 

   Oui, Miss Goyle, répondit Jackson avec un soupir.

 

   Si je comprends bien, le portrait a les mêmes dons que le sujet qu’il représente, c’est bien ça ?

 

   C’est l’évidence même, Miss Goyle. Le portrait représente la personnalité, la connaissance, et les expériences du sujet. Ni plus ni moins.

 

   Dans ce cas, un portrait ne rend-il pas à son sujet immortel ? demanda Philia – et son visage, comme toujours, restait figé et impassible.

 

   Je crains, Miss Goyle, que vous ne confondiez l’apparence et la réalité, dit Jackson, en fixant attentivement la Serpentard. Et dans le monde magique, c’est une erreur dangereuse. Très souvent, la magie, ou même la vie en général, se contente d’illusions. En Technomancie, notre plus important postulat est précisément de séparer l’illusion de la réalité, et mes cours visent à vous enseigner cette pratique. Un portrait n’est que la représentation d’un être disparu, il n’est pas plus vivant que votre ombre lorsqu’elle s’affiche sur le sol. Ce n’est en aucun cas une façon de rendre immortel un défunt, ni même de prolonger sa vie. Malgré les apparences, le portrait d’un sorcier n’est que de la peinture posée sur une toile.

 

Après avoir fini son discours, Jackson se retourna vers le tableau de Mr Bigles. D’un geste rapide de la main, il pointa sa baguette, sans même réellement le regarder. Il y eut un éclair, et un liquide jaune pale jaillit de la baguette pour éclabousser la toile. Instantanément, le tableau commença à se dissoudre. Mr Bigles cessa de gesticuler, son image se brouilla, puis dégoulina hors de la toile. L’odeur immanquable de la térébenthine monta dans la classe. Tous les élèves se taisaient.

 

D’un pas lent, Jackson revint jusqu’à son bureau.

 

   Quand j’étais jeune, expliqua-t-il en regardant l’extrémité de sa baguette, je me suis une fois ou deux essayé à peindre, pour mon plaisir. Mr Bigles, aussi horrible soit-il, était ma plus belle réussite. Je vous laisse libres d’imaginer dans quelles circonstances j’ai été poussé à créer un être pareil, mais moi-même, je l’ai oublié. D’ailleurs, j’avais aussi oublié Mr Bigles avant de le retrouver au fond de ma malle de voyage, au moment de préparer mes bagages pour Poudlard. Je l’ai emporté, me disant qu’il ferait une bonne illustration de mon cours. Une telle fin est appropriée.

 

Jackson regarda le mélange coloré qui avait dégoutté de la toile jusqu’au sol. Puis il se rassit à son bureau, et posa soigneusement sa baguette devant lui.

 

   Et maintenant, quelle vérité technomantique peut-on déduire de ce que je viens de dire ?

 

Au début, personne ne bougea. Puis une main se leva lentement.

 

   Oui, Mr Murdoch ? acquiesça Jackson.

 

Murdock dut s’éclaircir la voix.

 

   Ne pas essayer de peindre quand on est destiné à devenir professeur de Technomancie ?

 

   Eh bien, ce n’est pas faux, admit Jackson, mais ce n’est pas exactement ce que j’avais en tête. Non, la vérité que je tenais à illustrer c’est qu’un tableau magique, qu’il s’agisse d’un portrait ou autre, reste de la peinture sur une toile. (Le regard pénétrant de Jackson scruta tous les élèves, puis se fixa sur James.) Rien de plus. Rien de moins. Même si la toile est tailladée, le cadre détruit, les clous arrachés, la peinture subsistera. Elle continuera à représenter le sujet, quoi qu’il arrive, même en pièces détachées. Il n’y a que l’artiste originel qui puisse détruire cette connexion, et lorsqu’il le fait, c’est un acte définitif.

 

À la fin du cours, James ne put s’empêcher de s’arrêter un moment devant ce qui restait de Mr Bigles. Le visage du clown n’était plus qu’une tâche grisâtre au centre de la toile. Des gouttes de peinture épaisse coulaient encore sous le cadre, s’accumulant dans le bac à craies, avant de tomber sur le sol, dans un mélange sinistre de blanc et de rouge. James eut un frisson, puis il quitta la pièce.

 

James était certain qu’il ne regarderait jamais plus une peinture magique de la même manière. En avançant dans les couloirs jusqu’à son cours suivant, il remarqua un grand tableau où plusieurs sorciers étaient agglutinés autour d’un ancien globe terrestre. Curieusement, James réalisa que l’un d’eux, un homme sévère, avec une énorme moustache et des lunettes épaisses, le regardait fixement. James s’arrêta, et se pencha pour étudier le tableau de plus près. Les yeux du sorcier devinrent plus durs, son regard plus perçant.

 

   Vous n’avez aucune raison de vous inquiéter, dit James tranquillement. Je ne sais pas dessiner. C’est plutôt Zane qui est doué pour ça.

