Chapitre 17 : Le retour de Merlin

 

 

À sa décharge, Mrs Gaze ne laissa pas les accusations du professeur Jackson influencer les soins qu’elle donna à James. Elle ausculta la fracture durant plusieurs minutes, puis replaça le bras en place, avant de le mettre dans une attelle. Elle asséna en même temps à James un sermon sec mais bien intentionné sur les dangers des blessures au Quidditch. D’après James, le ton de l’infirmière était un peu mécanique – elle avait déjà dû le répéter au moins cent fois. En réalité, Mrs Gaze pensait à autre chose, et James n’eut pas beaucoup de difficultés à deviner ce qui la préoccupait. L’intrusion de Martin Prescott dans le château avait provoqué une vague de bavardages et d’anxiété. Tout le monde savait qu’il était un journaliste moldu, et le fait qu’il réside dans les quartiers d’Alma Aleron ne faisait qu’alimenter les rumeurs. Un lourd malaise pesait sur l’école. L’annonce de la directrice quant à l’arrivée imminente d’une délégation officielle du ministère pour régler le problème n’avait en rien amélioré les choses. Tandis que Mrs Gaze mesurait la dose de Poussos à donner à James, il remarqua, à plusieurs reprises, qu’elle lui jetait des coups d’œil suspicieux. Quelqu’un avait bien aidé cet individu à pénétrer dans le château après tout. Pourquoi pas lui : un « première année », fils du directeur des Aurors ?

 

James savait que certains élèves – ceux qui croyaient aux mensonges du Mouvement du Progrès – le pensaient également coupable. Plus tôt dans la journée, il avait entendu une voix émerger d’un groupe d’élèves : « C’est un coup monté. Les Aurors cherchent à maintenir la Loi du Secret, non ? Ils prétendent que c’est pour nous protéger d’une éventuelle chasse aux sorciers de la part des Moldus. Alors qu’est-ce qu’ils font ? Ils permettent un journaliste de se faufiler à Poudlard, histoire de nous faire peur, de nous faire croire que des Moldus nous guettent derrière chaque arbre de la forêt, prêts à allumer nos bûchers. C’est grotesque. Pourquoi ne pas laisser ce journaliste écrire son histoire ? Ça remettrait tous ces ronds-de-cuir du ministère à leur place ! »

 

   Voilà, dit tout à coup Mrs Gaze en se redressant, j’ai terminé. Tu vas ressentir cette nuit quelques douleurs et des démangeaisons. C’est normal, ce sont tes os qui se remettent en place. Ne touche pas à ton attelle. Si ton os repousse de travers, il faudra le recasser, et je t’assure que ce ne serait pas une opération agréable. Maintenant… (Elle agita la main vers la rangée de lits,) choisis celui que tu veux. Je te ferai apporter un petit déjeuner demain matin. Autant t’installer confortablement.

 

James jeta son sac à dos sur l’une des tables de chevet, et monta dans un lit bien plus haut que la normale. Il s’y trouva à son aise – ce qui était logique, vu que les matelas de l’infirmerie avec tous subis un Charme de Relaxation. Malheureusement, le sortilège n’agissait pas sur le moral de James, toujours malade de frustration et d’angoisse. Le professeur Jackson avait admis que la nuit à venir serait d’une importance cruciale. Il ne s’agissait plus d’une simple spéculation. Et voilà que James se retrouvait coincé pour la nuit à l’infirmerie. Tout ça à cause de l’interprétation que le professeur Jackson avait donnée à l’infirmière des instructions de la directrice McGonagall. Se retrouvant seul pour la première fois depuis le désastre du balai, James ressentit le plein impact de ce qui s’était passé sur le terrain de Quidditch. Depuis le début, le plan avait paru hasardeux, mais pas plus que celui pour échanger le sac du professeur Jackson. Et la première fois, le culot avait marché. D’ailleurs, depuis le début, tout se déroulait comme un mécanisme bien huilé. Et maintenant, James avait la sensation d’avoir heurté un mur de briques, bloquant au dernier moment leur progression. D’accord, la robe de Merlin pouvait être considérée comme la plus puissante des trois reliques. Mais à l’heure actuelle, Corsica, Jackson, et Delacroix s’apprêtaient à réunir les trois objets, sans savoir que la robe manquait. Les comploteurs possédaient cependant deux des reliques.

 

Malgré son angoisse, James commença à s’endormir, sans doute à cause du Charme de Relaxation. Et tout à coup, il se rassit dans son lit, le cœur battant. Que se passerait-il quand Jackson ouvrirait son sac, et découvrirait à l’intérieur la cape de soirée de Ralph au lieu de la robe de Merlin ? Le Visum-Ineptio serait brisé sans doute. Jackson verrait alors qu’il ne s’agissait pas de son sac. Il reconnaîtrait celui qu’il avait vu aux mains de James et de Zane, se souviendrait de cet épisode en classe de Technomancie, et comprendrait ce qui s’était passé. Si le professeur avait cru que les trois garçons avaient échoué – et il avait même fait allusion à cette tentative « ratée » en ramenant James ce soir, jusqu’à l’infirmerie – il comprendrait alors la vérité : Ils n’avaient pas échoué. Jackson était intelligent. Il saurait immédiatement lequel des trois conservait la relique. Ni Zane, ni Ralph, mais James lui-même. Celui qu’il n’avait pas encore « situé ». Que ferait Jackson alors ? Reviendrait-il jusqu’à l’infirmerie pour réclamer la relique ? Non, pensa James, à peine l’hypothèse née dans son esprit, Jackson agirait autrement. Il en était certain. Le professeur irait jusqu’à sa chambre, dans le dortoir des garçons de Gryffondor, et ouvrirait sa malle. Il prétendrait sans doute y chercher des indices pour innocenter James, prouver que ce n’était pas lui qui avait aidé l’intrus moldu à pénétrer dans Poudlard. Jackson réussirait sans doute à briser le Sortilège du Verrou. Il récupérerait la robe. Et tout ce que James, Ralph, Zane, et les Gremlins avaient risqué serait en vain. Tout serait terminé, et il n’y avait rien que James puisse faire pour l’en empêcher.

 

Frustré, James envoya un coup de poing dans sa table de chevet. Mrs Gaze, assise derrière son bureau, poussa un cri étranglé, et mit sa main sur sa poitrine. Elle regarda James sans dire un mot. James prétendit ne pas la remarquer.

 

Son sac s’était ouvert quand il avait heurté la table. Il le prit, le posa sur ses genoux, et en sortit ses parchemins, son encre et sa plume. Il savait que, en temps normal, Mrs Gaze n’était pas du genre à autoriser un patient à utiliser de l’encre dans un lit aux beaux draps propres, mais elle était presque certaine de surveiller ce soir un élève potentiellement dangereux. Elle préférait, de toute évidence, ne pas le provoquer. James se pencha sur son parchemin et écrivit rapidement – et maladroitement, parce que son bras droit était immobilisé. Il ne remarqua même pas que son encre coulait sur le parchemin.

 

 

Cher papa,

 

Je suis désolé d’avoir pris la carte M et la cape I. Je sais bien que je n’aurais pas dû, mais j’en avais besoin, et j’ai pensé que tu aurais fait pareil à mon âge. J’espère que tu n’es pas trop fâché. Avec maman, je n’ai aucune chance, alors essaye de lui dire un mot pour moi.

 

Je t’écris ce soir parce que j’ai découvert quelque chose de très grave à l’école. Certains des professeurs américains sont dedans, mais pas Franklyn. Il est cool. Le MP d’ici est aussi impliqué. Je ne veux pas trop en dire dans une lettre, mais même si tu m’en veux, j’ai besoin que tu viennes. Pourrais-tu être là demain ? Miss Saccarine dit que tu es occupé à une mission importante que tu ne peux pas à interrompre, mais j’espère que tu viendras quand même. C’est vraiment très important. J’ai besoin de toi.

