Chapitre 13 : La balise noire

 

Le même soir, après le dîner, James, Ralph et Zane se précipitèrent dans le dortoir de Gryffondor. En chemin, James s’arrêta un moment en remarquant qu’une femme, à l’arrière-plan d’un tableau de paysannes occupées à traire des vaches grotesquement obèses, le regardait fixement. James étudia la sorcière, grande est plutôt affreuse, vêtue d’une bure de nonne, avant de lui demander le motif de son attention. Elle ne répondit pas, et très vite, à Ralph et Zane s’impatientèrent. Chacun d’eux prit un bras de James et l’entraîna loin du tableau. Une fois dans la chambre, les trois garçons se plantèrent devant la malle. James la déverrouilla, récupéra le sac de Jackson, et le posa sur son lit. Tous trois le fixèrent un moment.

 

   Tu crois qu’on l’ouvre ? demanda Ralph.

 

   Oui, acquiesça James. Nous devons être certains que c’est bien la robe de Merlin. Je n’ai pensé qu’à ça à toute la journée, à en devenir dingue. Et si je me suis trompé ? Si c’est le linge sale de Jackson ? Il est très capable de trimbaler ce sac juste pour faire l’intéressant, ou alors pour laisser les autres inventer des histoires sur ce qu’il y a dedans. Tu aurais vu sa tête, ce matin, quand il a cru nous avoir piégés, Zane et moi. Il était vraiment furieux.

 

Zane se laissa tomber sur le lit.

 

   Et si on n’arrive pas à l’ouvrir ?

 

   Ça m’étonnerait que le verrou soit bien solide, dit James. Il s’est ouvert tout seul, quand Jackson parlait avec Franklyn.

 

   Alors vas-y. (Ralph s’écarta d’un pas, pour laisser plus de place à James.) Essaye, et ouvre-le.

 

James approcha du sac, et souleva le loquet de cuivre. Il s’attendait à le trouver bloqué, à devoir tenter tous les sortilèges de déverrouillage et d’ouverture qu’ils avaient appris jusque-là. Au contraire, le loquet céda facilement, et les deux moitiés du sac s’écartèrent. Ce fut si facile, en fait, que James crut presque voir le sac s’ouvrir avant même qu’il ne le touche. Il se figea, et regarda les deux autres – qui paraissaient n’avoir rien remarqué d’anormal.

 

   Alors ? murmura Ralph.

 

Curieux, Zane se pencha pour regarder à l’intérieur du sac entrebâillé.

 

   On ne voit rien, dit Zane. C’est tout noir. Vas-y, James, continue. Après tout, tu es le plus concerné par cette histoire.

 

James agrippa les deux poignées et ouvrit complètement le sac, exposant le vêtement noir plié à l’intérieur. Un relent de renfermé émergea du sac – évoquant pour James l’intérieur d’une citrouille évidée, une semaine après Halloween. En regardant le tissu, James se souvint des paroles de Luna, le soir de Noël : autrefois, ça avait été le suaire d’un très ancien roi sorcier. Il frissonna.

 

   Alors ? s’enquit Zane. (Sa voix était basse, légèrement rauque.) Qu’est-ce que c’est ? Je ne vois toujours pas.

 

   Non, dit Ralph. N’y touche pas !

 

Mais c’était trop tard, James avait déjà plongé les deux mains dans le sac, pour en sortir la robe. Le tissu magique se déplia souplement. D’un noir mat, sans le moindre outrage du temps, la robe semblait immense. Ralph recula d’un bond quand James en laissa les lourds plis tomber sur le sol, à ses pieds. Quand tout émergea enfin du sac, James réalisa tenir entre ses mains un grand capuchon, avec un cordon doré au niveau de la gorge.

 

   Pas de doute, dit Zane qui hocha la tête, le visage pâle et très grave, c’est bien la cape de Merlin. Qu’allons-nous en faire ?

 

   Rien, dit fermement Ralph. Remets ce truc dans le sac, James. Ça me fiche la trouille. Je sens la magie qu’il y a dedans, pas vous ? Et je parie que Jackson y a rajouté un sortilège du bouclier, ou quelque chose du genre, pour le dissimuler, parce que sinon, tout le monde aurait remarqué son aura. Allez, James, range-le. Je ne veux pas y toucher.

 

   Attends, dit James, qui pensait à autre chose.

 

Tout comme Ralph, il sentait la magie de la robe, mais sans en avoir peur. Au contraire, il éprouvait une sensation de puissance… qui l’intriguait. L’odeur de la robe avait changé depuis que James l’avait sortie du sac. Le relent de renfermé avait disparu, il ne restait plus qu’une saine odeur de terreau, de feuilles mortes, de mousse après la pluie – un parfum d’aventure, de nature vierge et sauvage. En tenant la robe contre lui, James vibrait d’un sentiment étrange. Tout à coup, il sentit, au plus profond de son être, l’air de la chambre, remplissant l’espace avec une densité aussi solide que de l’eau, avant de plonger vers l’extérieur par les minuscules interstices de la fenêtre, en un jet de vapeur froide et éthérée. Sa perception prit de l’ampleur, James eut conscience du vent qui soufflait au-dehors, autour de la tour de Gryffondor. Comme une force vive, il tournoyait autour du cône pointu qui couronnait la tour, et sur les toits du château. James discerna quelques ardoises tombées, exposant les contreforts en bois. Vaguement, il se souvint des légendes pour les enfants sorciers, affirmant que Merlin communiquait avec la nature, et qu’elle lui obéissait, au doigt et à l’œil. James réalisait avoir été emporté par un pouvoir très ancien, libéré par la robe magique. Ses sens s’aiguisèrent, pris dans une spirale tourbillonnante. Le crépuscule tombait. Maintenant, James pressentait la présence des créatures nocturnes autour de lui, des souris qui trottinaient dans les combles, des chauves-souris qui volaient au radar dans la forêt, un ours qui hibernait au fond de sa caverne, plongé dans un sommeil sans rêve. Il sentait aussi les arbres et l’herbe, avec leurs racines enfouies tout au fond de la terre, s’accrochant à la vie malgré les froidures de l’hiver, en espérant le prochain printemps.

 

Si James était conscient de ce qui se passait autour de lui, de ce qu’il voyait, de ce qu’il ressentait, ses sens obéissaient à une volonté qui n’était pas la sienne. Il releva sur sa tête le capuchon. Bien trop grand, il lui couvrit les yeux et très vite, le reste de la robe glissa sur ses épaules, et l’engloutit. James entendit les cris terrifiés de Zane et Ralph, mais déjà, il s’éloignait d’eux, comme s’il fuyait dans un tunnel très profond, comme s’il s’endormait. Très vite, les deux autres disparurent.

 

James marchait. Les feuilles mortes craquaient sous ses pieds, nus et énormes, durcis de cals. Il inspira profondément, emplissant d’air pur sa poitrine – aussi large qu’une barrique. Il était dans un corps… gigantesque. Très musclé, avec des bras noueux où les tendons paraissaient des serpents lovés sous la peau, des jambes aussi solides et hautes que des troncs d’arbres. Sous ses pieds, la terre était tranquille, mais vivante. A chaque pas, les sensations remontaient, comme des messages. La vibration de la forêt trouvait en lui un écho, et lui rendait et ses forces. Mais bien moindres que ce qu’il en attendait. Le monde changeait, sans espoir de rémission. La nature se soumettait, perdait sa férocité sauvage, sa force brute. En même temps, son propre pouvoir s’affaiblissait. Il était encore le plus fort, certes, mais il y avait des trous noirs dans sa perception de la terre, la communion était moins intense, et le phénomène s’aggravait, lui arrachant ses forces, petit à petit. Le royaume des hommes s’était agrandi, il quadrillait la terre, ne laissant que de vague espace vierge. La loi sacrée de la polarité avait été rompue. Il était en colère. Il avait vécu des siècles durant dans le royaume des hommes, de plus en plus avides. Il les avait conseillés et aidés, toujours à prix d’or, bien sûr, mais sans jamais prévoir un tel résultat. Ses frères et sœurs du monde magique ne pouvaient l’aider. Ils avaient des pouvoirs trop loin des siens. Lui était un enchanteur des anciens temps. Ce qui le rendait puissant et différent était sa connexion avec la nature, avec la terre, mais aujourd’hui, ce lien sacré devenait également sa faiblesse. Aussi il marchait, fou de rage, et sur son passage, les arbres lui transmettaient des messages. Mais la voix des naïades et des dryades était faible. Leurs échos paraissaient troublés, brisés, divisés même.

