Chapitre 2 : L’arrivée des Américains

 

Quand James fut habillé, il descendit dans la Grande Salle pour le petit déjeuner. Vu qu’il était déjà presque dix heures, il n’y trouva qu’une poignée d’élèves déambulant tristement parmi les miettes laissées après le passage de ceux qui s’étaient levés plus tôt. Dans un coin, à la table des Serpentard, Zane était assis le dos rond, les yeux plissés dans un rayon de soleil. Ralph était en face de lui. Ce dernier vit James entrer, et lui fit signe d’approcher.

 

Tandis que James traversait la Grande Salle, il remarqua quatre ou cinq elfes de maison, chacun d’eux portant une large serviette en lin damassé, avec l’écusson brodé de Poudlard. En les regardant, on aurait pu croire qu’ils erraient au hasard. De temps à autre, l’un d’entre eux se baissait sous une table, puis réapparaissait avec une cuillère ou un morceau de biscuit qu’il déposait au centre de la table. Alors que James passait à côté d’un des elfes, celui-ci se redressa de toute sa taille, leva ses bras maigrelets, puis les baissa d’un coup sec. Il y eut une sorte de cyclone miniature, et tout ce qui traînait encore sur la table disparut en tourbillonnant, la vaisselle cliquetant avec les couverts au milieu des débris tandis que la nappe formait un ballot qui flotta un moment au dessus du bois poli. L’elfe de maison sauta du sol sur le banc, puis sur la table, il récupéra le ballot, en agrippa les poignées comme s’il s’agissait des rênes d’une calèche, puis il démarra vers le fond de la Grande Salle. James baissa la tête quand le curieux attelage passa à toute vitesse au-dessus de sa tête.

 

   Pfutt, marmonna Zane alors que James s’asseyait à ses côtés et tendait la main vers le dernier morceau de pain. Je les trouve étranges, ces petits serveurs qui travaillent ici. Ils sont habillés comme des SDF, mais pas à dire, ils font du bon café.

 

   Ce ne sont pas des serveurs mais des elfes de maison, déclara Ralph d’une voix amusée. (Il mâchonnait une moitié de saucisse. L’autre partie était encore plantée dans la fourchette qu’il utilisait pour désigner les elfes qui restaient encore dans la Grande Salle.) J’ai lu un article hier à leur sujet. Ils travaillent au sous-sol. Ils ressemblent un peu aux lutins dont on parle dans ce conte pour enfants. Tu sais, ceux qui viennent la nuit, et font tout le travail du savetier.

 

   Du… quoi ? demanda Zane en le regardant par-dessus le rebord de sa tasse de café

 

   Un savetier est un mec qui fabrique des chaussures, expliqua Ralph. Et dans l’histoire, il en a plein à terminer, et il est pauvre, alors il ne sait pas quoi faire. Tu ne connais pas ce conte ? Il est si fatigué qu’il s’endort, et au milieu de la nuit, les lutins apparaissent, avec leurs petits marteaux et leur petit clous, et ils terminent tout son boulot. Ensuite, le savetier se réveille, et boum, tout est parfait. (Ralph termina le reste de sa saucisse, puis il examina les elfes de maison en secouant la tête.) Je dois dire que je n’avais jamais pensé que les lutins s’habillaient avec des serviettes de table.

 

   Hey, l’extraterrestre, dit Zane en regardant James attentivement, je vois que ta tronche est redevenue normale.

 

   Du moins, aussi normale que c’est possible, je présume, répondit James.

 

   Ça t’a fait mal quand Sabrina t’a jeté ce sort ?

 

   Euh… non, répondit James. C’était juste étrange. Vraiment étrange. Mais ça ne m’a pas fait mal. Et ça a disparu durant la nuit.

 

   Elle doit être douée, parce que tu avais une sacrée dégaine. Avec des pieds palmés et tout.

 

   Mais de quoi parlez-vous tous les deux ? demanda Ralph, dont les yeux passaient de l’un à l’autre.

 

Ils lui racontèrent leurs aventures de la nuit précédente ; comment ils avaient lancé la Caspule ; comment le fermier était tombé dans les pommes, quand James, le petit extraterrestre, avait trébuché sur ses pieds palmés pour s’écrouler sur lui.

 

   Moi, j’étais caché dans un coin du jardin, près d’une cabane à outils, dit Zane. Le plus difficile était de ne pas mourir de rire. J’ai failli attraper une hernie en tentant de me retenir quand tu lui es tombé dessus. Attaqué par un martien bancal !

