Chapitre 5 : Le livre d’Austramaddux

 

 

 

   Arrête de te considérer ta prestation sur un balai comme un échec lamentable, dit Zane un peu plus tard, alors que les trois garçons étaient assis dans la salle commune des Serdaigle. Au contraire, tu as donné à Ralphie, ici présent l’occasion de devenir un héros.

 

Effondré au bout du canapé, la tête appuyée dans ses mains, James ne répondit pas.

 

   De plus, continua Zane, si je n’avais pas sauté sur mon balai pour me lancer à ta poursuite, je n’aurais jamais pu voler comme ça. C’est juste parce que je l’ai fait sans réfléchir que ça a marché. Curieux, d’ailleurs.

 

   Super boulot, Walker, dit un élève plus âgé en passant près du canapé, tout en frottant les cheveux encore humides de l’Américain.

 

   Ça c’est sûr ! cria un autre du fond de la pièce. En temps normal, on laisse venir les « première année » juste pour rigoler. Mais avec toi, on a eu droit au deux : les rires, ET le talent.

 

Il y eut un éclat de rire général dans la salle commune, et Zane afficha un grand sourire heureux. Tout autour de lui, l’eau continuait à dégoutter.

 

   Sérieusement, dit Ralph, assis par terre, le dos au feu, comment as-tu fait ? Je croyais que c’était vraiment difficile de voler.

 

   Je n’en sais rien, répondit Zane. Quand j’ai vu James s’envoler tout droit vers la stratosphère, je l’ai juste suivi. Je n’ai même pas réalisé ce qui se passait – du moins pas avant la fin, quand je me suis retrouvé à côté de lui, à foncer vers le terrain. Au dernier moment, je me suis arrêté, et j’ai vu des torpilles humaines me frôler, de tous les côtés. Alors j’ai pensé : « Incroyable, je vole ». Tu sais, durant mon enfance, j’ai passé avec mon père des heures à voler dans des jeux vidéo. Ça m’a peut-être aidé. En tout cas, j’ai réagi d’instinct. (Zane sembla soudain réaliser que la conversation n’aidait pas beaucoup James à se sentir mieux.) Mais assez parlé de moi et de mon balai. Parlons plutôt de TOI, Ralphie.

 

Ralph cligna des yeux tout en réfléchissant, puis il ramassa sa baguette, posée par terre, à côté de lui, sur sa cape détrempée. Elle était toujours aussi énorme et ridicule, avec un bout limé et peint en jaune criard, mais plus personne ne s’en moquait.

 

   Je ne sais pas. Comme toi, je crois, j’ai réagi sans réfléchir. Quand j’ai vu James tomber, j’ai repensé à la plume qui s’envolait dans la classe de Flitwick. Et je me suis retrouvé avec le bras tendu vers lui, à crier…

 

Dès que Ralph agita sa baguette, plusieurs élèves – dont Zane – baissèrent la tête en poussant des cris aigus. Avec un sourire penaud, Ralph protesta :

 

   Arrêtez un peu, je n’avais pas l’intention de le dire.

 

   Ralph, tu es vraiment un cas, mon pote, annonça Zane en se redressant. Et un grand sorcier ! Après un seul cours, tu passes d’une plume à un corps humain. C’est dingue !

 

Cette fois, James releva la tête.

 

   Bon, si vous avez fini tous les deux de vous trouver géniaux, moi, je vais chercher un trou bien profond, et me cacher dedans jusqu’à la fin de l’année.

 

   Hey ! s’écria Ralph. La copine de Grawp aura peut-être une place pour toi dans sa caverne ?

 

Bouche bée, Zane regarda longuement son copain.

 

   Quoi ? demanda Ralph. C’était juste pour lui donner le temps de réfléchir.

 

   Il plaisante, tu sais, dit Zane à James. Bien sûr, comme il le fait rarement, je préférais vérifier.

 

   Toutes mes félicitations pour avoir été admis dans l’équipe de Quidditch, Zane, dit James d’une voix calme.

 

Il se leva, récupéra sa cape pendue à un crochet près du feu, et se figea.

 

   Ecoute, marmonna Zane, mal à l’aise, je suis désolé que les choses n’aient pas bien marché pour toi. Je sais que c’était important pour toi. Voilà.

 

James resta immobile quelque secondes, les yeux fixés sur le feu. Les paroles de Zane – et ses regrets sincères – l’avaient profondément touché. Il avait la gorge serrée, les joues brûlantes, et les yeux douloureux. Il cligna plusieurs fois des paupières pour retenir ses larmes, puis il se retourna.

 

   Ce n’était pas si important que ça pour MOI, dit-il. C’était juste très très important.

 

Il traversa la salle commune et s’apprêta à partir. Juste avant de refermer la porte, James entendit Ralph demander :

 

   Je n’ai rien compris. C’était « très très important » pour qui ?

 

Dans le couloir, James marcha lentement, la tête basse. Ses vêtements étaient encore humides et, après le choc violent ressenti quand Ralph l’avait fait léviter après sa longue chute à pic, il avait mal partout. Mais il le remarquait à peine. Il avait échoué. Après sa première victoire en devenant un Gryffondor, James avait été plus ou moins certain de réussir aussi facilement au Quidditch. Tout au contraire, il s’était ridiculisé devant tous les Gryffondor et les Serdaigle. Très loin d’égaler les acrobaties spectaculaires de son père, au cours de sa performance légendaire, James avait failli se tuer. Et seul l’avait sauvé le talent de ses deux amis. Jamais James ne se remettrait d’un échec pareil. Jamais personne ne l’oublierait. Pour le moment, les autres ne se moquaient pas encore de lui, du moins pas en face, mais que diraient-ils, l’an prochain, quand James, à nouveau, ne réussirait pas à être sélectionné ? Il ne supportait même pas d’y penser.

 

Et qu’allait dire son père ? Son père qui viendrait à Poudlard la semaine prochaine, pour le voir, et entendre ses exploits. Oh, son père comprendrait, bien sûr. Il dirait à James que le Quidditch n’était qu’un jeu, et que le plus important dans la vie, c’était d’être en accord avec soi-même, d’être heureux. En fait, son père serait même sincère. Et pourtant, de le savoir ne réussissait pas à remonter le moral de James.

 

Parce que Zane avait été sélectionné dans l’équipe Serdaigle. Et James en était terriblement jaloux. Bien sûr, il n’était pas très fier de ce qu’il ressentait, mais son amertume était toujours là. Zane était un né-Moldu. Et un américain pur sang. Il ne connaissait rien, en principe, au Quidditch. C’est James qui aurait dû savoir voler d’instinct, être le héros destiné à sauver les autres. Pas le contraire. Comment les choses avaient-elles dérapé aussi vite ?

 

Quand il arriva à la salle commune de Gryffondor, James rasa les murs, évitant le regard de tous ceux qui y étaient encore, occupés à rire et à plaisanter avec leurs amis, à écouter de la musique, travailler, ou glander sur les canapés. James se faufila dans l’escalier, et monta jusqu’au dortoir où il trouva sa chambre sombre et calme. Autrefois, quand son père était à l’école, les dortoirs étaient séparés par année. Mais James était heureux de partager sa chambre avec des élèves plus âgés qui, toujours, affirmaient avec entrain que les choses s’arrangeaient. Ce soir, James aurait bien eu besoin d’être rassuré. Ou au moins, que quelqu’un remarque son désespoir, et en tienne compte. Mais la pièce était bel et bien déserte, et il poussa un long soupir résigné.

 

Après s’être lavé dans la petite salle de bain attenante, James mit son pyjama et s’assit sur son lit, les yeux fixés sur la nuit. Dans sa cage, près de la fenêtre, Aristo le regardait et claquait du bec, de temps en temps, pour indiquer qu’il souhaitait être libéré. La nuit, la chouette partait chasser, dans l’espoir de trouver une souris. Mais James, perdu dans sa misère, ne remarqua même pas son oiseau. La pluie avait fini par s’arrêter. Peu à peu, les nuages se dissipaient, libérant une lune ronde et argentée. James la regarda longtemps, sans trop savoir ce qu’il attendait au juste – ou sans même réaliser qu’il attendait quelque chose... Mais c’était sans importance, parce que rien n’arriva. Personne ne monta le rejoindre. Il entendait toujours des voix animées à l’étage en dessous. C’était vendredi soir. Personne n’avait l’intention de se coucher aussi tôt. Il se sentait terriblement seul et abandonné. Il finit par se glisser sous ses couvertures et, de là, continua à regarder la lune.

 

Il mit très longtemps à s’endormir.

 

 

James passa l’essentiel du week-end dans la salle commune de Gryffondor. Il savait que ni Zane ni Ralph ne pouvait y entrer sans le mot de passe, et il n’était pas d’humeur à les voir – ni à voir personne. Aussi, il fit son travail de classe, et ses exercices d’entraînement de baguette. Il fut particulièrement contrarié en réalisant qu’il n’arrivait pas à faire voler sa plume. Au mieux, frémissait-elle légèrement sur la table. Au bout de vingt minutes, exaspéré, James éructa un gros mot (que sa mère ne pensait pas qu’il connaissait) puis il jeta sa baguette sur la table. En tombant, elle lança des étincelles rouges, comme si elle ne comprenait pas cet accès de colère.