 

Devant lui, révélé par la pleine lune, s’ouvrit une clairière, creusée comme un bol dans la terre. Il y descendit, et leva les yeux. Le ciel nocturne étincelait de vives étoiles qui teintaient la petite dépression d’une lueur livide. Son ombre s’étirait devant lui, aussi marquée qu’au soleil de midi. Il n’avait plus rien à faire dans ce monde. Il quitterait définitivement la société des hommes, et reviendrait plus tard, quand le monde serait différent, quand les circonstances auraient évolué, quand le temps serait mûr pour sa gouverne. Alors, il réapparaitrait dans toute sa gloire, réveillerait la terre, rendrait aux arbres leur pouvoir, leur esprit, et leur âme. Lui-même retrouverait, par la même occasion, l’intégralité de sa puissance. Ensuite seulement, il s’occuperait du reste du monde. Il attendrait des décennies, des siècles, peut-être même une éternité. C’était sans importance. Il ne pouvait supporter plus longtemps le monde qui l’entourait.

 

Il y eut un bruit de pas maladroits qui couraient dans la forêt. Puis quelqu’un d’autre apparut dans la clairière, près de lui. Il le détestait, mais ce soir, il en avait besoin. Aussi, il s’adressa à lui alors même que sa vision semblait se dissoudre, s’assombrir, disparaître.

 

    Préviens ceux qui viendront pour qu’ils restent vigilants. Garde à disposition mon vêtement, mon bâton, et mon siège. J’attendrai dans le couloir de traversée des anciens. Et quand le temps de mon retour viendra, dis-leur de se rassembler, avec mes reliques, aussi je saurai que mon heure est venue. Je t’ai choisi pour cette mission, Austramaddux, mon dernier apprenti, mais je n’ai pas confiance en toi. Je garde ton âme dans le creux de ma main. Tu es condamné jusqu’à ce que ta tâche soit accomplie. N’oublie pas le serment qui te lie à moi.

 

Dans l’obscurité qui tombait, une voix désincarnée répondit :

 

    Je n’oublierai pas mon serment, et je respecterai vos ordres, maître.

 

Il n’y eut aucune réponse. Il était parti. La robe vide retomba sur le sol. Le long bâton resta debout un moment, puis il bascula. Il fut ramassé par les mains éthérées d’Austramaddux, avant de heurter le rocher. Et soudain, tout disparut, l’obscurité ne laissait plus paraître la moindre lueur. L’univers, comme absorbé par un trou noir, plongea dans un tourbillon sans fin, vers le néant...

 

James eut du mal à ouvrir les yeux, et aussitôt, il haleta, cherchant l’air. Ses poumons étaient vides, comme s’ils n’avaient pas fonctionné depuis plusieurs minutes. Des mains l’attrapèrent, le secouèrent, arrachèrent le capuchon de sa tête, puis la robe de Merlin de ses épaules. James était si faible que ses jambes lâchèrent, il commença à s’écrouler. Maladroitement, Zane et Ralph le retinrent, et le couchèrent sur son lit.

 

   Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda James.

 

Il avait encore des difficultés à retrouver son souffle.

 

   C’est à toi de nous le dire ! s’écria Ralph, d’une voix aiguë et terrifiée.

 

Sans y mettre trop de forme, Zane repliait déjà la robe noire et la jetait dans le sac.

 

   Tu as mis ce truc sur ta tête, et pouf ! Plus rien. Si tu veux mon avis, c’était une idée complètement idiote.

 

   Je suis tombé dans les pommes ? demanda James, suffisamment remis pour se relever sur un coude.

 

   Non, dit Ralph, tu as disparu. Complètement. Pfut !

 

   C’est vrai, confirma Zane. (Il regardait James avec des yeux écarquillés de stupéfaction.) Tu as disparu pendant trois ou quatre bonnes minutes. Puis il est arrivé…

 

Suivant la direction du bras tendu de Zane, James remarqua, derrière son lit, la forme spectrale de Cédric Diggory. Le fantôme le regarda, puis haussa les épaules avec un sourire. Il semblait bien plus solide que les autres fois où James l’avait rencontré.

 

   Il est passé à travers le mur, continua Zane, comme s’il venait te voir. On a crié, Ralph et moi, comme des… hum – bref, on a crié. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs. C’est juste un fantôme, et il y a des fantômes dans la Grande Salle à chaque repas. Et c’est un professeur fantôme qui nous enseigne l’Histoire tous les mardis. Oui, je ne comprends pas trop pourquoi il nous a fait cet effet.

 

   Il nous a regardés, ajouta Ralph, et il a comme qui dirait… fondu. Et juste après, tu es revenu, au même endroit qu’avant, aussi livide une statue.

 

James tourna la tête et s’adressa au fantôme de Cédric.

 

   Qu’avez-vous fait ?

 

Quand Cédric ouvrit la bouche, il parla d’une voix hésitante et soigneusement articulée, qui semblait résonner dans la pièce comme si elle parvenait de très loin. James n’était pas certain qu’elle ait réellement un écho. Peut-être l’entendait-il directement dans sa tête.

 

Tu étais en danger. On m’a envoyé. J’ai vu ce qui se passait, aussi je suis allé te chercher.

 

   Mais qu’est-ce que c’était ? insista James.

 

Le souvenir de son expérience était encore flou, comme un rêve difficile à retenir. Il sentait simplement que c’était important, et qu’il retrouverait la mémoire quand le choc se serait dissipé.

 

Une balise noire. De la magie très puissante. Cela ouvre une porte entre deux dimensions, dans le but d’envoyer un message ou un secret à travers le temps et l’espace. Mais il est très difficile d’en mesurer la force magique. Et tu as failli disparaître.

 

James savait que c’était vrai. Il l’avait senti. À la fin, en sombrant dans l’obscurité, il avait eu la sensation de se perdre dans l’infini. Il avala une grosse boule dans sa gorge, et demanda :

 

   Je suis revenu comment ?

 

Je t’ai trouvé, dit simplement Cédric. J’ai plongé dans l’éther, où depuis ma mort, je passe la plupart de mon temps, et je t’ai trouvé. Mais de justesse, car tu étais déjà presque hors de portée. Je t’ai rattrapé, et je t’ai ramené avec moi.

 

   Cédric, dit James, merci de m’avoir sauvé.

 

Il était furieux contre lui-même d’avoir mis cette robe, et terrifié de ce qui aurait pu lui arriver.

 

Je te devais bien ça. J’ai une dette envers ton père. Lui aussi, une fois, il m’a ramené avec lui.

 

   Hey, dit James, le visage soudain illuminé. Tu parles, maintenant !

 

Quand Cédric sourit, ce fut l’expression la plus sincère que James ait jamais vue sur son visage.

 

Je me sens… différent. Plus fort. Plus… présent, en quelque sorte.

 

   Attends, dit Ralph, en levant une main. C’est le fantôme dont tu nous as parlé, pas vrai ? Celui qui a poursuivi l’intrus dans le jardin, il y a quelques mois.

 

   Oh, oui, dit James. Zane, Ralph, voici Cédric Diggory. Cédric, ce sont mes amis. Dites-moi, qu’est-ce qui vous est arrivé au juste ? Pourquoi êtes-vous maintenant plus présent ?

 

À nouveau, Cédric haussa les épaules.