 

Cette fois, il éclata de rire, et après un moment, James fit la même chose.

 

   Et ils ont vraiment une soucoupe volante ? demanda Ralph qui ne partageait pas leur hilarité.

 

   Oh, ce n’est qu’un assemblage de papier mâché et de grillage, dit Zane. (Il termina son café et reposa sa tasse sur la table. Puis il leva le bras et claqua des doigts.) Sabrina et Horace l’ont construit l’année dernière, pour participer à un défilé d’objets volants pour Noël à Pré-au-Lard. Au départ, c’était un chaudron géant. Maintenant, avec un petit coup de peinture et un sortilège que Gennifer appelle Visum-Ineptio, c’est devenu une Caspule Intersidérale.

 

Un tout petit elfe de maison s’approcha de Zane, les sourcils froncés.

 

   Vous m’avez… euh… appelé, jeune maître ? demanda-t-il, d’une voix incroyablement profonde en dépit de sa taille.

 

   Oui, garçon, dit Zane en lui tendant sa tasse vide. Super chouette boulot. Ne perdez pas le rythme. Et voici pour vous.

 

L’elfe baissa les yeux sur le morceau de papier vert que Zane venait de lui remettre. Puis il releva la tête.

 

   Merci, jeune maître. Auriez-vous besoin… euh… d’autre chose ?

 

   Non merci, répondit Zane avec un geste de la main. Mais vous devriez aller dormir. Vous avez l’air vanné.

 

L’elfe regarda Ralph, puis James – qui haussa les épaules et essaya de sourire. Avec un imperceptible mouvement pour lever les yeux au ciel, l’elfe rangea le billet de cinq dollars dans sa serviette, et disparut sous la table.

 

   C’est la belle vie, dit Zane en poussant un soupir satisfait. Je pourrais m’y habituer.

 

   À mon avis, tu n’es pas censé donné des pourboires aux elfes de maison, dit Ralph, un peu gêné.

 

   Je ne vois pas pourquoi, répondit Zane en s’étirant. Mon père donne des pourboires à tour de bras durant ses voyages. Il prétend que ça aide l’économie locale. En plus, ça améliore nettement la rapidité du service.

 

   Tu ne dois pas à dire à un elfe de maison d’aller dormir, dit James en réalisant ce qui venait d’arriver.

 

   Et pourquoi pas ?

 

   Parce que c’est exactement ce qu’il sera obligé de faire, dit James, tout à coup exaspéré.

 

Il pensa à l’elfe de maison de la famille Potter, un petit être triste et grincheux qui s’obstinait, quoi qu’il lui en coûte, à obéir littéralement à tous les ordres qu’on lui donnait. Bien sûr, James aimait bien Kreattur, mais il fallait toujours faire très attention à ce qu’on lui demandait.

 

   Les elfes de maison ont pour devoir d’exécuter les ordres de leurs maîtres, expliqua-t-il. C’est dans leur nature. Celui-ci doit être déjà dans son placard, sa niche, ou n’importe quel autre endroit où il dort. Ça ne l’arrange pas du tout ou de devoir dormir au beau milieu de la matinée.

 

James secoua la tête, et réalisa soudain l’humour de la situation. Il essaya de ne pas sourire, ce qui bien entendu ne fonctionna pas. Zane le remarqua, et pointa le doigt vers lui.

 

   Ah-ah, tu trouves ça drôle, dit-il en riant.

 

   Je n’arrive pas à croire qu’ils doivent vraiment obéir à ce qu’on leur demande, dit Ralph, les sourcils froncés. Nous ne sommes que des élèves, pas leurs maîtres. Cette école n’est pas à nous, et nous sommes juste en première année.

 

   Tu as retenu le nom du sortilège que Sabrina a utilisé pour que la Caspule ressemble à une véritable soucoupe ? demanda James en se tournant vers Zane, impressionné tout à coup.

 

   Visum-Ineptio, répondit Zane, qui sembla en savourer les syllabes. D’après ce que j’ai compris, ça trouble la perception visuelle. D’ailleurs, quand on a fait du latin, on comprend l’idée générale. D’après Horace, ça force les gens à voir ce qu’ils attendent à voir.

 

   Alors, dit James en réfléchissant, quand le rayon de lumière est descendu du ciel sur ce fermier, il s’attendait, en quelque sorte, à voir une soucoupe volante avec des extraterrestres ?