 

Bisous,

 

James

 

James déplia son parchemin, et l’attacha avec un brin de ficelle, puis il remit le tout dans son sac à dos. Deux minutes après, il sortait son canard Weasley. Il y avait toujours écrit : « Lingerie » depuis que Zane s’en était servi. James reprit sa plume, barra le mot, et écrivit en dessous : « Infirmerie – envoyez Aristo fenêtre est ». Quand il eut terminé, il pressa le canard qui couina :

 

   Coin-coin. Sombre andouille !

 

Dans son coin, Mrs Gaze sursauta une fois de plus, et le foudroya d’un regard accusateur. Élève potentiellement dangereux ou pas, elle pensait de toute évidence que le comportement de James était inadmissible.

 

   Désolé, madame, dit James, en levant son canard. Ce n’est pas moi. C’est mon canard.

 

   Je vois, dit-elle, d’un ton lourd de désapprobation. Peut-être est-ce le moment pour moi de me retirer pour la nuit. J’espère que tu n’as besoin de rien ?

 

   Non, madame, dit James en secouant la tête. Merci. Je n’ai plus mal au bras.

 

   Ne le remue pas trop. Comme je te l’ai dit, tout ira bien demain matin.

 

Elle se leva, passa rapidement devant James, et se dirigea vers les portes vitrées qui fermaient l’infirmerie. On voyait à travers deux silhouettes, et James savait qu’il s’agissait de Philia Goyle et Kevin Murdock, tous les deux envoyés par le professeur Jackson pour surveiller les portes. Mrs Gaze libérale le verrou, souhaita bonne nuit aux deux sentinelles, puis referma la porte derrière elle – à clé. James poussa un soupir de frustration, puis il fit un bond dans son lit quand son canard en plastique couina une insulte à son oreille. Il vérifia, et vit une nouvelle ligne apparaître sous la sienne en lettres noires : « Ouvre fenêtre dans 10 minutes »

 

James se sentit mieux. Il n’avait pas été certain que Ralph ou Zane serait à même de lui répondre. En fait, il ignorait complètement ce qui leur était arrivé, ainsi qu’au reste des Gremlins. Il espérait seulement qu’aucun des autres n’avait été pris. La position de Ralph, abandonné tout seul dans le vestiaire des Serpentard, était probablement la pire. Malgré tout, James était pratiquement certain que Ralph s’en était sorti. Après que la foule ait remarqué sa sortie des vestiaires sur le balai de Tabitha, l’attention générale avait dû rester braquée sur lui. Plus tard, Tabitha avait rappelé son balai, avec James encore dessus. Ralph avait probablement profité du tumulte et de l’agitation pour sortir discrètement des vestiaires, et retourner dans la cabane, avec les autres Gremlins.

 

James compta les minutes sur la grande horloge du bureau de Mrs Gaze. Le temps lui semblait interminable. Il mourait d’envie de se lever avant le délai imparti, et d’ouvrir la fenêtre. Mais si Mrs Gaze revenait et le voyait planté devant une fenêtre ouverte, elle soupçonnerait quelque chose, même si James se trouvait à huit mètres du sol. Finalement, l’heure du rendez-vous approcha, il était 20:15. James sauta de son lit, récupéra sa lettre dans son sac à dos, et courut sans bruit jusqu’à la fenêtre la plus éloignée, sur la droite. Le loquet s’ouvrit facilement. James respira à pleins poumons l’air froid et humide de la nuit. Le ciel avait fini par s’éclaircir, révélant une multitude d’étoiles brillantes. Aucun signe d’Aristo. James se pencha, cherchant à voir le long des murs, et tout à coup, une silhouette énorme bondit dans sa direction, lui cachant les étoiles. Quelque chose tomba lourdement sur lui, James fut arraché de la fenêtre avant même de pouvoir appeler à l’aide.

 

James était si oppressé qu’il n’avait plus assez de souffle pour parler. En dessous de lui, une voix gronda dans un chuchotement rauque :

 

   Pas si fort, tu vas lui recasser tous les os !

 

James fut sidéré de reconnaître la voix de Zane. La main qui le serrait se détendit un peu, et James réalisa qu’il s’agissait de Prechka, qui le fit descendre le long du mur vers le sol.

 

   Bravo, Prechka, dit Zane, en tapotant le tibia de la géante.

 

Elle répondit par un grognement aimable, puis déposa James par terre, entre ses énormes pieds.

 

   Je pensais que tu devais simplement m’envoyer Aristo, grogna James, en se relevant.

 

   C’est une idée de Ted, dit Ralph, émergeant d’un buisson, dans l’obscurité. Il a prétendu que tu voudrais quitter l’infirmerie, surtout ce soir, pour assister à la fin de cette affaire de Merlin. Il est allé chercher Grawp dès que Jackson t’a emmené. Et Grawp a rameuté Prechka, qui est assez grande pour atteindre les fenêtres de l’infirmerie. Nous étions en train de chercher une idée pour te faire approcher des fenêtres, au moment où tu nous as fait coin-coin. Tout a marché impeccablement bien.

 

   Oui, on peut dire ça, dit James, en se frottant les côtes du plat de la main. Heureusement que Prechka est gauchère, sinon j’aurais besoin d’une autre dose de Poussos pour mon bras. Elle a une sacrée poigne. Où est Ted ?

 

   Consigné dans la salle commune, avec le reste des Gremlins, répondit Zane, d’un ton placide. McGonagall a deviné qu’ils étaient impliqués dans l’histoire du balai, même sans pouvoir le prouver. D’ailleurs, elle aurait probablement laissé filer – elle a d’autres soucis ce soir, avec Mecreant et Saccarine – mais Jackson a insisté pour que tous les Gremlins soient consignés jusqu’à demain matin, après que l’histoire de Prescott ait été réglée. Ted a été envoyé dans la salle commune de Gryffondor dès qu’il est revenu de la forêt avec Grawp. Tout le monde y est, sauf Sabrina, qui a reçu de Corsica un Maléfice de l’Eléphant – elle a le nez aussi gros qu’un souafle. Rien à faire, sinon dormir, ça passe en quelques heures. Nous avons échappé à la punition générale parce que Jackson croit Ralph trop mou pour s’être impliqué dans l’histoire du balai. Quant à moi, bien sûr, j’ai un parfait alibi, étant resté au milieu du terrain tout du long. Alors nous voilà. Qu’est-ce qu’on fait, James ?

 

James regarda Zane et Ralph, puis Prechka, avant de prendre une profonde inspiration.

 

   Comme avant. Nous devons aller à la Caverne du Secret, et arrêter Jackson, Delacroix, et tous leurs autres complices. Nous avons encore besoin de récupérer le bâton de Merlin, si possible, mais plus important que tout, nous devons nous échapper pour pouvoir témoigner de ceux qui étaient impliqués.

 

   Compris, dit Ralph.

 

   Mais d’abord, dit James, en agitant la lettre qu’il avait écrite pour son père, je veux envoyer ceci. J’aurais dû le faire depuis des semaines, mais mieux vaut tard que jamais. Ted avait raison. Nous avons besoin d’aide. Si je n’avais pas demandé aux Gremlins de nous aider, je serais encore coincé là-haut, dans l’infirmerie.

 

   Si nous n’avions pas demandé au Gremlins de nous aider, tu n’y aurais pas été envoyé, marmonna Ralph, mais sans trop de conviction.

 

   Zane, dit James, en enfouissant sa lettre dans sa poche, à quelle heure doit se produire l’alignement des planètes ?

 

   À 21:55, répondit Zane. Nous n’avons qu’une heure et demie.

 

   Oui, acquiesça James. Retrouvez-moi dans un quart d’heure, à l’orée de la forêt, près du lac. Et amenez Prechka si elle est d’accord.

 

Zane leva les yeux sur l’énorme silhouette de la géante.

 

   Je ne pense pas qu’on pourrait s’en débarrasser, de toute façon. Ça l’amuse de nous aider.

 

   Tant mieux. Ralph, tu as ta baguette ?

 

Ralph sortit de la poche arrière son énorme et ridicule baguette. Le bout d’un vert criard luisait étrangement dans l’obscurité.

 

   Je ne m’en sépare jamais, dit-il.