 

Pendant très longtemps, j’ai eu la sensation de rêver. Je me déplaçais, dans le château, mais tout était vide. Je n’avais jamais faim, jamais soif, jamais froid, jamais besoin de me reposer. Je savais être mort, mais rien d’autre. Tout était sombre et silencieux, il n’y avait rien à voir, ni jour, ni saison. Je n’avais pas conscience du temps. Puis, peu à peu, ça a changé.

 

Cédric avança, et s’assit sur le lit – sans que son corps marque la moindre dépression sur les couvertures. James, juste à côté, ressentit le courant d’air glacé qui émanait de la forme spectrale. Le fantôme continua :

 

De temps à autre, je me sentais plus conscient. J’ai commencé à voir des gens dans les couloirs, mais ils étaient de la fumée. Je ne pouvais pas les entendre. J’ai réalisé peu à peu que ces périodes d’activité correspondaient à l’heure de ma mort. Chaque nuit, je reprenais conscience. Et c’est devenu ma façon de suivre le temps qui passait, les minutes d’abord, puis les heures. En cherchant une horloge, j’ai trouvé celle devant la Grande Salle, aussi j’ai pu vérifier. Puis je suis devenu plus actif durant la nuit, mais le matin, je disparaissais. Jusqu’au jour où j’ai vu cet inconnu juste avant de partir.

 

James se redressa d’un bond pour s’asseoir dans son lit.

 

   L’intrus ?

 

Oui, dit Cédric, en hochant la tête. Je savais qu’il n’aurait pas dû se trouver là, et je savais aussi pouvoir me rendre visible. Je lui ai fait peur, et il s’est enfui.

 

À nouveau, Cédric sourit, et devant son expression, James retrouva le garçon gai et ouvert que son père avait autrefois connu.

 

   Mais il est revenu, continua James.

 

Le sourire de Cédric devint une grimace frustrée.

 

Oui, il est revenu. Je l’ai vu, et je lui ai fait peur à nouveau. J’ai commencé à le surveiller. Une nuit, je l’ai surpris à casser une fenêtre. J’étais devenu plus fort alors, et j’ai décidé qu’il fallait qu’un autre que moi prenne conscience de la présence d’un étranger dans le château. Aussi, je suis venu te chercher, James. Tu m’avais déjà rencontré, et je savais où te trouver. J’étais certain que tu m’aiderais.

 

   C’est la nuit où tu as cassé le vitrail et flanqué cet homme par la fenêtre, remarqua Zane avec un sourire. Mec, tu es un vrai Bruce Lee. Joli boulot.

 

   Qui est cet intrus ? demanda James.

 

Mais Cédric secoua la tête. Il ne savait pas.

 

   Il fait presque nuit, signala Ralph. Et pourtant, on peut vous voir. Je croyais que c’était votre heure la plus faible ?

 

Cédric sembla y réfléchir.

 

Maintenant, je deviens plus solide. Je suis toujours un fantôme, mais un fantôme plus solide. D’ailleurs, je peux aussi parler. Et je n’ai plus l’impression de me perdre dans le néant. J’ai repris conscience du temps qui passe. Je pense que tous les fantômes se transforment de la même façon.

 

   Mais pourquoi ? ne put s’empêcher de demander James. Pourquoi devenir un fantôme ? Pourquoi ne pas avoir simplement… je ne sais pas… continué pour passer de l’autre côté.

 

Quand Cédric l’étudia un moment, James comprit que le fantôme n’avait pas la réponse à cette question. Du moins, pas très clairement. Cédric secoua la tête.

 

Je n’avais pas terminé. Il me restait tant à découvrir. Tout m’est arrivé si vite, si brusquement. Je n’avais pas… terminé.

 

Ralph récupéra le sac du professeur Jackson, et le jeta dans la malle de James.

 

   Tu ne nous as pas dit où tu es allé en disparaissant, James, dit-il, avant de refermer la malle, pour s’asseoir dessus.

 

James prit une grande inspiration, et chercha à rassembler les souvenirs de son étrange aventure. Il décrivit sa première sensation, en tenant la robe de Merlin, quand il avait pris conscience de l’air, du vent, des animaux, et même des arbres. Puis il parla de la vision qu’il avait eue, dans le corps de Merlin, au centre même de ses pensées. Il frissonna en se souvenant de la colère, de l’amertume de l’enchanteur, de la voix de son serviteur, Austramaddux, renouvelant son serment de le servir jusqu’au jour de son retour. Tandis qu’il parlait, tout lui revenait en images vivaces. Il termina en décrivant l’obscurité où il s’était retrouvé, enfermé un cocon, perdu dans le néant.

 

Zane l’écouta avec un intérêt passionné.

 

   C’est logique, dit-il ensuite d’une voix lente, émerveillée.

 

   Quoi ? demanda James.

 

   C’est comme ça que Merlin a dû procéder. Tu ne vois pas ? Le professeur Jackson lui-même nous en a parlé le premier jour, en classe de Technomancie.

 

Plus Zane parlait, plus il s’excitait. Il avait les yeux écarquillés, et regardait tour à tour James, Ralph, et le fantôme de Cédric – toujours assis au bord du lit.

 

Ralph secoua la tête.

 

   J’ai rien compris à ce que tu as dit. D’ailleurs, cette année, moi je n’ai pas Technomancie.

 

   Dans ta vision, Merlin n’est pas mort, expliqua Zane d’une voix forte. Il a transplané.

 

James en resta éberlué.

 

   Et alors ? N’importe quel sorcier peut transplaner. Je ne vois pas ce qu’il y a de spécial.

 

   Mais rappelle-toi ce que Jackson nous a expliqué le premier jour. Le transplanage, pour celui qui l’exécute, paraît immédiat, même si ça prend quelques secondes en réalité pour rassembler ses atomes à un autre endroit. L’important est de déterminer, à l’avance, où et quand on doit réapparaître, d’accord ? Sinon, on reste coincé éternellement dans le néant.

 

   Oui, je sais, dit James

 

Il se souvenait du cours, mais ne comprenait toujours pas où Zane voulait en venir.

 

L’Américain vibrait littéralement d’excitation.

 

   Merlin n’a pas prévu de réapparaître à un autre endroit, mais à un autre moment, dit-il, l’air intense. Il a transplané à travers le temps, où il attend pour revenir les circonstances particulières qu’il a prévues.

 

D’abord Ralph et James en restèrent sans voix, puis ils étudièrent cette hypothèse nouvelle. Zane continua :

 

   A la fin de ta vision, Merlin rappelle à Austramaddux de veiller sur les reliques, jusqu’au moment voulu. Et alors seulement, il faudra les réunir dans le couloir de traversée des anciens. Tu vois ? Merlin a préparé son retour. Ce que tu as décrit à la fin, James, c’est Merlin qui transplanait et se dissolvait dans le néant. (Zane s’interrompit, le front plissé de concentration.) Durant tous ces siècles, il est simplement resté suspendu dans le temps, coincé dans le néant – euh, nulle part, en attendant le bon moment. Mais pour lui, le temps n’a pas passé du tout.

 

Ralph regarda la malle sur laquelle il était assis.

 

   Alors, c’est vrai, dit-il. Ils peuvent réellement le faire revenir. Ils ont tout préparé pour ça.

 

   Plus maintenant, remarqua James, avec un sourire épanoui. Nous avons récupéré la robe. Sans les trois reliques, les circonstances requises ne seront pas remplies. Ils ne pourront rien faire.

 

En entendant Zane leur expliquer son raisonnement, James en avait réalisé la parfaite logique, surtout dans le contexte de sa vision à travers la balise noire. Tout à coup, il devenait encore plus important d’avoir récupéré la robe, mais James ne pouvait s’empêcher d’être inquiet et de repenser aux extraordinaires circonstances qui avaient mené à leur réussite. Il y avait eu un peu trop de hasards chanceux ! D’abord, Ralph qui découvrait, juste à temps, un sac parfait pour l’échange ; ensuite, Zane qui réussissait un parfait sortilège de Visum-Ineptio. De plus en plus, James avait dans l’idée qu’une main inconnue les guidait tous les trois, pour les aider à empêcher le retour de Merlin. Mais qui donc était cet allié ?