 

Le sorcier peint eut une moue dédaigneuse, comme si James n’avait rien compris à la situation. Il émit un grommèlement étouffé, puis agita la main vers le bout du couloir, comme pour dire : « Partez, vous ne m’intéressez pas. »

 

Quand James continua son chemin vers la classe de sortilège, il pensait toujours à ce sorcier moustachu. Il lui rappelait quelqu’un, mais James n’arrivait pas à trouver qui. Quelques minutes plus tard, en entrant dans la classe du professeur Flitwick, James avait tout oublié de cet étrange personnage au regard perçant.

 

 

Après un important battage, le jour du premier débat de l’école finit par arriver. James fut surpris de voir le nombre de personnes qui avaient décidé d’y assister. Il avait cru qu’un tel débat était une affaire privée, et que seuls s’y intéressait les participants, quelques professeurs, et une poignée d’élèves du genre intello. Mais au déjeuner, ce vendredi, le débat à venir créait déjà le même climat de tension et d’anticipation qui accompagnait certains matchs de Quidditch. La seule différence était qu’aucune plaisanterie n’était partagée entre les deux camps. Grâce aux bannières et aux tracts si soigneusement insidieux, les élèves étaient divisés entre des points de vue qui semblaient incompatibles. D’où cette ambiance maussade qui remplaçait l’amicale compétitivité sportive régnant d’ordinaire avant les matchs. James n’avait pas encore vraiment envisagé d’assister au débat. Mais il réalisa que la vie à Poudlard risquait de changer en fonction du résultat. Il ressentit une soudaine obligation d’y aller, mêlée à une curiosité grandissante. De plus, face à tout Poudlard, Zane s’apprêtait à argumenter en faveur d’Harry Potter – du moins, en grande partie – et James trouvait important que sa présence montre son support.

 

Après le dîner, James se joignit à Ted et à l’ensemble des Gremlins, qui eux aussi, s’apprêtaient à assister aux débats, comme de nombreux autres élèves.

 

La réunion devait avoir lieu dans l’amphithéâtre, là où se jouaient concerts et pièces de théâtre. James ne s’y était jamais encore rendu. Les gradins étaient en plein air, appuyés aux contreforts de la colline, derrière la tour Est. Ils descendaient en plusieurs terrasse jusqu’à une large scène centrale. Tandis que James passait sous les arches qui ouvraient sur les gradins du haut, puis se frayait un chemin parmi la foule, il vit que la scène en dessous était pratiquement vide. Il y avait au centre un fauteuil à haut dossier, d’aspect très formel, flanqué par deux estrades et deux longues tables avec des chaises alignées sur l’arrière, face à la salle. Seul sur la scène, le professeur Flitwick guidait de sa baguette un globe phosphorescent dans l’air, après en avoir placé plusieurs autres à des endroits stratégiques. La fosse de l’orchestre avait été couverte par de grandes plates-formes de bois, sur lesquelles étaient posés un bureau et six chaises. Zane avait expliqué à James que c’était là que siègerait le jury. En s’installant, les élèves bavardaient entre eux, et leurs chuchotements rauques s’entendaient à peine dans le bruissement de la vie nocturne provenant de la colline sombre et des bois tout proches. Ted, Sabrina et Damien descendirent les gradins vers une rangée à mi-hauteur, où ils prirent place, près d’un groupe d’autres Gryffondor. Noah, qui était déjà là, agita la main en direction de James.

 

   Le salut des Gremlins, dit Noah en s’approchant, le visage impassible.

 

James connaissait déjà ce rituel compliqué qui demandait différentes positions des mains, puis un salut sur le front, poing levé, des levers de coude sur les côtés (un peu comme la danse des canards) et se terminait par les deux mains plaquées au niveau des oreilles, pouce et petit doigt tendus, pour rappeler des grandes oreilles des vrais Gremlins.

 

Ted hocha la tête, et se contenta de répondre par un signe au niveau de la tempe.

 

   Est-ce que notre cher ami de WFSF (Weasley, Farces pour Sorciers Facétieux) a bien envoyé ce que nous lui avions demandé ?

 

   Oui, acquiesça Noah. Nous avons fait quelques essais cet après-midi, discrets, bien entendu. C’est encore meilleur que ce que j’espérais. De plus, ajouta-t-il avec un grand sourire, ils nous ont envoyé tout le lot gratuitement. Dans son message, Georges a simplement indiqué qu’il tenait à ce que nous lui racontions exactement comment ça se passait.

 

Ted eut un sourire sans humour.

 

   Quel que soit le résultat du débat, nous aurons de quoi lui raconter quelque chose.

 

James envoya un coup de coude à Ted.

 

   Qu’est-ce qui se passe ?

 

   James, mon garçon, dit Ted avant de scruter la foule, est-ce que tu connais la définition du terme « non-complicité » ?

 

   Non, dit James, en secouant la tête.

 

   Alors demande à ton copain Zane. Le concept a été inventé par les Américains. Disons seulement que parfois, il est plus prudent de ne rien savoir pour pouvoir nier de façon convaincante.