 

Le samedi soir, James dut aller retrouver Rusard pour sa retenue. Armé d’un seau et d’une brosse géante, aux poils durs et hérissés, James se retrouva à suivre le concierge dans les couloirs de l’école. De temps à autre, Rusard s’arrêtait, et, sans se retourner, il désignait un endroit sur le sol, le mur, ou l’une des statues. James regardait, et découvrait un graffiti ou un vieux chewing-gum collé. Il soupirait, mouillait sa brosse dans le seau, et frottait à deux main. D’après l’expression de Rusard, on aurait cru James seul responsable de tout ce vandalisme. Et pendant que James travaillait, le concierge marmonnait rageusement en regrettant le « bon vieux temps », quand il était permis de sévir physiquement pour « mater les fortes têtes ». Quand James fut enfin autorisé à retourner dans la salle commune de Gryffondor, il avait les mains à vif, les doigts gelés et douloureux, et l’odeur de l’affreux détergent de Rusard incrusté dans les narines.

 

Dimanche après-midi, James, toujours aussi morose, partit errer dans les jardins. Il rencontra par hasard Ted et Petra, assis sur une couverture, qui prétendaient étudier une carte des étoiles dessinée sur un morceau de parchemin.

 

   Maintenant que Trelawney partage ses cours de Divination avec Mme Delacroix, nous avons du travail personnel à faire, se plaignit Ted. L’année dernière, il fallait simplement lire l’avenir dans des feuilles de thé, et inventer les désastres et les prédictions les plus sombres. En fait, c’était plutôt marrant.

 

Appuyée contre un arbre, avec plusieurs cartes et documents sur les genoux, Petra les comparait avec un livre sur les constellations ouvert sur la couverture.

 

   Contrairement à Trelawney, Delacroix semble avoir l’idée grotesque que l’Astrologie est une science véritable, dit-elle, en secouant la tête d’un air dégoûté. Je n’arrive pas à y croire ! Comment des cailloux qui s’agitent au hasard dans l’espace peuvent-ils nous indiquer le futur ?

 

Ted demanda à James de rester avec eux, pour éviter (prétendit-il) de travailler trop sérieusement. James sentit qu’il n’interrompait rien de personnel, et que ni Ted ni Petra ne comptait ramener sur le tapis sa pitoyable prestation au Quidditch. Aussi, il se laissa tomber sur la couverture, et étudia le livre et les cartes des constellations. Il y avait des dessins en noir et blanc de plusieurs planètes, chacune marquée d’un écusson qui indiquait son nom, et la créature mystique qu’elle représentait. Il y avait aussi des annotations étranges : cercles, flèches, orbites, et ellipses rouges.

 

   De laquelle de ces planètes provient la Caspule ? demanda James pince-sans-rire.

 

Petra tourna la page.

 

   De Hardy-bar, la barre de pierre.

 

Lentement, James feuilleta les lourdes pages du manuscrit, examinant le mouvement des planètes et les symboles astrologiques de tout cet univers extraterrestre.

 

   Alors, comment le professeur Trelawney s’entend-elle avec Mme Delacroix ? demanda-t-il, au bout de quelques minutes, en se souvenant que Damien avait affirmé qu’il y aurait des frictions.

 

   Comme l’huile et le feu, répondit Ted. Trelawney essaie d’être aimable, mais il est évident qu’elle déteste la reine vaudou. Quant à Delacroix, elle ne fait même pas semblant d’apprécier Trelawney. Elles proviennent toutes les deux d’écoles de pensée trop différentes, dans tous les sens du mot.

 

   Je préfère la façon d’enseigner de Trelawney, grommela Petra en écrivant sur son parchemin.

 

   Nous sommes au courant, mon chou, dit Ted gentiment, puis il se tourna vers James : Petra préfère Trelawney parce qu’elle sait très bien, au fond, que la Divination n’est qu’un assemblage de mots creux que chacun assemble à sa guise. Bien sûr, Trelawney fait semblant, mais elle-même ne croit pas à tout son charabia mystique. Petra a un esprit cartésien et scientifique, et elle considère que Trelawney fait de son mieux dans des circonstances difficiles, sans être… comment dire, trop rigide.

 

Avec un soupir exaspéré, Petra referma bruyamment son livre.

 

   La Divination n’est pas une science, c’est juste de la psychologie. Au moins, Trelawney le met en pratique, même sans y croire. Mais Delacroix… peuh !

 

Elle jeta le livre sur la pile, à côté d’elle, en roulant les yeux.

 

   Cette semaine, nous avons un devoir surveillé, dit Ted avec une grimace. Tu te rends compte, un devoir surveillé en Divination ! Il s’agirait d’un événement astrologique majeur censé se produire durant l’année scolaire, je ne sais pas trop quand. Une ligne de planètes, ou un truc du genre.

 

   Une ligne de planètes ? répéta James perplexe.

 

   Un alignement de planètes, corrigea Petra avec patience. En réalité, c’est un événement plutôt important qui n’arrive qu’une fois tous les plusieurs siècles. C’est de la science réelle cette fois. Mais savoir quelle stupide créature mythologique représente chaque planète, ou quel dieu c’était pour un groupe de vieux primitifs, ou encore ce que ça apporte au niveau harmonie dans la trame métaphysique de notre avenir… là vraiment, ça me dépasse !

 

Ted regarda James en fronçant comiquement les sourcils.

 

   Un jour, nous obtiendrons de Petra qu’elle nous donne réellement son avis sur le sujet.

 

Petra le tapa sur la tête, avec l’un des plus gros parchemins qu’elle venait de rouler.

 

 

Plus tard, au dîner, James vit Zane et Ralph assis côte à côte, à la table des Serdaigle. Il remarqua aussi que Zane le regarda, brièvement, mais il fut heureux de voir que l’American ne cherchait pas à se lever pour venir lui parler. James avait conscience d’être mesquin, mais sa jalousie continuait à le ronger, ainsi que la honte brûlante de sa prestation ridicule. Il mangea rapidement, puis se faufila hors de la Grande Salle, sans trop savoir où aller.

 

La soirée était agréable, plutôt fraîche, et le soleil plongeait déjà derrière les montagnes. James explora les jardins, écoutant la stridulation des criquets, avant d’aller un moment près du lac faire des ricochets. En revenant, il s’arrêta à la cabane de Hagrid et voulu frapper à la porte, mais il y avait un message sur le panneau. En lettres énormes et plutôt maladroites, Hagrid indiquait qu’il serait absent jusqu’au lundi matin. James pensa que le demi-géant passait sans doute le week-end avec Grawp et sa copine. Il commençait à faire sombre, aussi James revint, tête basse, vers le château.

 

Alors qu’il s’apprêtait à prendre les escaliers vers la tour de Gryffondor, une idée lui vint soudain, et il fit un détour. Il voulait vérifier quelque chose.

 

 La vitrine des trophées était éclairée par plusieurs lanternes, aussi les coupes, les plaques commémoratives, et les statuettes scintillaient légèrement. En marchant le long du couloir, James examina les photos d’équipes de Quidditch qui dataient déjà de plusieurs décennies. Les uniformes étaient démodés, mais les sourires et les expressions de force et d’invincibilité des jeunes visages paraissaient éternels. Il y avait des coupes d’or, d’argent et de bronze, d’anciens vifs d’or, des cognards bien attachés avec des ceintures de cuir. James remarqua que, sur son passage, les ballons frappeurs s’agitaient encore, même après tout ce temps.

 

Il s’arrêta presque au bout de la vitrine, et regarda les reliques qui concernaient le Tournoi des Trois Sorciers. Son père souriait, toujours aussi mal à l’aise, paraissant incroyablement jeune et ébouriffé. James se pencha en avant, et fixa l’autre jeune sorcier à côté de la coupe, Cédric Diggory. Le garçon, sur la photo, était jeune et beau, avec un sourire franc. James l’avait reconnu aussi sur d’anciennes photos de l’équipe de Quidditch de Serdaigle. Comme tant de joueurs, Cédric paraissait se croire invincible, et affichait une confiance sans ombre. James l’étudia longuement. C’était cette expression, si joyeuse et ouverte, qui l’avait empêché de faire plus tôt la connexion.

 

   C’était vous, n’est-ce pas ? chuchota-t-il, et il ne s’agissait pas réellement d’une question.

 

Pourtant, sur la photo, Cédric lui renvoya son sourire, et hocha légèrement la tête, comme pour une confirmation.

 

James ne s’était pas attendu à recevoir de réponse, mais alors qu’il commençait à se redresser, quelque chose changea sur la plaque en cuivre accrochée sous la Coupe des Trois Sorciers. Les mots gravés s’effacèrent, et après un moment, d’autres s’inscrivirent, une lettre après l’autre, en silence.

 

James Potter, fils de Harry Potter ?

 

Un long frisson d’anticipation traversa le dos de James, mais il hocha la tête.

 

   Oui, murmura-t-il.

 

Les mots s’effacèrent, et la plaque resta vierge un moment. Plusieurs secondes passèrent, puis d’autres mots apparurent :

 

Combien de temps a passé ?

 

Au début, James ne comprit pas le sens de la question. Il secoua la tête.

 

   Je... je suis désolé. Combien de temps a passé… depuis quand ?

 

À nouveau, les lettres disparurent, puis réapparurent, une par une, très lentement comme si l’effort de les créer était difficile.

 

Depuis ma mort ?

 

James déglutit avec difficulté.