 

   Bien sûr. Tout le monde sait ce que signifie un rayon lumineux qui tombe du ciel en pleine nuit, venu de nulle part. Ça annonce l’approche des petits hommes verts.

 

   Tu sais, Zane, tu es vraiment quelqu’un de bizarre, dit Ralph, mais ça ne ressemblait pas à une critique.

 

Tout à coup, James sentit une présence derrière lui. Il se tourna, avec ses deux amis, et leva les yeux. C’était la fille Serpentard qu’il avait vue la nuit précédente, celle qui l’avait applaudi juste avant qu’il monte sur l’estrade. Elle le regardait, avec une expression agréable et presque indulgente. À ses côtés, il y avait deux autres élèves de Serpentard – un garçon au beau visage ciselé dont le sourire montrait de très grandes dents, et une autre fille, qui ne souriait pas. James piqua un fard en réalisant être assis à la table des Serpentard. Sans même réfléchir, il se releva d’un bond, un morceau de pain encore dans la bouche.

 

   Non, non, dit la jolie fille, en levant la main vers lui pour l’arrêter, la paume en avant, presque comme si elle utilisait de la magie. Ne bouge pas. Je suis heureuse de voir que tu es assez à l’aise pour t’asseoir à la table des Serpentard. Depuis l’époque de ton père, les choses sont différentes ici. Mais il faut faire les choses dans les règles. Mr Deedle, pourrais-tu faire les présentations ?

 

Gêné, Ralph toussota pour s’éclaircir la voix.

 

   Hum – voici mon ami, James Potter. Et voici Zane – j’ai oublié ton nom de famille, désolé, dit-il en se tournant vers Zane.

 

Avec un sourire, Zane haussa les épaules. Puis il se redressa, se pencha à travers la table, et tendit la main vers la fille.

 

   Walker. Zane Walker. Je suis absolument enchanté de faire votre connaissance, Miss…

 

Le sourire de la fille s’élargit encore, et elle inclina la tête, mais c’était Ralph qu’elle regardait.

 

   Oh ! Dit Ralph, qui sursauta légèrement. Oui, bien sûr. Voici – hum – Tabitha Corsica. Elle est en sixième année, et c’est notre préfet à Serpentard. Elle est aussi capitaine de l’équipe de Quidditch de Serpentard. Et elle fait partie du groupe des débats. Et aussi… euh… elle a un super chouette balai.

 

Ayant épuisé tout ce qu’il savait au sujet de la fille, Ralph se vouta, comme s’il était fatigué.

 

Tabitha accepta finalement de serrer la main de Zane. Elle la retint un moment dans la sienne, avant de la relâcher.

 

   Je suis heureuse d’avoir officiellement fait ta connaissance, Mr Potter – ou bien puis-je plutôt t’appeler James ?

 

Lorsqu’elle se tourna vers lui, sa voix était aussi musicale que des clochettes d’argent, aussi douce que du velours. James la trouva merveilleuse. Puis il réalisa qu’elle lui avait posé une question. Il se secoua et répondit :

 

   Ouais. Bien sûr. James.

 

   Et je serais ravie que tu m’appelles Tabitha, dit-elle en souriant, comme si cette familiarité lui faisait un grand plaisir. Comme je viens de le dire, au nom de la maison Serpentard, nous sommes heureux de te voir parmi nous, et j’espère sincèrement que tous les anciens… (Elle leva les yeux au ciel, cherchant le mot exact,) … antagonismes resteront dans le passé.

 

« (Puis elle se retourna vers les deux autres élèves qui étaient avec elle.) Nous avons le plus grand respect aussi bien pour toi que pour ton père. Et j’espère que nous serons tous amis.

 

À la droite de Tabitha, le garçon continuait à adresser à James son sourire de clown. A sa gauche, l’autre fille semblait étudier le bois de la table, le visage figé.

 

   Oh… oui, bien sûr. Amis, bafouilla James.

 

La Grande Salle, tout à coup, lui parut immense et étrangement silencieux. Et sa voix y résonnait, timide et misérable.

 

Le sourire de Tabitha se fit encore plus aimable, tandis que ses yeux verts étincelaient.

 

   Je suis heureuse que tu sois d’accord avec moi. Maintenant, nous allons vous laisser terminer votre… euh… petit déjeuner. Tom ? Philia ?

 

Ils se détournèrent tous les trois ensemble, et s’éloignèrent vers la sortie.

 

   Tu es d’accord avec elle ? Mais sur quoi au juste ? demanda Ralph, alors que les trois garçons se levaient à leur tour pour suivre les Serpentard – à bonne distance.

