Chapitre 3 : Un fantôme et un intrus.
James se réveilla de bonne heure dans la chambre silencieuse. Il n’entendait que la respiration des autres Gryffondor, et le sifflement des ronflements de Noah, quelques lits plus loin. D’après la lumière pâle qui émergeait de la fenêtre, le jour venait à peine de se lever. James essaya de se rendormir, mais il avait l’esprit trop en ébullition à cause de l’inconnu qu’il allait devoir affronter dans les douze heures à venir. Après quelques minutes, il repoussa les couvertures, se leva, et commença à s’habiller.
Poudlard était désert, et pourtant, en ces heures matinales, il vibrait dans l’atmosphère une activité d’un genre différent. Malgré la fraîcheur de l’air et les ombres qui s’attardaient dans les recoins, il y avait du bruit derrière les portes closes, au bas d’un escalier aux marches étroites. Tandis que James avançait dans les couloirs, dépassait les salles de classe vides – qui seraient plus tard dans la journée remplies d’élèves et d’activité – il réalisa que les elfes de maison commençaient très tôt leur service. Certains, armés d’un seau et d’une serpillière encore humide, sortaient des toilettes ou des salles de bain ; d’autres s’activaient en cuisine, dans un cliquètement de casseroles et de vaisselle, tandis que l’odeur du pain frais montait des escaliers ; d’autres encore aéraient les lourdes tentures qui protégeaient les fenêtres.
James aventura jusqu’à la Grande Salle, mais la pièce était déserte. Le plafond magique avait une teinte rose, comme le ciel extérieur au lever du soleil. James regarda vers le fond de la salle, en clignant des yeux. Dans les rayons de lumière, il voyait quelque chose remuer parmi les chevrons transparents du plafond. Une forme grise y flottait, en sifflotant un petit air plutôt désagréable. James attendit, essayant de comprendre. Apparemment, c’était la silhouette d’un petit homme grassouillet, qui arborait une expression malicieuse, et travaillait avec concentration. Contre toute probabilité, la silhouette semblait jeter, très précautionneusement, de petits objets à travers les chevrons. James remarqua que ces objets se balançaient au-dessus des tables des maisons, à intervalles réguliers. Ils étaient si légers qu’on aurait dit que la moindre brise les ferait tomber.
— Zut ! cria soudain la chose s’une voix stridente.
James sursauta. Il avait été vu. La silhouette lui tomba dessus si vite que James faillit en lâcher les livres qu’il portait.
— Qui cherche à m’espionner et à troubler mes occupations matinales ? Chantonna la silhouette, la contrariété et l’amusement se mêlant dans sa voix.
— Oh, fit James avec un soupir. Je vous reconnais. Mes parents m’ont déjà parlé de vous. Peeves.
— Et je te reconnais aussi, mon sucre d’orge, annonça Peeves en sautillant autour de James. Tu es le petit Potter. James. Oooh ! Te voilà déjà à traînailler de bon matin dans les couloirs. Mais tu n’es pas comme ton père. Il n’était pas matinal, lui, il préférait la nuit. Chercherais-tu par hasard un morceau à grignoter ? Désolé, mais les petits elfes sont encore occupés en cuisine, dans les sous-sols. À cette heure, Poudlard appartient à Peeves. En guise de petit déjeuner, tu veux un petit pétard péruvien ?
Tout en parlant, Peeves leva un bras menu devant le visage de James. Dans sa main, il y avait des petits objets verts qui ressemblaient à des fèves.
— Non, merci. Je… je dois y aller, dit James, le pouce pointé derrière son épaule, tout en commençant à reculer.
— Bien sûr bien sûr… Des pétards, des pétards-fèves, des fèves, c’est un fruit musical. (Comme s’il avait déjà oublié James, Peeves voleta à nouveau vers le plafond.) Plus j’en plante, puis il en pousse. Des petits fruits – des petits pétards – boum ! – dans le jus de citrouille du petit Potter.
Il éclata de rire.
James ne s’arrêta pas avant de ne plus entendre les chansons de Peeves. Quelques minutes plus tard, il se trouva sur une longue terrasse ornée de piliers, qui surplombait les jardins du château. Un brouillard, blanc et laiteux, s’élevait du lac et scintillait sous les rayons du soleil. James s’appuya sur la balustrade, savourant son bonheur et son excitation à l’idée de ce qui l’attendait : Son premier jour à Poudlard.
Tout à coup, il vit remuer quelque chose parmi l’immobilité du paysage qui l’entourait. Il se pencha pour mieux voir. C’était à l’orée de la forêt, non loin de la cabane d’Hagrid. Peut-être le demi-géant était-il revenu ? James étudia la cabane. Il n’y avait toujours aucune fumée dans la cheminée. De plus, le jardin semblait en friche. James fronça les sourcils. Pourquoi Hagrid n’était-il pas encore rentré ? Il savait que le demi-géant avait un faible pour les énormes bêtes monstrueuses, aussi – tout comme ses parents – James s’inquiétait que ça cause du tort à Hagrid un jour. Et puis, il y avait cette alliance prévue avec les géants, peut-être la tentative avait-elle échoué ? Peut-être Hagrid avait-il été attaqué, en même temps que Grawp, et gardé prisonnier, quelque part ? Peut-être…
À nouveau, un mouvement au loin alerta James. Juste derrière le tas de bois que Hagrid gardait près de sa cabane, pour alimenter sa cheminée, il y eut un éclat coloré, et un flash. James plissa les yeux, se penchant aussi loin que possible. Voilà, ça recommençait. Une tête apparut près du tas de bois. À cette distance, James devina seulement qu’il s’agissait d’un homme – à peu près de l’âge de son père. L’inconnu sembla étudier le sol, puis il se redressa, et brandit un appareil. À nouveau, il y eut un flash, quand il photographia le château.
James s’apprêtait à aller chercher quelqu’un, pour rapporter ce signalement étrange à un professeur, ou même à un elfe de maison quand autre chose voleta soudain derrière lui. Il sursauta, et cette fois, laissa tomber ses livres pour de bon. C’était une silhouette… blanche, quasiment transparente, et silencieuse. Elle plongea par-dessus la balustrade, vers le sol en dessous, vers l’inconnu à l’appareil photo. Dans les rayons du soleil, la silhouette spectrale sembla se dissoudre, mais l’intrus le vit arriver, presque comme s’il s’y attendait. L’homme poussa un petit cri terrorisé, mais il ne s’enfuit pas, malgré l’envie qu’il en avait. D’un geste nerveux, il brandit à nouveau son appareil, et mitrailla de quelques photos le spectre qui avançait vers lui. Enfin, au moment même où le fantôme allait l’atteindre, l’homme pivota sur ses talons, et courut maladroitement vers l’abri des arbres. Il disparut dans l’ombre de la futaie. Le fantôme s’arrêta à l’orée de la forêt, comme un chien retenu par la longueur de sa laisse. Il hésita un moment, puis arpenta le terrain, de droite à gauche, plusieurs fois. Après quelques minutes, il abandonna, et revint vers le château. James le regardait toujours. Peu à peu, il distinguait mieux la forme du spectre. Au moment où le fantôme s’éleva du sol jusqu’à la terrasse, il vit que c’était un homme très jeune. Il avançait d’un pas vif, mais avait l’air déçu, et portait la tête basse. Puis il leva les yeux, vit James et s’arrêta net. Il y eut un moment où il resta parfaitement immobile, fixant James de son visage figé et transparent. Puis il disparut, complètement, comme s’il s’était évaporé.