 

   Je ne sais pas exactement. 17 ou 18 ans, environ.

 

Les lettres s’effacèrent péniblement, et rien n’apparut pendant plus d’une minute. Puis :

 

Le temps est étrange ici. Il paraît plus long. Et plus court.

 

James ne savait pas trop quoi répondre. Dans le couloir, vibra soudain une solitude immense, une tristesse qui emplissait tout l’espace. James le ressentait pesant sur lui comme un lourd nuage glacé.

 

   Mon… (Sa voix se cassa, il dut se racler la gorge, et déglutir, avant de recommencer :) Mes parents – ma mère était autrefois Ginny Weasley – mes parents m’ont parlé… de vous. Quelques fois. Ils se… souviennent de vous. Ils vous aimaient bien.

 

Les lettres s’effacèrent, et d’autres revinrent :

 

Ginny et Harry. Je le savais. Je l’ai toujours su. Il y avait quelque chose entre eux.

 

Le fantôme de Cédric sembla s’évaporer, comme s’il disparaissait dans l’air du couloir. Et les lettres s’effacèrent. James aurait voulu poser d’autres questions au fantôme – l’interroger sur l’intrus Moldu ; savoir comment cet homme était entré – mais tout à coup, tout ça semblait sans importance. Il aurait plutôt aimé trouver une façon d’adoucir la douleur intense que Cédric ressentait, mais il n’arrivait pas à réfléchir. Tout à coup, d’autres lettres apparurent sur la plaque, à peine esquissées, comme hésitantes :

 

Sont-ils heureux ?

 

James lut la question, y réfléchit, puis acquiesça.

 

   Oui, Cédric, ils sont heureux. Nous sommes tous heureux.

 

Les lettres disparurent dès que James se tut, puis il y eut quelque chose comme un soupir qui résonna autour de lui, très long, très las. Quand ce fut terminé, James regarda autour de lui dans le couloir. Il savait être à nouveau seul. Lorsqu’il examina une fois de plus la plaque sous la coupe, l’inscription était redevenue normale, avec des mots bien gravés dans une cursive élégante. James frissonna, puis il se frotta les bras à deux mains, se détourna de la vitrine, et revint sur ses pas.

 

Enfin, le fantôme lui avait parlé. Et c’était celui de Cédric Diggory.

 

Nous sommes tous heureux, pensa James. Tandis qu’il grimpait les marches vers la salle commune de Gryffondor, il réalisa que c’était la vérité. Il se sentit tout à coup stupide d’avoir passé tout le week-end à ressasser ses malheurs, à la fois sa jalousie et son échec. Tout ça lui paraissait tout à coup sans importance. James était juste heureux de se retrouver ici, à Poudlard, avec de nouveaux amis, des défis à affronter, et d’innombrables aventures qui l’attendaient. Il courut dans le couloir jusqu’au portrait de la Grosse Dame, fermement décidé à ne pas perdre les quelques heures qui lui restaient de son premier week-end à l’école. Il voulait rire, s’amuser, et oublier le grotesque de ses premiers essais au Quidditch. En fait, à contrecœur, il dut même admettre que c’était plutôt drôle – d’une certaine façon.

 

Lorsqu’il entra dans la salle commune, il s’arrêta net, et écarquilla les yeux. Zane et Ralph étaient là, assis avec les autres Gremlins, autour d’une table près de la fenêtre. Toutes les têtes se tournèrent vers lui.

 

   Voilà notre vedette extraterrestre ! s’écria Zane avec entrain. Nous essayons d’appliquer ta technique de vol dans la routine de la Caspule. Que penses-tu d’une nouvelle affaire Roswell ? (NdT : Crash d’un OVNI aux États-Unis près de Roswell en juillet 1947.) Ne t’inquiète pas, Ralph et sa baguette seront là pour te récupérer.

 

Avec un sourire un peu gêné, Ralph agita sa baguette. James leva les yeux au ciel, puis se précipita pour les rejoindre.

 

 

 

Quand James se réveilla, le lundi matin, il était en retard. Il dévala les escaliers et courut comme un dératé, espérant avoir le temps de grignoter une tartine avant son cours de Métamorphose. Sur le seuil de la Grande Salle, il rencontra Ralph et Zane qui en sortaient.

 

   Tu n’as pas le temps, mon pote, dit Ralph, en l’attrapant par le coude pour le faire pivoter. Il n’est pas question d’être en retard au premier cours de la semaine. C’est McGonagall qui enseigne la Métamorphose, et j’ai entendu des choses vraiment vraiment horribles sur ce qu’elle fait subir aux retardataires.

 

Avec un soupir de regret, James oublia son petit-déjeuner et trottina avec ses deux amis. Son estomac protesta bruyamment

 

   J’espère qu’elle ne fait rien d’horrible aux élèves dont le ventre gargouille, dit-il se frayant un passage dans les couloirs bondés qui résonnaient de brouhaha.

 

Tout en marchant, Zane lui fit passer quelque chose.

 

   Tu regarderas ce truc quand tu auras un moment, dit l’Américain. Je l’ai déjà montré à Ralphie, et ça l’a franchement scié, pas vrai mec ? J’ai coché les pages intéressantes.

 

C’était un livre épais, d’aspect plutôt miteux. La couverture était reliée de tissu épais, probablement rouge autrefois. Les pages avaient jauni, et menaçaient de tomber.

 

   Qu’est-ce que c’est ? demanda James. (Il n’arrivait pas à lire le titre, effacé par le temps.) Entre Jackson et Flitwick, je t’assure que j’ai déjà de quoi lire jusqu’au prochain trimestre.

 

   Crois-moi, affirma Zane, tu trouveras ça bien plus intéressant. Il s’agit du Livre des Mondes Parallèles, tome 7. Je l’ai trouvé dans la bibliothèque privée de Serdaigle, et je n’ai lu que la partie que je t’ai marquée.

 

   Les Serdaigle ont une bibliothèque privée ? demanda Ralph.

 

Il se tortillait, ayant du mal à sortir son livre de Métamorphose de son sac à dos archi-bourré.

 

   Pourquoi pas ? Répondit Zane en haussant les épaules. Vous-autres, les Serpentard, avez bien des têtes de dragon accrochées au mur. Chacun son truc.

 

Tandis qu’ils avançaient vers la classe de métamorphose, les trois garçons traversèrent un groupe d’élèves agglutinés à côté de la porte. Plusieurs d’entre eux portaient le badge bleu et rouge : « Remettre en cause CEUX qui ont gagné ! ». Ces derniers temps, de plus en plus d’élèves les arboraient. D’ailleurs, d’après une annonce sur l’un des panneaux d’affichage et d’information de l’école, ces badges provenaient d’un club intitulé «           Le Mouvement du Progrès ». Ce qui surprenait (et inquiétait) James, c’était de voir d’autres élèves que les Serpentard porter aussi ces badges.

 

   C’est bien ce soir que ton père arrive, Potter ? Cria un garçon plus âgé, un sourire moqueur aux lèvres. Il doit rencontrer ses petits copains américains, pas vrai ?

 

James s’arrêta net, et se tourna vers celui qui avait parlé.

 

   Oui, il arrive ce soir, dit-il, les joues brûlantes. Mais je ne vois pas pourquoi tu parles de ses « petits copains ». Mon père n’a jamais rencontré ces Américains. Peut-être faudrait-il que tu sois un peu mieux informé avant d’ouvrir la bouche.

 

   Oh, je suis bien informé, ne t’inquiète pas, répondit le garçon, mais son sourire avait disparu. Bien plus que toi et ton père ne le souhaiteriez. (Il ricana.) Après tout, les gens comme vous ont cherché bien longtemps à cacher la vérité.

 

   À cacher la vérité ? répéta James. (Puis la colère effaça toute prudence.) Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

 

   Tu devrais lire les badges, Potter. Tu comprendrais mieux ce que je veux dire, se moqua le garçon avant de récupérer son sac. Et si ce n’est pas le cas, c’est que tu es encore plus bête que tu n’en à l’air.

 

Sur ce, il tourna carrément le dos et s’éloigna dans le couloir avec ses amis.

 

En colère, mais aussi sidéré, James cligna des yeux.

 

   Mais enfin, qu’est-ce que ça veut dire ?

 

   Allez viens, dit Ralph avec un soupir. Il faut qu’on se trouve une place. Ensuite, je t’expliquerai ce que je sais – bien que je n’aie pas tout compris.

 

Mais ils n’eurent pas le temps d’en discuter avant le début du cours. La directrice McGonagall avait été le professeur de Métamorphose des parents de James autrefois, et elle continuait à enseigner, sans que les années n’aient adouci son caractère ou son autorité. D’une voix ferme, elle expliqua aux élèves les mouvements basiques de baguette, les mots des sortilèges du jour, et acheva sa démonstration en transformant un livre en un sandwich au hareng. McGonagall demanda même à un garçon – un nommé Carson – d’y goûter. Ensuite, elle transforma à nouveau le sandwich en livre, et le montra à toute la classe, avec la trace des dents de Carson. Il y eut plusieurs cris étouffés, mêlant amusement et admiration. Plutôt déconfit, Carson posa la main sur son estomac, l’air un peu dégoûté.

 

Peu avant la fin du cours, McGonagall demanda à tous les élèves de sortir leur baguette, et de s’entraîner sur une banane avec les gestes et sortilèges qu’elle venait de leur apprendre. L’idée était de transformer la banane en pêche.