 

   Ce n’est pas très clair, dit Zane, en regardant la façon dont les plis de la robe de Tabitha voltigeaient lorsqu’elle tourna à l’angle d’un mur, et disparut. Soit James vient de se faire une belle amie, soit une belle ennemie. Et je ne sais quelle option me parait la plus probable.

 

James réfléchissait intensément. De toute évidence, depuis l’époque de ses parents, les choses avaient changé. Mais il n’était pas certain qu’elles se soient améliorées.

 

 

Les trois garçons passèrent le reste de la matinée à explorer l’école. Ils visitèrent le terrain de Quidditch, qui parut à Zane et à James très différent en plein soleil. Zane resta bouche bée en voyant un groupe d’élèves plus âgés disputer une brève rencontre de Quidditch, trois contre trois. En formations serrées, les joueurs plongeaient les uns contre les autres, s’écartaient au dernier moment, se lançaient des plaisanteries – ou même parfois des gros mots.

 

   C’est incroyablement brutal, s’exclama Zane avec enthousiasme, tandis que l’un des joueurs frappait si fort qu’un cognard heurta en pleine tête son adversaire, qui pivota à l’envers sur son balai. Et dire que j’ai pourtant assisté à des matchs de rugby !

 

Plus loin, les garçons passèrent devant la cabane de Hagrid, déserte et sombre. La cheminée était éteinte, et la porte bien fermée. Peu après, ils rencontrèrent Ted Lupin et Noah Metzker, qui les conduisirent aux abords de la Forêt Interdite. Un énorme saule (qui paraissait très vieux) était planté dans une clairière. Ted tendit le bras, empêchant Noah d’avancer davantage.

 

   On est assez près, mon pote, dit-il. Regarde un peu.

 

Ted ouvrit un large sac de toile qu’il avait tiré derrière lui. Il en sortit un objet qui ressemblait plus ou moins à un animal à quatre pattes, avec des ailes et un bec. Il était couvert de languettes de papiers de toutes les couleurs, qui s’agitaient et brillaient dans la brise légère.

 

   C’est un piñata ! (NdT : Récipient, qui peut prendre la forme d’une figurine, que l’on remplit de sucreries et/ou de jouets), cria Zane. Mais il représente quoi ? Non... Ne me dites rien. Je vais deviner. C’est un …Sphinxoraptor ?

 

   Pas du tout, c’est un hippogriffe, dit James en riant.

 

   Je préfère le premier nom, remarqua Ralph.

 

   Et moi aussi, ajouta Noah.

 

   Silence ! Ordonna Ted en levant la main.

 

De son autre main, il leva le piñata et le lança aussi violemment que possible vers les branches du saule. L’objet disparu derrière le rideau de feuillage, et durant un très bref moment, il n’y eut aucune réaction. Puis tout à coup, un frémissement agita les rameaux immobiles. Ils se tordirent comme si quelque chose d’énorme s’agitait en dessous. Puis l’arbre explosa dans un mouvement de torsion, chaque branche devenant un fouet qui claqua dans l’air, gémissant et sifflant. On aurait cru un orage très localisé. Après quelques secondes, le piñata apparut au milieu des branches, frappé par ce qui semblait être des milliers de bras. Il en fut comme passé au hachoir. Quand le sortilège du pétard, caché à l’intérieur du piñata, fut déclenché, des confettis de toutes les couleurs et des bonbons magiques explosèrent et s’éparpillèrent dans toute la clairière. L’arbre parut très en colère de tous ces débris colorés qui flottaient à travers ses branches, puis il abandonna, et retomba dans son immobilité originelle.

 

Ted et Noah étaient tordus de rire.

 

   Quelle belle mort pour un Sphinxoraptor ! S’exclama Noah.

 

James avait entendu parler du Saule Cogneur, mais il n’en était pas moins sidéré par la violence qu’il venait de voir, et le calme avec lequel les deux autres Gryffondor en parlait. Par contre, Ralph et Zane étaient toujours muets de stupéfaction. D’un geste machinal, Ralph enleva une dragée surprise de Bertie Crochue de ses cheveux, et la mit dans sa bouche. Il mâchonna un moment, puis fronça les sourcils, et jeta un coup d’œil à James :

 

   On dirait du taco. Dément !

 

Un peu plus tard, James quitta les deux autres et remonta les escaliers vers la salle commune dans la tour de Gryffondor.