James regarda l’endroit où le fantôme s’était tenu. Il savait qu’il n’avait pas rêvé. Après tout, les fantômes faisaient partie de la vie normale de Poudlard, tout comme les baguettes, et les personnages peints qui remuaient dans les tableaux. La veille même, James avait déjà vu le fantôme de la maison Serdaigle, la Dame Grise, qui errait, silencieuse et triste, dans un couloir. Il avait espéré rencontrer Nick-Quasi-Sans-Tête, le fantôme de la maison Gryffondor, mais le jeune homme qu’il avait croisé aujourd’hui était un nouveau. Bien entendu, ses parents n’avaient pu lui raconter les moindres petits détails de tout ce qu’on découvrait à Poudlard. Beaucoup de choses restaient pour James des découvertes. Et pourtant, il restait troublé aussi bien par le fantôme que par l’homme à l’appareil photo, qui s’introduisait en cachette, tôt le matin, pour prendre des clichés. Peut-être était-ce un sorcier-reporter pour un journal à scandale ? Certainement pas le Chicaneur, bien sûr. James reconnaissait les propriétaires de ce magazine, et jamais ils ne se seraient intéressés à la vie morne et matinale de l’école. Et pourtant, il y avait bien d’autres publications bas de gamme dans le monde sorcier qui rêvaient toujours d’apprendre de sordides petits secrets au sujet de Poudlard, du ministère, ou même du père de James.
En retournant vers la salle commune des Gryffondor – où il espérait trouver Ted ou un autre Gremlin avant le petit déjeuner – James se souvint qu’il n’avait pas encore eu l’occasion de transmettre au professeur Londubat les salutations de ses parents. Il avait la ferme intention de s’acquitter de sa tâche au petit-déjeuner, et peut-être d’utiliser cette opportunité pour interroger Neville, aussi bien sur le fantôme que sur l’homme à l’appareil photo.
Mais quand il se retrouva dans la Grande Salle, Neville n’y était pas. Et toutes les longues tables étaient remplies d’élèves, qui portaient tous leurs robes de classe.
— Alors, tu as vu un mec qui prenait des photos du jardin ? demanda Ralph la bouche pleine d’une énorme bouchée de tartine grillée. Quelle importance ?
— Moi, ce qui m’intéresse, c’est le fantôme, affirma Zane avec conviction. Je me demande comment il a été tué. Crois-tu que les fantômes restent sur place uniquement lorsqu’ils ont connu une mort tragique ?
James haussa les épaules.
— Je ne sais pas. Demande à quelqu’un de plus vieux. En fait, c’est à Nick qu’il te faudrait poser la question la prochaine fois.
— Nick-Quasi-Sans-Tête ? demanda Sabrina, assise plus loin à table.
— Oui. Où est-il ? Nous avons des questions à lui poser.
— Il est parti, dit Sabrina, en secouant la tête, si fort que la plume plantée dans ses cheveux vacilla. Il y a plusieurs années qu’il n’est plus avec nous. Il a fini par obtenir son admission dans le Club des chasseurs sans tête, après tous ces siècles d’attente. Nous avons organisé pour lui une petite fête, et ensuite il a disparu. Il n’est jamais revenu. C’était peut-être ce dont il avait besoin pour pouvoir quitter Poudlard. Tant mieux pour lui, mais il nous manque.
— Le Club des chasseurs sans tête... répéta Ralph, un peu inquiet, comme s’il n’était pas certain qu’une explication était nécessaire.
— Il n’est jamais revenu ? répéta aussi James. Mais enfin, c’était le fantôme de la maison Gryffondor. Qui est notre fantôme désormais ?
À nouveau, Sabrina secoua la tête.
— Nous n’en avons plus. Certains d’entre nous espéraient que ce serait le vieux Dumbledore, mais ça n’a pas marché.
— Mais…
James s’arrêta, ne sachant comment continuer. Chaque maison avait un fantôme. Pourquoi pas eux ? Il pensa à la forme spectrale du jeune homme silencieux qu’il avait vu sur la pelouse le matin même.
— Voici le courrier ! cria Zane.
Chaque élève leva les yeux, tandis que plusieurs chouettes entraient dans la Grande Salle par les hautes fenêtres. L’atmosphère fut soudain agitée par de grandes ailes qui battaient, tandis que tombaient lettres et paquets. Les yeux de James s’écarquillèrent en revoyant soudain Peeves préparer son petit piège le matin même dans les hauteurs. Avant qu’il ne puisse parler, le premier pétard explosa, et une fille poussa un cri de surprise et de colère. Elle se leva, d’une table voisine, sa robe noire éclaboussée de taches jaunes.
— Mon œuf a éclaté ! cria-t-elle.
D’autres pétard claquèrent à travers la pièce, et les chouettes, affolées, se jetèrent les unes contre les autres. Zane et Ralph lançaient autour d’eux des regards très inquiets, cherchant à comprendre ce qui se passait.
— Les mecs, il est temps de filer, cria James aux deux autres, en essayant de ne pas rire.
En même temps qu’il parlait, le pétard péruvien de Peeves tomba du plafond, atterrissant dans un verre à moitié plein où il explosa bruyamment. Du jus de citrouille en jaillit comme si le verre était un volcan miniature. James, Ralph, et Zane s’enfuirent en courant loin du chaos qui régnait dans la Grande Salle tandis que Peeves faisait des cabrioles au-dessus des tables, riant comme un fou et répétant sa chansonnette – pétard, fève et autres fariboles.
Le cours de Technomancie avait lieu dans l’une des plus petites salles de classe, dans les étages, au-dessus des classes principales. La pièce n’avait qu’une seule fenêtre, juste derrière le bureau du professeur, et le soleil de la matinée y plongeait tout droit, créant une auréole dorée autour de la tête du professeur Jackson. Lorsque Zane et James arrivèrent, le sorcier était déjà là, penché sur son bureau, occupé à écrire fébrilement à la plume sur un parchemin. Les deux garçons trouvèrent des places côte à côte, tandis que tous les élèves arrivaient, dans une cohue silencieuse, chacun prenant soin de ne pas faire grincer les pieds de sa chaise sur le plancher. Peu à peu, les places furent occupées, et rares étaient les bavardages parmi les élèves. En réalité, on n’entendait aucun bruit, sauf le crissement rapide de la plume du professeur. Enfin, Jackson consulta le réveil posé sur son bureau, puis il se redressa, et lissa de la main le devant de sa blouse gris sombre.
— Bienvenue à tous. Mon nom, comme vous le savez probablement déjà, est Théodore Jackson. Cette année, je vais vous apprendre les bases de la Technomancie. Je crois beaucoup aux bienfaits de la lecture, et j’insiste aussi pour avoir votre attention durant mes cours. Je vous demanderai donc ces deux efforts au cours de l’année.
Sa voix était calme et mesurée, plus distinguée que James s’y serait attendu. Les cheveux courts du professeur étaient coupés avec une précision militaire. Il avait des sourcils noirs et broussailleux, qui créaient en travers de son front une ligne aussi droite que tracée à la règle.
— A ce qu’on dit, continua Jackson, en arpentant l’espace devant son bureau d’un mur à l’autre, aucune question n’est stupide. Peut-être, le croyez-vous aussi. Les questions posées en classe indiqueraient aussi un esprit curieux et intéressé. (Il s’arrêta net, et jeta un coup d’œil critique en direction des élèves.) Ce n’est pas mon avis. Bien au contraire. Pour moi, une question indique seulement que l’élève n’a pas écouté de façon suffisamment attentive.
Zane envoya un coup coude à James, qui leva les yeux de son parchemin pour le regarder. Zane avait déjà dessiné une caricature du professeur, simple mais remarquable. James eut du mal à retenir son fou rire, étonné que l’Américain ait une telle audace.
— Dans ma classe, continuait Jackson, je vous conseille de bien écouter. De prendre des notes. De lire les textes que je vous demande. Si vous suivez ces règles simples, vous n’aurez que rarement besoin de questions. Bien entendu, je ne les interdis pas. Je vous préviens seulement de réfléchir avant de poser une question inutile, qui m’obligerait à me répéter. Si votre question est utile, vous en serez récompensés. Dans le cas contraire… (À nouveau, il scruta les visages levés vers lui.) Je vous rappellerai mes instructions d’aujourd’hui.