 

   Persica Alteramus, répéta-t-elle, en haussant la voix pour se faire entendre malgré le brouhaha de la classe, et accentuez uniquement les deux premières syllabes. Je ne m’attends pas à ce que vous réussissiez du premier coup. Si votre banane devient quelque peu veloutée, pour aujourd’hui, ce sera un succès. Faites attention, Miss Majaris ! Les cercles doivent être plus petits.

 

Zane regarda sa banane d’un air féroce, et gesticula en hurlant de plus en plus fort : « Persica Alteramus », mais sans le moindre résultat apparent. Vexé, il serra les lèvres et dit :

 

   A toi d’essayer, James.

 

James haussa les épaules, leva sa baguette puis l’agita, en énonçant le sortilège. La banane se retourna, mais elle resta banane.

 

   Peut-être nos transformations ont-elles été intérieures ? dit Zane plein d’espoir. Et si on enlevait la peau pour vérifier ? Je suis sûr que ça aura un goût de pêche.

 

James en doutait, aussi il secoua la tête. Les deux garçons essayèrent encore tandis que Ralph les regardait faire.

 

   À mon avis, c’est le geste du poignet qui ne va pas, dit-il enfin. On dirait que vous tenez un tuyau d’arrosage.

 

   La critique est facile, l’art est difficile, grogna Zane, entre deux tentatives. Allez, Ralphinator, montre-nous ce que tu sais faire.

 

Mais Ralph ne semblait pas très pressé de se lancer. Il caressa sa baguette bout du doigt, sans la soulever du bureau où elle était posée

 

   Allez, Ralph, insista James. Jusqu’ici, tu as été super-doué avec une baguette. Franchement, qu’est-ce que tu risques ?

 

   Rien, dit Ralph, sur la défensive. Enfin… je ne sais pas.

 

   Et zut ! Cria Zane. (Il lâcha sa baguette et récupéra la banane. Il la brandit, et marmonna l’imprécation en direction de la baguette.) Après tout, j’aurais peut-être plus de chances comme ça, non ?

 

James et Ralph le regardait fixement. Zane fit une grimace.

 

   Bon, d’accord. Allez Ralph, à toi. Fais-moi une belle pêche bien juteuse. Je sais que tu en es capable. Qu’est-ce que tu attends ?

 

Ralph fit la grimace, puis il soupira, et récupéra sa gigantesque baguette. Il l’agita légèrement en direction de la banane, et prononça le sortilège d’une voix étranglée, presque comme s’il faisait exprès de mal l’énoncer. Il y eut un éclat de lumière, et un claquement sec, aussi fort que celui d’une bûche de sapin éclatant dans une cheminée. Toute la classe l’entendit, et se retourna pour regarder Ralph. Sur la table, devant lui, s’élevait une fumée noire. D’un geste nerveux, les yeux écarquillés et inquiets, Ralph agita la main pour la dissiper. Quand ce fut fait, James se pencha en avant. La banane de Ralph était toujours posée sur la table, intacte.

 

   Ben dis donc, dit Zane, dans le silence soudain qui était tombé dans la classe. Beaucoup de bruit pour…

 

Mais alors, la banane produisit un son étrange, presque un sifflement. La peau s’ouvrit en deux, lentement, comme un bouton de fleur jaune qui déplierait ses pétales. Tous les élèves poussèrent un cri étouffé quand une première feuille verte jaillit de l’ouverture. Puis grandit, peu à peu, et s’éleva dans l’air, en tourbillonnant sur elle-même comme une feuille de vigne. Ensuite, la tige se redressa, et continua à monter, dans un mouvement gracieux et régulier. D’autres rameaux émergèrent de la banane. Ils rampèrent sur la table, cachant la brûlure sur le bois, puis atteignirent les rebords, et s’agrippèrent en dessous aux pieds métalliques. Du rameau principal, des branches commencèrent à émerger, tandis que la croissance accélérait. Le tronc, d’un joli bois gris jaune, s’épaissit au niveau de la table, et s’affina dans les hauteurs. Le feuillage émergea, au bout de chaque branche, avec des petits bourgeons qui devinrent peu à peu les feuilles en pleine floraison. Enfin, alors que l’arbre avait déjà une taille d’environ 1 m 50, il y eut une série de « pop » sourds. Cinq ou six pêches apparurent sous les branches les plus basses, que leur poids fit ployer. Chacun des fruits était rond, mûr, parfait.

 

Quand James revint de sa stupeur, il regarda autour de lui dans la salle. Tous les yeux étaient aussi ronds que les pêches de l’arbre que Ralph avait créé. Les bouches étaient grandes ouvertes, les baguettes, oubliées, encore dressées. Même la directrice McGonagall fixait l’arbre d’un regard intense, avec une expression de surprise totale. Puis, tout à coup, la salle s’anima. Chaque élève poussa un cri spontané, et applaudit, dans une ovation unanime.

 

   Il est à moi ! Cria Zane en se levant. (Il posa le bras sur les épaules de Ralph.) C’est moi qui l’ai vu en premier !

 

Ralph quitta enfin son arbre des yeux, regarda Zane, et eut un sourire un peu confus. Mais James n’arrivait pas à oublier l’expression du visage de son ami pendant que l’arbre poussait : À ce moment-là, Ralph n’avait pas souri.

 

Après le cours, dans le couloir, Zane continua à parler, la bouche pleine de la pêche dans laquelle il croquait.

 

   Franchement, Ralph, tu me fiches un peu la trouille. Ce que tu as réalisé là-dedans, c’est de la grande sorcellerie. Comment tu fais ça ?

 

À nouveau, Ralph eut un sourire timide, et un peu inquiet.

 

   Eh bien, à mon avis…

 

Quand il s’arrêta, James le regarda, et insista :

 

   Quoi ? Allez Ralph, dis-nous !

 

   Très bien, dit l’autre, en s’arrêtant, avant de tirer ses deux amis dans une alcôve, près d’une haute fenêtre. Mais c’est juste une idée, d’accord ?

 

Les deux autres hochèrent la tête avec enthousiasme, avant de gesticuler pour que Ralph continue.

 

   L’autre nuit, expliqua Ralph, je me suis entraîné avec certains élèves de Serpentard. Juste des mouvements basiques. Mais ils m’ont quand même appris quelques trucs utiles. Des sortilèges de désarmement, des… vacheries aussi, pour vaincre ses ennemis.

 

   Mais enfin, Ralph, quels ennemis pourrais-tu déjà avoir ? demanda Zane, incrédule, tout en léchant le jus sucré qui lui maculait les doigts.

 

D’un geste impatient, Ralph agita la main.

 

   Des ennemis, en général. Mais c’est comme ça que parlent les Serpentard. Peu importe. Ils ont tous affirmaient que j’avais un niveau bien supérieur à la moyenne. En fait, ils ne pensent plus que je suis un banal né-Moldu, avec simplement quelques gènes sorciers hérités par hasard. D’après eux, l’un de mes parents au moins, sans le savoir, provient d’une grande famille de sorciers purs sangs.

 

   Ça me paraît très difficile de venir d’une famille de sorciers « sans le savoir », dit James, peu convaincu. Ralph, tu nous as bien dit que ton père travaillait dans les ordinateurs moldus, non ?

 

   Oui, bien sûr, il ne s’agit pas de lui, dit Ralph en secouant la tête, puis il baissa la voix : Mais ma mère… Je ne vous ai déjà parlé d’elle ? Non, continua-t-il, en répondant tout seul à sa question. Bien sûr que non. Bon, voilà, ma mère est morte. Quand j’étais tout petit. Je ne l’ai jamais connue. Et si elle avait été une sorcière ? Et si elle venait d’une grande famille magique sans que mon père ne l’ait jamais su ? Ça arrive. Il y a des sorciers et des sorcières qui tombent amoureux de Moldus, et préfèrent garder leur secret toute leur vie. Bien sûr, les sorciers… euh, intégristes n’apprécient pas, mais quand même…

 

Il ne termina pas sa phrase, et regarda, l’un après l’autre, Zane et James.

 

   Bien sûr, dit James d’un ton prudent. C’est possible… j’imagine. Après tout, on voit tous les jours des trucs encore plus incroyables.

 

Zane réfléchissait, les sourcils relevés.

 

   Voilà qui expliquerait beaucoup de choses, pas vrai ? Après tout, tu es peut-être un prince, ou quelqu’un d’important. Le seul héritier de fabuleuses richesses, d’un pouvoir immense, etc.

 

Avec un sourire, Ralph recula et quitta l’alcôve.

 

   N’exagérons pas. D’ailleurs, j’ai dit ça comme ça.

 

James accompagna Zane et Ralph encore un moment, puis il dut se rendre à son cours suivant. Aucun des deux autres n’avait Botanique avec lui, aussi il leur donna rendez-vous plus tard dans l’après-midi, et partit au pas de course à travers les jardins, vers les serres.