 

   Mot de passe, chantonna la Grosse Dame en le voyant approcher.

 

   Genisolaris, répondit-il, espérant que ça n’avait pas déjà changé.

 

   Entrez, dit le tableau qui s’ouvrit.

 

La salle commune était vide, et il n’y avait pas de feu dans la cheminée. James monta jusqu’au dortoir, et se dirigea vers son lit. Il avait déjà un sentiment de propriétaire vis-à-vis de sa chambre, même si elle était vide au beau milieu de la journée. Les lits avaient été refaits. Aristo, l’énorme effraie des clochers de James, dormait dans sa cage, la tête cachée sous l’aile. James se jeta sur son lit, récupéra un morceau de parchemin et une plume, et se mit à écrire, en faisant attention de ne pas renverser de l’encre sur ses draps.

 

Chère maman, cher papa

 

Je suis arrivé la nuit passée, sans problème. J’ai déjà rencontré de nouveaux amis très sympas. Ralph est devenu un Serpentard – je n’aurais jamais cru ça de lui. Zane est chez Serdaigle, et il est aussi dingue que l’oncle Georges. Tous les deux sont né-Moldus, et j’apprends des tas de choses sur le sujet, mêmes si les cours n’ont pas encore commencé. Avec eux, l’Etude des Moldus sera de la tarte. Ted nous a montré le Saule Cogneur, mais de loin – ne t’inquiète pas maman. Il y a de nouveaux professeurs. Hier, j’ai vu Neville, mais je n’ai pas eu l’occasion de lui parler et de lui transmettre vos amitiés. Oh, il y a aussi une délégation de sorciers américains qui doit arriver dans la journée. Ça sera sûrement intéressant, parce que Zane aussi est américain. C’est une longue histoire. Je vous en parlerai plus tard.

 

Votre fils,

 

James,

 

PS : je suis chez Gryffondor.

 

James avait un grand sourire tandis qu’il pliait sa lettre, et y mettait son sceau. Il avait réfléchi à la meilleure façon d’annoncer à ses parents la maison où il avait été envoyé, sachant très bien que tout le monde attendait cette nouvelle. Puis il avait décidé que l’annoncer sans fioritures serait le mieux. Pas besoin d’en faire trop, ni pas assez.

 

   Hey, Aristo, chuchota James, j’ai un message pour toi. Ça te dit de retourner à la maison ?

 

L’oiseau leva la tête, et un seul de ses gros yeux ronds et orange apparut. Puis il s’étira, gonfla ses plumes, et sembla doubler de volume. Enfin, il tendit une patte. James ouvrit la cage, et attacha la lettre à l’oiseau. L’effraie sortit délicatement et s’approcha de la fenêtre, puis ouvrit ses ailes immenses et se lança vers le ciel. D’une façon absurde, James se sentit heureux en fixant Aristo aussi longtemps que possible, jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un point noir dans le bleu lointain des montagnes. En sifflotant, il sortit de sa chambre, et dévala bruyamment les escaliers.

 

Il mangea à la table des Gryffondor, dans la Grande Salle, et rejoignit ensuite Zane et Ralph. Tout le reste de l’école commençait à s’assembler dans la cour principale. Un petit orchestre – formé d’élèves de toutes les maisons – s’était assemblé pour jouer l’hymne américain à l’arrivée de la délégation. Pour le moment, ils accordaient leurs instruments, et la cacophonie était assourdissante. Zane affirma avec conviction que c’était la première fois qu’il entendait jouer la bannière étoilée avec des accordéons et des cornemuses. Enfin, arriva le professeur Londubat accompagné d’un autre professeur que James ne connaissait pas encore. Ensemble, ils traversèrent la foule, insistant pour que les élèves s’alignent le long des murs. Les trois garçons se retrouvèrent près des portes principales, et l’anticipation monta tandis que tous attendaient les Américains. James se souvint des histoires que ses parents lui avaient racontées concernant l’arrivée à Poudlard des délégations des écoles de Beauxbâtons et Durmstrang, l’année du Tournoi des Trois Sorciers. Il y avait eu un gigantesque carrosse traîné par des chevaux magiques, et un galion émergeant du lac. Il se demanda comment les Américains allaient choisir d’arriver.

 

La foule réunie attendit, regarda, patienta… et peu à peu, le silence se fit. Le petit orchestre était prêt, et les musiciens, leur instrument à la main, clignaient des yeux dans le vif soleil de cette fin d’après-midi. La directrice McGonagall et les autres professeurs attendaient aussi, debout, en scrutant le ciel, et une estrade avait déjà été installée dans la cour près des portes du château.