 

   Tu as raison, garde-la à portée de la main. Ce soir, tu es de garde. Essaie de te souvenir de ce qu’on a appris en DFM, et sois prêt à tout moment. Bon, à tout à l’heure.

 

James se faufila dans l’obscurité du château, le long des couloirs, essayant d’avancer à la fois rapidement, et sans se faire voir, ce qui était plutôt difficile. Il arriva devant le portrait de la Grosse Dame au moment même où Steven Metzker en émergeait.

 

   James ? s’étonna Steven, en clignant des yeux. Qu’est-ce que tu fais là ? N’étais-tu pas censé être… (Il s’interrompit, puis regarda autour de lui.) Rentre vite avant qu’on te voie.

 

   Merci, Steven, dit James, en plongeant dans le trou.

 

   Je ne t’ai pas vu, répondit Steven. Ne me fais pas regretter ma décision.

 

   Regretter quoi ? Il ne s’est rien passé.

 

Steven disparut quand le portrait de la Grosse Dame se referma sur James.

 

Tout les Gremlins, sauf Sabrina, étaient devant la cheminée, plutôt agités et l’air morose Noah vit James, et se releva.

 

   Je vois que Prechka a trouvé notre héros.

 

Les autres se retournèrent, avec un grand sourire.

 

   Qu’est-ce que tu fais là ? demanda Ted, redevenant sérieux. Ralph et Zane sont partis te chercher. Il nous a fallu la moitié de la soirée pour tout réunir, après ce désastre sur le terrain de Quidditch, aussi tu n’as plus beaucoup de temps. Tu devrais déjà être parti vers l’île. Tu veux qu’on vienne avec toi ?

 

   Non, vous avez déjà assez d’ennuis. Je suis juste venu envoyer ceci, dit-il en tendant la lettre. (Ted eut un sourire approbateur en réalisant ce que c’était.) Je vais rejoindre Zane et Ralph dans dix minutes dans la forêt.

 

   Je veux venir aussi, dit Noah. Corsica a jeté une malédiction sur Sabrina. J’aimerais lui rendre son geste, avec intérêts.

 

James secoua la tête.

 

   Vous trois aurez ce soir un rôle différent, et tu auras peut-être l’occasion de jeter un ou deux sorts. Si Ralph, Zane et moi échouons, Jackson – ou quelqu’un d’autre – viendra ici pour récupérer la robe de Merlin. Vous devez la garder. Et si quelqu’un vient la chercher, arrêtez-le, à n’importe quel prix. Je suis désolé de vous demander ça, mais… c’est important.

 

Petra hocha la tête, et regarda Ted et Noah.

 

   Aucun problème. J’aimerais bien avoir une chance de jeter un sort sur ces gens-là, mais James, ce serait mieux que tu n’échoues pas.

 

James acquiesça. Puis il tourna les talons et remonta en courant l’escalier jusqu’au dortoir des garçons. La pièce était très sombre, mais il y avait une bougie allumée près de la porte menant à la petite salle de bain. Aristo n’avait jamais compris le principe de passer la nuit dans les volières du château. Il préférait la chambre de James, et dormait dans sa cage.

 

   Aristo, chuchota James d’un ton urgent, j’ai un message que tu dois apporter à mon père. Je sais qu’il est tard, mais c’est très important.

 

Le gros oiseau leva la tête qu’il avait cachée sous son aile, et fit claquer son bec, l’œil ensommeillé. Dès que James ouvrit la porte de la cage, Aristo sautilla jusqu’au bord de la table. Quand la lettre fut attachée à sa patte tendue, James ouvrit la fenêtre.

 

   Cette fois, quand tu reviendras, va dans la volière. Je suis content de t’avoir avec moi, mais tu vas me causer des ennuis, et en ce moment, je n’en ai vraiment pas besoin. D’accord ?

 

La chouette regarda James de ses énormes yeux insondables, puis sauta sur le rebord de la fenêtre. Dans un claquement d’ailes, Aristo plongea dans la nuit.

 

James s’apprêtait à redescendre des escaliers quand, du coin de l’œil, il remarqua la forme sombre de sa malle. Étrange, pensa-t-il, presque inconsciemment. N’avait-elle pas été déplacée ? Un frisson d’appréhension le parcourut. Peut-être Jackson s’était-il déjà emparé de la robe ? Peut-être avait-il vérifié son sac en cuir avant de se rendre dans la Caverne du Secret, juste pour s’assurer que tout allait bien, et alors, il avait découvert l’échange ? Mais les Gremlins, à l’étage en dessous, auraient dû le voir passer, à l’aller et au retour, non ? Peut-être pas. Comme James l’avait réalisé plus tôt, Jackson était intelligent. Peut-être s’était-il déguisé… ou peut-être avait-il demandé à Mme Delacroix d’utiliser ses dons de Projection Spectrale à Distance et d’envoyer un hologramme directement dans le dortoir pour récupérer la robe. Mais non, Ted s’était occupé des affaires de James après le désastre du Quidditch – sans doute aidé de Ralph et Zane – aussi le dortoir n’avait-il pas été déserté. Malgré son rendez-vous urgent, James eut besoin de s’assurer que tout était en ordre. Il s’accroupit devant sa malle et sortit sa baguette. Le verrou s’ouvrit à sa demande, et James fouilla rapidement à l’intérieur, pour atteindre le sac, tout au fond. Il était bien là, mais entrouvert. James poussa une exclamation étouffée, et mit la main à l’intérieur. Il sentit les plis du tissu épais rouler sous ses doigts, et huma même l’odeur entêtante de feuilles, de terre, et de vent, qui s’attardait dans la robe. Il poussa un long soupir de soulagement.

 

En examinant le contenu de sa malle ouverte, James se demanda s’il avait besoin de quelque chose pour l’aventure qui l’attendait cette nuit dans l’île. Il tourna la tête, et vit un tas de vêtements et d’affaires sur son lit. Après quelques secondes de réflexion, il décida d’emporter la Carte du Maraudeur et la cape d’invisibilité. Il referma sa malle, utilisa sa baguette pour jeter le Sortilège du Verrou, puis fourra ses affaires dans une sacoche en cuir que sa mère lui avait donné au début de l’année. Il regrettait d’avoir oublié son sac à dos sur sa table de chevet, à l’infirmerie. Il quitta la chambre, dévala les escaliers rapidement, et ne s’arrêta dans la salle commune que le temps de rappeler à Noah, Petra et Ted les pouvoirs particuliers que possédait Delacroix.

 

   Ne t’inquiète pas, dit Noah qui se releva d’un bond et avança vers les escaliers. Nous allons monter la garde à tour de rôle devant ta malle. Une heure chacun. D’accord, Ted ?

 

Ted acquiesça. Rassuré, James sortit de la salle commune, passa à travers le portrait, et se dépêcha pour ne pas être trop en retard à son rendez-vous avec Ralph et Zane.

 

 

Cinq minutes après, alors qu’il quittait la cour devant le château et s’élançait dans les jardins, James réalisa qu’il ne voyait rien dans l’obscurité. Ses yeux, encore troublés par la vive lumière de Poudlard, n’avaient pas eu le temps de s’adapter. Il réussit quand même à retrouver son chemin jusqu’à la pente qui descendait vers le lac. Peu après, il entendit un sifflement – que Zane devait considérer être le cri d’un oiseau. C’était sur sa gauche. Quand James se dirigea dans cette direction, il aperçut enfin la forme sombre de la géante à l’orée de la forêt. Ralph et Zane étaient à côté d’elle.

 

   C’est dément ! dit Zane avec un sourire. Comme dans un film de James Bond. Tu as apprécié ma technique ?

 

   Absolument, mentit James.

 

Le vent de la nuit souffla sur sa peau une caresse glacée. Il éprouvait une sensation très forte de peur et d’excitation. Cette fois, ça y était. Trop tard pour reculer. Déjà, on avait dû remarquer sa disparition de l’infirmerie. Le lendemain, il aurait sans doute des ennuis, mais si lui et ses deux copains échouaient cette nuit, la situation serait bien pire encore. James leva les yeux vers Prechka.

 

   Elle est d’accord pour qu’on monte sur son dos ? C’est la seule façon d’arriver à temps à la Caverne du Secret.