 

Avec un sourire aimable, le professeur Londubat accueillit James par son nom lorsqu’il entra essoufflé dans la serre. James aimait bien Neville, qu’il avait connu toute sa vie. C’était un contemporain de son père et d’oncle Ron, dans un genre beaucoup plus calme. James connaissait de nombreuses histoires au sujet de Neville, son combat à Poudlard, en tant que chef de la rébellion, quand Voldemort avait infiltré le ministère et fait mainmise le château, contrôlant ainsi tout le monde sorcier. Au moment crucial, c’est Neville qui avait coupé la tête du grand serpent, Nagini, détruisant ainsi le dernier espoir d’immortalité du sinistre mage noir. Et pourtant, c’était difficile à imaginer en voyant      le professeur, si maigre et plutôt maladroit, arranger ses pots de fleurs et ses plantes, sur la grande table installée au milieu de la serre.

 

   La Botanique est… commença Neville.

 

Son premier geste pour présenter la serre renversa l’un des petits pots en face de lui. Il s’interrompit, et le redressa, saupoudrant ses papiers de terreau. Avec un sourire désarmant, il leva les yeux pour examiner ses élèves.

 

   La Botanique est l’étude… des plantes, bien sûr. Comme vous le voyez.

 

Du menton, Neville indiqua l’intérieur de la grande serre, encombré de centaines de plantes, de fleurs, de fougères et d’arbres, à différents stades de croissance – d’une variété à donner le tournis. James pensa tout à coup que le professeur Londubat serait certainement très intéressé en examinant le pécher de Ralph, resté pour le moment sur la table de la classe de métamorphose.

 

   Les plantes, continua Neville, sont les racines… euh, littéralement, de nos expériences magiques les plus basiques. Les potions, les remèdes, la construction des baguettes, et tant d’autres sortilèges, sont essentiellement reliés à la culture et aux soins des plantes magiques. Dans cette classe, nous allons étudier les multiples usages des plus importantes de nos ressources végétales. Depuis le bubobulbe jusqu’au Mimbulus mimbelonia.

 

Du coin de l’œil, James vit bouger quelque chose. Une plante, le long des stores, étendait une spore en direction d’une fille de première année qui, penchée sur son parchemin, écrivait fébrilement les indications données par Neville. Le rameau se décrocha du store, heurta légèrement la fille dans le dos, puis s’enroula autour d’un anneau qu’elle portait à l’oreille. La fille écarquilla les yeux, lâcha sa plume, et cria quand la plante s’efforça d’arracher sa boucle d’oreille.

 

   Ouille, ouille, ouille, dit-elle, avant de bondir de sa chaise, la main sur l’oreille.

 

Aussitôt, Neville se tourna vers elle, remarqua ce qui se passait, et se précipita.

 

   Oui, Miss Patonia, tenez bien ce rameau. C’est parfait. (D’un geste précis, il détacha la spore de la boucle d’oreille, et regarda le rameau s’enrouler sur lui-même dès qu’il fut libre.)   Vous venez de découvrir notre Larcenous Ligulous, ou plutôt, c’est lui qui vous a découverte. Je m’excuse pour avoir omis de vous prévenir avant que vous vous installiez. Autrefois, les pirates élevaient cette plante à cause de son attirance pour tous les objets brillants. En fait, le Larcenius Ligulous les utilise pour magnifier, par photosynthèse, la lumière du soleil. Ils ont été tellement pourchassés et détruits par le feu durant la Grande Purge qu’ils sont en voie d’extinction.

 

Tout en parlant, Neville s’était approché de la plante, près du volet. Il enroula avec soin la spore vagabonde, qu’il maintint en place d’un petit crochet diamanté. Patonia se frotta l’oreille, et regarda la plante, comme si elle-même avait aussi des envies pyromanes.

 

Neville retourna à sa place, et continua son cours, expliquant à ses élèves comment utiliser les plantes en pot qu’il avait alignées au centre de la table. James bailla. Il faisait chaud dans la serre, et ça le rendait somnolent. Pour se concentrer, il chercha dans son sac à dos un parchemin et une plume. Mais sa main heurta alors le livre que Zane lui avait donné. Il s’en saisit, en même temps que les affaires dont il avait besoin, et le posa sur ses genoux. Quand il fut certain que Neville était tellement pris par son sujet favori qu’il ne faisait plus trop attention à lui, James ouvrit le livre et se mit à lire le passage que Zane avait marqué. Immédiatement, son intérêt s’éveilla, en lisant au sommet de la page : « Feodre Austramaddux ». Il parcourut rapidement le texte en dessous :

 

Précurseur et farouche partisan de la Prémonition Appliquée, c’est-à-dire l’art de raconter l’histoire à l’avance, à l’aide de la Divination, le Voyant et Historien, Austramaddux, reste essentiellement connu dans le monde sorcier moderne pour son fantastique mémoire concernant les derniers jours de Merlinus Ambrosius, le légendaire enchanteur fondateur de l’Ordre de Merlin. D’après ce mémoire, repris dans son intégralité dans le fameux Histoire et Prédictions du Monde Magique (voir chapitre 12), Austramaddux          explique avoir rencontré Merlinus à la fin de la carrière du grand enchanteur, alors Conseiller en magie de la plupart des monarques d’Europe. Très déçu de la corruption du monde magique, qui, selon lui, était « infecté » par la croissance des royaumes non-magiques, Merlinus annonça à Austramaddux son intention de « quitter le monde terrestre ». De plus, il prédit son retour, dans quelques siècles, ou millénaires, lorsque équilibre serait rétabli entre les mondes magiques et non-magiques. En d’autres termes, comme l’écrit Austramaddux, plus « à point pour sa gouverne ». L’annonce de ce retour a provoqué, au cours des siècles suivants, de nombreux complots et conspirations, généralement menés par des rebelles qui croyaient que le retour de Merlinus garantirait le succès de leurs machinations, et amènerait la soumission du monde non-magique, que ce soit par des moyens diplomatiques, ou suite à une guerre ouverte.

 

James cessa de lire. Son esprit bouillonna tandis qu’il considérait les implications de ce qu’il venait d’apprendre. Il avait connu le nom de Merlin toute sa vie, et en général, le vieil enchanteur tenait dans les légendes du monde sorcier la place de Saint-Nicolas dans le monde moldu : ce n’était plus un personnage historique, mais plutôt une figure de légende. Bien sûr, James savait que Merlin avait réellement existé, mais il ne s’était jamais interrogé sur la véritable nature du grand sorcier. Ses seules références étaient quelques proverbes sorciers, que tout le monde utilisait sans y penser, sans même réfléchir à leur signification : « Par la barbe de Merlin ! » ou : « Nom d’un caleçon de Merlin ! » ou encore : « Merlipopette ». Bien sûr, rien de tout ça n’indiquait quel grand enchanteur avait été le sorcier. D’après Austramaddux, Merlin            avait tenu le rôle de conseiller en magie auprès des rois moldus, les principaux dirigeants de son époque. Était-il possible qu’au temps de Merlin, les sorciers et les sorcières aient été exposés en plein jour et vécu parmi les Moldus, sans secret, sans dissimulation, sans sortilège de Désillusion ? Et si c’était le cas, pourquoi Merlin avait-il trouvé le monde « infecté » par les Moldus ? Plus encore, que signifiait cette prédiction effrayante qu’il reviendrait un jour – quand le monde serait « à point pour sa gouverne » ? Avec une telle attitude, il était compréhensible que plusieurs fois les mages noirs aient tenté de réaliser la prédiction de Merlin, et de rappeler sur terre le grand enchanteur. De tous temps, certains sorciers avaient rêvé de soumettre le monde moldu, d’affirmer ouvertement la supériorité de ceux qui maîtrisaient la magie, aussi il était normal pour eux de croire que Merlin, le plus puissant et le plus célèbre enchanteur de tous les temps, les aiderait dans cette entreprise.

 

Tout à coup, avec un frisson d’angoisse, James réalisa quelque chose. Ses yeux s’écarquillèrent. C’est à cause d’un Serpentard qu’il avait, pour la première fois, entendu le nom d’Austramaddux : celui qui avait créé un profil sur un jeu moldu. Les Serpentard avaient toujours été la maison de prédilection des mages noirs, de ceux qui prônaient la dominance du monde moldu. Et si cette étrange mention du nom d’Austramaddux n’était pas une coïncidence ? Et si c’était le signe d’un nouveau complot ? Si les Serpentard – et en particulier celui qui avait créé le profil – cherchaient à favoriser le retour de Merlinus Ambrosius, en espérant déclencher une guerre contre les Moldus ?

 

Lentement, James referma son livre, et serra les dents. Depuis qu’il avait évoqué cette hypothèse, elle lui paraissait de plus en plus plausible. Parce que ça expliquait qu’un Serpentard utilise le nom d’un voyant que le directeur de sa maison considérait comme un guignol. Le Serpentard savait la vérité, et très bientôt, si le complot réussissait, il le prouverait.

 

Le cœur de James battait très vite tandis que les idées se bousculaient dans sa tête. À qui pourrait-il parler de ses soupçons ? A Zane et Ralph, bien sûr. D’ailleurs, les deux garçons devaient déjà y avoir pensé d’eux-mêmes. À son père ? Non, James décida que ce serait inutile – du moins, pour le moment. James était assez âgé pour savoir que la plupart des adultes refuseraient de croire à une telle histoire rapportée par un enfant, même s’il avait des arguments solides.

 

James ne savait pas exactement ce qu’il pouvait faire pour contrer le complot, mais il devait essayer. Il devait retrouver le Serpentard qui avait pris la GameDeck de Ralph, celui qui avait utilisé le nom d’Austramaddux.