 

James haussa les épaules, pensant qu’il était assis suffisamment près pour remarquer, très vite, ce que manigançaient les Gremlins. Quelqu’un, non loin de là, avait une radio sans fil branchée sur le réseau des sorciers. La voix de l’animateur s’entendait à peine, en partie noyée dans le brouhaha ambiant, jusqu’à ce que James repère la phrase précise : « La foule de l’amphithéâtre… » Aussitôt, il se tourna et scruta le groupe agglutiné près de la scène ? Soudain, il trouva ce qu’il cherchait : un très grand sorcier, en cape noire et chapeau melon violet, parlait dans sa baguette. Au rythme de ses paroles, des petits nuages de fumée émergeaient de la baguette, et formaient des mots qui flottaient au-dessus de lui. Sur une table non loin, un homme tenait un appareil qui ressemblait à un très vieux gramophone, avec un énorme cornet acoustique. Aussi vite qu’ils se formaient, les mots de fumée semblaient absorbés par le cornet. James n’avait jamais vu un enregistrement magique en action. Il lisait les mots de l’animateur une seconde avant de les entendre dans la radio sans fil, diffusée dans tout le monde magique.

 

« Aussi bien les curieux que les opposants actifs, annonça l’animateur, semblent s’être réunis ce soir pour assister à un débat controversé qui illustre bien les remous qui agitent actuellement le monde sorcier. Ceci concerne la politique du ministère et les pratiques des Aurors vis-à-vis de l’Histoire de notre monde, particulièrement durant les dernières décennies. Ce soir, nos auditeurs qui écouteront cette édition spéciale de l’Echo des Sorciers, assisteront en direct à une rencontre organisée par l’une des plus célèbres écoles de magie, pour savoir ce que pensent les élèves de ce sujet si contesté. Je serai votre animateur, Myron Madrigal, et je remercie le sponsor qui nous réunit ce soir, le spécialiste incontesté de la cire pour baguette : la cire Boisdor, la cire qui donne sa force à vos sortilèges. Une baguette traitée avec Boisdor ne vous décevra jamais. À très bientôt, après la page de publicité, pour le début des débats. »

 

L’animateur fit un signe du doigt à son assistant, qui aussitôt, plaça son entonnoir dans un plus grand, avant d’enclencher un message enregistré. La publicité pour le vernis pour baguette Boisdor retentit à la radio. James s’était demandé, un peu inquiet, si le débat serait ou non transmis au monde sorcier, mais il avait cessé depuis longtemps de s’en faire à ce sujet. Mieux valait entendre la totalité des arguments de chaque équipe, plutôt que d’avoir quelqu’un comme Rita Skeeter déformer la vérité. Il espérait seulement que Zane, Petra, et leur équipe, se défendraient bien contre Tabitha Corsica et ses mensonges soigneusement mêlés de demi-vérités.

 

Alors que le message publicitaire radiodiffusé prenait fin, Benjamin Franklyn approcha sur le côté gauche de la scène. Immédiatement, l’animateur annonça d’une voix excitée : « Par un heureux hasard, le chancelier de l’école américaine Alma Aleron, Benjamin Amadeus Franklyn, a été choisi pour orchestrer le débat de ce soir. Nous le voyons, en ce moment même, apparaître sur scène. »

 

   Bonsoir cher amis, élèves, et autres invités, dit Franklyn, sans user de sa baguette, mais utilisant à bon escient sa profonde voix de ténor. Bienvenue à tous, ce soir, pour le débat d’inauguration inter-maisons de Poudlard. Mon nom est Benjamin Franklyn, et je suis très honoré d’avoir été choisi pour vous présenter les deux équipes qui s’opposeront ce soir. Que les équipes A et B veuillent bien prendre place à mes côtés.

 

Aussitôt, dix élèves se levèrent au premier rang. Leur groupe se sépara en deux en montant l’escalier, cinq à gauche, cinq à droite. Ils s’installèrent dans les chaises alignées derrière les deux tables, tandis que Franklyn les présentait. Dans l’équipe A se trouvaient Zane Walker, Petra Morganstern, Gennifer Tallus, un garçon de Poufsouffle nommé Andrew Haubert et un élève d’Alma Aleron, Gerald Jones. L’équipe B était essentiellement composée de Serpentard, de cinquième à septième année, dont Tabitha Corsica et son acolyte, Tom Squallus ; et deux autres, Heather Attac et Nolan Frelon. Le cinquième membre du groupe – et le seul à avoir moins de 15 an – était Ralph. Il était planté sur sa chaise, comme hypnotisé, aussi raide qu’une statue, les yeux fixés sur Franklyn.