 

James voulut en parler aux deux autres, mais Ralph et Zane discutaient avec animation de la disparition de Merlin.

 

   Au fait, dit James au fantôme de Cédric, qui vous a demandé de m’aider ? Qui vous a envoyé ?

 

Cédric s’était relevé, sa silhouette devenait moins visible. Il eut un sourire, et dit :

 

Je ne suis pas censé te donner son nom, mais je pense que tu finiras par le deviner. C’est quelqu’un qui te surveille.

 

Rogue, pensa James. C’est le portrait de Severus Rogue qui avait envoyé Cédric l’aider quand il s’était retrouvé coincé par la balise noire. Mais comment l’ancien directeur était-il au courant ?

 

Longtemps après que Zane et Ralph aient quitté James pour retourner dans leurs propres chambres, il y réfléchissait encore. Il resta réveillé des heures, plongé dans ses pensées, bien après que les autres Gryffondor soient remontés se coucher. Mais cette nuit-là, il ne trouva aucune réponse. Aussi, il finit par s’endormir.

 

 

Pendant plusieurs jours, après cette aventure, les trois garçons vécurent la routine habituelle de l’école perdus dans une sorte de brouillard triomphant. James laissait le sac de Jackson – avec la relique à l’intérieur – enfermé dans sa malle, protégé par le sortilège du verrou de Zane. Désormais assurés que le Visum-Ineptio était efficace, il ne craignait pas que quiconque cherche le vrai sac. Jackson continuait à transporter partout avec lui le sac éraflé du chasseur de pierres, avec la marque des bagages Hiram, aussi bien en classe que dans la Grande Salle. D’après son attitude, le professeur n’avait rien remarqué d’anormal. De plus, bien que Jackson ait passé les mois précédents à porter un sac noir et non rouge, personne ne semblait voir la moindre différence.

 

Un samedi après-midi, James, Ralph, et Zane se retrouvèrent dans la salle commune de Gryffondor pour discuter de la conduite à tenir.

 

   Il n’y a que deux questions à se poser, dit Zane, penché en avant sur la table où les trois garçons prétendaient travailler : Où est le couloir de traversée des anciens ? Et où est la troisième relique, le bâton de Merlin ?

 

   Pour le bâton, dit James en hochant la tête, j’y ai réfléchi. On a Mme Delacroix qui surveille et protège le trône. Le professeur Jackson était chargé de la robe. Donc, la troisième relique doit être aux mains du troisième complice. À mon avis, c’est quelqu’un d’ici, du château. Et si c’était le Serpentard qui a mis le nom d’Austramaddux sur la GameDeck de Ralph ? Pour l’avoir utilisé, il doit bien connaître le complot, non ? Et dans ce cas, il doit en faire partie.

 

   Mais on ignore qui c’est ! rappela Ralph. Je n’ai pas vu celui qui a pris ma console. Elle a juste disparu de mon sac. Et puis, le bâton de Merlin ne doit pas être facile à dissimuler. S’il est aussi grand que tu l’as vu dans ta vision, James, il doit faire au moins 1 m 80. Comment peut-on cacher un truc aussi grand et aussi magique sans que personne ne le remarque ?

 

   Je n’en ai pas la moindre idée, admit James, qui secouait la tête en parlant. Mais c’est à toi, Ralph, de surveiller les Serpentard. Comme le disait Ted, tu es notre espion.

 

Ralph se ratatina sur son siège. Quant à Zane, il griffonnait sur un morceau de parchemin.

 

   Et pour la première question ? demanda-t-il sans lever les yeux. Où est le Couloir de traversée des Anciens ?

 

Les deux autres se regardèrent, affichant le même air d’ignorance totale. Puis James dit :

 

   Aucune idée. Mais il y a une troisième question importante, et on doit y réfléchir.

 

   Comme si les deux premières n’étaient pas assez, marmonna Ralph.

 

Quand Zane leva les yeux, James remarqua un dessin de la Caverne du Secret sur le parchemin.

 

   C’est quoi, ta troisième question ? demanda l’Américain.

 

   Pourquoi n’ont-ils encore rien fait ? chuchota James. Ils avaient déjà les trois reliques, alors pourquoi n’ont-ils pas déjà été dans ce Couloir de Traversée – où qu’il soit – pour essayer de rappeler Merlin après ses douze siècles de transplanage ?

 

Aucun des trois garçons n’avait de réponse à proposer, mais tous admirent que c’était une question valable. Zane abandonna son dessin et retourna sa feuille, révélant des notes et diagrammes d’Arithmancie.

 

   J’ai un peu cherché dans la bibliothèque de Serdaigle, dit-il, mais ce n’est pas facile de trouver du temps libre en ce moment, entre les cours, le travail à faire, le Quidditch, les débats, et le Club des Constellations, je n’ai pas deux minutes à moi.

 

Ralph laissa tomber sa plume sur la table, et s’adossa à son siège, avant de s’étirer.

 

   Au fait, comment ça se passe dans ton club ? Tu es le seul à avoir des contacts réguliers avec Mme Delacroix ? Elle est comment ?

 

   Comme une vieille momie gitane qui respire encore, répondit Zane. En principe, elle partage les classes de Divination et le Club des Constellations avec Trelawney, mais comme ces deux-là ne se supportent pas, elles ont choisi intervenir une fois sur deux plutôt qu’être ensemble. Pour nous aussi, c’est beaucoup mieux, on perd moins de temps à les voir se contredire. Trelawney nous fait dessiner des symboles astrologiques et regarder les planètes au télescope pour « s’assurer de la bonne entente de nos frères et sœurs cosmiques » – comme elle dit.

 

James connaissait bien Sybil Trelawney – devenue, au cours des années, une amie de ses parents – aussi il eut un sourire en entendant Zane parler d’elle avec une affection amusée. Mais l’Américain continua :

 

   Par contre, Delacroix nous fait travailler dur. Elle veut qu’on mesure la distance entre les étoiles, qu’on les rapporte sur une carte millimétrée, qu’on étude leur couleur, leur aura, et autres, pour déterminer l’heure exacte d’un événement astrologique majeur qui doit arriver prochainement.

 

   Oh, fit James, en se souvenant d’une conversation sur une couverture, quelques mois plus tôt. L’alignement des planètes ! Ted et Petra m’en ont parlé. Eux aussi ont Divination avec Delacroix. Il paraît que la reine vaudou est très branchée dans ce genre de choses.

 

   Ce qui est sûr, grommela Zane, c’est qu’elle n’enseigne pas du tout comme Trelawney. Avec Delacroix, tout est précis, mathématique et calculé. Elle nous a donné la date de ce truc cosmique, mais elle veut absolument qu’on lui trouve l’heure exacte, à la minute près. C’est vraiment chercher la petite bête, non ? Elle y met un tel acharnement que ça devient pénible.

 

   Rien qu’à la voir, annonça Ralph, on devine qu’elle est pénible. Elle fiche la trouille.

 

   À mon avis, elle se méfie de nous, dit James à mi-voix. Parfois, j’ai la sensation qu’elle me regarde.

 

Zane grimaça, et posa le doigt sous son œil.

 

   Je te rappelle qu’elle est aveugle. Elle ne regarde rien du tout, mec.

 

   Je sais, dit James, qui refusait de se laisser convaincre. Mais je t’assure qu’elle se doute de quelque chose. Et, même aveugle, je sens qu’elle a d’autres moyens de savoir ce qui se passe autour d’elle.

 

   Pas besoin de s’inventer des problèmes, dit Ralph très vite. La situation est suffisamment grave comme ça. Elle ne peut rien savoir, James. Sinon, elle aurait déjà réagi. On n’a pas à s’inquiéter.