Tout en parlant, Jackson n’avait pas seulement marché devant son bureau, il avait aussi fait le tour de la classe. Le tour complet. Revenu à son point de départ, il se tourna vers le tableau noir près de la fenêtre et sortit d’un étui caché dans sa manche sa baguette qu’il agita en direction du tableau.
— Qui, parmi vous, serait capable de m’indiquer à quoi correspond la Technomancie ?
Sur le tableau, le mot s’écrivit de lui-même, dans une écriture cursive et décidée. Il y eut un assez long silence méfiant. Enfin, une fille leva la main, d’un geste un peu hésitant.
Jackson gesticula dans sa direction
— je vous écoute, Miss… euh… excusez-moi, je n’ai pas encore retenu tous vos noms. Vous êtes Miss Gibet, non ?
— Professeur, répondit la fille d’une voix étranglée, en se souvenant de la présentation de Franklyn, la veille, je crois qu’il s’agit de l’étude des sciences magiques.
— Vous êtes de la maison Serdaigle, Miss Gibet, à ce qu’il me semble ? dit Jackson en la regardant. (Elle hocha la tête.) Dans ce cas, cinq points pour Serdaigle. Mais je n’approuve pas dans ma classe l’emploi des mots « je crois ». La croyance et la connaissance ont très peu en commun, sinon rien du tout. Avec moi, vous viserez la connaissance – la science – les faits exacts. Si vous désirez des croyances, vous trouverez votre bonheur avec Mrs Delacroix, au fond du couloir, dans un prochain cours.
Tandis que le professeur indiquait la porte de la pointe de sa baguette, son visage dur exprima, pour la première fois, quelque chose qui pouvait être de l’humour. Plusieurs élèves osèrent sourire, et même rire doucement. Puis Jackson se tourna à nouveau, et agita sa baguette vers le tableau.
— Oui, la Technomancie est l’étude des Sciences Magiques. Certains estiment, à tort, que la magie est d’ordre mystique ou contre-nature. Ceux qui croient – et cette fois j’utilise le verbe « croire » à bon escient – à la magie mystique se trouvent rapidement soumis à des égarements comme le destin, la chance, ou les espoirs en Quidditch de l’équipe américaine. En bref, des causes perdues, qui n’ont aucune évidence empirique pour les supporter.
Cette fois, les sourires furent spontanés. De toute évidence, il y avait davantage dans le professeur Jackson que son aspect sévère ne permettait de le supposer.
— La magie, continua-t-il, tandis que le tableau se remplissait de ses notes, ne brise aucune – et je répète aucune – loi naturelle de la science. La magie exploite ces lois dans un but spécifique, et créatif. Mr Walker !
A l’appel de son nom, Zane fit un bond sur sa chaise, et leva les yeux du dessin sur lequel il s’amusait alors que les autres élèves prenaient des notes. Jackson lui tournait le dos, toujours face au tableau noir.
— J’ai besoin d’un volontaire pour illustrer mon propos, Mr Walker, annonça-t-il sans se retourner. Puis-je emprunter votre parchemin ?
Ce n’était pas une requête. En même temps qu’il parlait, le professeur agita sa baguette, et le parchemin de Zane s’envola vers lui. Jackson le récupéra d’un geste preste, puis il se retourna lentement, présentant, sans le regarder, le papier à la classe. Tous les élèves, dans un silence prudent, étudièrent la caricature plutôt réussie que Zane avait dessinée du professeur. Le jeune Américain, quant à lui, commença à s’enfoncer dans son siège, comme s’il essayait de passer sous la table.
— Savez-vous que la magie permet aux dessins d’un véritable sorcier de prendre vie ? demanda Jackson.
Pendant qu’il parlait, le dessin sur le parchemin s’anima. La caricature perdit son regard sévère et figé, et prit l’aspect coléreux à l’excès d’un cartoon (dessin animé satyrique). Puis la perspective changea, et recula. Un bureau apparut devant le professeur du dessin, ainsi que Zane, caché dessous. Le professeur du dessin tendait un diplôme qui grossit de plus en plus, avec les lettres B-U-S-E qui clignotaient en rouge. Quand il le déchira en deux, en secouant la tête impitoyablement, le Zane du dessin tomba à genoux, les mains levées. Sur le dessin, Zane pleurait désormais à gros sanglots, la bouche grotesquement ouverte, et des larmes jaillissaient de ses yeux comme de véritables fontaines.
Alors que toute la classe éclatait de rire, le professeur tourna enfin la tête, et regarda le parchemin qu’il tenait à la main. Jackson eut un sourire, bref mais sincère.
— Il est regrettable, Mr Walker, que les cinq points que j’enlève à cause de vous à Serdaigle annulent la récompense de Miss Gibet. Mais c’est la vie.
À nouveau, il se mit à marcher, et à faire le tour de la salle. En passant devant Zane, il déposa soigneusement le dessin sur son bureau.
— Non, la magie n’est pas qu’un simple mot. En réalité, un sorcier marque de sa personnalité le papier qu’il utilise, et pas seulement avec sa plume. Mais rien n’est contre-nature. Il s’agit simplement d’une autre forme d’expression. La magie exploite les lois de la nature, sans jamais les briser. En d’autres termes, la magie est simplement supranaturelle : elle est au-delà de la simple nature, mais pas en lutte contre elle. Et je vais vous en montrer un autre exemple. Mr… euh…
Jackson désignait le garçon près duquel il se trouvait. Quand l’élève se pencha en arrière pour le regarder, il loucha un peu sur le doigt pointé sur lui.
— Murdock, professeur, répondit-il.
— Mr Murdock, vous connaissez certainement le principe du transplanage. A votre âge, vous avez déjà passé votre permis « courtes distances », je présume ?
— Oh, répondit Murdock, soulagé. Oui professeur.
— Veuillez nous décrire ce qu’est le transplanage, je vous prie.
Murdock parut surpris.
— C’est plutôt évident. En fait, c’est juste le fait d’aller d’un endroit à l’autre. Euh… il faut bien préparer dans son esprit l’endroit où on veut arriver, puis fermer les yeux, puis… voilà. Boum, on y est.
— Boum, dites-vous ? dit Jackson, le visage neutre.
Murdock piqua un fard.
— Oui, euh... On zappe d’un endroit à l’autre. Instantanément.
— C’est ce que vous croyez ?
— Ben oui. Je présume. Je l’ai déjà fait.
Jackson leva les sourcils et insista :
— Vous présumez ?
Cette fois, Murdock commençait à s’agiter. Il jeta des coups d’œil affolés autour de lui, comme pour chercher de l’aide.
— Euh… non. Enfin, si. C’est instantané. J’en suis sûr.
— Vous en êtes sûr, Mr Murdock ? demanda Jackson. (A nouveau, il marchait, et se dirigeait vers l’avant de la salle. Il toucha tout à coup l’épaule d’une autre élève et dit :) Miss ?
— Sabrina Hildegarde, professeur, répondit Sabrina, aussi poliment et distinctement que possible.
— Pourriez-vous, je vous prie, nous rendre un petit service, Miss Hildegarde ? J’aurais besoin de deux sabliers de dix secondes. Je suis certain que le professeur Slughorn en a pour sa classe de potion. Seconde porte à gauche, si je ne me trompe. Merci beaucoup.
Tandis que Sabrina se levait et quittait précipitamment la pièce, Jackson fit face aux élèves.
— Mr Murdock, avez-vous une idée de ce qui se passe, précisément, lorsque vous disparaissez ?
Durant le petit répit, Murdock avait décidé qu’il était beaucoup plus sage dans son cas de ne rien savoir du tout. Aussi, il secoua fermement la tête.
Jackson sembla satisfait.
— Alors, nous allons tenter une autre approche. Qui peut me dire où vont les objets qui disparaissent ?
Cette fois, ce fut Petra Morganstern qui leva la main.
— Professeur, répondit-elle, les objets qui disparaissent ne vont nulle part – ce qui, en quelque sorte, signifie qu’ils vont partout.