 

   Le débat de ce soir, continuait Franklyn, en ajustant ses lunettes carrées, suscite l’intérêt général, comme on peut le remarquer à l’importance de l’assistance et à la présence de la presse. Il s’agit d’un point important aux ramifications multiples. Nous le savons tous, le droit d’argumenter est la base même de la liberté d’expression, et un débat bien argumenté ne peut qu’appuyer le bien-fondé d’un gouvernement et aider une population à mieux comprendre. Un esprit ouvert, une capacité à évoluer, ce sont des vertus que nous pensons tous posséder, et ce soir, nous les verrons mises en œuvre. Aussi, je vous recommande de vous respecter les uns les autres, en parole et en attitude. Vous êtes en droit d’avoir vos convictions, comme les autres le sont de penser autrement. Quoi qu’il découle du débat de ce soir, votre attitude sera aussi une façon de glorifier cette école et tous ceux qui y ont étudié avant vous. (Franklyn se retourna alors vers les deux équipes, reconnaissant pour la première fois leur présence sur scène.) N’oubliez pas que vous êtes avant tout des amis, des élèves d’une même école, des sorciers et sorcières du même monde magique.

 

Quand il se tut, les applaudissements fusèrent, mais James les trouva plus polis qu’enthousiastes. Sur la scène, Franklyn sortit un papier de sous sa robe, et l’examina.

 

   Nous avons procédé à un tirage au sort, dit-il d’une voix forte, et ce sera l’équipe B qui ouvrira le débat. Miss Corsica représente son équipe. Miss Corsica, veuillez avancer.

 

Quand Franklyn quitta le podium, il s’installa dans le siège central à haut dossier. Tabitha s’approcha de l’estrade sur la gauche, les mains vides. Elle adressa à la foule son merveilleux sourire, qui semblait accueillir chaque personne individuellement.

 

   Chers amis, chers élèves, professeurs et membres de la presse, en guise de préambule, je vais réfuter d’emblée l’une des remarques de notre cher professeur Franklyn, car elle symbolise malheureusement le cœur même des erreurs communément admises qui ont amené notre débat de ce soir.

 

Il y eut dans la foule un halètement unanime d’anticipation. Tabitha choisit ce moment précis pour se retourner vers Benjamin Franklyn avec un sourire.

 

   Veuillez m’en excuser, professeur.

 

Très calme, Franklyn contenta de lever la main vers elle, paume en l’air, comme pour l’inciter à continuer.

 

   Bien entendu, il y a des règles de respect et de décorum à suivre dans un débat comme celui-ci, continua Tabitha, à nouveau face à la foule. Sur ce point, nous sommes en accord avec le professeur. Mais je m’oppose à la dernière phrase qu’a prononcée Mr Franklyn. Il nous encourage à nous souvenir que nous sommes avant tout des sorciers et sorcières du monde magique. Mes amis, est-ce réellement la base de notre identité ? Si c’est le cas, je crains que nous ne soyons aussi les pires des tyrans, les plus affreux sectaires qui soient. N’existons-nous qu’à travers nos baguettes et nos sortilèges ? Les sorciers seraient-ils plus humains que les Modus ? Non ! Je refuse d’être sorcière avant d’être humaine, et cette humanité, je la partage avec le reste du monde non-magique. Pire encore, le professeur Franklyn, par son omission, semble condamner le reste de l’humanité à un statut moins important que le nôtre. Malheureusement, je crains qu’il ne soit pas le seul à nourrir ce préjudice. Cette mentalité nous a été inculquée depuis toujours, par les méthodes et les règles de la politique actuelle du monde sorcier, et aussi par le contenu des livres de notre Histoire. Je ne crois pas que les mondes magique et moldu aient besoin de se comparer, ni que l’un d’eux soit inférieur à l’autre, mais il est évident que c’est le cas dans notre monde… tel qu’il est actuellement.

 

« Notre premier point pour le débat de ce soir concerne ces préjudices qui nous ont été inculqués par la classe dirigeante. L’heure de tels excès est dépassée. Tout d’abord, considérons cette loi du Secret que l’on prétend nécessaire pour nous éviter tout rejet de la part des Moldus. Les Moldus sont-ils réellement incapables d’accepter notre existence ? Et même si c’était le cas dans le passé, pourquoi maintenir cette loi obsolète, qui sépare en deux l’humanité ? Qui refuse aussi bien aux sorciers qu’aux Moldus les bénéfices d’une coexistence harmonieuse ?

 

« Notre second point nie l’idée qu’une coexistence entre les sorciers et les Moldus ne peut apporter que la guerre – et que l’histoire nous le prouve. Nous démontrerons que cette prétention est basée sur quelques événements isolés de l’histoire. Bien sûr, ils ont été malheureux, mais ils sont sans importance un contexte plus global. La peur des mages noirs tout-puissants nous a été inculquée en même temps que le dédain envers un monde moldu présumé inférieur, incapable d’accepter les pouvoirs des sorciers. Nous affirmons que ces deux menaces ont été délibérément exagérées par la classe dominante, qui utilise la peur qu’elle provoque pour mieux nous diriger à sa guise.

 

« Pour terminer, nous remettrons en question l’existence d’une prétendue magie « noire ». Nous chercherons à démontrer qu’il s’agit seulement d’une forme de magie complexe, ce qui la rend parfois dangereuse dans son application, mais surtout interdite parce que la classe dirigeante préfère rester la seule à en user, sinon en abuser. En clair, la magie noire a été inventée par le département des Aurors, pour justifier son existence, aussi bien individuelle qu’en groupe.