 

Le lendemain, James et Ralph allèrent rendre visite à Hagrid, dans sa cabane, ostensiblement pour prendre des nouvelles de Grawp et Prechka. Ils trouvèrent Hagrid occupé à reconstruire l’appentis que Prechka avait détruit accidentellement, et le demi-géant fut heureux de s’arrêter un moment. Il invita les deux garçons chez lui, et leur servit du thé et des biscuits, tout en se réchauffant devant l’âtre. Snob était couché à ses pieds, et de temps à autre, il léchait la main de son maître.

 

   Oh, ces deux-là ont toujours des hauts et des bas, dit Hagrid, comme si la parade nuptiale des géants, pour tumultueuse qu’elle soit, restait un mystère de la nature. Ils se sont battus un moment, pendant les vacances. Une querelle d’amoureux, au sujet d’une carcasse de daim. Grawp voulait la tête, mais Prechka tenait à garder les bois pour s’en faire un collier.

 

Ralph, qui soufflait sur son thé brûlant, releva la tête, sidéré.

 

   Un collier avec des bois de daim ?

 

   Oui, pour les géants, c’est aussi bien une arme qu’un trophée, dit Hagrid en levant ses mains énormes. D’accord, c’est bizarre comme concept, mais les géants utilisent le même mot pour « collier » et « arme ». Peut-être que leur sens est différent à six mètres de haut. Enfin, ce n’est pas grave, ils se sont réconciliés depuis. En ce moment, tout baigne.

 

   Elle vit toujours seule dans les collines, Hagrid ? demanda James.

 

   Bien sûr, dit Hagrid, en lui jetant un regard de reproche. C’est une fille honnête, cette petite Prechka. Et Grawp, eh bien, il passe la plupart de son temps actuellement dans sa tanière. Il a creusé une fosse pour le feu, et s’est fabriqué des culottes de cuir. Ces choses-là prennent du temps. Tu vois, l’amour, chez les géants, c’est plutôt… délicat.

 

Cette fois, Ralph s’étouffa avec son thé.

 

   Hey, Hagrid, dit James, changeant de sujet, vous avez vécu à Poudlard presque toute votre vie, non ? Vous devez savoir de nombreux secrets sur l’école, le château, et les environs.

 

Hagrid s’adossa dans son fauteuil.

 

   Bien sûr. Personne ne connaît les jardins de Poudlard aussi bien que moi. Et pour le château, il n’y a qu’Argus Rusard qui soit plus au courant. Je suis arrivé ici comme élève. C’était… il y a bien longtemps, avant même que ton grand-père soit né, James.

 

James savait qu’il devait être prudent.

 

   Oui, je sais. Hum – dites-moi, Hagrid, si quelqu’un voulait cacher un objet magique très puissant dans le château quelque part…

 

Hagrid cessa de caresser Snob et tourna vers James sa grosse tête barbue.

 

   James, mon garçon, tu n’es qu’un bébé de « première année », pourquoi voudrais-tu cacher un objet comme ça ?

 

   Oh, non, il ne s’agit pas de moi, Hagrid, répondit James très vite. C’est quelqu’un d’autre. Et, euh… je me posais juste la question.

 

Les yeux noirs du demi-géant eurent une étincelle amusée.

 

   Je vois. Et ce quelqu’un d’autre – je me demande bien ce qu’il manigance ! – cherche à cacher un objet magique quelque part au château ?

 

Pour se donner une contenance, Ralph préféra avaler son thé brûlant. Quant à James, il tourna la tête vers la fenêtre, cherchant à éviter le regard trop perçant qui scrutait son visage.

 

   Je disais ça comme ça, Hagrid. Je me demandais juste si c’était possible.

 

   Ah, je vois, dit Hagrid avec un petit sourire. Ton père t’a raconté des histoires au sujet du vieil Hagrid – ou alors c’est ton oncle Ron, ou ta tante Hermione, pas vrai ? D’accord, il m’est arrivé de trop parler, de donner des informations que j’aurais sans doute dû garder pour moi. Parfois, je suis un peu nouille, et je ne réfléchis pas assez. Je me souviens de mon chien Touffu, par exemple…

 

« (Hagrid étudia un moment le visage détourné de James, avant de pousser un grand soupir.) James, mon garçon, j’ai vieilli depuis lors, et je suis devenu plus sage. Bien sûr, je ne suis qu’un vieux lourdaud, mais quand même, je sais apprendre de mes erreurs. Tu sais, ton père m’a prévenu que tu risquais de faire des bêtises, et il m’a demandé de te garder à l’œil. Surtout après avoir remarqué que tu avais… emprunté sa cape d’invisibilité et la Carte du Maraudeur.

 

   Quoi ? s’écria James.

 

Il se tourna si rapidement vers Hagrid qu’il faillit en renverser son thé.

 

Les sourcils broussailleux du demi-géant se haussèrent.

 

   Oh, zut ! Je n’étais pas censé te le dire. Tu vois, une fois de plus, je parle trop. (Il plissa le front, mécontent, puis haussa les épaules.) En y réfléchissant, ton père ne m’a pas dit de ne pas le dire.

 

   Il sait ? bafouilla James. Déjà ?

 

   James… (Hagrid eut un rire bref.) Ton père dirige le Bureau des Aurors, au cas où tu l’aurais oublié. Je lui ai parlé la semaine dernière – ici même, dans mon feu. Ce qui l’intéressait surtout, c’était de savoir si la Carte du Maraudeur marchait encore depuis que le château a été reconstruit. D’ailleurs, il l’avait emmenée à Poudlard pour vérifier, mais il a oublié de le faire. Alors ? Tu l’as essayée ?

 

Trop impliqué dans son projet de récupérer la robe de Merlin, James avait complètement oublié la carte. D’un air boudeur, il admit ne pas l’avoir utilisée.

 

   Maintenant que ton père est au courant, c’est probablement aussi bien, tu sais, répondit Hagrid. Il n’est pas très content de ce que tu as fait. D’après ce que j’ai compris, il n’en a pas encore parlé à ta mère, mais tu le connais, il n’a jamais aucun secret pour elle. Alors, tu ferais aussi bien de garder tes larcins bien emballés dans ta malle plutôt que les cacher quelque part au château. Crois-moi, James, chercher à dissimuler des objets magiques qui ne vous appartiennent pas ne peut apporter que des ennuis.

 

En revenant au château, les deux garçons serraient contre eux leurs épais manteaux pour lutter contre le vent glacé. Ralph demanda à James :

 

   Qu’est-ce qu’il a voulu dire, avec cette carte qui ne marchait pas ? De quoi s’agit-il ?

 

James expliqua à Ralph le fonctionnement de la Carte du Maraudeur. Il était à la fois inquiet et mécontent que son père ait déjà découvert sa disparition, et celle de la cape d’invisibilité. Bien sûr, James savait que ce serait le cas, un jour ou l’autre, mais il pensait l’apprendre en recevant une Beuglante de ses parents, et non pas un sermon d’Hagrid.

 

Ralph fut passionné par le fonctionnement de la carte.

 

   Elle indique vraiment la présence et la localisation de tous ceux qui se trouvent au château ? Voilà qui pourrait nous être utile. Comment ça marche ?

 

   Il faut utiliser une phrase spéciale. Mon père m’en a parlé, il y a longtemps, mais je l’ai un peu oubliée. Il faudra essayer, un de ces jours. Pour le moment, je ne veux pas y penser.

 

A contrecœur, Ralph abandonna le sujet. Les deux garçons entrèrent au château par la porte principale, et se séparèrent au pied des escaliers, parce que Ralph descendait vers les caves où se trouvait la salle commune de Serpentard.