 

Prechka l’entendit. En réponse, elle se pencha, et la terre trembla quand ses lourds genoux heurtèrent le sol de la colline.

 

   Prechka aider, gronda la géante, en essayant d’assourdir le tonnerre de sa voix. Prechka porter petits hommes.

 

Elle eut un sourire. James remarqua que la tête de Prechka faisait presque sa taille à lui. C’était impressionnant. L’un après l’autre, Zane, Ralph et James montèrent sur la paume immense que la géante leur tendit, puis furent levés jusqu’à ses épaules – avec l’impression de monter sur un élévateur pour l’élagage des arbres. James eut besoin de l’aide des deux autres, parce que son bras en attelle le déséquilibrait. En plus, leur perchoir, sur les épaules noueuses et obliques de la géante, n’était pas très stable. Sans un mot, Prechka se dirigea vers les bois, bousculant sur son passage les plus hautes branches des arbres. De temps à autre, elle émettait un grondement en les repoussant comme de simples broussailles.

 

   Comment sait-elle où aller ? demanda James, d’une voix étouffée.

 

Ralph haussa les épaules.

 

   Grawp lui a expliqué. Je ne sais pas trop comment, mais les géants se comprennent entre eux. Ils se souviennent de tous les endroits où ils ont été, et savent y retourner. C’est sans doute comme ça qu’ils retrouvent leurs tanières respectives dans les montagnes. Je n’ai pas compris ce qu’ils se sont dits, mais Prechka paraît sûre du chemin à prendre.

 

Voyager sur le dos de Prechka ne ressemblait pas du tout à la même expérience avec Grawp. Si le géant s’était montré prudent et délicat, Prechka se balançait au rythme de ses pas lourds. Chaque fois qu’un de ses pieds touchait terre, un tremblement secouait les garçons. James avait la sensation d’être sur un gigantesque métronome et ambulant. De cette étrange perspective, la forêt paraissait différente. C’était comme avoir le ciel la portée de la main. Au bout d’un moment, James tira violemment sur la tunique de Prechka pour attirer son attention.

 

   Arrête-toi là, Prechka. Nous sommes tout près et, si possible, je ne veux pas qu’ils nous entendent arriver.

 

Prechka tendit la main, et s’appuya contre un énorme chêne au tronc tordu. Lentement, elle s’accroupit, et aida les garçons à descendre de ses épaules, le long de son bras, jusqu’au sol.

 

   Attends ici, Prechka, dit James dans l’oreille de la géante.

 

Elle hocha la tête, en silence, le visage grave, puis elle se redressa. James espéra qu’elle avait compris, et serait plus sérieuse que Grawp durant sa garde. Le géant, l’an passé, quand il avait emmené jusqu’ici James et Zane, n’avait tenu que quelques minutes, avant de s’écarter pour chercher de la nourriture.

 

   Par là, dit Zane en désignant la direction du doigt.

 

James aperçut entre les arbres le miroitement de l’eau sous le clair de lune. Aussi silencieusement que possible, les trois garçons se faufilèrent à travers les troncs et des buissons. En quelques minutes, ils émergèrent à l’orée de la forêt, devant le lac. Ils virent, à quelques pas de là, l’île de la Caverne du Secret, au bout du pont. Sur l’île, la construction ressemblait à une monstrueuse cathédrale gothique, ayant atteint ses proportions les plus énormes pour la nuit fatidique. Le dragon, bien visible, ouvrait ses mâchoires de bois, à la fois accueillantes et menaçantes. James entendit Ralph déglutir. Toujours en silence, les trois garçons avancèrent vers le pont.

 

Au moment où ils y arrivaient, la lune émergea complètement de derrière les nuages. La Caverne du Secret apparut pleinement dans cette lueur argentée. Rien n’indiquait plus la sauvagerie mauvaise qui avait autrefois agité la flore de l’île. La tête de dragon s’ouvrait devant eux, comme une monstruosité délicatement sculptée dans le bois. Au fond de sa gorge, les lianes et la vigne vierge qui recouvraient les grandes portes paraissaient aussi solides et décorées que du fer forgé. James n’eut aucune peine à déchiffrer le poème inscrit sur les panneaux.

 

   C’est fermé, chuchota Zane, avec espoir. Tu crois que c’est bon signe ?

 

   Je ne sais pas, répondit James, en secouant la tête. Allez, on y va, peut-être pourrons-nous entrer.

 

En file indienne, les trois garçons traversèrent prudemment le pont. James, qui ouvrait la marche, vit la mâchoire supérieure s’ouvrir davantage quand ils arrivèrent devant la porte. Il n’y eut cette fois aucun craquement. Tout paraissait silencieux, bien huilé, presque préparé. Mais les portes restaient closes. James, machinalement, esquissa le geste de prendre sa baguette, puis il s’immobilisa avec un gémissement de douleur. Il avait oublié son attelle, et son bras cassé.

 

   Ralph, c’est à toi de le faire cette fois, dit James, en s’écartant sur la droite, pour faire passer Ralph devant lui. Je ne peux pas utiliser ma main droite, et c’est celle dont je me sers pour ma baguette. De plus, c’est toi le génie en sortilège.

 

   Qu-qu’est-ce que je d-dois faire ? bafouilla Ralph, qui sortit sa baguette.

 

   Utilise un sortilège de déverrouillage.

 

   Attends un peu ! s’exclama Zane, la main tendue. La dernière fois qu’on a essayé, on a failli terminer comme engrais. Tu t’en souviens ?

 

   Ce n’était pas pareil, affirma James. L’île n’était pas prête. Mais cette nuit, elle nous attend. Je pense. Cette fois, elle nous laissera entrer. De plus, Ralph est vraiment doué. Si quelqu’un peut ouvrir cette porte, c’est lui.

 

Zane fit une grimace sceptique, mais sans rien répliquer. Il s’écarta d’un pas, pour laisser à Ralph de la place. Ralph pointa sa baguette vers les portes d’un geste nerveux – sa mains tremblait. Il se racla la gorge.

 

   J’ai oublié ce qu’il faut dire ! dit-il.

 

   Alohomora, chuchota James. Avec un accent tonique sur la seconde la quatrième syllabe. Tu l’as fait des centaines de fois. Ne t’inquiète pas.

 

Ralph se raidit, essayant d’empêcher son bras de trembler. Il prit une profonde inspiration, et d’une voix inquiète, lança le sortilège.

 

Immédiatement, les lianes qui bloquaient la porte se détendirent. Les lettres du poème disparurent, une par une, tandis que le bois des panneaux se resserrait. Après quelques secondes, ils s’ouvrirent sans le moindre bruit.

 

Ralph tourna la tête vers James et Zane, les yeux écarquillés et inquiets.

 

   Je crois que ça a marché.

 

   Bravo, Ralph, dit Zane, en avançant.

 

Les trois garçons firent quelques pas prudents à l’intérieur, dans l’obscurité.

 

La Caverne du Secret était une sorte de grotte circulaire et quasiment vide, entourée par des arbres qui avaient poussés comme des piliers, supportant un épais plafond voûté, tressé de branche et de feuillages. Le sol à l’entrée de la caverne était de pierre, avec des marches qui descendaient jusqu’au centre, en contrebas. Et là, un cercle lumineux était délimité dans la terre moussue par un rayon de lune provenant d’un trou au plafond, au centre de la voûte. Le trône de Merlin était posé dans ce cercle. Et devant, sa forme noire silhouettée par la lune, le dos tourné aux trois garçons, se tenait Mme Delacroix.

 

James avait si peur que ses jambes tremblaient. Il était figé sur place. Il sentit vaguement la main de Ralph lui saisir le bras, et l’attirer dans l’ombre, derrière un des troncs-piliers. Il vacilla, retrouva l’équilibre, puis se dissimula à côté de Ralph et Zane. Prudemment, les yeux écarquillés, le cœur battant, James sortit la tête pour regarder.