 

« De ces trois postulats, nous démontrerons que tout est relié, qu’il existe un complot pour empêcher le monde sorcier d’apparaître au grand jour. Nous voulons la fin de la ségrégation, et l’égalité, la justice, aussi bien pour les Moldus que pour nous-mêmes, les sorciers. Après tout, sorciers ou Moldus, nous sommes tous essentiellement des humains.

 

Sur cette dernière phrase, Tabitha quitta le podium et retourna à sa place, au centre de la table de l’équipe B. Il y eut un moment de silence stupéfait, puis au grand désespoir de James, la foule se mit à applaudir. James regarda autour de lui. D’accord, certains n’applaudissaient pas, mais il y avait environ la moitié de l’assemblée qui le faisait avec un enthousiasme délirant.

 

«…reçoit un accueil enthousiasme parmi les élèves, » annonça la voix de l’animateur que James entendait toujours dans la radio non loin de lui. « Miss Corsica est assurément un orateur plein d’assurance. Tandis qu’elle reprend sa place, Miss Petra Morganstern, capitaine de l’équipe A, s’approche maintenant du podium… »

 

Petra posa sur son pupitre plusieurs petites fiches qu’elle tenait à la main, et attendit que l’ovation se termine. Puis elle leva les yeux, le visage grave.

 

   Mesdames et Messieurs, élèves de Poudlard, bonsoir, dit-elle d’une voix nette et musicale. D’après l’équipe B, il y a trois points dans leur argumentation, trois postulats. L’équipe A se contentera de prouver la fausseté d’un point fondamental dont découlent les deux autres. Je veux parler, bien entendu, du fait que notre Histoire, une science et une matière d’enseignement, n’est pas fiable. L’équipe B cherche à nous convaincre que cette Histoire, loin d’être la vérité, est un mensonge délibéré, manigancé par un petit groupe de sorciers et sorcières incroyablement puissants sans nul doute. Oui, cette classe dirigeante doit posséder des pouvoirs jamais atteints puisque cette Histoire injustement accusée existe bel et bien dans la mémoire de tous ceux qui l’ont vécue. Il s’agit de nos parents, nos grands-parents, nos professeurs, et oui, aussi, nos dirigeants. Ils étaient là quand ces événements (prétendument exagérés) ont eu lieu. Certains d’entre eux ont combattu, ici même, au château. Alors ? Si l’on doit en croire la logique déviée de l’équipe B, la bataille de Poudlard serait aussi une invention qui n’est jamais arrivée – ou du moins s’est déroulée différemment, et devient donc aucune importance ? Bien entendu, si c’est le cas, nous pouvons discuter de la loi du Secret, de la magie noire, ou des pouvoirs accordés au département des Aurors. Par contre, si notre Histoire est exacte, si sont bien prouvés les crimes du seigneur des Ténèbres, sa poursuite aussi aveugle que sanglante du pouvoir et son désir affirmé d’écraser le monde moldu de sa domination, alors tout le reste des élucubrations de l’équipe B devient sans valeur. De ce fait, nous concentrerons notre énergie sur cette notion fondamentale. J’espère que l’équipe B voudra bien nous excuser de ne pas tenir compte de la suite de sa longue liste de doléances.

 

À nouveau, il y eut un moment de silence, très intense, parce que l’assistance s’était tendue en entendant prononcer le nom du Seigneur des Ténèbres. Puis une nouvelle ovation éclata, aussi bruyante et enthousiaste que la première, entrecoupée en plus de cris et de sifflements.

 

« Miss Morganstern a un discours précis et condensé, » annonça la voie de l’animateur. James vit l’homme dans son chapeau violet, et lut les mots qui flottaient de sa baguette magique vers le cornet de l’enregistreur. « Elle répond au discours de Miss Corsica et annonce sa position. De toute évidence, Mesdames et Messieurs, le dialogue sera ce soir aussi vif qu’intéressant. »

 

Durant les quarante minutes suivantes, quasiment tous les membres de chaque équipe montèrent tout à tour sur le podium, offrant argument après argument, tandis que leur temps de parole était minuté et chorégraphié par le professeur Franklyn. Il avait demandé à l’assistance de ne plus applaudir, mais ce fut impossible à obtenir. Chaque fois qu’une des équipes obtenait une ovation, les supporters de l’équipe opposée mettaient un point d’honneur à répondre de la même façon. La nuit était tombée sur l’amphithéâtre. Il faisait très sombre, il n’y avait qu’un fin croissant de lune assez bas sur l’horizon. Des lanternes enchantées flottaient sur les gradins au niveau des escaliers et des portes voûtées, laissant dans l’ombre les bancs et les spectateurs. Par contre, grâce aux globes ensorcelés du professeur Flitwick qui flottaient, la scène étincelait de lumière : on se serait cru en plein jour. À nouveau, Zane s’opposait à Heather Attac, au sujet de son assertion comme quoi les comptes-rendus historiques étaient toujours écrits par ceux qui avaient gagné.