 

Il était déjà tard, et James se retrouva seul dans les couloirs. La nuit hivernale était brumeuse, le ciel sans étoiles. L’obscurité qui pesait contre les fenêtres semblait absorber toute la lumière des torches accrochées, à espace régulier, le long du mur. Il y avait une sorte de brouillard qui émergeait du sol. Etonné, James avança plus vite, en se demandant pourquoi, tout à coup, les couloirs étaient si sombres et déserts. Il n’était quand même pas si tard ! Pourtant, l’atmosphère autour de lui devenait immobile et glacée, comme l’air enfermé dans une crypte scellée depuis des siècles. James réalisa qu’il marchait de plus en plus vite, et que le couloir n’aurait pas dû être aussi long. Etrange qu’il n’ait pas déjà croisé la statue du cyclope, où il tournait à droite, vers l’escalier de la tour Gryffondor. James s’arrêta, et regarda derrière lui. Le couloir lui parut normal, et pourtant, il sentit que ce n’était pas le cas. Il était bien trop long. Des ombres apparaissaient, à des endroits bizarres, comme pour troubler sa perception. Et tout à coup, il vit toutes les torches du mur disparaître. Leur lumière spectrale était comme suspendue dans l’air, d’un jaune argenté d’où coulaient des larmes couleur de sang. James écarquilla les yeux, et tout à coup, tout s’effaça.

 

Il sentit la peur le saisir à la gorge de ses doigts glacés. Il se retourna, et faillit courir, mais ses pieds refusèrent d’obéir tandis que son cerveau luttait pour accepter ce qu’il voyait. Le couloir était toujours là, mais les piliers étaient devenus des troncs d’arbres ; les poutres, qui soutenaient le plafond voûté, se transformaient en branches et feuillages, et au-delà, il y avait le ciel, immense et infini. Et même le carrelage du sol se couvrait d’un lacis de racines et de feuilles mortes. Et alors même que James ouvrait grand les yeux, éberlué, l’école disparut bel et bien. Il se retrouva dans la forêt. Un vent glacé tourbillonna autour de lui, soulevant sa cape, caressant ses cheveux moites d’un souffle de mort. James reconnut l’endroit. Tout avait changé, bien sûr, parce que l’hiver avait succédé à l’automne. A son dernier passage, les feuilles étaient encore sur les arbres, les crapauds chantaient. James était au bord du lac, près de l’île de la Caverne du Secret. Les arbres gémirent, frottant leurs branches nues au gré des rafales, et le son ressemblait aux gémissements rauques d’un géant endormi, aux prises avec un cauchemar. James réalisa qu’à nouveau, il marchait, sortait du couvert des arbres, et arrivait à l’endroit où les racines délimitaient le bord de la rive. Une énorme masse noire s’élevait devant lui, bloquant la vue.

 

Mais comme James avançait encore, incapable tout à coup d’empêcher ses pieds de se mouvoir, la lune émergea des nuages. Et comme la première fois, l’île de la Caverne du Secret se révéla. La respiration de James se bloqua. L’île avait grandi. La forteresse secrète était devenue plus énorme encore – une monstruosité gothique, ornée de statues sinistres et de gargouilles ricanantes. Elle semblait s’être étendue en même temps que poussaient les arbres et les lianes de l’île. Le dragon ouvrait toujours sa gueule féroce pour former un pont. James s’arrêta juste devant, sans y poser le pied. Il se souvenait que ces mâchoires de bois et ces dents acérées avaient tenté de les dévorer, Zane et lui. Dans la vive clarté de la lune, James voyait les portes de la bâtisse, de l’autre côté du pont, et pouvait même lire les mots du poème. « Sous la lumière de Sulva, je trouverai la Caverne du Secret ». Et tout à coup, les portes frémirent et s’ouvrirent, révélant un gouffre obscur, béant comme une gorge. Du néant, une voix émergea, claire et magnifique, aussi limpide qu’une cloche :

 

   Gardien des reliques, dit la voix, ta tâche a été accomplie.

 

Tandis que James restait figé, le regard braqué au-delà du pont, une lueur naquit dans l’obscurité des portes ouvertes. Elle se condensa, se solidifia, et prit forme. James reconnut l’aura lumineuse d’une dryade, un esprit des bois attaché un seul arbre. Ce n’était pas celle que lui et Zane avait rencontrée la première fois. Au lieu d’émettre une lueur verte, celle-ci était bleue, et vibrait légèrement. La dryade avait des cheveux qui flottaient comme un ruisseau autour de sa tête. Les lèvres parfaites eurent un doux sourire, presque affectueux, et les immenses yeux liquides brillèrent.

 

   Tu as accompli ton rôle, dit-elle, d’une voix rêveuse et hypnotique, qui ressemblait à celle de la première dryade, avec un effet plus puissant. Tu ne dois pas garder la relique. Ce devoir ne t’appartient pas. Ramène-la-nous. Nous en sommes les gardiens. Nous en avons fait le vœu, depuis le premier jour. Libère-toi de ton fardeau. Ramène-nous la relique.

 

Quand James baissa les yeux, il réalisa que, sans même le vouloir, il avait fait un pas en avant et se trouvait sur le pont. Pourtant, le dragon ne l’avait pas englouti. En vérifiant, James vit au contraire que la mâchoire s’écartait, comme pour l’accueillir. Il y eut un craquement de bois à la jointure, là où les arbres morts se fendillaient sous l’effort.

 

   Ramène-nous la relique, répéta la dryade.

 

En un geste d’accueil, elle leva la main vers James, comme pour l’attirer. Elle avait des bras incroyablement longs, et ils s’étiraient encore à travers le pont. Les ongles étaient d’un bleu si profond qu’il en devenait violet. Ils étaient très longs, bizarrement acérés. Effrayé, James recula, et quitta le pont. Le regard de la dryade changea. Il devint dur, et plus brillant.

 

   Ramène-nous la relique, dit-elle une fois de plus. (Sa voix aussi était différente. Toute musique en avait disparu.) Elle n’est pas à toi. Son pouvoir te détruirait – et vous détruirait tous. Ramène-la-moi avant qu’elle ne cause ta perte. La relique détruit ceux dont elle n’a pas besoin, et tu lui es devenu inutile. Ramène-la-moi avant qu’elle ne décide de se choisir un autre vecteur. Ramène-la-moi pendant que tu le peux encore.

 

Cette fois, les longs bras avaient traversé le pont. James fut certain que, s’il tendait la main, il les toucherait. Il recula encore, se coinça le pied dans une racine, et perdit l’équilibre. Il tendit la main pour essayer de se raccrocher, en vain, et tomba sur quelque chose de dur. Quand il chercha à se relever, il réalisa qu’il s’agissait d’un mur de pierre. À un mètre au-dessus, une torche crépitait dans son support. James regarda autour de lui. Il était à nouveau dans le couloir de Poudlard. Tout paraissait normal – comme d’habitude – chaleureux, tranquille. James se demanda s’il était réellement parti. Une fois encore, son regard fouilla dans toutes les directions. Devant lui, à l’endroit habituel, il y avait la statue du cyclope. L’ambiance maléfique avait disparu. James réalisa qu’il avait sans doute vécu une nouvelle vision, comme la première. Il sentait encore le vent glacé de la forêt, enfoui dans les plis de sa cape. Quand il baissa les yeux, il vit de la boue sur ses chaussures, celle qu’on trouvait au bord du lac. Il frissonna, puis reprit sa route, et courut tout le reste du chemin, escaladant les marches deux à la fois, jusqu’à la salle commune de Gryffondor.

 

James était certain que… quelque chose voulait récupérer la robe de Merlin. Il ne savait pas exactement quoi ou qui. Heureusement, la relique se trouvait à l’abri dans le sac de Jackson, dans sa malle. Après ce qu’il avait expérimenté en touchant le tissu, James n’avait plus envie de ressortir la relique de sa malle, du moins pas avant de la remettre à son père, et aux autres Aurors, au moment voulu. Il avait le sentiment que c’était encore prématuré – mais ce serait pour bientôt. En attendant, James n’avait pas la moindre intention d’obéir à un fantôme suspect – esprit des bois ou pas. Avec cette décision fermement ancrée en lui, James monta l’escalier jusqu’au dortoir, et se prépara à se coucher. Pourtant, longtemps après s’être enfoui sous les couvertures, dans le souffle du vent derrière sa fenêtre, il entendait toujours le murmure de la voix qui l’implorait, encore et encore : « Ramène-nous la relique… Ramène-la pendant que tu le peux encore… » Cette voix le glaçait de terreur, et quand il s’endormit enfin, James rêva d’yeux merveilleux et hantés, et de trop longs bras aux mains fines et aux ongles violets acérés.