 

Delacroix n’avait pas bougé. Elle leur tournait toujours le dos. Et elle fixait le trône de Merlin comme tétanisée. Le « trône » n’avait rien de royal, c’était un simple siège rustique, en bois poli avec un haut dossier, plutôt étroit. D’un travail plus délicat que James ne l’aurait cru, l’ensemble était formé de souples branches entremêlées. Les seules parties solides étaient le siège, et le centre du dossier. En fait, on avait l’impression que le trône avait poussé naturellement, sans être assemblé par des mains humaines – un peu comme la Caverne du Secret elle-même. Il n’y avait personne d’autre, du moins apparemment. De toute évidence, Delacroix était arrivée la première. James se demandait depuis combien de temps elle attendait plantée là, debout, sans bouger, comme hypnotisée par le trône.

 

Soudain, un bruit de pas retentit derrière eux, sur le pont aux mâchoires de dragon. James retint sa respiration et sentit, à côté de lui, Ralph et Zane se coller davantage contre le pilier, cherchant à se fondre dans les buissons qui délimitaient la grotte.

 

La voix d’homme murmura une incantation dans un langage que James ne reconnut pas. C’était à la fois magnifique et terrifiant. À nouveau, les portes magiques s’ouvrirent, puis les pas claquèrent sur les marches de pierre. Le professeur Jackson apparut, et se dirigea d’un pas résolu au centre de la Caverne du Secret, derrière Mme Delacroix.

 

   P’ofesseur Jackson, dit Delacroix. (Sa voix à l’accent marqué renvoya des échos dans la caverne de pierre.) Vous êtes tellement p’évisible que ça en devient lassant.

 

Elle ne s’était toujours pas retournée.

 

   Vous aussi, madame. Vous êtes en avance.

 

   Je tenais à savou’er ce moment, Theodo’e. Je l’ai attendu du’ant si longtemps. Je se’ais tentée de di’e « t’op longtemps » si je c’oyais au destin et à la chance. Mais ce n’est pas le cas, bien entendu. C’est ainsi que tout a été p’og’ammé. J’ai fait ce que je devais fai’e. Et vous aussi, avez tenu le ‘ôle que vous étiez destiné à teni’.

 

   Le croyez-vous réellement, madame ? s’enquit Jackson, qui s’était arrêté plusieurs pas derrière Delacroix. (James remarqua que Jackson tenait sa baguette d’hickory à la main.) Cela m’étonnerait. Comme vous, je ne crois pas beaucoup au destin, ni à la chance, ni au sort. Je crois au libre arbitre.

 

   Ce que vous c’oyez et sans impo’tance, Theodo’e, à pa’ti’ du moment où vot’e lib’e a’bit’e vous pousse dans la bonne di’ection.

 

   J’ai la robe, dit Jackson d’un ton sec, en cessant de prétendre tenir une conversation normale. Je l’ai toujours eue. Vous ne me la prendrez pas. Je suis ici pour y veiller. Je suis ici pour vous arrêter, madame, malgré tous vos efforts pour m’écarter.

 

James faillit pousser un cri. Il mit sa main sur sa bouche, pour s’en empêcher. Jackson était ici pour arrêter Delacroix ? Mais comment… ? James en eut des suées froides. Près de lui, Ralph murmura de façon presque inaudible :

 

   Tu as entendu ce…

 

   Chut ! fit aussitôt Zane. Ecoute !

 

Delacroix produisait un son étrange, légèrement rythmique, ses épaules tressautant légèrement. James réalisa qu’elle riait

 

   Mon che’, t’ès che’ Theodo’e, je n’ai jamais essayé de vous éca’ter. Au cont’ai’e. En vé’ité, si je n’avais pas p’étendu m’opposer à vot’e p’ésence dans cette délégation, vous n’au’iez pas choisi de veni’. Mais vot’e entêtement et vot’e natu’e suspicieuse étaient mes meilleu’s alliés. Et j’avais besoin de vous, p’ofesseu’. J’avais besoin de la ‘elique que vous possédiez, et que vous c’oyez avoi’ si vaillamment p’otégée.

 

Jackson se raidit.

 

   Me croyez-vous assez stupide pour avoir emporté la robe avec moi ce soir ? Vous êtes encore plus arrogante que je ne le croyais. Non, la robe est à l’abri. Je l’ai entourée des meilleurs sortilèges, charmes, et protections qui soient. Et je le sais, c’est moi qui les ai créés. Vous ne la retrouverez jamais, j’en suis bien certain.

 

Mais Delacroix ne fit que rire plus fort. Elle ne s’était toujours pas retournée. La lumière de la lune qui brillait sur le trône sembla devenir plus vive encore, et James réalisa que l’alignement des planètes devait y jouer un rôle. Tout se mettait en place. Bientôt, s’ouvrirait le couloir de traversée des anciens.

 

   Oh, p’ofesseu’, vot’e confiance en vous est admi’able. Avec des ennemis comme vous, mon t’iomphe devient enco’e plus savou’eux. Mais pou’ qui me p’enez-vous ? Je savais, depuis le début, que vous ga’diez la ‘obe de Me’lin dans ce sac que vous t’anspo’tez toujou’s avec vous. N’avez-vous jamais pensé que j’avais tout p’épa’é afin que la ‘obe me soit appo’tée ici même ce soi’ ? Je n’ai même pas eu besoin de lever le petit doigt, et pou’tant, un de mes assistants s’en est cha’gé pou’ moi.

 

James eut soudain un horrible pressentiment. Il se souvint de ce jour ancien, pendant le cours de Défense contre les Forces du Mal, quand Jackson avait suivi le professeur Franklyn dans la classe, pour lui parler à mi-voix. Mme Delacroix était apparue à l’embrasure de la porte, pour dire à Jackson que ses élèves l’attendaient. Et James, qui avait baissé les yeux au même moment, avait vu le sac de Jackson s’ouvrir comme par magie. Était-il possible que Mme Delacroix l’ait provoqué, juste pour titiller la curiosité de James ? Avait-elle essayé de le manipuler ? Il se souvint que Zane et Ralph avaient affirmé, depuis le début, que l’échange avait été trop facile. Bien trop facile. Il frissonna.

 

   James, dit Ralph en chuchotant d’un ton inquiet, tu n’as pas apporté la robe avec toi ce soir ?

 

   Bien sûr que non, répondit James. Je ne suis pas fou.

 

Zane, très agité, dut lutter pour garder sa voix aussi silencieuse que possible.

 

   Qu’est-ce que tu as dans ta sacoche ?

 

James était secoué d’un mélange de terreur et de colère.

 

   La Carte du Maraudeur et ma cape d’invisibilité.

 

Ralph tendit la main, et la serra sur l’épaule de James pour le tourner vers lui, face-à-face. L’expression de son visage était horrible.

 

   James, tu n’as pas la cape d’invisibilité, dit-il d’une voix rauque, presque cassée. C’est moi qui l’ai. Tu me l’as laissée dans les stands de Serpentard, si tu te souviens bien. Je l’ai utilisée pour me sauver. Elle est dans ma malle, dans le dortoir des garçons de Serpentard.

 

Pétrifié, James se contenta de regarder Ralph. En dessous d’eux, au centre de la Caverne du Secret, Mme Delacroix continuait à ricaner. Tout à coup, sa voix éraillée s’éleva :

 

   Mr James Potte’, cria-t-elle, entre deux rires, veuillez nous rejoind’e. Avec vos amis, si vous le dési’ez.

 

James avait la sensation d’être transformé en pierre. Pas question qu’il descende, bien entendu. Il voulait courir. Il savait maintenant que la robe de Merlin se trouvait dans sa sacoche. Il avait été manipulé, ensorcelé, pour croire que la robe de Merlin était la cape d’invisibilité. Il devait s’enfuir. Et il ne le pouvait pas. Ralph le secoua, comme pour le réveiller. Zane, de l’autre côté, se redressa et sortit sa baguette.

 

   La reine vaudou se croit si intelligente, dit-il à voix haute, en émergeant du pilier, sa baguette en avant. Vous êtes juste affreuse et démoniaque. Stupefix !