 

   Comme tu le sais, dit Zane en s’adressant à Heather, je viens des États-Unis. Si cette notion était exacte, comment aurais-je pu connaître les erreurs passées de mon pays, par exemple la façon dont les Indiens ont été spoliés, les sorcières de Salem brûlées, ou l’esclavage longtemps pratiqué dans le Sud. Si ce sont les gagnants qui écrivent notre histoire, comment se fait-il que Thomas Jefferson ait été esclavagiste ?

 

En entendant ça, Benjamin Franklyn grimaça un peu, mais il hocha la tête, avec approbation. Les supporters de l’équipe A applaudirent aussitôt.

 

A la fin du débat, il y avait eu des points marqués par chaque équipe, et le score n’était pas très clair. Les deux capitaines approchèrent du podium pour une dernière rencontre. Ce fut à nouveau Tabitha Corsica qui commença.

 

   J’apprécie, commença-t-elle, avec un coup d’œil en direction de Petra, que mon adversaire dans ce débat ce soir ait choisi pour finir un petit point de détail, c’est-à-dire un épisode récent que le monde sorcier a retenu, fortement exagéré d’ailleurs, concernant un ennemi prétendument monstrueux. Pour être plus précise, je veux parler du Seigneur des Ténèbres, ce nom créé de toutes pièces qui continue à répandre la terreur. Miss Morganstern a préféré éviter ce soir nos autres arguments, et je me soumise à son désir. Le moins qu’elle puisse faire est d’accepter en retour de discuter de l’autre facette de ce personnage célèbre. Je veux contester le traitement indigne dont a été victime Lord Tom Jedusor.

 

En entendant le nom de Voldemort, il y eut plusieurs cris étouffés dans la foule. James estima qu’amener ainsi le nom de Tom Jedusor était un terrible risque, même pour Tabitha Corsica. Et pourtant, c’était bien le cœur du débat : Voldemort vs Harry Potter. La gorge serrée, James s’enfonça dans son siège.

 

   Le département des Aurors a choisi de stigmatiser Tom Jedusor comme le Seigneur des Ténèbres, annonça Tabitha dans l’obscurité silencieuse. C’était en vérité un très puissant sorcier, qui a probablement été dépassé par ses pouvoirs. Mais que savons-nous au juste de ses projets et de ses méthodes ? Miss Morganstern le présente comme un démon du mal, un adepte de la magie noire. Un mage noir, qui usait son pouvoir pour apporter la mort et la destruction. Mais de telles caricatures existent-elles ? Peut-être dans les bandes dessinées… et dans l’imagination de ceux qui répandent la peur. Voyons, quel sorcier peut-il n’être qu’un démon sans espoir de rédemption ? C’est impossible. Aussi, je vous suggère d’étudier l’hypothèse que Tom Jedusor ait certes commis quelques erreurs, mais dans de bonnes intentions, parce qu’il désirait l’égalité entre les Moldus et les sorciers Mais comme ses idées étaient trop radicales pour être acceptées par la classe dirigeante du monde magique, il a été victime d’une campagne soigneusement organisée, mêlant mensonges flagrants et demi-vérités, pour discréditer les idées de Jedusor et jeter l’opprobre sur ses disciples. Ce sont les gens du ministère qui les ont surnommés des Mangemorts. Malgré tout, Tom Jedusor et ses supporters ont obtenu la confiance des sorciers et dirigé le Ministère de la Magie – même à court terme. Ce ne fut qu’après une répression sauvage et incroyablement sanguinaire qu’il fut déchu, vaincu, assassiné. Et sans se contenter de sa mort, son impitoyable vainqueur n’a pas hésité à salir sa mémoire.

 

Tandis que Tabitha parlait, un grondement monta dans l’assemblée. Il y eut des cris de colère et des huées, aussitôt assortis d’appels : « Laissez-la parler ! ». Lorsqu’elle se tut, la foule se déchaîna, avec une violence que James trouva terrifiante. Il regarda autour de lui. La plupart des élèves étaient debout, et hurlaient, les mains en porte-voix. Plusieurs étaient même montés sur leur siège, tendant le poing vers la scène. James était incapable de discerner, parmi eux, ceux qui criaient en faveur Tabitha – ou contre elle.