 

 

Le vendredi suivant, durant son cours de Botanique, James fut amusé de voir que Neville Londubat avait récupéré le pécher créé par Ralph en Métamorphose. Devenu plutôt encombrant, l’arbre était désormais dans l’une des serres.

 

   Dire qu’il provient d’une banane ! dit Neville à James après le cours.

 

   Oui. Et Ralph a été aussi surpris que nous tous en le voyant. Ralph est vraiment étonnant, mais il a du mal à accepter son pouvoir. D’après certains Serpentard, il doit y avoir de très puissants sorciers dans ses ancêtres. C’est possible, puisque Ralph ignore tout de sa mère.

 

   Les Serpentard ont toujours de drôles d’idées, dit Neville, avec une amertume qui ne lui ressemblait pas. Un né-Moldu peut être un sorcier aussi puissant que le rejeton d’une famille pur-sang. Certains préjudices ont vraiment la vie dure.

 

James étudiait le pêcher. L’arbre avait beaucoup grandi, bien que ses racines soient toujours accrochées à l’une des tables de la classe. Neville avait raison, bien sûr, mais James revoyait le visage de Ralph, et son expression horrifiée, le jour où il avait transformé la banane. Ralph n’en avait jamais parlé, mais James avait compris qu’un tel pouvoir l’effrayait.

 

Le lendemain, une nouvelle rencontre eut lieu sur le terrain de Quidditch : Gryffondor contre Serpentard. James était assis sur les gradins, avec les autres Gryffondor, mais aussi Zane et Sabrina Hildegarde. Ne voulant pas s’aliéner ses nouveaux amis Serpentard, Ralph avait pris place dans les gradins d’en face, sous le drapeau vert et argent. James croisa son regard, et agita la main. Ralph lui rendit son salut, mais discrètement, après s’être assuré que personne ne le verrait.

 

En dessous, sur le terrain, les deux capitaines discutaient avec Cabe Ridcully, qui (comme toujours) leur rappelait les règles, avant de les faire se serrer la main – des traditions auxquelles personne ne prêtait réellement attention. James regarda Justin Kennely et Tabitha Corsica accomplir le geste requis. Même de loin, James remarqua le sourire chaleureux qui animait le visage magnifique de la jeune sorcière. Puis les deux capitaines s’écartèrent, et retournèrent dans leurs propres stands, sous les gradins de leur maison, tandis que Ridcully restait seul avec le coffre des quatre ballons.

 

Zane mâchonnait avec enthousiasme un sac de pop-corn qu’il avait apporté, après avoir convaincu – Dieu sait comment – les elfes de maison d’en préparer pour lui.

 

   Le match devrait être excellent, dit-il, en examinant la foule enthousiaste assise sur les gradins.

 

   C’est toujours le cas quand Gryffondor et Serpentard se rencontrent, dit Sabrina, haussant la voix pour se faire entendre au milieu du tumulte. Autrefois, quand ma mère était à l’école, tout le monde détestait les Serpentard parce qu’ils étaient très mauvais joueurs. Ils avaient un gardien de but, Miles Bletchey, qui était aussi leur capitaine. Plus tard, durant quelques années, il a joué en ligue nationale avec les « Foudroyeurs de Thundelarra » avant de se faire jeter, et exclure définitivement, pour avoir ensorcelé son balai.

 

   Quoi ? s’exclama Zane. Comment peut-on ensorceler un balai ?

 

   C’est de la triche façon sorcier, dit James. Il suffit de faire un trou dans le bois du balai, et d’y glisser quelque chose de magique – un os de dragon, ou un crochet de basilic. En fait, ça transforme le balai en baguette magique. Le joueur peut l’utiliser pour jeter des sortilèges de Bouclier, ou des Expelliarmus, et pousser l’équipe opposée à perdre le souafle. C’est plutôt vicieux, comme truc.

 

Tandis qu’il parlait, l’équipe de Serpentard s’envolait, et faisait le tour du terrain, chaudement applaudie par les gradins d’en face. Damien, le commentateur officiel, était installé dans la tribune centrale. Il se toucha la gorge de sa baguette, puis sa voix résonna, haute et claire, dans l’air glacé de ce mois de janvier.

 

   Alors ? cria Zane à Sabrina, pour se faire entendre malgré le bruit. Aujourd’hui, c’est plus calme, non ? Personne ne déteste plus les Serpentard.

 

Effectivement, il y eut quelques (rares) applaudissements des autres maisons de l’école. Du côté de Gryffondor seulement, retentissaient des huées et des cris.

 

   Ils sont moins violents, mais ils pratiquent quand même une politique de jeu assez particulière. Ils ont un esprit de… groupe plutôt oppressant. Même si ça se voit moins qu’autrefois.

 

   Je vois ce que tu veux dire, admit Zane. Quand nous avons joué contre Serpentard, juste avant Noël, le match était tout ce qui il y a de plus normal. Ridcully n’est pas intervenu une seule fois. Et pourtant, les joueurs étaient un peu trop… je ne sais pas, trop précis. Soit ils ont vraiment de la chance sur un balai, soit ils ont passé un accord avec le diable.

 

James grinça des dents.

 

De l’autre côté du terrain, le professeur Horace Slughorn, bien enfoui dans un manteau de fourrure et une toque douillette, agita au bout d’un long bâton un petit drapeau Serpentard tout en hurlant, les joues toutes rouges, des encouragements à l’équipe de sa maison. Ralph était assis deux rangs en dessous, et il applaudissait aux moments voulus. James savait que Ralph, même s’il assistait à tous les matchs, ne s’intéressait pas vraiment au Quidditch. En fait, d’après James, c’était parce que Ralph ne savait pas trop à quelle équipe porter sa loyauté. Mais autour de lui ses amis, y compris Rufus Burton, applaudissaient à pleines mains, et hurlaient avec joie.

 

Jaillissant des stands en dessous, l’équipe de Gryffondor apparut à son tour sur le terrain, et autour de James, tous les spectateurs se dressèrent en hurlant. James fit comme eux, un grand sourire d’extase aux lèvres. Certain que son équipe allait gagner, il tapa des pieds, et hurla à jusqu’à s’en casser la voix. L’équipe fit le tour du terrain, en agitant les mains.

 

Une fois les deux équipes en position, Ridcully leur cria ses dernières instructions, puis il relâcha les ballons – deux cognards, un souafle et un vif d’or. Noah et Tom Squallus, les attrapeurs de chaque équipe, filèrent derrière le vif d’or, qui tournoya un moment autour des mâts de Serdaigle, avant de disparaître.

 

Presque immédiatement, la différence de jeu entre les deux équipes fut flagrante. Gryffondor jouait selon les règles, se basant sur le talent de chaque joueur et leur entraînement régulier. Malgré les hurlements de la foule, on entendait Justin Kennely crier des instructions, demander des formations, ou agiter les mains en des signaux convenus. Au contraire, les Serpentard semblaient pratiquer une chorégraphie gracieuse, presque éthérée, tout en parcourant l’espace en banc serré. Tabitha Corsica, de son balai, ne donnait aucun ordre, et pourtant ses joueurs réagissaient avec une précision parfaite. Ayant récupéré le souafle, Tabitha évita avec grâce un cognard lancé contre elle, avant de le jeter négligemment le ballon derrière son épaule. Il fut récupéré par un autre Serpentard, qui avait une trajectoire perpendiculaire, quelques mètres en dessous. Le nouveau-venu marqua un but avant même que le gardien de Gryffondor n’ait remarqué que Tabitha n’avait plus le souafle. Sur les gradins d’en face, les Serpentard se relevèrent pour applaudir. James gémit. Quant à Justin Kennely, il semblait prêt à taper du pied sur son balai, de rage et de frustration. Malgré tout, une heure plus tard, le score était de 130 vs140 en faveur de Gryffondor, et l’équipe en tête avait déjà changé cinq fois de position.