 

James poussa un cri quand un éclair de lumière rouge émergea de la baguette de Zane. Le sortilège heurta Mme Delacroix en plein dans le dos, et James s’attendit à la voir s’écrouler, inconsciente. Mais elle ne bougea pas. En fait, James, les yeux écarquillés, vit le sortilège la traverser et heurter la terre, près du trône, avant de disparaître, sans conséquence. Delacroix riait toujours quand elle se tourna pour faire face à Zane.

 

   Aff’euse, v’aiment ? (Son rire cessa quand elle croisa le regard de Zane. Elle n’était ni aveugle ni vieille. En fait, il s’agissait de son hologramme, une version plus jeune d’elle-même.) Démoniaque, peut-êt’e, mais ce n’est qu’un passe-temps.

 

Le double de Mme Delacroix leva sa baguette, et Zane fut renversé. Il lâcha sa baguette, lévita et alla heurter plutôt brutalement un des troncs-piliers. Les pieds à près d’un mètre du sol, Zane resta collé au tronc, comme maintenu par un crochet.

 

   Si j’étais v’aiment démoniaque, je vous tue’ai, dit la sorcière avec un grand sourire. (Puis elle pivota, et pointa sa baguette vers l’endroit où James se cachait.) Mr Potte’, je vous en p’ie, il est inutile de che’cher à m’échapper. Après tout, dans cette affai’e, vous avez été d’une aide ce’taine. Veuillez amener avec vous Mr Deedle. Je suis sû’e que vous app’écie’ez le spectacle.

 

Jackson s’était retourné quand Zane était apparu, regardant l’exhibition avec un manque de surprise surprenant, la baguette toujours à la main, mais braquée vers le sol. Sans plus d’expression, il regarda James et Ralph se redresser et avancer d’un pas mécanique, comme des automates. Contre leur volonté, les deux garçons descendirent les marches, et approchèrent du centre de la grotte. Quand les yeux de Jackson croisèrent ceux de James, les épais sourcils broussailleux du professeur étaient froncés et furieux.

 

   Potter, arrêtez-vous, dit-il calmement.

 

Il leva sa baguette et la pointa sur le sol devant les deux garçons. Ralph et James se figèrent, comme s’ils avaient les pieds collés par de la glu.

 

   Oh, Theodo’e, devons-nous v’aiment pe’d’e du temps ?

 

Delacroix poussa un soupir, tendit le bras vers le professeur, et agita les droits dans une figure compliquée. La baguette de Jackson fut éjectée de sa main, comme arrachée par un élastique. Il essaya de la récupérer, mais en vain, elle s’envola. Delacroix eut un autre geste, et la baguette se cassa en deux, encore suspendue en l’air. Le visage de Jackson ne changea pas, mais il laissa lentement retomber son bras, les yeux fixés sur les morceaux de sa baguette en hickory. Puis il se tourna et fit face à Delacroix, le visage livide de rage. Il avança vers elle. La main de Delacroix bougea très vite, plongeant dans les plis de sa robe, pour en sortir son horrible baguette tordue en cep de vigne.

 

   Je ne suis peut-êt’e qu’un holog’amme, dit-elle amusée, juste une rep’ésentation qui éme’ge de la poussiè’e de cet end’oit, mais je vous assu’e, Theodo’e, que je ‘este aussi puissante que la ‘éelle ve’sion de moi-même. Ne me poussez pas à vous détrui’e.

 

Jackson s’immobilisa, le visage toujours convulsé.

 

   Il n’est pas question que je vous laisse accomplir votre but, madame. Vous le savez.

 

   Oh, mais il est déjà t’op ta’d, ricana-t-elle avec une joie mauvaise.

 

Elle pointa sa baguette sur Jackson, et l’agita. Une horrible lueur orange en émergea et heurta le professeur qui fut propulsé en arrière. Il atterrit violemment sur les plus hautes marches de pierre et poussa un grognement de douleur. Quand il essaya de se relever, Delacroix secoua la tête.

 

   Toujou’s à jouer au hé’os, dit-elle avec dédain, avant de lancer un autre sortilège.

 

À nouveau, Jackson fut heurté de plein fouet. Il s’écrasa contre les piliers-troncs qui délimitaient la caverne et s’écroula, inconscient.

 

   Et maintenant, dit la sorcière, pointant négligemment sa baguette en direction de James et Ralph, venez ici.

 

Les deux garçons furent soulevés du sol, et transportés au bas des marches. Ils retombèrent maladroitement sur leurs pieds, sur la mousse qui tapissait le sol de la grotte, juste devant l’hologramme de Mme Delacroix. Ses yeux perçants étaient vert émeraude.

 

   Donnez-moi la ‘obe. Et vite. Je n’ai pas l’intention de vous fai’e mal, mais je ne vous le demande’ai pas une deuxième fois.

 

La sacoche de James glissa de son épaule, et heurta le sol à ses pieds. Il baissa les yeux, à la fois troublé, et incapable de réagir.

 

   Merci, dit Delacroix, qui agita sa baguette.

 

James tomba à genoux, comme si un poids énorme venait d’acquérir sur ses épaules. Sa main, sans qu’il le veuille, plongea dans la sacoche, prit la robe, et la sortit. Ralph essaya de l’en empêcher, mais il semblait bloqué sur place, incapable de bouger sa main de plus de quelques centimètres.

 

   Non, James !

 

   Je ne peux pas m’en empêcher, répondit James, effondré.

 

Les yeux avides de Delacroix lancèrent des étincelles de joie. Elle tendit la main, et récupéra délicatement la robe que James lui tendait.

 

   Je ne vois v’aiment pas l’inté’êt du lib’e a’bit’e, dit-elle, d’un air hautain.

 

   Vous ne gagnerez pas, dit James en colère. Vous n’avez pas toutes les reliques.

 

Delacroix quitta des yeux la robe, et croisa le regard de James avec une surprise polie.

 

   Vous c’oyez cela, Mr Potte’ ?

 

   Oui, dit James, en grinçant des dents. Nous n’avons pas récupéré le balai. Tabitha l’a toujours. Je ne suis même pas sûr qu’elle sache ce qu’il est, et je ne pense pas qu’elle vous l’apportera ce soir.

 

Il espérait avoir raison en prétendant ça. Il ne voyait pas le balai dans la grotte, et Tabitha n’y était pas non plus – à moins qu’elle ne soit cachée derrière un arbre, comme lui et ses copains l’avaient fait.

 

Delacroix se mit à rire. On aurait vraiment dit que James venait de faire une plaisanterie amusante au cours d’une soirée.

 

   Le bâton de Me’lin était pa’faitement caché, vous ne t’ouvez pas, Mr Potte’ ? Et Miss Co’sica a été pour moi une façon utile de détou’ner vot’e attention. En ‘éalité, Mr Potte’, vous n’avez jamais eu la moind’e chance de découv’ir la vé’ité. Voyez-vous, le balai de Miss Co’sica, malg’é ses ‘ema’quables p’op’iétés, n’était qu’un leu’’e. Non, tout comme la ‘obe, le bâton de Me’lin a t’ouvé ce soi’ une façon d’a’’iver jusqu’à moi, et cont’ai’ement à ce que vous c’oyez, je possède les t’ois ‘eliques. En fait, depuis le début, j’ai tout o’ganisé dans ce but.

 

La représentation – plutôt superbe, il faut bien le dire – de Mme Delacroix se tourna vers Ralph, et tendit la main.

 

   Mr Deedle, donnez-moi vot’e baguette.

 

   N-non ! protesta Ralph, d’une voix qui était presque un gémissement.

 

Il essaya de reculer.

 

   Mr Deedle, ne m’obligez pas à insister, dit Delacroix, qui leva vers lui sa propre baguette.

 

La main de Ralph eut un mouvement brusque, et plongea dans la poche arrière de sa robe. En tremblant, Ralph sortit sa baguette ridicule et bien trop grande. Pour la première fois, James réalisa ce qu’il voyait. Il ne s’agissait pas seulement d’un bois épais, étrange, et peint en vert à une extrémité. C’était le morceau d’un bâton autrefois bien plus grand, qui provenait du fond des âges. D’ailleurs, comment James ne s’était-il pas préoccupé plus tôt de la puissance incroyable de cette baguette ? Delacroix tendit la main, et plutôt délicatement, arracha le bâton de Merlin de la main de Ralph.