 

Au moment où l’émeute montait en puissance, James eut l’impression que Ted Lupin et Noah Metzker s’activaient discrètement. Il naquit entre leurs deux sièges une explosion de lumière aveuglante, qui renvoya leurs silhouettes dans l’ombre, puis la fusée monta, illuminant l’amphithéâtre. A cent mètres de haut, une boule lumineuse explosa en un million d’étincelles brillantes. Stupéfaite, la foule s’était tue, et toutes les têtes regardaient le ciel. Les petites fusées se rejoignirent, et formèrent un dessin. Il y eut un cri général quant apparut une signature bien connue : celle du légendaire Seigneur des Ténèbres, une tête de mort avec un serpent qui émergeait de sa bouche. Puis un nouvel éclair en forme de Z heurta le front du squelette, et coupa le serpent en deux. La tête de la bête tomba, morte, en tourbillonnant, les yeux dessinant deux petites croix. Du crâne ouvert jaillit un autre éclair qui écrivit dans le ciel nocturne les mots :

 

Feu d’artifice pour occasions spéciales,

Chez Weasley, Farces pour Sorciers Facétieux

Deux magasins : Chemin de Traverse ou Pré-au-Lard

Passez vos commandes, nous ferons tout pour vous satisfaire !

 

Tandis que tout le monde regardait les lettres lumineuses, il y eut un long silence de stupéfaction générale. Puis la lumière disparut, éclaboussant l’amphithéâtre d’une poussière dorée. Quelqu’un, dans la foule, eut un rire nerveux.

 

   Eh bien, dit le professeur Franklyn. (Il s’était levé, et avança alors jusqu’au milieu de la scène), voici une interruption parfaitement minutée, je dois le dire.

 

Cette fois, les rires fut plus nombreux, quoique encore embarrassés. Puis les élèves, un par un, reprirent leur siège. James se tourna vers Ted et Noah, qui plissaient les yeux, sidérés, encore aveuglés par les fusées des frères Weasley.

 

   Ces enfoirés de Georges et Ron en ont profité pour se faire de la publicité, marmonna Ted.

 

   Pas étonnant qu’ils ne nous aient pas fait payer, dit Noah en haussant les épaules.

 

   Mesdames et Messieurs, continua Franklyn, de toute évidence, le sujet entraîne des réactions passionnées. Mais j’aimerais que nous ne nous laissions pas déborder. Miss Corsica a présenté des arguments qui, pour la plupart d’entre nous, sont extrêmement difficile à entendre. Cependant, il s’agit d’un débat, et dans mon pays, nous ne nous cessons jamais, (et il accentua délibérément les deux derniers mots,) de discuter sous prétexte un argument nous déplaît. J’espère que nous pourrons terminer le débat de ce soir dans la dignité, sinon je suis bien certain que la directrice conviendra avec moi qu’un tel club n’a pas lieu d’exister. Miss Morganstern, vous avez la parole.

 

Quand Franklyn se rassit, James réalisa que le vieux sorcier était bien plus en colère qu’il ne le laissait paraitre. Petra s’approcha de l’estrade, et durant quelques secondes, elle resta immobile, les yeux baissés. Quand elle leva la tête, elle était de toute évidence bouleversée.

 

   Je dois admettre ne pas savoir où commencer pour réfuter l’incroyable hypothèse de Miss Corsica. Le Seigneur des Ténèbres n’a pas été qualifié de démon seulement parce que cela arrangeait la classe dirigeante, mais parce qu’il a utilisé des méthodes épouvantables pour acquérir le pouvoir et le garder. Lui et ses complices n’hésitaient pas à faire usage des trois Sortilèges Impardonnables. Voldemort n’était pas plus intéressé par l’égalité avec les Moldus que… que…

 

Elle s’arrêta, et bafouilla. James serrait les lèvres avec fureur. Il comprenait le désarroi de Petra. Il y avait tellement de mensonges à réfuter.

 

   Miss Morganstern, dit Tabitha, de sa voix ensorceleuse, auriez-vous la moindre preuve de vos affirmations, ou vous contentez-vous de répéter ce qu’on vous a dit ?

 

Petra leva les yeux sur Tabitha, le visage pâle et en colère.

 

   J’ai seulement lu des biographies, répondit-elle sèchement, et aussi parlé à ceux qui ont vécu cette époque épouvantable. Si cela ne vous suffit pas, quelle preuve avez-vous, de votre côté, que Lord Voldemort soit autre chose que ces témoins l’ont rapporté ?

 

   En vérité, dit calmement Tabitha, je présume que certains sorciers et sorcières, présents ici ce soir, ont assisté à la bataille de Poudlard. Nous pourrions réclamer leur témoignage, mais il ne s’agit pas d’un tribunal, aussi je vais me contenter d’une question. Y a-t-il quelqu’un dans la salle, ayant assisté à la bataille de Poudlard, qui puisse nier avoir entendu Lord Voldemort déclarer refuser de voir mourir un sorcier de plus ? Quelqu’un peut-il nier qu’il a imploré son principal ennemi de le rencontrer, face-à-face, pour éviter d’autres violences ?

 

Quand Tabitha se tourna vers la foule, le silence était total. On entendait simplement le bourdonnement lointain des insectes et des animaux dans la forêt, et le souffle du vent dans les arbres.

 

   Non, personne ne le peut, parce que c’est la vérité, continua Tabitha presque gentiment. Bien sûr, beaucoup sont morts ce jour-là, mais ce n’est pas à cause de Lord Tom Jedusor. Ceux qui s’opposaient à lui ne pouvaient supporter ses idées et sa vision du futur.