 

Avec cette idée fixe en tête, James bondit hors de la serre dès que le cours fut terminé, oubliant complètement que son père, Harry Potter, directeur du Bureau des Aurors du ministère, devait arriver le soir même à Poudlard, pour y rencontrer la délégation américaine.

 

 

Alors que James traversait les jardins en courant, il prit brutalement conscience du tumulte provoqué par une foule amassée. Il ralentit, et écouta. Il y avait des cris et des chants, mêlés au bavardage bruyant de nombreuses voix excitées. Lorsqu’il fit irruption dans la grande cour, le bruit devint encore plus assourdissant. Il vit une masse d’élèves assemblés, et d’autre qui arrivaient encore, de toutes les directions. La plupart étaient simplement des curieux venant vérifier la raison de tout ce tapage. Mais, au milieu des élèves, il y avait un groupe plus actif qui chantait des slogans, et levait de grandes pancartes ou des panneaux de tissu peints en lettres noires. Quand, en approchant, James lut l’une des bannières, son cœur sombra. Il était écrit : « Mettons Fin à la Dictature Fasciste des Aurors du Ministère ! ». Plus loin, un autre panneau s’agitait, pointé vers le ciel, et réclamait : « Harry Potter, Nous Voulons la Vérité !!! »

 

James contourna les autres, faisant de son mieux pour qu’on ne le remarque. Non loin des marches qui montaient à l’entrée principale du château, il vit Tabitha Corsica répondre aux questions d’une femme voyante qui portait des lunettes triangulaires d’un rose criard, et une expression avide sur le visage. Avec un malaise de plus en plus vif, James reconnut la sorcière : Rita Skeeter, une journaliste à scandale de la Gazette du sorcier, spécialiste es ragots. Il savait dans quel mépris son père la tenait.

 

Alors qu’il passait, Tabitha lui jeta un coup d’œil, puis elle haussa les épaules avec un léger sourire, comme pour dire : « Désolée, mais quand les temps sont difficiles, chacun doit agir selon sa conscience… »

 

Alors que James apprêtait à grimper les marches pour rentrer au château, la directrice apparut, d’un pas décidé. Le soleil éclairait son expression plus que sévère. Elle toucha sa gorge de sa baguette, et parla de la plus haute marche, tandis que sa voix tonnante renvoyait des échos dans toute la cour, étouffant le tumulte de la foule.

 

   Je ne veux pas savoir la raison de cet attroupement, vu qu’il est aussi évident que consternant.

 

Toute sa vie, James avait connu Minerva McGonagall, même de façon périphérique. Et pourtant, il réalisa ne l’avoir jamais crue capable d’une telle rage. Son visage était mortellement pâle, avec des plaques rouges sur les pommettes. Sa voix résonnait dans la cour, mais contrôlée, ferme et convaincante.

 

   Je ne tiens pas à vous enlever vos certitudes, aussi indécentes et mal-fondées soient-elles, ni à contester la véracité de vos sources, mais quoi que vous choisissiez de croire, laissez-moi vous assurer qu’il n’est pas dans les habitudes de cette école d’autoriser les élèves à insulter des hôtes estimés.

 

Si quelques panneaux vacillaient, tous ne s’étaient pas baissés. James vit Rita Skeeter dévisager la directrice, une excitation morbide sur le visage, tandis que sa Plume à Papotes écrivait fébrilement sur un parchemin. McGonagall soupira, puis à nouveau, elle prit la parole :

 

   Il y a des moyens honorables pour exprimer un désaccord, comme vous le savez parfaitement. Cette… exhibition n’est ni efficace ni appropriée. De ce fait, j’exige que vous vous dispersez immédiatement, puisque de toute évidence... (Elle effleura la journaliste d’un regard méprisant,) vous avez obtenu ce que vous vouliez.

 

   Madame la directrice, appela une voix.

 

James n’eut même pas besoin de se retourner pour savoir qu’il s’agissait de Tabitha Corsica. Il y eut un silence pesant dans la cour, comme si tous les élèves retenaient leurs respirations. James entendit le grincement strident de la plume de Rita Skeeter qui prenait toujours des notes.

 

McGonagall marqua la pause, tout en étudiant Tabitha d’un regard attentif.

 

   Oui, Miss Corsica ?

 

   Je suis tout à fait d’accord avec vous, Madame, dit Corsica d’une voix aimable qui s’entendait haut et clair. Pour ma part, j’espère que, selon votre suggestion, nous pourrons poursuivre le débat dans un contexte plus formel et efficace. Peut-être est-il trop tôt pour proposer que le sujet soit le premier à être traité dans le prochain débat à l’école ? Voilà qui nous permettrait d’étudier ce point sensible de façon respectueuse et approfondie, comme j’en suis bien certaine, vous trouvez également qu’il le mérite.

 

La mâchoire de la directrice était aussi dure que de l’acier tandis qu’elle regardait Corsica de haut. Elle garda le silence si longtemps que Tabitha dut finalement détourner le regard. Elle chercha de l’aide autour d’elle, dans la cour, et son aplomb sembla se dissoudre. La Plume à Papotes avait noté la totalité de l’échange, et elle restait maintenant suspendue au-dessus du parchemin, aux aguets.

 

   J’apprécie votre suggestion, Miss Corsica, dit enfin la directrice d’une voix glacée, mais ce n’est ni l’endroit ni le moment de décider du calendrier des prochaines sessions de débats. J’aurais cru que vous le comprendriez de vous-même. Pour le moment… (Son regard critique examina la foule rassemblée dans la cour,) je considère le sujet comme clos. Et ceux qui tiennent à discuter davantage le feront bien plus agréablement dans l’intimité de leurs chambres. Je vous conseille très fortement de disparaître, avant que j’envoie Mr Rusard relever vos noms.

 

Alors que la foule commençait à se disperser, McGonagall aperçut James, et son expression changea.

 

   Venez avec moi, Potter, dit-elle en accentuant son ordre d’un geste autoritaire.

 

James monta les marches, puis suivit la directrice dans l’ombre de l’entrée. McGonagall marmonnait furieusement entre ses dents, et son long tartan battait au rythme de ses pas. Ayant traversé le hall du château, elle continua dans un couloir latéral. James pensa devoir la suivre, aussi c’est ce qu’il fit.

 

   Quels misérables petits propagandistes de pacotille, rageait toujours la directrice, en se dirigeant (James le réalisa tout à coup,) vers les bureaux du personnel. James, je suis désolé que tu aies dû assister à tout ça. Mais encore plus désolée que cette lamentable pourvoyeuse de ragots ait trouvé le moyen de mettre un pied au château.

 

Après un dernier tournant, McGonagall ouvrit une porte et pénétra à l’intérieur sans ralentir le pas. James se retrouva dans une très grande pièce, garnie de canapés et de fauteuils confortables. Contre le mur, plusieurs étagères garnies de livres étaient éparpillées un peu au hasard, autour d’une énorme cheminée de marbre. Et près du feu, se levant pour l’accueillir avec un sourire chaleureux, il y avait aussi son père. James poussa un cri, et dépassa la directrice pour se jeter dans ses bras.

 

   James ! Cria Harry Potter avec entrain, en serrant le garçon dans ses bras, avant d’ébouriffer ses cheveux. Mon fils, je suis vraiment content de te revoir. Alors, comment se passe l’école ?

 

James hocha les épaules, très heureux bien sûr, mais un peu mal à l’aise tout à coup. Debout aux côtés de son père, il venait de réaliser qu’il y avait dans la pièce plusieurs autres sorciers qu’il ne connaissait pas. Et tous le regardaient.

 

   Vous connaissez mon fils, James, dit Harry, en serrant l’épaule de James. James, voici les représentants du ministère, qui sont venus avec moi pour rencontrer la délégation américaine. Tu te souviens de Titus Chateaubourg, non ? Et voici Mr Mecreant, et Miss Saccarine. Tous deux font partie du Département des Relations Internationales.

 

Poliment, James serra les mains qu’on lui tendait. Effectivement, en le revoyant, il se souvint de Titus Chateaubourg qu’il ne l’avait pas revu depuis longtemps. C’était un adjoint de son père au Bureau des Aurors, un homme trapu, au torse épais, avec une tête carrée, et des traits burinés. Grand et maigre, Mr Mecreant était vêtu avec recherche d’une veste à fines rayures, avec un gilet noir. Sa poignée de main fut rapide et molle – James eut la sensation de tenir un poisson mort. Miss Saccarine ne lui tendit pas la main. Elle se contenta d’un grand sourire, puis elle s’accroupit devant James pour se mettre à son niveau et l’examiner de haut en bas.

 

   Je vois beaucoup de tes parents chez toi, jeune homme, dit-elle, la tête de côté, en affectant une voix de conspiratrice. Tant de promesses et de potentiel. J’espère que tu resteras ce soir pour le dîner.

 

Avant de répondre, James leva les yeux vers son père. Harry lui sourit, et posa ses deux mains sur ses épaules.

 

   Oui, nous dînons ce soir avec les représentants américains d’Alma Aleron. Ça te dit de rester avec nous ? D’après ce que j’ai entendu dire, nous aurons de la véritable cuisine américaine. Bien sûr, c’est assez vague, et à ce que j’en sais, ça peut aussi bien être des hamburgers que des… heu – cheeseburgers.

 

   Bien sûr, répondit James, avec un sourire.

 

Son père lui renvoya son sourire, assorti d’un clin d’œil.