— Oui, admit Jackson, c’est une réponse très scolaire, Miss, mais qui ne nous avance guère. Il est impossible pour la matière de se retrouver en deux endroits en même temps, aussi il est impossible d’être à la fois « nulle part » et « partout ». Mais ne perdons plus de temps ! Je vais corriger votre ignorance sur le sujet. Je vous prie désormais d’écouter attentivement mes paroles.
Tous les élèves avaient déjà la plume levée. Jackson recommença à marcher.
— La matière, comme vous le savez, est composée d’atomes invisibles qui, une fois réunis, prennent des formes qui nous paraissent solides. Ce chandelier, indiqua le professeur en posant la main sur un bougeoir en cuivre installé sur son bureau, nous paraît être formé d’une matière dure, mais il s’agit en réalité de milliards de petits riens suffisamment proches les uns des autres pour troubler notre perspective humaine. En le faisant disparaître, (Jackson agita sa baguette, et le chandelier disparut avec un « pop » à peine audible,) nous ne déplaçons pas réellement le bougeoir lui-même, nous ne le détruisons pas, et nous ne supprimons pas de notre environnement la matière qui le constituait. Vous êtes bien d’accord ?
Ses yeux perçants scrutèrent le visage des élèves, passant de l’un à l’autre, tandis que tous le regardaient, attentifs, plume en main, prêts à noter ses paroles.
— Non, dit-il d’un ton pensif. Nous avons simplement modifié la façon dont ses atomes étaient agglutinés entre eux. Nous avons augmenté la distance entre chaque atome – peut-être quelques milliers de fois, peut-être davantage. En principe, la multiplication de ces espaces permet au chandelier de couvrir quasiment la surface de la planète. Le résultat est que nous pouvons l’envoyer n’importe où, sans même que les atomes ne le réalisent vraiment. En quelque sorte, pour le moment, le chandelier est encore ici, et pourtant il est aussi ailleurs. Parce qu’il s’est tellement étendu, à un niveau si éphémère, qu’il est devenu sans consistance à nos yeux. Effectivement, en ce moment précis, il est à la fois nulle part et partout.
Sabrina revint alors avec les deux sabliers réclamés, qu’elle plaça sur le bureau du professeur.
— Merci, Miss Hildegarde. (D’une voix forte, Jackson appela :) Murdock !
Murdock fit un bond. Il y eut dans la classe quelques rires nerveux, vite étouffés.
— Professeur ?
— N’ayez pas peur, mon petit ami. J’aurais simplement besoin de vous pour une tâche que vous trouverez, j’en suis certain, très facile. Je voudrais vous voir transplaner.
Murdock parut sidéré.
— Transplaner ? Mais professeur… personne ne peut le faire dans l’enceinte de Poudlard.
— C’est parfaitement exact. Cette restriction est symbolique, bien entendu, mais elle existe. Fort heureusement, dans un but éducatif, je me suis arrangé ce matin pour obtenir une dérogation localisée et temporaire, ce qui vous permet, Mr Murdock, de transplaner dans l’enceinte de cette classe, disons… (Jackson indiqua la porte, puis l’espace devant de son bureau,) de là-bas à ici.
Quand Murdock se leva, il vacilla légèrement, avant de se diriger à l’endroit désigné par le professeur.
— Vous voulez que je transplane de quelques mètres… dans cette salle ?
— Exactement. Placez-vous devant la porte. Je sais bien que ce ne sera pas très compliqué, mais je souhaiterais quand même que vous ayez ceci avec vous. (Il prit un des sabliers que Sabrina avait rapportés, et le tendit à Murdock.) N’oubliez pas de le retourner au moment précis où vous transplanerez. C’est bien compris ?
Beaucoup plus détendu, Murdock hocha la tête.
— Aucun problème, professeur. Je peux faire ça les yeux fermés.
— Je ne pense pas que ce sera nécessaire, dit Jackson pendant que Murdock récupérait le sablier.
Jackson posa l’autre sablier sur son bureau, et resta immobile (pour une fois).
— Mr Murdock, à trois, dit-il. Un – deux – trois !
Au même moment, Murdock et Jackson retournèrent leur sablier. À peine une seconde après, Murdock disparut avec un « crac » sonore. Toutes les têtes de la pièce se tournèrent vers le bureau. Jackson regardait le sable couler dans son sablier, à travers le verre transparent. Il marmonnait de façon presque inaudible. Puis il s’inclina légèrement sur son bureau, appuyé sur une main. Il attendait, comme toute la classe.
Il y eut un second « crac » quand Murdock réapparut. D’un geste très vif, Jackson récupéra le sablier que l’élève tenait dans la main. Il le posa sur le bureau, à côté du sien. Puis il examina attentivement les deux sabliers. Dans celui de Jackson, le sable était également réparti entre le haut et le bas. Dans celui de Murdock, l’essentiel du sable était encore dans la partie supérieure.
— Je suis désolé, Mr Murdock, indiqua le professeur, sans quitter des yeux les deux sabliers, mais voici la preuve que votre hypothèse est erronée. Retournez à votre place. Je vous remercie.
Quand Jackson releva enfin les yeux, vers la classe, il agita la main en direction des sabliers.
— Comme vous avez pu le constater, il y a une différence de quatre secondes – à quelques dixièmes près – entre ces deux sabliers. Il apparaît donc qu’un transplanage n’est pas instantané. Mais – et c’est la partie extrêmement intéressante de l’expérience ! – celui qui transplane ne le réalise pas. Qu’est-ce que la Technomancie nous indique à ce sujet ? Ce n’est qu’une question de rhétorique, bien entendu, et je vais y répondre.
Jackson recommença à arpenter la salle de classe, tandis que les mots s’écrivaient à la craie sur le tableau noir. Dans la classe, tous les élèves étaient penchés sur leur parchemin.
— L’acte de transplaner utilise exactement le même principe que la disparition des objets. Celui qui transplane augmente la distance entre les atomes qui constituent son corps, à tel point qu’il semble disparaître à notre vue, devenant sans substance, invisible, et en quelque sorte inexistant. Ayant réussi cette première opération de dispersion, celui qui transplane doit ensuite réunir la distance entre ses atomes, mais avec un nouveau point central, déterminé par le choix qu’il a délibérément décidé avant même de se le lancer dans cette mutation. Un sorcier qui se trouverait à Londres, peut s’imaginer à Ebbets Field, (NdT : Stade de baseball situé à New York.), puis disparaître – ou plutôt exister partout – puis réapparaître en se rematérialisant à Ebbets Field. Il est bien entendu essentiel que le sorcier prévoit à l’avance sa destination. C’est un principe fondamental de la Technomancie. Quelqu’un peut-il me dire pourquoi ?
Il y eut un grand silence. Puis la fille nommée Gibet leva à nouveau la main.
— Parce que, pour le sorcier, la réapparition paraît instantanée ?
— En partie, Miss, répondit Jackson presque gentiment. Mais cela dépend de la distance. En réalité, le processus prend du temps, comme nous venons de le constater. Et le temps n’a rien de flexible. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle un sorcier doit absolument prévoir sa destination avant de disparaître. Voyez-vous, lorsque le sorcier a éparpillé ses atomes, son esprit ne fonctionne plus. Il est dans un état de parfaite hibernation. Si le temps que ça lui prend de réapparaître n’est pas instantané, il le croit, parce que son cerveau est arrêté durant le processus. Et puisque le sorcier ne peut plus ni penser ni décider, s’il a omis de prévoir une destination, il risque parfaitement de ne jamais réapparaître du tout.
Les sourcils froncés, le professeur Jackson scruta les visages de la classe, cherchant un signe qui lui indiquerait que tous avaient bien compris la leçon. Après une bonne minute, une main se leva. C’était Murdock. Son visage était crispé d’appréhension, tandis qu’il cherchait à assimiler ces nouveaux concepts. Les sourcils épais du professeur se levèrent lentement.
— Oui, Mr Murdock ?
— J’ai une question, professeur. Je suis désolé. Où est… (Il toussota, pour s’éclaircir la voix, puis se lécha les lèvres.) Où est… Ebbets Field ?