 

Petra s’était reprise. Elle parla d’une voix claire et forte.

 

   Et vous pensez sans doute que c’était un tact acceptable de massacrer une famille, pour être certain de se débarrasser d’un nouveau-né ?

 

   Oh, vous parlez de Harry Potter ? contra Tabitha, du tac au tac. L’actuel directeur du Bureau des Aurors, comme par hasard ?

 

   Niez-vous que Voldemort ait massacré sa famille ? Insista Petra.

 

   Je ne nie rien, je me contente de soupeser la vérité. À mon avis, elle est bien plus compliquée que ce qu’on nous a permis de croire. Je considère parfaitement improbable ce prétendu crime contre un enfant. Tout ceci fait bien entendu partie de la propagande pour alimenter la peur générale qui nous a été inculquée au cours des dernières décennies.

 

   Comment osez-vous ?

 

À son grand étonnement, James reconnut sa propre voix. Il n’avait même pas eu l’intention de parler. Il était pourtant debout, le doigt pointé vers Tabitha Corsica, tremblant de rage.

 

   Comment osez-vous traiter mon père de menteur ? Voldemort était un monstre qui tué ses parents ! Mes grands-parents sont morts à cause de lui, et maintenant vous vous tenez là, à prétendre que tout a été inventé ! Comment osez-vous… (Sa voix se cassa.)

 

   Je suis désolé, James dit Tabitha, et son visage exprimait la plus tendre compassion. Je sais bien que tu crois cette histoire véridique.

 

Le professeur Franklyn s’était levé, et il avançait vers Tabitha, mais avant même qu’il ne puisse intervenir, James continua à crier :

 

   Mon père a tué votre grand héros ! hurla-t-il, les yeux brûlants de larmes de rage. Ce monstre a essayé de le tuer plusieurs fois, même quand mon père s’est rendu durant la bataille de Poudlard. Votre prétendu visionnaire était un monstre, et mon père l’a vaincu !

 

   Votre père, aboya Tabitha, dont la voix avait perdu son vernis, n’est qu’un sorcier de bas étage avec un bon sens du relationnel. S’il n’avait pas été épaulé par des sorciers bien meilleurs que lui, personne aujourd’hui ne connaîtrait son nom.

 

Sur ce, la foule à nouveau explosa de colère. Les hurlements bouillonnaient dans l’espace clos de l’amphithéâtre comme dans un chaudron. Il y eut un tintamarre soudain sur la scène. James leva les yeux, et vit Ralph – qui n’avait pas ouvert la bouche de toute la soirée. Il s’était levé, renversant son siège. Tabitha se tourna vers lui, et une seconde, leurs regards se croisèrent. « Assis ! » mima-t-elle, les yeux livides de rage. La défection d’un membre d’une des deux équipes entraînait son élimination. Ralph lui rendit son regard, tout aussi noir, puis il lui tourna le dos et quitta la scène. Quand James le vit descendre les marches, malgré sa propre colère et sa crainte que la foule se déchaîne, son cœur en fut heureux.

 

À ce point, il n’y avait plus le moindre espoir de clore le débat. La directrice McGonagall rejoignit le professeur Franklyn sur l’estrade, et tous les deux jetèrent des éclairs rouges en direction de la foule pour restaurer l’ordre dans l’amphithéâtre. Ensuite, sans préambule, la directrice ordonna à tous les élèves de rejoindre immédiatement leur salle commune. Elle avait le visage dur et très pâle. La foule obéit en marmonnant, et s’écoula peu à peu à travers les voûtes qui les ramèneraient vers le château. James vit Ralph le regarder, de l’autre côté des gradins. Il avançait vers lui, James fit la moitié du chemin. Mais ce fut Ralph qui parla le premier.

 

   Je ne peux plus, dit-il, la voix rauque, les yeux baissés. Je suis désolé qu’elle ait dit des choses aussi terribles, aussi stupides. Tu peux continuer à me haïr si tu veux, mais je ne peux plus supporter les imbécillités du Mouvement du Progrès. Franchement, je n’y connais rien, mais tout ça est tellement pénible, tellement… politique !

 

James ne put s’empêcher de sourire.

 

   Ralph, ne sois pas idiot, je ne te hais pas du tout. Au contraire, je veux m’excuser.

 

   Tu t’excuseras plus tard, d’accord ? dit Ralph, en le prenant par le coude, pour l’entrainer vers la sortie. Pour le moment, je n’ai qu’une envie, ficher le camp d’ici. Je sens que le regard de Tabitha Corsica me fait des trous dans le dos depuis que j’ai quitté la scène. De plus, Zane m’a dit que Ted nous invitait ce soir dans la salle commune des Gryffondor. Il veut fêter la démission d’un membre de l’équipe B.

 

   Ça ne t’ennuie pas ? demanda James.

 

   Non, répondit Ralph, en haussant les épaules. Ça vaut le coup. Vous avez de la bonne bouffe à Gryffondor.