 

   Je n’ai pas eu envie de ‘isquer des ennuis en amenant moi-même un tel objet dans l’enceinte de l’école. Bien évidemment, quelqu’un au’ait pu ‘epé’er sa puissance magique, si je l’avais tenté. De ce fait, je me suis ar’’angée pou’ qu’on vous la vende, Mr Deedle, quand vous avez été au Chemin de T’ave’se avec votre cha’mant pè’e moldu. C’était moi, le vendeu’ ambulant que vous avez c’oisé ce jour-là. Sous un aut’e déguisement, bien entendu. J’espè’e que vous avez savou’é vot’e puissance avec cette baguette ? Étonnant, n’est-ce pas ? Oh, je suis désolée… ajouta-t-elle en se tournant vers Ralph, avec une empathie simulée. Vous pensiez peut-êt’e avoir un don ? Voyons, Mr Deedle, jamais la cave’ne ne vous au’ait pe’mis d’ent’er si vous ne lui aviez pas p’ésenté le bâton de Me’lin. En fait, c’est plutôt d’ôle, vous ne t’ouvez pas ? Vous c’oire un puissant sorcier, vous, un né-Moldu ! G’otesque.

 

À nouveau, elle éclata d’un rire mauvais, en regardant James et Ralph.

 

Puis elle se tourna, et très lentement, déposa les deux reliques sur le trône. James et Ralph se regardèrent, effondrés, puis James tenta de tourner la tête pour voir ce que devenait Zane, sans doute encore accroché à son tronc d’arbre. Mais l’obscurité était trop profonde, et il ne vit rien.

 

Mme Delacroix s’écarta du trône, et poussa un long soupir d’anticipation. Elle se mit entre Ralph et James, comme si les deux garçons étaient ses complices dans le complot.

 

   Voilà, tout est en place. J’en suis si heu’euse. Je dois dire que tout s’est a’’angé exactement comme je l’avais p’évu. Savou’ez le spectacle, mes jeunes amis. Le p’emier geste de Me’linus à son ‘etou’ se’a peut-êt’e de vous anéanti’, comment le sau’ais-je ? Mais peu importe, ça en en vaudra la peine, non ?

 

   Ça en vaudra certainement la peine si Merlin vous tue aussi, dit James, les dents serrées.

 

   Tant de violence, répondit Delacroix avec un sourire. Je ne m’étonne pas que vous ayez été un si bon auxiliaire.

 

La robe de Merlin avait été drapée sur le dossier du trône, comme si le sorcier allait se glisser dedans en apparaissant. Le morceau de son bâton était posé sur l’avant du siège. La lueur de la lune et des étoiles était devenue incroyablement brillante, comme un laser trouant l’obscurité pour illuminer le centre creusé dans le sol où étaient réunies les trois reliques. Elles semblaient faites d’argent, et scintillaient légèrement. L’heure était venue : le couloir de traversée des anciens était ouvert.

 

James entendit quelque chose. Il sut que Mme Delacroix et Ralph l’entendaient aussi. Tous les trois tournèrent la tête, cherchant la source de ce bruit. C’était un long murmure vibrant, qui semblait provenir de toutes les directions en même temps, à la fois lointain et incroyablement proche, presque comme une note de flûte renvoyée par un millier d’instruments éloignés. Le bruit se rapprochait. Quand Mme Delacroix leva les yeux, son visage était devenu un masque figé. Bien sûr, elle devait être ravie de la réussite de son plan, mais James aurait pu jurer aussi qu’elle avait peur, hologramme ou pas. Tout à coup, elle agrippa les épaules des deux garçons avec des doigts d’acier.

 

   Regardez ! Haleta-t-elle.

 

De curieuses fumerolles brumeuses se glissaient à travers les troncs-piliers de la grotte, portant avec eux le son musical. James regarda autour de lui, les mêmes fumerolles apparaissaient entre les branches du plafond voûté. Elles étaient aussi inconsistantes que de la fumée, mais avançaient vers un but précis, et de plus en plus vite. Tous ces filaments, comme des serpents de brume, ondulèrent vers le trône, où ils s’amassèrent. Ils se lovèrent les uns contre les autres, formant au début une vague silhouette à peine consistante, puis de plus en plus solide. Plusieurs barres horizontales apparurent au centre du trône. Avec un frisson involontaire, James réalisa qu’il s’agissait des côtes d’un squelette. Derrière, monta l’échine dorsale, vertèbre par vertèbre, puis apparurent le pelvis, les jambes, le crâne. C’était, comprit James, le fonctionnement au ralenti d’une réapparition après transplanage. Les atomes de Merlin se réunissaient, luttant contre une inertie qui avait duré plusieurs siècles. En temps normal, une réapparition produisait un bruit sonore, aujourd’hui éclaté dans cette vibration étrange qui augmentait aussi bien en volume qu’en puissance. On aurait presque cru à un cri humain.

 

   Hey, reine vaudou, cria une voix derrière James, provoquant un sursaut des trois spectateurs tétanisés. Prends ça !

 

Un énorme rondin de bois heurta Delacroix en plein sur la tête, et l’hologramme se dispersa instantanément en un nuage de poussière humide. Le Sortilège d’entrave qui avait immobilisé James et Ralph disparut. James se retourna, et vit Zane, le rondin encore levé au-dessus du désastre qu’était devenu Delacroix. Mais l’hologramme cherchait déjà à se reconstituer. Les épaules réapparaissaient de la poussière, et des vers immondes – ou de racines ? – rampaient sur le sol. Les mains de l’hologramme se levèrent vers sa gorge immatérielle, comme pour chercher un souffle inexistant.

 

   Elle m’a oublié dès que Merlin a commencé à apparaître, cria Zane qui garda son rondin sur l’épaule. En tombant de mon pilier, j’ai récupéré le truc le plus lourd que j’ai pu trouver. Reprenez la robe et le bâton !

 

Utilisant son rondin comme une batte de base-ball, Zane frappa l’épaule et le bras de Delacroix. À nouveau, l’apparition disparut dans un nuage poussiéreux.

 

James bondit en avant, et attrapa à pleine main la robe de Merlin, passant pour le faire à travers le spectre de l’enchanteur. Quand James tira, la robe résista, luttant pour rester en position. Plantant ses deux talons dans le sol humide, James tira aussi fort qu’il le pouvait. La robe se décolla enfin du trône, emportant avec elle une main squelettique. La forme de Merlin s’agrippa aux bras du siège en criant. Le bruit était assourdissant, à la fois aigu et sourd. Ralph intervint, et récupéra le bâton qui s’était allongé au fur et à mesure que la silhouette sur le trône devenait plus solide. Puis Ralph recula d’un pas, le bâton à la main. Il le leva au-dessus de sa tête.

 

L’hologramme de Mme Delacroix semblait écartelé entre le désir de se reconstituer et le besoin de remettre en place les reliques. Une main s’agita sauvagement en direction de Ralph, une autre s’accrocha à la robe que James tenait. Zane restait en position derrière l’apparition, son rondin levé. Il frappa une nouvelle fois, réduisant encore Mme Delacroix en poussière. Quand James vérifia ce qui se passait sur le trône de Merlin, il vit un squelette complètement reconstitué. Des muscles apparurent, fantomatiques encore, mais s’accrochant déjà aux os. Le spectacle était franchement horrible. La forme énorme, et comme pelée à vif, se tordait, et par endroit, se dissolvait à nouveau. Le cri qui accompagnait la réapparition de Merlin était devenu un hurlement sauvage.

 

Et tout à coup, de nulle part, un autre fantôme apparut. Il naquit dans l’obscurité, près des piliers de la Caverne du Secret, et approcha à toute vitesse. Il s’agissait de la dryade bleue – celle qui avait de terrifiants ongles violets. Mais quelque chose d’autre vibrait à l’intérieur, comme si la dryade n’était qu’un costume enfilé à la hâte. Une nouvelle voix se joignit au tumulte qui émergeait du corps encore incomplet de Merlin.