 

Tout à coup, quelqu’un pointa du doigt, et plusieurs cris retentirent. Toutes les têtes se tournèrent, cherchant à mieux voir. Malgré la luminosité, James plissa les yeux et fixa son regard sur les montagnes lointaines. Un point noir apparut, d’abord distant, puis il grossit de plus en plus. Deux autres l’accompagnaient. Le bruit se fit aussi plus intense, tandis que les étranges objets avançaient. James jeta un coup d’œil interrogateur à Zane, qui haussa les épaules, à l’évidence tout aussi perplexe que lui. Le bruit était une vibration, de plus en plus assourdissante, qui se rapprochait. Les objets volants devaient avancer, et à grande vitesse, parce qu’ils commençaient déjà à prendre forme. Le son vibra, comme venu des ailes d’un insecte géant. James regardait, les yeux écarquillés, et peu à peu, les objets volants s’identifièrent d’eux même.

 

 

   Dément ! cria Zane pour couvrir le bruit des moteurs. Ce sont des voitures !

 

James avait entendu dire que son grand-père Weasley avait autrefois jeté plusieurs sortilèges sur une vieille Ford Anglia, lui permettant ainsi de voler. D’ailleurs, son père et oncle Ron avaient emprunté la voiture pour revenir à Poudlard, puis l’avaient perdue dans la Forêt Interdite. Personne ne l’avait jamais revue. Mais les voitures américaines ne ressemblaient pas du tout à ça. Contrairement à la vieille photo que James avait vue de la Ford Anglia, les trois voitures étaient neuves, brillantes et immaculées, avec des chromes qui jetaient des éclairs d’argent sous les reflets du soleil. Une autre différence – qui provoqua un long sifflement d’appréciation de tous les élèves de Poudlard assemblés dans la cour – était les longues ailes qui battaient de chaque côté de chaque véhicule. Ils ressemblaient de plus en plus à des insectes géants, qui vibraient bruyamment, et renvoyaient des arcs-en-ciel de lumière.

 

   C’est une Dodge Hornet (NdT : Frelon) ! S’exclama Zane en désignant la première voiture.

 

Les roues avant touchèrent d’abord le sol, puis y roulèrent, tandis que le reste de la voiture atterrissait à l’arrière. Il y avait deux portes, et la carrosserie était d’un jaune doré, avec de longues ailes de guêpe. La seconde voiture – selon Zane, qui était manifestement un expert sur le sujet – était une Stutz Dragonfly. (NdT : Libellule). La carrosserie était d’un blanc immaculé, avec une ligne longue et basse, des dessus de-roues plongeants, et d’énormes tuyaux en chrome qui s’arrondissaient sous son capot fuselé. Ses ailes fines et très allongées battaient à petits coups secs, créant un ronronnement que James sentait retentir jusque dans sa poitrine. Enfin, la dernière voiture toucha terre, et James n’eut pas besoin de Zane pour la reconnaître. Même en Grande-Bretagne, on trouvait de nombreuses Volkswagen Coccinelle. La forme ronde rebondit à l’atterrissage. Elle était d’un rouge flamboyant, avec un toit noir. Il y avait de petites ailes courtes qui vrombissaient de chaque côté, à l’avant et à l’arrière, comme sur une vraie coccinelle. Quand la voiture tomba directement sur ses quatre pneus, dans un atterrissage presque vertical, les ailes s’immobilisèrent, puis se replièrent délicatement et disparurent sous la tôle.

 

Tous les élèves de Poudlard applaudirent avec enthousiasme. Au même moment, l’orchestre commença à jouer l’hymne national. Derrière James, une fille protesta – si fort que sa voix s’entendit malgré le brouhaha :

 

   Vraiment, les Américains et leurs machines !

 

Zane se tourna vers elle.

 

   La Coccinelle est une voiture allemande, au cas où tu ne le saurais pas, dit-il, avec un sourire, avant de se détourner pour participer à l’ovation.