 

   Mais avant cela, continua Harry Potter en s’adressant au reste du groupe, nous devons rejoindre nos amis américains qui tiennent à nous offrir une démonstration de leur magie. Ils nous attendent, dans dix minutes, et j’ai demandé à quelques autres personnes de nous rejoindre au bord du lac. Vous venez ?

 

   Je vais devoir vous abandonner, je le crains, dit la directrice d’une voix sèche. Il semble que, durant votre séjour, je doive garder un œil sur certains éléments perturbateurs parmi mes élèves, Mr Potter. Veuillez m’en excuser.

 

   Aucun problème, Minerva, répondit Harry.

 

James avait toujours trouvé étrange d’entendre son père appeler la directrice par son prénom, mais elle-même semblait trouver la chose naturelle.

 

   Agissez comme vous l’entendez, continua Harry Potter, mais ne vous inquiétez pas trop. Il est inutile de gaspiller votre énergie pour éteindre quelques feux de paille. Ils n’en valent réellement pas la peine.

 

   Je ne suis pas certaine d’être d’accord avec vous sur ce point, Harry, mais je tiens cependant à maintenir l’ordre et l’harmonie dans cette école. Je vous verrai ce soir au dîner.

 

Sur ce, la directrice tourna les talons, et quitta brusquement la pièce, toujours furieuse.

 

   Très bien, allons-y, dit Miss Saccarine en se levant.

 

Tandis que le groupe avançait vers la porte, de l’autre côté de la pièce, Harry se pencha vers son fils et chuchota :

 

   Je suis heureux que tu aies accepté de rester avec nous ce soir. Saccarine et Mecreant ne sont pas les compagnons de voyage les plus agréables qui soit, mais Percy a insisté pour que je les amène. Je crains fort que toute cette affaire devienne de plus en plus politique.

 

James hocha la tête, d’un air docte, sans trop savoir de quoi son père parlait. Il était heureux malgré tout de ses confidences.

 

   Comment êtes-vous arrivés jusqu’ici ?

 

   Par le réseau des cheminées, répondit Harry. Je préférais une entrée discrète. Minerva nous avait prévenus à l’avance que les membres du MD avaient prévu une manifestation.

 

Il fallut un moment à James pour comprendre que son père parlait du « Mouvement du Progrès ».

 

   Elle est au courant de ce qu’ils font ? demanda-t-il surpris.

 

Son père posa un doigt sur ses lèvres, et indiqua du menton Saccarine et Mecreant, quelques mètres devant eux, qui parlaient à voix basse tout en marchant.

 

   Plus tard, dit Harry à voix basse.

 

Après avoir suivi un couloir, et tourné plusieurs fois, Mr Mecreant ouvrit une large porte, et sortit en plein soleil. Le reste du groupe le suivit. Ils descendirent un escalier de marche de pierres noires, qui les mena sur une grande pelouse aux abords de la Forêt Interdite. De l’autre côté, il y avait un mur de pierre. Neville Londubat et le professeur Slughorn attendaient près du mur, en parlant entre eux. Ils levèrent ensemble la tête lorsque le groupe approcha.

 

   Salut, Harry ! cria Neville, en souriant, avant de s’avancer pour le saluer. Merci de nous avoir invités, Horace et moi, à participer à la visite. Depuis que les Américains sont arrivés, j’ai eu envie de découvrir ce fameux Garage.

 

   Harry Potter, en chair et en os ! s’exclama Slughorn d’une voix chaleureuse, en tenant la main de Harry dans les deux siennes. C’est vraiment très aimable de votre part d’avoir insisté sur notre présence. Vous savez que je suis toujours intéressé par les nouveaux projets de la communauté magique internationale.

 

Harry mena le groupe jusqu’à une porte ouverte dans le mur. Il l’ouvrit, et trouva derrière une allée dallée qui descendait vers le lac.

 

   Ne me remerciez pas, ni l’un ni l’autre, dit-il aux deux professeurs. Je vous ai demandé de venir pour exploiter vos talents. Vous pourrez poser des questions intelligentes, et comprendre tout ce qu’ils vont nous montrer.

 

Slughorn eut un bon gros rire, mais Neville se contenta de sourire. James pensa que son père disait la vérité, plus ou moins, mais que seul Neville l’avait compris.

 

Le groupe approcha enfin d’une large tente en toile, montée sur la rive, un peu au-dessus du lac. Un drapeau américain flottait sur le mât central, en dessous, un autre portait le blason de l’école Alma Aleron. Deux jeunes élèves américains bavardaient, debout devant l’entrée. L’un d’eux vit le groupe approcher, et salua de la tête. Puis il cria à l’intérieur de la tente :

 

   Professeur Franklyn ?

 

Au bout d’un moment, Franklyn émergea sur le côté de la tente, en s’essuyant ses mains sur un large tissu blanc.

 

   Ah, bienvenue, bienvenue à vous, visiteurs, dit-il aimablement. Je vous remercie d’avoir pris la peine de venir.

 

Quand Harry accepta la main offerte de l’Américain, il devint évident que ces deux-là s’étaient déjà rencontrés, et avaient organisé ensemble ce rendez-vous. Harry fit les présentations, en terminant par James.

 

   Bien sûr, bien sûr dit Franklyn avec un grand sourire. Le jeune Mr Potter est dans ma classe. Comment allez-vous, aujourd’hui, James ?

 

   Très bien, professeur, je vous remercie, répondit James poliment.

 

   Et c’est bien normal, par une aussi belle journée, exclama Franklyn d’un ton sérieux, avec un hochement de tête approbateur. Et maintenant, après ces agréables préliminaires, veuillez me suivre mes amis. Harry, d’après ce que j’ai compris, vous seriez intéressé par le Garage et notre façon d’entretenir nos véhicules, n’est-ce pas ?

 

   Absolument, répondit Harry. Je n’ai pas assisté à votre arrivée, mais j’ai beaucoup entendu parler de ces voitures volantes. J’ai très envie de les voir, et d’étudier le fameux Garage dans lequel vous les gardez. Il y a beaucoup de spéculations à ce sujet, mais je dois avouer que ce n’est pas du tout mon rayon.

 

   Notre Garage, oui, il est trans-dimensionnel, vous savez ? En fait, j’ai peur qu’aucun de nous ne comprenne réellement comment il fonctionne, dit Franklyn le front plissé. Si nous n’avions pas dans notre groupe un expert en Technomancie, Théodore Jackson, personne n’aurait pu réussir à l’exploiter. D’ailleurs, en parlant de lui, Jackson vous prie de l’excuser. Il ne pourra nous accompagner durant cette visite. Mais il nous rejoindra ce soir, et sera heureux de répondre à toutes les questions que vous voudrez bien lui poser.

 

   Je suis certain que nous en aurons, dit Titus Chateaubourg de sa voix rocailleuse.

 

James suivit son père et pénétra dans la grande tente par l’entrée latérale. À peine entré, il trébucha, et faillit s’étaler. La tente était immense, avec des poteaux de bois, et un cadre de poutres supportant le plafond. Les trois voitures volantes d’Alma Aleron y étaient garées, laissant assez de place pour des outils, bien arrangés sur des établis, des équipements de maintenance mécanique, et d’autres endroits où travailler plusieurs hommes en combinaison. Le plus étrange, dans cette tente, était que l’arrière manquait. Là où James s’attendait à trouver un mur de toile, il voyait un paysage extérieur qui n’appartenait pas à Poudlard. Il y avait des bâtiments bas et carrés, très étendus, en briques rouges, et d’énormes arbres cornus, d’une espèce qu’il ne reconnaissait pas. De plus, la lumière ne correspondait pas au soleil de midi qui les avait accueillis durant leur marche jusqu’au lac. De l’autre côté de la tente, la lueur du jour était rose pâle, avec à l’horizon des petits nuages à peine teintés d’or. Les arbres et l’herbe étincelaient, comme couverts d’une rosée matinale. L’un des mécaniciens leva la main pour saluer Franklyn, puis il se tourna et sortit par le fond de la tente, essuyant ses mains sur sa combinaison.

 

   Bienvenue dans monde nouveau des structures trans-dimensionnelles, dit Franklyn, en indiquant fièrement le fond de la tente. Notre Garage, se trouve en deux endroits simultanés, ici – dans cette résidence temporaire sur les berges du lac à Poudlard – et aussi à son cadre originel, le cadran Est de l’Université d’Alma Aleron, à Philadelphie, en Pennsylvanie, aux États-Unis.

 

   Par le fantôme de Golgamethe ! S’exclama Slughorn en reculant d’un pas. J’avais déjà lu que de telles expériences existaient, mais je n’aurais jamais pensé le constater de mes propres yeux. Ceci est-il dû à une anomalie naturelle de la trame temporelle ? Ou bien avez-vous procédé à un sortilège de Transfert du Quantum ? (NdT : En physique, un quantum représente la plus petite mesure indivisible, de l’énergie, de la quantité de mouvement ou de la masse. Cette notion a donné naissance à la mécanique quantique.)

 

   Voilà pourquoi je vous ai invité, professeur ! s’exclama Harry en souriant, tout en examinant attentivement l’intérieur de la tente.