Après le déjeuner, James retrouva Zane et Ralph, alors qu’ils avaient tous les trois une période libre. Ils n’avaient pas le temps de remonter dans leur salle commune, mais pas non plus d’urgence à se rendre en cours. Aussi, ils déambulèrent le long des couloirs bondés, autour de la cour, en essayant de rester à l’écart des élèves plus âgés. Tout en marchant, ils discutaient de leurs cours du matin.
— Je t’assure que ce vieux Granit un effet franchement magique sur le passage du temps, expliquait Zane à Ralph en gesticulant dans son excitation. Un moment, j’aurais pu jurer que son sablier fonctionnait à l’envers.
— Moi, j’ai bien aimé le professeur Flitwick, dit Ralph, en changeant de sujet. Vous l’avez déjà rencontré ?
Mais Zane n’avait pas l’intention de lâcher le morceau.
— En plus, ce mec a des yeux derrière sa perruque. Incroyable, dans une école de sorciers, de tomber sur un professeur aussi sournois !
— Flitwick est celui qui nous apprend à lancer nos premiers sortilèges et à utiliser nos baguettes, pas vrai ? demanda James à Ralph.
— Oui. Et c’était génial. Bien sûr, j’avais trouvé intéressant de lire des trucs sur la magie, mais c’est tout à fait différent de le vivre en réalité. Il a fait léviter son fauteuil, avec les bouquins et tout.
— Quels bouquins ? s’étonna Zane.
— Ceux dont qu’il a toujours besoin de poser sur son siège pour voir par-dessus le bureau. Ces trucs-là pèsent au moins 50 kg. Et pourtant, il a fait flotter sa chaise, avec tous les livres dessus, simplement en agitant sa baguette.
— Et pour toi, comment ça s’est passé? demanda Zane.
James grimaça, en se souvenant de la ridicule baguette de Ralph.
— Pas mal du tout, répondit Ralph très calme.
Il y eut un silence, et les deux autres s’arrêtèrent pour le regarder.
— Non, c’est vrai, je vous assure, insista Ralph. Bien sûr, je n’ai pas réussi à faire voler des chaises, mais les autres élèves non plus. D’ailleurs, nous devions soulever des plumes. Et Flitwick nous a assuré qu’il était très rare de réussir du premier coup. Je n’ai pas été pire que les autres. (Tout à coup, Ralph parut songeur.) En fait, j’ai même été meilleur. Et Flitwick m’a félicité. Il prétend que je suis doué.
— Tu as fait voler une plume avec ton gros bâton au poil de yéti ? demanda Zane, sans y croire.
Ralph parut mécontent.
— Oui. Et je te signale que, d’après Flitwick, une baguette n’est qu’un outil ! C’est le sorcier qui la rend magique. Peut-être que j’ai vraiment un don. Est-ce que tu as pensé à ça, Monsieur l’expert en baguettes ? D’ailleurs, qu’est-ce qui te rend si sûr de toi ?
— D’accord, d’accord, je suis désolé, marmonna Zane. Surtout, ne pointe pas sur moi ton abominable baguette des neiges. Je veux garder mes bras et mes jambes exactement comme ils sont.
— Oublions ça, dit James, pour apaiser la tension. (Tous les trois se remirent à marcher.) Flitwick a raison. Peu importe d’où vient ta baguette. Tu as vraiment fait voler ta plume ?
Ralph se permit un petit sourire, qui exprimait une fierté timide.
— Oui, jusqu’au plafond. D’ailleurs, elle y est restée. Elle s’est coincée sur une des poutres.
— Génial, dit James, sincèrement ébloui.
Soudain, un élève plus âgé, le cou orné d’une cravate verte, heurta James, l’éjectant de son chemin. Alors que James tombait à la renverse dans l’herbe de la cour, le garçon bouscula également Ralph, sauf que celui-ci était aussi grand que lui – et plus costaud. C’est la brute qui vacilla, Ralph ne bougea pas.
— Désolé, marmonna Ralph, tandis que l’autre reculait pour lui jeter un regard noir.
— Les « première année » doivent dégager le passage, dit le garçon d’un ton froid, en examinant tour à tour Ralph, puis James. D’ailleurs, Deedle, tu devrais faire attention à tes fréquentations.
Sans attendre de réponse, il contourna Ralph, et s’éloigna.
— Cette fois, je reconnais bien l’esprit Serpentard dont tu m’as parlé dans le train, dit Zane. Apparemment, certains n’ont pas bien compris la notion : « On est tous amis. »
— C’est Trent, dit Ralph sombrement, en le regardant partir. C’est lui qui m’a dit que ma GameDeck était une insulte à mon sang sorcier. Et pourtant, ça ne l’a pas empêché de me l’emprunter.
James l’écoutait à peine. Il était bien plus intéressé par ce que l’autre garçon avait eu d’accroché à sa robe.
— Il portait un badge qui disait quoi ?
— Oh, dit Ralph, tous les Serpentard commencent à porter ces trucs-là. C’est Tabitha Corsica qui les a distribués dans la salle commune ce matin. Tiens, regarde. (Ralph chercha dans sa poche, et en sortit son propre badge.) J’ai oublié d’accrocher le mien.
James l’examina. Il y avait des lettres bleu foncé sur fond rouge : « Le Mouvement du Progrès : les sorciers contre les mensonges de l’Histoire ».Un grand X clignotait, pour barrer le mot « mensonges » avant de s’effacer.
— Tous les badges ne portent pas la même mention, expliqua Ralph, en reprenant l’objet. Il y en a avec le slogan : « Remettre en cause CEUX qui ont gagné ! » Et d’autres sont encore plus longs et compliqués, et je n’ai pas tout compris. C’est quoi un aurore ?
Zane intervint :
— Une fois, mon père a été convoqué pour un travail d’aurore. Il a refusé, parce qu’il devait se rendre en Nouvelle-Zélande. D’après lui, si les aurores étaient mieux payées, nous obtiendrions de meilleurs verdicts.
Sans rien comprendre, Ralph regarda Zane les yeux écarquillés.
James poussa un soupir.
— Les Aurors, expliqua-t-il d’un ton prudent, sont des sorciers et sorcières qui doivent découvrir et arrêter les mages noirs. En quelque sorte, ce sont les inspecteurs de police du monde sorcier. Quelque chose comme ça. Mon père est un Auror.
— Ton père est à la tête du Bureau des Aurors. C’est très différent, intervint une voix étrangère tandis que passait un groupe. (Tabitha Corsica, qui menait ce groupe, regarda James en tournant la tête.) Excuse-moi de t’interrompre.
Tous les autres Serpentard se tournèrent aussi avec un sourire étrange. James remarqua qu’ils portaient tous des badges bleu et rouge.
— Parfaitement ! dit James d’une voix forte, sans trop savoir ce qu’il cherchait à prouver.
— Ton père est le chef de la police des sorciers ? demanda Zane, qui avait suivi des yeux le groupe Serpentard qui s’éloignait, avant de revenir vers James.
James hocha la tête, avec une grimace. Il avait pu lire sur certains des autres badges : « Non à la Dictature des Aurors ! Oui à la Liberté de l’Expression dans le Monde Magique ». James ne comprenait pas trop la signification de tout ceci, mais il avait un mauvais pressentiment.
Tout à coup, Zane se retourna, et envoya un coup de coude dans les côtes de Ralph.
— Tu devrais mettre ton badge, mon pote, sinon des nouveaux copains vont croire que tu t’amollis ! Pas question que tu croies aux mensonges de l’histoire, ou que tu te soumettes à l’impérialisme des Aurors.
James cligna des yeux, réalisant avec retard ce que Ralph avait dit un peu plus tôt.
— Dis-moi un peu, un des Serpentard t’a réellement emprunté ta GameDeck ?
Ralph eut un sourire amer.