 

Lorsque l’orchestre termina enfin de jouer, les portes des voitures s’ouvrirent, et la délégation américaine commença à sortir. Il y eut d’abord trois sorciers adultes, tous vêtus de la même façon, émergeant chacun d’un des trois véhicules. L’équipe de sécurité portait une longue cape d’un vert sombre, qui arrivait à mi-cuisses, une veste noire, une chemise blanche, et un souple pantalon gris, avec des chaussettes blanches et des chaussures noires vernies. Les sorciers restèrent debout environ 30 secondes, clignant des yeux, les sourcils froncés, comme s’ils étudiaient la foule en face d’eux. Apparemment satisfaits qu’il n’y ait aucun risque dans la cour, les hommes s’écartèrent des portes ouvertes de chaque véhicule, et restèrent de garde. James eut un aperçu de l’intérieur de la voiture la plus proche, la Coccinelle, et il ne fut pas étonné de le découvrir infiniment plus vaste et mieux aménagé qu’on l’aurait cru de l’extérieur. Plusieurs silhouettes bougeaient à l’intérieur, puis la vue lui fut bouchée quand les élèves commencèrent à émerger.

 

Ils étaient si nombreux que même James en fut surpris, alors qu’il avait pourtant déjà campé, en de nombreuses occasions, dans des tentes de sorciers. Il savait à quel point leur espace pouvait être modifié par la magie. Des portiers, reconnaissables à leur cape bordeaux, se placèrent devant les coffres de chaque voiture, et en sortirent des petits chariots et d’innombrables malles et valises, qu’ils entassèrent en de hautes piles vacillantes. De jeunes sorciers et sorcières, vêtus de façon étrangement moderne – certains portaient même des lunettes de soleil et des jeans – commencèrent à s’agglutiner au centre de la cour. Parmi eux quelques adultes, qui de toute évidence étaient les représentants officiels du Ministère, portaient des capes d’un gris clair, des tuniques gris foncé. James devina que ce devait être les membres du Département administratif de la Magie américaine. Ils avancèrent, tout sourires, vers l’estrade où la directrice McGonagall et son équipe avançaient pour les accueillir.

 

Les derniers à émerger des voitures furent aussi des adultes, bien que leurs vêtements et leurs âges indiquent la différence de leurs fonctions : ni des fonctionnaires, ni des élèves. James devina qu’il s’agissait des professeurs de l’école américaine de magie, Alma Aleron. Il y en avait un par voiture. Le premier à approcher sortit de la Coccinelle. Il était aussi carré et court sur pattes qu’un baril de bière, avec de longs cheveux gris et un visage ferme et agréable. Il portait de petites lunettes carrées, et souriait d’un air bienveillant et quelque peu arrogant. En le regardant, James eut un vague sentiment de déjà-vu, mais sans réussir à mettre un nom sur ce visage. Il tourna la tête pour regarder l’autre professeur, celui qui sortait de la Stutz Dragonfly : Un sorcier très grand, avec des cheveux blancs, et un long visage grisâtre, aux traits durs et sévères. L’homme surveilla la foule, tandis que ses épais sourcils broussailleux creusaient, comme des Caterpillar, des sillons sur son front. Un portier apparut à ses côtés, et lui tendit une mallette de cuir noir, qui ressemblait à un sac médical. Sans baisser les yeux, le professeur pris les poignées de son sac dans sa grande main aux jointures noueuses, puis il avança, traversant la foule comme un navire sur son erre.

 

   Je viens de prendre une résolution pour cette année, annonça Zane d’un ton ferme. Il n’est pas question que j’aie des cours avec ce mec-là.

 

Ralph et James hochèrent la tête, pour marquer leur approbation.

 

James ne remarqua le dernier professeur d’Alma Aleron que lorsqu’elle émergea péniblement de la Dodge Hornet. Elle se redressa de toute sa taille, et tourna la tête, comme si elle scrutait les visages de la foule. James poussa un cri étranglé. Sans même y penser, pour éviter le regard de la sorcière, il se cacha derrière la haute silhouette de Ralph. Ensuite, prudemment, il jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule de son ami.

 

   Mais qu’est-ce que tu fabriques ? demanda Ralph, en se tournant pour le regarder.

 

James ne répondit pas tout de suite. Il vérifia d’abord ce que faisait la femme, mais elle ne le regardait pas du tout. En fait, « voir » était difficile pour elle, malgré l’intensité de son visage.

 

   Cette grande femme, là-bas, dit James, celle qui a une écharpe nouée en turban sur la tête. Je l’ai déjà vue l’autre nuit sur le lac.

 

Zane se dressa sur la pointe des pieds.

 

   Elle ressemble à la momie d’une sorcière gitane.

 

   Oui, dit James, qui se sentit soudain stupide.