 

   Dans un match pareil, tout dépend des attrapeurs, cria Sabrina avec entrain, sans quitter les joueurs des yeux. Squallus est un nouveau, puisque Gnafron a terminé ses études l’an passé. Noah devrait pouvoir le manœuvrer sans problème.

 

Effectivement, un rugissement émergea peu après de la foule. James vit Noah filer derrière le vif d’or. De l’autre côté, Tom Squallus montrait les dents. Penché sur son balai, il luttait contre le vent glacé pour rattraper Noah par la tangente. Il se faufila au milieu des autres joueurs, évitant de justesse un cognard que Justin Kennely lui envoyait. Malgré la vivacité de Squallus, James avait confiance en Noah, qui ne se laisserait jamais surpasser. Un éclair d’or passa au-dessus des gradins de Gryffondor, et la foule hurla, parce que Noah était juste derrière. Ceux des premiers rangs baissèrent la tête, pour éviter la course folle de son balai, avant de se relever pour l’applaudir à pleines mains. Mais soudain, tout bascula. Alors que Noah s’apprêtait à saisir la petite balle dorée, surgit devant lui une mêlée de capes et de balais. Noah fut forcé de s’accrocher à son ballon, comme si son contrôle sur lui avait disparu. La meute des Serpentard, menée par Tabitha Corsica, avait jailli devant lui de toutes les directions, créant un mur aérien. Heurté par un joueur trapu, Noah glissa de côté, perdant prise sur son balai auquel il resta accroché d’une main. La foule rugit.

 

Tabitha Corsica traversa le mur des Serpentard qui s’ouvrit devant elle comme un tissu qui se déchire. Sa cape verte flottait en arrière. James fut sidéré de voir le vif d’or changer de trajectoire, comme attiré par un aimant. Puis la petite balle s’éleva et suivit Tabitha, penchée sur son balai. Sans même regarder autour d’elle, la sorcière amena le vif d’or à portée de Tom Squallus. L’attrapeur de Serpentard réagit enfin, et plongea en avant. Lorsqu’il tendit le bras vers le ciel, il serrait le vif d’or dans la main. Sur leurs gradins, les Serpentard crièrent plus fort encore. Le match était terminé.

 

Noah réussit à remonter sur son balai, au moment où Ted et Justin s’approchaient de lui. Les trois garçons gesticulaient, menant de toute évidence une discussion animée. James devina ce qui les troublait, même s’il n’arrivait pas à entendre leurs paroles au milieu des cris et des applaudissements. Sans que les Serpentard aient ostensiblement triché, il s’était passé quelque chose d’étonnamment étrange. Sur l’herbe du terrain, Petra Morganstern, qui jouait au poste de poursuiveur, avait coincé Cabe Ridcully et lui parlait avec véhémence, en désignant du doigt Tabitha Corsica. La sorcière était toujours sur son balai, félicitée par son équipe. Ridcully secoua la tête, refusant les allégations de Petra. Gryffondor ne pouvait rien prouver d’illégal.

 

   Au nom du popotin blanchâtre de Voldy, mais c’était quoi ce truc ? hurla Damien Damascus.

 

Il avait abandonné son rôle de commentateur, quitté la tribune, et rejoint James, Zane et Sabrina.

 

   C’était vraiment bizarre. (Sabrina secoua la tête.) Vous avez bien vu ce que j’ai vu ? Corsica a forcé le vif d’or à lui obéir. Sans jamais le toucher ! Elle a juste volé à côté, et il l’a suivie, jusqu’à ce que Squallus bouge enfin sur son balai.

 

   Il n’y a pas des règles contre un truc pareil ? demanda Zane tandis que la foule commençait à vider les gradins.

 

   Il n’y a pas de règles contre ce qui est impossible, cria Damien, furieux. Tabitha n’a pas touché le vif d’or, donc elle n’a commis aucune faute. En fait, elle ne l’a même pas regardé. Je pourrais le jurer.

 

Après avoir traversé le terrain en courant, Ralph rejoignit les autres au moment où le groupe émergeait des escaliers. Le souffle court, il attira James et Zane de côté, laissant Sabrina et Damien discuter, de plus en plus furieux.

 

   Vous avez vu ça ? demanda Ralph, le encore haletant. (Il semblait très agité.)

 

   Nous avons vu quelque chose, admit James, mais je n’arrive pas à y croire.

 

Zane se montra moins diplomate.

 

   Les Gryffondor sont certains que tes petits copains ont triché. Ça va rendre le dernier match de l’année encore plus tendu. Et ce sera à nous, les Serdaigle, de rencontrer les Serpentard pour le tournoi. J’espérais un match entre Gryffondor et Serdaigle.

 

   Je me fiche de ce tournoi, protesta Ralph, et j’aimerais bien que vous oubliez un moment le Quidditch. (Ralph fit face aux deux autres, au pied des gradins.) Nous avons à réfléchir à des choses bien plus importantes, au cas où vous l’auriez oublié.

 

   D’accord, dit James, essayant de ne pas se mettre en colère. Vas-y, dis-nous ce qui te tracasse.

 

Ralph prit une grande inspiration.

 

   D’après toi, je suis votre espion, pas vrai ? Alors, j’ai écouté ce qui se disait autour de moi, j’ai cherché des indices, pour découvrir qui était impliqué dans le complot de Merlin.

 

   Et tu crois vraiment que c’est le moment d’en parler ? demanda Zane, les sourcils levés.

 

   Non, ça va, intervint James. Qu’est-ce que tu as vu, Ralph ? Quelque chose dans la salle commune ?

 

   Non ! S’exclama Ralph avec impatience. Ce n’était pas dans la salle commune, mais juste ici, il y a quelques minutes. Vous vous rappelez ce qu’on cherche ?

 

   Oui, dit Zane, soudain intéressé. Le bâton de Merlin.

 

Ralph hocha la tête, le visage tendu. Non loin de là, il y eut des cris joyeux. Les trois garçons se retournèrent, et virent l’équipe Serpentard quitter le terrain, entourée par une foule d’élèves aux écharpes vert et argent. Tabitha marchait d’un air triomphal à la tête du groupe, son bâton sur l’épaule.

 

   1 m 80 de bois magique, dit Ralph à mi-voix, en la regardant. Et d’origine inconnue.

 

   Tu as raison ! s’écria James, qui comprenait enfin. Tabitha a prétendu que son balai provenait d’un Moldu, d’un artisan inconnu. Elle l’a enregistré sous cette couverture, puisqu’il ne correspond pas à un modèle standard.

 

   Et personne ne peut nier que ce balai a quelque chose de magique – et de vraiment très inhabituel, ajouta Ralph. Tu es d’accord ?

 

James hocha la tête.

 

   Tu prétends vraiment ce que je crois comprendre ? demanda Zane, encore incrédule.

 

Ralph le regarda.

 

   Mais c’est logique, en y réfléchissant. C’est la parfaite cachette. Voilà pourquoi je suis venu vous retrouver après le match, en courant comme un malade. Je voulais vous le dire tout de suite, pour voir si mon idée était idiote ou pas.

 

Zane siffla, plein d’admiration.

 

   Tu parles d’un balai ensorcelé ! Dire que Corsica vole depuis toujours sur le bâton de Merlin !

 

Tandis que Tabitha remontait vers le château, James n’arrivait pas à quitter son balai des yeux. Le soleil d’hiver faisait briller le manche lisse, bien entretenu. C’était effectivement un déguisement parfait pour un bâton d’un mètre 80, aux puissantes propriétés magiques. Et désormais, James savait aussi qui était le troisième complice du complot, le Serpentard qui avait écrit le nom d’Austramaddux dans la console de Ralph. James sentit son cœur battre, d’excitation et d’anticipation.

 

   Alors, dit-il, un peu après, alors que lui, Ralph et Zane suivaient les Serpentard à bonne distance, comment allons-nous récupérer le bâton de Merlin, et le voler à Tabitha Corsica ?