— Je ne suis pas certain qu’il s’agisse de Trent, mais en tout cas, elle n’est plus dans mon sac. Et il n’y avait que mes colocataires à être au courant de son existence. Bien sûr, ils en ont peut-être parlé aux autres derrière mon dos. En tout cas, elle a disparu, juste après que je vous l’ai montrée hier. Je suppose que les autres Serpentard ont simplement voulu éliminer la fausse magie de notre chambre. (Il soupira.)
James n’arrivait pas à dissiper le malaise qui pesait sur lui. Il y avait quelque chose de malsain dans le ton mielleux de certains Serpentard ; dans ces badges bizarres ; et même dans cet emprunt d’un jeu électronique moldu. Un des Serpentard avait pris la GameDeck de Ralph… Pourquoi ?
Peu après, les trois garçons passèrent devant la vitrine où étaient conservés les trophées des victoires de l’école Poudlard. Zane, qui marchait en avant, s’écria soudain :
— Hey, regardez ça ! On peut s’inscrire à différents clubs. Pourquoi ne prendrions-nous pas des activités extrascolaires ? (Il se pencha, et lut quelque prospectus :) Apprendre à déchiffrer les runes ! Prédire votre avenir, et celui de vos amis ! Découvrir son destin dans les étoiles – bla-bla-bla – le club des constellations, rendez-vous à 11:00, le mardi soir dans la tour ouest. À mon avis, c’est une parfaite excuse pour traînailler le plus tard possible. Je crois que je vais m’inscrire.
Il prit une plume posée près des parchemins et accrochée à la tablette de bois par une chaînette, puis, d’un geste théâtral, gribouilla son nom sur la liste.
James et Ralph s’étaient rapprochés. Ralph se pencha en avant, et lui aussi, se mit à lire quelques propositions :
— Le club des débats. Le club des échecs de sorciers. Le club de Quidditch des quatre maisons.
— Quoi ? Où ça ? demanda Zane. (Il tenait toujours sa plume dressée, comme un poignard qu’il s’apprêtait à utiliser. Dès qu’il trouva le parchemin où devaient s’inscrire les futurs joueurs de Quidditch de Serdaigle, il commença à écrire son nom.) Je viens juste d’apprendre à monter sur un balai. À ton avis, James, quels sont mes chances d’être sélectionné ?
James récupéra la plume, et secoua la tête, plutôt amusé.
— Tout est possible. Mon père a été attrapeur dans l’équipe Gryffondor dès sa première année. Le plus jeune attrapeur de toute l’histoire de l’école ! D’ailleurs, c’est à cause de lui qu’ils ont changé les règles pour les « première année ». Autrefois, il leur était impossible de rentrer si tôt dans les équipes. Maintenant, c’est permis, mais ça reste très rare.
Tout en parlant, James inscrivit son nom sur la liste de l’équipe de Quidditch des Gryffondor. Les premiers essais de qualification, remarqua-t-il, étaient après les cours, le lendemain.
— Et toi, Ralph ? Vas-tu signer pour entrer dans l’équipe Serpentard ? demanda Zane en se tournant vers le grand brun. Allez, courage, fais comme nous.
— Non. Je n’ai jamais été doué en sport.
— Toi ? s’écria Zane, avec enthousiasme. (Il posa, plutôt maladroitement, son bras sur les larges épaules de Ralph.) Tu es aussi costaud qu’un mur de briques. Tout ce que tu as à faire, c’est de te placer devant les buts, et d’empêcher le ballon de passer. Évidemment, le problème sera de trouver un balai assez solide pour supporter ta masse.
— La ferme, dit Ralph. (Le visage empourpré, il repoussa le bras de Zane, mais il souriait.) En fait, je vais plutôt m’inscrire dans le club des débats. Tabitha prétend que ça me conviendrait.
James cligna des yeux.
— Tabitha Corsica t’a demandé de faire partie du club des débats Serpentard ?
— En réalité, dit Zane, en vérifiant la feuille en question. Le club des débats n’est pas réparti par maison. Il y a simplement deux équipes, A et B, qui s’affrontent. Regarde, chacune comporte des élèves de toutes les maisons – et même des Américains d’Alma Aleron.
— Pourquoi ne t’inscris-tu pas, Ralph ? demanda James, voyant manifestement que leur ami en avait envie.
— Je ne sais pas. Je le ferai peut-être. Plus tard.
— Oh, regarde, dit Zane. Petra est dans l’équipe A.
Immédiatement, il signa également de son nom.
James fronça les sourcils.
— Tu t’inscris dans le club des débats parce que Petra Morganstern y est aussi ?
— Je ne vois pas de meilleure raison !
James éclata de rire.
— Je crois que Petra sort déjà avec Ted.
— Mon père prétend qu’une fille ne sait pas quel est son parfum de glace préféré avant de tous les avoirs goûtés, répliqua Zane, d’un ton docte, en rangeant la plume dans son support.
Ralph plissa le front.
— Et ça veut dire quoi ?
— Ça veut dire, répondit James, que notre ami Zane, ici présent, pense qu’il peut rivaliser avec Ted auprès de Petra.
Les deux autres regardèrent le jeune Américain, à la fois admiratifs et étonnés, devant le culot dont il faisait preuve.
— Ça veut dire, dit Zane, que Petra ne sait pas ce qu’elle attend d’un homme, avant d’en connaître plusieurs. D’un côté, je fais ça pour son bien.
Ralph le considéra un moment.
— Je te rappelle quand même que tu n’a que 11 ans.
Zane et Ralph se mirent en route, mais James resta en arrière. Du coin de l’œil, il venait de remarquer une photo dans la vitrine des trophées. Il se pencha en avant, et mit ses deux mains en coupe contre la glace pour ne pas être gêné par les reflets du soleil. C’était une vieille photographie, en noir et blanc, dont les personnages s’agitaient – comme toujours, dans le monde sorcier. Il s’agissait de son père, plus jeune, plus mince, avec ses cheveux noirs ébouriffés et sa cicatrice si célèbre sur le front. Le jeune Harry Potter souriait nerveusement, ses yeux bougeant de droite à gauche, comme s’il refusait de croiser le regard de ceux qui étaient derrière l’appareil. Près de lui, sur la photo encadrée, il y avait une très haute coupe en argent, avec une sorte de cristal pâle qui brillait au-dessus, et formait une aura tourbillonnante.
James lut la plaque gravée sous le trophée :
Coupe des Trois Sorciers,
Gagnée conjointement par Harry Potter et Cédric Diggory,
Élèves de Poudlard, maisons Gryffondor et Poufsouffle,
Au cours du Tournoi des Trois Sorciers, tenu à l’école Poudlard,
Avec la coopération de l’Institut Durmstrang et de l’Académie de Magie Beauxbâtons…
Il y avait d’autres inscriptions, mais James ne les lut pas. Il connaissait l’histoire. Le nom de son père avait été rajouté de façon frauduleuse par un Mangemort nommé Croupton. À la fin du tournoi, les deux gagnants, Harry et Cédric, avaient été envoyés par portoloin jusqu’à la tanière de Voldemort, permettant ainsi à l’esprit néfaste du mage noir de retrouver une enveloppe corporelle. Pas étonnant que son père ait parut aussi mal à l’aise sur la photo ! Harry n’avait pas eu l’âge requis pour participer au tournoi ; il était le quatrième élément du trio officiel ; et personne ne croyait en ses dénégations d’innocence. Tous ceux qui l’entouraient étaient persuadés que Harry Potter avait triché (au mieux) ou utilisé de la magie noire (au pire).
James examina ensuite celui qui se tenait de l’autre côté de la coupe : Cédric Diggory. Contrairement à Harry, le garçon avait un sourire authentique, et paraissait heureux. James n’avait jamais vu de photos de Cédric auparavant, mais il lui semblait pourtant le connaître. Il connaissait son histoire. Il savait que le jeune homme était mort dans ce cimetière où Voldemort les avait attirés, son père et lui. C’est le puissant sorcier lui-même qui avait tué Cédric. Harry parlait très rarement de cette nuit-là, et James avait cru comprendre pourquoi.
Il poussa un soupir, puis courut pour rejoindre ses deux amis.