 

Maître ! Non ! Je ne manquerai pas à mon serment. Votre temps est enfin revenu, après cette si longue attente.

 

Le fantôme se transforma, rejetant complètement la dryade, et devint des serres noires et énormes. Elles plongèrent en même temps sur James et Ralph, récupérant la robe et le bâton, avant de repousser les deux garçons qui tombèrent à la renverse sur les marches de pierre. Les serres remirent les reliques en place sur le trône, puis se rétractèrent et tombèrent, comme fatiguées, sur le sol moussu.

 

Sur le trône, le squelette frissonna violemment, avant de recommencer à se former. Cette fois, l’apparition sembla accélérer son processus. Il y eut plus de muscles pour recouvrir les os, couche après couche. Des organes apparurent à l’intérieur de la poitrine, de l’abdomen, puis tout un réseau de veines et d’artères. Le corps désormais remplissait la robe, qui se drapa autour de lui, avant que la peau n’apparaisse, d’abord sous forme de rosée, puis une fine membrane qui épaissit, devenant bronzée et burinée. Des doigts noueux se refermèrent sur le bâton – qui avait repris toute sa taille, 1 m 80. Le bout durci heurta doucement le sol. Sur toute la longueur du bois, il y avait désormais des runes creusées, qui renvoyaient une lueur verdâtre. Le tumulte qui avait accompagné le retour de Merlin s’était transformé en un long sifflement continu. Quand le sorcier n’eut plus de souffle, il jeta la tête en arrière, les tendons de sa gorge aussi raides que des filins d’acier. Après un long moment, il inspira profondément et, pour la première fois depuis plus d’un millier d’années, il laissa le souffle de la nuit gonfler ses poumons. Ensuite seulement, il redressa la tête.

 

Maître ! Cria une voix spectrale.

 

Quand James quitta des yeux l’enchanteur assis sur le trône, il fut surpris de voir que les serres s’étaient transformées en un petit fantôme, à peine visible. Il haletait, et son crâne chauve luisait dans la clarté de la lune, devenu presque opalescente.

 

Vous êtes de retour ! Ma tâche est accomplie ! Je vais être libéré !

 

   Je suis de retour, oui, gronda la voix de Merlin. (Son visage était aussi dur que de la pierre, et ses yeux fixés sur le fantôme n’exprimaient rien de bon.) Mais quel est ce temps où je suis revenu, Austramaddux ?

 

L-le monde est prêt pour vous, maître ! Bafouilla le fantôme, d’une voix aiguë et terrifiée. Je… j’ai attendu le moment parfait pour vous rappeler. L’équilibre entre les mondes magique et non magique est menacé, et vous n’aurez qu’à tendre la main, maître ! Le temps… votre heure est venu !

 

De toute évidence peu impressionné, Merlin se contenta de fixer le fantôme.

 

Pitié, maître ! hurla Austramaddux en tombant à genoux. Il y a des siècles que j’attends, que je veille. Mon devoir… a été bien pire que ce que j’attendais. J’ai attendu aussi longtemps que possible. J’ai simplement un peu accéléré le processus. J’ai trouvé une femme, maître. Son âme s’est ouverte à moi, nous partagions le même objectif, aussi je l’ai… aidée et encouragée. Mais juste un peu. Un tout petit peu. Elle sera votre muse !

 

Le regard de Merlin quitta le fantôme d’Austramaddux pour se poser sur l’hologramme de Mme Delacroix, pratiquement reconstitué à présent. La sorcière, elle aussi, tomba à genoux, et sa voix, en émergeant de sa gorge fragilisée, paraissait rauque et cassée :

 

   Je suis vote se ‘vante, Merlinus. Je vous ai ‘appelé pour que vous accomplissiez vote destin. Vous allez écraser la vermine moldue, et diriger le monde magique. Nous vous attendions. Nous sommes pets. Le monde est mû’ pou’ vote gouverne.

 

   Cette misérable marionnette poussiéreuse est censée être ma muse ? dit Merlin, d’une voix basse mais aussi vibrante que le tonnerre dans son intensité. Voyons ce qu’elle est réellement, et non le masque qu’elle porte.

 

Delacroix se redressa. Elle voulut parler, mais rien n’émergea de sa bouche. Sa mâchoire s’agita, de façon mécanique, et tout à coup, un son effrayant en émergea. Les mains de l’hologramme se levèrent, comme des serres pour se refermer sa gorge, puis y creuser. Des lambeaux de chair et de poussière jaillirent. Le cou enfla comme celui d’un crapaud buffle. L’hologramme se pencha en deux, comme pour vomir. Les yeux de Merlin lançaient sur l’apparition des étincelles féroces, et son bâton brillait légèrement, chaque rune baignée dans un halo interne. Finalement, l’hologramme de Mme Delacroix fut secoué de spasmes secs, sa mâchoire s’ouvrit, bien au-delà de la normalité. Quelque chose émergea de la bouche béante et tomba sur le sol, devant Merlin. L’hologramme disparut en un tas de poussière. Tous les yeux étaient braqués sur ce qui restait sur le sol, une chose immonde et gesticulant. C’était la véritable Mme Delacroix, rappelée à travers le vecteur de son hologramme de la cachette lointaine où elle se croyait en sécurité. Elle semblait souffrir, et se tordait sur le sol. Son corps était maigre et osseux, ses yeux aveugles et vitreux clignaient en direction du plafond.

 

   Austramaddux, tu m’as rappelé dans une époque sans intérêt, tonna Merlin.

 

Sa voix remplit la caverne d’un rugissement sonore. Il quitta des yeux la silhouette pathétique de Mme Delacroix, et à nouveau, les braqua sur le fantôme qui gémissait.

 

   Les arbres se sont réveillés pour moi, continua l’enchanteur, mais leurs voix sont presque éteintes. La terre dort depuis des siècles. Tu m’as rappelé pour ton bénéfice personnel, dans un but égoïste. Tu étais déjà un mauvais serviteur quand j’ai accepté de t’employer comme assistant, mais c’est seulement au jour de mon retour que je réalise l’ampleur de mon erreur. Tu es renvoyé. Disparais.

 

Merlin releva sa main libre et la tendit, paume en avant, en direction du fantôme. Austramaddux pâlit davantage, et recula, en levant les mains comme pour repousser un coup.

 

Non ! Non, je vous ai été fidèle ! Pitié ! Ne me renvoyez pas ! J’ai rempli ma tache ! Je vous ai été fidèle ! Nooon…

 

Le dernier mot s’étira, montant comme un hurlement sur toute la gamme que le fantôme était capable d’atteindre. Pendant un bref moment, il redevint la dryade bleue et tordit ses longs bras d’un geste désespéré, puis il se recroquevilla. Horrifié, James réalisa qu’Austramaddux avait pris la même forme que le poing fermé de Merlin, comme si l’enchanteur étouffait peu à peu le fantôme. Le dernier mot d’Austramaddux mourut dans un gémissement d’horreur, et il ne resta de lui qu’un point lumineux. D’un geste, Merlin ouvrit les doigts et les agita. Tout disparut, l’écho du dernier cri du fantôme résonnant encore dans la grotte.

 

Et soudain, comme si Merlin les remarquait pour la première fois, il tourna son attention vers les trois garçons, immobiles. James fit un pas en avant – sans trop savoir ce qu’il comptait faire, mais certain, au fond du cœur, qu’il devait réagir. À nouveau, Merlin leva la main, en direction de James cette fois. James eut la sensation que son univers devenait un cocon de plus en plus sombre. Il se débattit, essaya de crier, mais en vain. Il avait autant de chances de lutter contre la puissance de Merlin qu’un moucheron d’échapper à la tornade. Autour de lui, l’espace se resserra, comme un tunnel. Tout au bout, il ne voyait plus que la main dressée de l’enchanteur, qui le poussait vers l’inconscience. Au centre de cette paume, James vit aussi un œil, aussi dur et bleu qu’un glaçon. L’œil se ferma, et la voix de Merlin prononça un mot – un seul mot : « Dors ! »

 

James perdit conscience, tandis que le mot résonnait encore dans le néant où il sombra.