 

   Votre première hypothèse est exacte, dit Franklyn, en reculant entre la Dodge Hornet et la Volkswagen Coccinelle, pour faire de la place aux autres membres du groupe. Ceci est l’une des trois bulles tridimensionnelles connues actuellement dans le monde. Ce qui signifie, d’après ce qu’on m’a expliqué, que cette tente existe sur une sorte de pont temporel, qui lui permet d’apparaître en deux endroits à la fois. De ce fait, nous pouvons voir d’un côté les jardins de Poudlard à midi… (Il indiqua de la main l’entrée par laquelle le groupe avait pénétré dans la tente.) C’est, en quelque sorte, notre côté du pont. Et de l’autre… (Cette fois, il indiqua le paysage à la lumière pâle qui apparaissait, comme par magie, au fond,) c’est l’aube, à l’université d’Alma Aleron. Et je vous présente aussi Mr Peter Graham, notre chef mécanicien.

 

Un homme sortit la tête de sous le capot ouvert de la Stutz Dragonfly, sourit, et agita la main.

 

   Heureux de vous rencontrer, madame et messieurs, dit-il. Même virtuellement.

 

   De même, répondit Neville, qui était le plus proche de lui, et sa voix n’était pas très stable.

 

   Mr Graham et son équipe sont toujours en Amérique, à l’autre bout du pont, expliqua Franklyn. Ils sont spécifiquement formés pour s’occuper de nos véhicules, et nous préférons nous en remettre à leurs bons soins, même en voyage. Comme vous pouvez le deviner, ils ne sont pas réellement ici.

 

Pour démontrer son propos, Franklyn tendit la main vers un mécanicien accroupi près de la Dodge, et passa au travers, comme si l’homme n’était que de la fumée. D’ailleurs, le mécanicien ne se retourna même pas.

 

   Alors, dit Harry, en fronçant légèrement les sourcils, ils peuvent nous entendre, nous voir, et réciproquement, mais ils sont néanmoins…euh – physiquement en Amérique, tandis que nous, sommes physiquement à Poudlard. Donc, nous ne pouvons pas nous toucher.

 

   Exactement, approuva Franklyn.

 

James ne put s’empêcher d’intervenir :

 

   Alors pourquoi pouvons-nous toucher les voitures, et vos mécaniciens américains aussi ?

 

   Excellente question, mon garçon, dit Slughorn en tapotant le dos de James.

 

   Je suis d’accord, dit Franklyn. Et c’est là que les choses deviennent un peu… euh – quantiques. La réponse la plus simple est que ces voitures, contrairement à nous, sont multidimensionnelles. Vous avez déjà tous entendu, je présume, la théorie qui prétend à l’existence d’autres dimensions que les quatre que nous connaissons déjà ?

 

Il y eut divers hochement de tête. James, qui n’avait jamais entendu parler d’une telle théorie, comprit néanmoins l’idée générale.

 

Aussi, Franklyn continua :

 

   Cette théorie affirme qu’il y a des dimensions extra-sensorielles, et donc impossibles à percevoir par aucun de nos sens, mais qui existent néanmoins. Dans la pratique, le professeur Jackson a créé un sortilège qui permet à ces voitures d’apparaître dans l’une de ces dimensions, et donc d’exister simultanément en deux endroits à la fois, à partir du moment où elles se trouvent dans ce Garage. Cette tente représente une sorte de bulle multidimensionnelle, qui leur permet d’être réelles aussi bien aux États-Unis qu’à Poudlard.

 

   Remarquable, dit Slughorn en passant la main sur le long capot fuselé de la Hornet. Et cela permet effectivement à votre équipe de prendre soin de ces véhicules où que vous soyez durant vos déplacements. De plus, vous avez aussi droit à une vue de votre patrie, même si vous ne pouvez vous y rendre.

 

   C’est exact, dit Franklyn. C’est à la fois très pratique, et plutôt réconfortant.

 

Neville s’intéressait surtout aux voitures.

 

   S’agit-il de mécaniques créées dans ce but spécifique, ou bien avez-vous simplement ensorcelé des voitures qui existaient déjà ?

 

Tandis que Franklyn se lançait dans une explication détaillée en ce qui concernait les voitures ailées, James perdit son intérêt. Il marcha plutôt jusqu’au bout de la tente, et se pencha, pour regarder l’école américaine. Le soleil venait juste de poindre par-dessus le toit du bâtiment le plus proche, illuminant de rose une haute tour ornée d’une horloge. Il devait être environ 6:00 du matin. Comme c’est à la fois étrange et merveilleux, pensa James. Timidement, il tendit la main, curieux de voir s’il pouvait sentir la fraîcheur matinale à l’autre bout du monde. Il ne ressentit qu’une sorte d’engourdissement, puis toucha la toile rugueuse de la tente. Bien sûr, sa main ne pouvait pas passer, ni sentir la température d’un autre continent.

 

   Dommage que tu ne puisses venir, mon garçon, dit une voix à l’accent marqué.

 

James leva les yeux. Le chef mécanicien s’appuyait sur le capot de la Coccinelle, et lui souriait.

 

   Bonjour monsieur, dit James.

 

   Ici, c’est presque l’heure du petit déjeuner, et ils ont des omelettes aux champignons.

 

James fut un grand sourire.

 

   Ça paraît prometteur, dit-il. Ici, nous allons bientôt déjeuner.

 

   Professeur Franklyn ? demanda une voix forte. (James reconnut celle de Mr Mecreant.) Comment cette… euh – structure est-elle en accord avec la Coalition Internationale qui interdit la pratique de nouvelles magies pour éviter toute dérive vers la magie noire ? À mon avis, cette tente est un modèle unique, aussi il semble difficile de s’assurer de sa parfaite sécurité.

 

   C’est exact, dit Franklyn, qui regarda Mr Mecreant droit dans les yeux. Mais jusqu’ici, nous avons été chanceux, et il n’y a jamais eu le moindre problème. De ce fait, nous n’avons jamais eu recours à la Coalition. En tout cas, il me semble difficile de prétendre que notre expérience est une menace ou un danger. Même si le sortilège du professeur Jackson s’avérait un échec, et que l’aspect inter dimensionnel ne marchait pas, au pire, nous serions obligés de rentrer chez nous en taxi plutôt que dans nos bien-aimées voitures volantes.

 

   Excusez-moi, intervint Miss Saccarine avec un sourire factice. En quoi ?

 

   En taxi – une voiture que l’on loue aux Moldus pour être emmené quelque part, dit Franklyn. C’était une plaisanterie. Un peu ridicule, je vous l’accorde.

 

Le sourire de Miss Saccarine se figea encore plus.

 

   Ah. Très bien. J’ai souvent tendance à oublier la fascination qu’ont les sorciers américains pour les objets mécaniques moldus. Je n’arrive pas à imaginer que cela m’ait échappé.

 

Franklyn laissa passer le sarcasme sans même le relever.

 

   Eh bien, je ne vais pas parler au nom de mes compatriotes, mais je dois avouer que j’adore bricoler. Une grande partie de mon admiration pour le Garage est qu’il me permet de surveiller la maintenance de ma flotte. Je m’intéresse beaucoup au fonctionnement des objets. D’ailleurs, quand ils sont cassés, c’est encore mieux : je peux les réparer,

 

   Mmm, marmonna Saccarine en jetant un coup d’œil sceptique aux voitures.

 

L’un des mécaniciens actionna un câble sous le capot de la Stutz Dragonfly, il y eut un jet d’étincelles bleues. Avec un crissement, l’une des longues ailes de la voiture se déplia, et battit plusieurs fois, avant de s’arrêter à nouveau. Neville avait dû baisser la tête pour éviter d’être touché.

 

   Bon réflexe, Neville, dit Harry. Tu as failli être taclé.

 

Neville jeta un coup d’œil à Harry, avec un sourire.

 

Peu après, Chateaubourg se racla la gorge et dit :

 

   Nous devrions sans doute revenir au château, madame et messieurs.

 

   Entendu, dit Harry. Au revoir, Mr Franklyn.

 

Franklyn leva la main.

 

   J’insiste pour que vous m’appeliez Ben. J’ai quand même près de trois siècles, et m’entendre appeler « monsieur » me vieillit encore. Pourriez-vous faire cet effort ?

 

   Bien entendu, Ben, dit Harry avec un grand sourire. Je serai heureux de vous retrouver ce soir au dîner. Merci beaucoup pour cette visite, votre Garage est tout à fait remarquable.

 

   C’était un plaisir, répondit Franklyn, en se rengorgeant. Vous savez, j’ai récemment acquis une très intéressante presse à imprimerie, aux États-Unis, et j’aimerais beaucoup vous la montrer un jour, si vous passez nous voir. Je pourrais même vous montrer une cloche qui a été fondue le jour de la naissance de notre belle nation. Mais elle est fendue, actuellement, et personne ne veut me laisser la réparer.

 

   Ne l’écoutez pas ! cria à Graham, le mécanicien, derrière eux. Sinon, il vous fera croire que c’est lui qui a sculpté la Statue de la Liberté. Ou du moins, qu’il en a découvert le cuivre dans une de ses mines.

 

Tout le reste de l’équipe éclata de rire.

 

Franklyn grimaça, puis agita la main tandis que Harry et son groupe s’éloignait.

 

   À ce soir, mes amis. J’espère que vous aurez faim. Et j’espère aussi que de vous connaissez un bon sortilège de Digestion. D’après ce que j’ai entendu dire, Mme Delacroix nous prépare un gumbo.