Plus tard, ce même jour, quand James se retrouva dans sa chambre – afin d’échanger ses livres pour ceux de Défense contre les Forces du Mal – il trouva Aristo qui l’attendait, et grattait impatiemment à la fenêtre. James lui ouvrit, récupéra la lettre accrochée à la patte de la chouette, et la lut.
Cher James,
Ton père et moi sommes enchantés de voir que tout se passe bien pour toi. D’ailleurs, nous n’en doutions pas. Ton oncle Ron m’a chargé de te transmettre ses félicitations pour avoir été admis chez les Gryffondor. Bien sûr, nous sommes tous fiers de toi. J’espère avoir très vite des nouvelles de tes premiers cours. Je veux aussi te prévenir directement d’une nouvelle que nous venons d’apprendre : ton père a été convoqué à Poudlard pour une réunion avec les sorciers américains, au sujet de la sécurité internationale et autres points « d’intérêt général ». Je resterai à la maison avec Albus et Lily, mais tu verras ton père dans une semaine. J’espère que tu manges autre chose que des sucreries, que tu portes régulièrement des robes le soir, et que tu te laves au moins une fois par semaine. (Je plaisante. En fait, pas tellement.)
Je t’embrasse très fort.
Maman.
James replia sa lettre et la rangea dans le livre qu’il avait à la main, avant de dégringoler les escaliers. A l’idée de voir son père la semaine suivante, il éprouvait des sentiments mitigés. Bien sûr, il était content de le retrouver et de pouvoir lui présenter ses nouveaux amis, mais il craignait aussi que cette visite accentue la difficulté pour lui d’exister dans l’ombre que représentait la célébrité de son père. En fait, il était enchanté que Zane et Ralph soient nés-Moldus, ce qui les rendait moins sensibles à la légende de Harry Potter.
Tandis qu’il rejoignait la file des élèves qui attendaient devant la classe de Défense contre les Forces du Mal, James remarqua d’autres badges que portaient les Serpentard accrochés à leurs robes. « Le Mouvement du Progrès contre l’Oppression dans le Monde Magique » lut-il. Tout à coup, il ressentit un choc au cœur en remarquant un journal épinglé au mur près de la porte. « Harry Potter et la délégation des sorciers américains » annonçait le titre de l’article. En dessous, en caractères plus petits, il était indiqué : « Le directeur du Bureau des Aurors rencontrera les représentants américains à l’école Poudlard pour une cérémonie. De nombreuses questions de sécurité internationale seront évoquées. » Accroché au journal – de façon à cacher la photo de Harry Potter adulte et souriant – il y avait un autre badge bleu et rouge : « Remettre en cause CEUX qui ont gagné ! » Le point d’exclamation clignotait.
— Allez viens, dit Ralph, en rejoignant James. Nous allons être en retard.
Tandis que les deux garçons se frayaient un passage dans la salle bondée, et trouvaient deux sièges au premier rang, Ralph se pencha vers James.
— C’est ton père qui est sur le journal ?
James avait espéré que Ralph ne remarquerait rien. Il lui jeta un coup d’œil.
— Oui. Je viens juste de recevoir une lettre de ma mère, qui me prévient de sa visite. Il sera là au début de la semaine prochaine. Pour une réunion top niveau avec les Américains. Du moins j’imagine.
Ralph ne répondit pas, mais il avait l’air mal à l’aise.
— Tu le savais déjà, pas vrai ? Chuchota James, tandis que les bavardages dans la classe se faisaient plus rares.
— Non, marmonna Ralph, du moins, pas vraiment. Mais de toute la journée, les autres Serpentard n’ont pas arrêté de parler d’une contestation à venir. Apparemment, ça concerne ton père.
Bouche bée, James examina son ami. Ainsi, voilà ce que manigançaient Tabitha Corsica et ses troupes, malgré leurs sourires aimables et leurs beaux discours. De toute évidence, les tactiques des Serpentard avaient changé, mais pas leur mauvais esprit. James serra les lèvres, et se tourna vers le bureau. Le professeur Franklyn s’en approchait. Le professeur Jackson marchait avec lui, son sac de cuir noir à la main. Il parlait d’une voix basse et insistante.
— Bonjour à tous, dit Franklyn d’une voix brève. Je présume que vous avez déjà rencontré le professeur Jackson. Veuillez nous excuser un moment.
En tournant la tête, Jackson surveilla les élèves assis dans la classe, le visage aussi figé que du granit. De toute évidence, pensa James, le surnom que Zane avait inventé pour le sorcier lui convenait parfaitement. Puis Franklyn se tourna vers Jackson, et lui parla à voix basse. Semblant mécontent de ce qu’il entendait, Jackson posa son sac par terre, devant lui, afin de libérer sa main pour gesticuler.
James examina le sac qui n’était qu’à 50 cm environ de lui. Jackson gardait en permanence avec lui ce sac, qui ne présentait aucun intérêt apparent. Dans ce cas, pourquoi le surveiller d’aussi près ? James tenta de ne pas écouter la conversation – manifestement privée – entre les deux professeurs. Mais il ne put s’en empêcher. Il entendit deux mots : « caverne » et « Merlin ».
Une troisième voix stridente intervint brusquement.
— Professeur Jackson, disait cette voix, qui n’était pas puissante, mais résonnait cependant d’une autorité certaine.
James tourna la tête pour examiner celle qui parlait. Il s’agissait de Mme Delacroix, debout entre les deux battants de la porte, son regard aveugle passant sur la tête des les élèves.
— Je dois vous signaler que vos élèves vous attendent. Vous êtes toujours si… (Le nez en l’air, elle sembla chercher le mot exact,)… strict au sujet de la ponctualité.
Sa voix avait un léger accent qui semblait mêler le français et le cajun, du sud des États-Unis. Après un dernier sourire un peu vague, elle se retourna, tapota de sa canne le sol devant elle, puis disparut dans le couloir.
Le visage du professeur Jackson durcit encore tandis qu’il regardait l’emplacement, désormais vide, ou la vieille sorcière s’était tenue. Il jeta un coup d’œil insistant en direction de Franklyn, puis baissa les yeux, et récupéra son sac. En le soulevant, il se figea net. Du coup, James ne put s’empêcher de regarder ce qui se passait. Le sac venait de s’ouvrir, ses clapets de cuivre brillant étaient relevés. Entre les deux mâchoires de cuir noir, on apercevait ce qu’il y avait à l’intérieur. Du moins, de sa place, James le pouvait. Personne d’autre ne semblait s’y intéresser, sauf lui et le professeur Jackson. Le grand sorcier se pencha et referma son sac avec soin, de sa main énorme aux jointures noueuses. De son bref aperçu, James n’avait remarqué qu’un tissu sombre et épais, soigneusement plié. Lorsqu’il leva les yeux, Jackson se redressait, le visage rigide et sombre. James tenta de détourner le regard, mais il fut trop lent. Jackson l’avait vu. Il savait que James avait regardé à l’intérieur de son sac, même sans comprendre de quoi il s’agissait.
Sans un mot, Jackson traversa la pièce d’un pas énergique – on aurait dit un bateau de guerre prenant la haute mer, toutes voiles dehors. Puis, sans jeter un regard en arrière, le sorcier disparut dans le couloir.
— Je vous remercie de votre patience, dit Franklyn à la classe, en ajustant ses lunettes. Bienvenue dans ce premier cours de Défense contre les Forces du Mal. Je pense que la plupart d’entre vous ont reconnu mon nom, et je présume que vous êtes au courant de mon passé. Je veux, dès à présent, répondre une bonne fois pour toutes aux questions évidentes : Oui, je suis CE Benjamin Franklyn. Non, je n’ai pas réellement « inventé » l’électricité pour les Moldus, je les ai simplement incités à regarder dans la bonne direction. Oui, j’ai fait partie du Congrès américain, bien que, pour des raisons évidentes, je n’ai pas été parmi ceux qui ont signé la Déclaration d’Indépendance. D’ailleurs, à l’époque, j’utilisais mon nom sous une orthographe différente, et c’est avec celui-ci que je suis passé dans l’Histoire chez les Moldus. Cette différenciation m’aide beaucoup quand j’ouvre mon courrier, pour organiser l’urgence de mes lettres. Oui encore, je suis au courant d’avoir mon visage sur les billets de 100 $ américains. Non, au contraire de ce que prétend le mythe, je ne transporte pas sur moi des billets que je signe pour mes admirateurs. Oui, je suis très vieux, et j’ai accompli beaucoup de magie durant ma longue vie. Pour la plupart, je peux vous l’assurer, c’était bien plus ennuyeux et prosaïque que vous pourriez le croire. Non, je ne suis pas immortel, je me contente de prolonger ma vie avec quelques sortilèges personnels. J’espère que ce petit discours couvre l’essentiel de vos questions, termina Franklyn, avec un sourire, en surveillant sa classe bondée.
Il y eut un murmure d’assentiment.
— Parfait. À présent, nous pouvons avancer. Et je vous en prie, continua Franklyn en ouvrant sur son bureau un livre très épais, veuillez éviter les plaisanteries en ce qui concerne les « benjis » (NdT : Surnom aux USA des billets de 100 $, ou également, synonyme de joyeux luron). Déjà, il y a un siècle, elles ne m’amusaient pas. Mais à présent, c’est encore pire. Je vous remercie.
Tandis qu’ils traversaient les jardins, pour remonter au château, et aller dîner dans la Grande Salle, James et Ralph se trouvèrent à passer devant la cabane de Hagrid. Et ils remarquèrent la fumée qui sortait du conduit de cheminée. Aussitôt, James eut un grand sourire. Criant à Ralph de le suivre, il courut vers la porte d’entrée.
— James ! beugla Hagrid en ouvrant la porte.
Quand le demi-géant engloutit le garçon dans ses bras énormes, Ralph écarquilla les yeux, et recula d’un pas, tout en examinant celui qui venait d’apparaître.
— Salut, Hagrid, dit James d’une voix étranglée.
— Je suis vraiment content de revoir un Potter à l’école. Comment vont tes parents ? Et le petit Albus ? Et Lily ?
— Tout le monde va très bien, Hagrid. Et vous ? Où étiez-vous ?
Hagrid sortit de sa cabane, referma la porte derrière lui, et se mit en route. Les deux garçons le suivirent, revenant ensemble vers le château.
— J’ai été dans la montagne, pour rencontrer les géants, voilà. Grawp était avec moi. Nous y allons chaque été, histoire de ne pas les laisser oublier leurs bonnes intentions. Je ne suis pas sûr que ça fonctionne, mais c’est mieux que rien. Cette année, je suis resté un peu plus longtemps, parce que Grawpou s’est trouvé une copine. Dis-moi, James, présente-moi à ton ami.
Distrait par l’idée du demi-frère de Hagrid – un géant pur sang – avec une géante pour « copine », James avait complètement oublié la présence de Ralph.
— Oh, désolé. Voici mon ami, Ralph Deedle. Comme moi, il est en première année. Dites-moi, Hagrid, Grawp est réellement amoureux ?
Hagrid se moucha, tout ému, avant de répondre avec un grand sourire :
— Aaah, c’est touchant de les voir ensemble, le petit bonhomme et sa belle dame. Vraiment, ils sont aussi attachés l’un à l’autre que deux hippogriffes dans un poulailler. Les géants sont très délicats pour faire leur cours, tu sais.
Ralph avait un peu de mal à suivre la conversation.
— Grawp ? C’est votre frère ? Et c’est un géant ?
— Bien sûr, dit Hagrid avec un sourire béat. Mais il est encore si jeune. Il ne fait même pas à cinq mètres de haut. Par contre, sa copine est de la tribu des Hauts-Sommets. Elle est immense, plus de six mètres Pas exactement mon genre de fille, bien sûr, mais Grawpou ne voit qu’elle. Ce n’est pas surprenant, puisque le premier geste qui indique une attirance entre deux géants est d’assommer l’autre avec un rondin. Pas à dire, elle a de la poigne. Il a fallu à Grawp quasiment toute la journée pour reprendre conscience. Bien sûr, depuis, il la regarde avec des yeux de merlan frit.
James hésita à poser la question, mais il connaissait déjà la réponse.
— Est-ce que Grawp a ramené sa copine ici avec lui ?
Hagrid le regarda d’un air de reproche.
— Bien entendu. Ici, c’est sa maison. Quand la période probatoire sera terminée, elle sera pour lui une épouse parfaite. D’ailleurs, elle s’est organisé dans les collines, au-delà des bois, une parfaite petite tanière. Et Grawp l’aide à se sentir à l’aise.
James essaya d’imaginer Grawp aidant une géante de six mètres à « se sentir à l’aise », mais son imagination n’y parvenait pas. Il secoua la tête, comme pour s’éclaircir les idées.
— J’ai entendu que ton père venait à Poudlard la semaine prochaine pour une réunion, dit Hagrid, tandis que tous trois passaient sous le porche ombreux des portes principales. Pour rencontrer les pingouins de l’autre berge.
James s’étonna un peu de la formulation de Hagrid.
— Quelque chose comme ça.
— Aaah, ça va être un vrai plaisir de voir ton père revenir prendre le thé avec moi, comme dans l’ancien temps. Bien sûr, cette fois, il n’aura plus besoin de le faire en cachette. Est-ce que je t’ai raconté la fois ou ton père, Ron et Hermione, m’ont aidé à sauver Norbert ?
— Pas plus d’une centaine de fois, Hagrid, répondit James en riant. (En même temps, il poussait les portes de la Grande Salle pour y entrer.) Mais ce n’est pas grave, à chaque version, plusieurs détails diffèrent.
Plus tard, alors que le dîner était presque terminé, James se rapprocha de Hagrid, espérant avoir avec lui une conversation privée.
— Hagrid, puis-je vous poser une… question officielle, en quelque sorte ?
— Bien sûr que tu peux. Je ne suis pas certain de connaître la réponse, mais je ferai de mon mieux.
En regardant autour de lui, James vit Ralph assis à la table des Serpentard, près du groupe de Tabitha Corsica. La fille parlait d’un ton sérieux, son joli visage éclairé par la lueur des chandelles. Au-dessus d’elle, le ciel du plafond magique s’assombrissait, indiquant que la nuit tombait.
— Est-ce que certaines personnes sont parfois envoyées dans une maison qui ne leur convient pas ? demanda James. Est-il possible que le choixpeau fasse une erreur ?
Hagrid se laissa lourdement tomber sur le banc le plus proche, qui grinça sous son poids.
— Je dois dire que je n’ai jamais entendu ça, durant toutes mes années à Poudlard, répondit-il. Parfois, certains élèves n’apprécient pas la maison où ils sont envoyés, mais ce n’est pas une erreur. C’est juste qu’ils ne se connaissent pas bien. De quoi t’inquiètes-tu, James ?
— Oh, ce n’est pas à moi que je pense, s’empressa de répondre James, qui détourna la tête de Ralph pour ne pas l’impliquer. C’était juste – une question d’ordre général, voilà.
Hagrid eut un sourire, puis envoya à James une bourrade qui le fit vaciller.
— Tu es bien comme ton père, tu sais. Lui aussi s’inquiétait toujours des autres, sans penser à veiller à ses propres problèmes. Avec ça, si tu ne fais pas attention, tu vas avoir des ennuis. Tout comme ton père. (Il se mit à rire, et le son évoquait des cailloux qui dégringolaient dans une avalanche. De toute évidence, sa réflexion lui apportait un grand plaisir.) Non, le choixpeau ne se trompe jamais. Tu verras, tout ira bien.
Mais alors que James retournait jusqu’à sa table, il croisa une fois de plus le regard de Ralph assis tristement chez les Serpentard. James soupira. Il n’était pas si certain que tout irait bien. Il avait toujours des doutes.