 

Avec ses yeux recouverts d’une taie opaque et grise, son visage sombre et strié de rides, la dame enturbannée paraissait bien plus vieille que celle dont il se souvenait. Un portier lui tendit une canne en bois qu’elle accepta avec un hochement de tête. Elle se mit en marche et traversa la cour d’un pas lent, tapotant sa canne l’espace devant elle, comme une aveugle.

 

   Pfutt, elle est aussi bigleuse qu’une taupe, dit Zane à James, d’un ton peu convaincu. C’était peut-être un alligator que tu as vu sur le lac. De toute évidence, on peut les confondre.

 

   Je me demande quels cours peut donner ce professeur ? Coupa Ralph, d’une voix tendue, en indiquant le petit homme aux lunettes carrées. C’est… C’est… Il a cinq… non ! Attends un peu. Il a au moins cinquante… (Dans son émotion, il bafouillait.)

 

Zane se tourna vers l’estrade, et fronça les sourcils.

 

   Tu parles du petit bonhomme avec des lunettes à la John Lennon et un vieux col démodé ?

 

   Oui ! Haleta Ralph, très excité, puis il attrapa le bras de Zane et le secoua comme s’il avait l’espoir d’en faire émerger le nom. Allez ! Comment s’appelle-t-il ? C’est de l’argent !

 

   Mais enfin, qu’est-ce que tu racontes, Ralph ? répondit Zane, en envoyant une bourrade dans le dos de son ami.

 

La directrice McGonagall se toucha la gorge de la pointe de sa baguette, puis elle parla, aussi fort et distinctement que si elle utilisait un haut-parleur :

 

   Elèves, professeurs, et tous les membres de Poudlard, je suis heureuse de souhaiter, en votre nom à tous, la bienvenue aux représentants de l’école Alma Aleron et aux membres du Département de la Magie des États-Unis d’Amérique.

 

Après quelques applaudissements polis, un des membres de l’orchestre crut bon de recommencer à jouer l’hymne américain. Les autres musiciens, affolés, se jetèrent sur leurs instruments pour le suivre, mais le professeur Flitwick les interrompit d’un geste péremptoire de sa baguette.

 

   Merci à nos hôtes estimés d’être venus cette année à Poudlard, continua la directrice avec un signe de tête envers les nouveaux arrivants. Nous espérons tous que ce travail ensemble nous permettra aussi bien une meilleure compréhension mutuelle qu’un échange culturel. Après tout, les États-Unis et la Grande-Bretagne partagent depuis des siècles une culture et une langue communes. Et maintenant, chers amis professeurs, veuillez avancer pour vous présenter à vos futurs élèves.

 

James pensait que le grand professeur au visage sévère serait le chef du groupe. Il se trompait. Ce fut le petit sorcier aux lunettes carrées qui monta sur l’estrade, et s’inclina galamment devant la directrice. Puis il se tourna, et s’adressa à la foule sans même utiliser sa baguette. Sa voix claire et distincte portait dans toute la cour, comme s’il avait l’habitude de parler en public.

 

   Élèves de Poudlard, Mesdames et Messieurs, merci beaucoup pour votre accueil chaleureux. Nous sommes venus en toute amitié, et je vous assure que nous n’attendons pas de traitement de faveur. (Il eut un sourire, et adressa à la foule un clin d’œil.) Nous sommes tous enchantés de partager, durant cette année, notre temps avec vous, dans cette école, et laissez-moi vous assurer que nous aurons certainement à apprendre les uns des autres. Bien sûr, je pourrais vous régaler d’une liste sans fin d’anecdotes pour souligner aussi bien les similitudes que les différences entre les cultures européenne et américaine du monde magique, mais je ne vous infligerai pas un aussi long discours...

 

« (À nouveau, il eut un sourire, comme s’il partageait une plaisanterie avec ses auditeurs.) Je réalise parfaitement que mon équipe, aussi bien les adultes que les élèves, est pressée de découvrir, dans un cadre moins formel, ce nouvel environnement. Et j’imagine que c’est la même chose pour les résidents de Poudlard. Aussi, avant de vous libérer, je vais me contenter du minimum, c’est-à-dire les présentations, et les cours que nous comptons donner cette année.

 

   Ce gars me plaît déjà, dit Ted, quelque part dans la foule derrière James.

 

   Je vais commencer par vous présenter mes confrères, continua le petit sorcier. Voici Theodore Hirsham Jackson, professeur de Technomancie et de Magie Appliquée. Il est aussi général trois étoiles dans la Milice Libre de Salem-Dirgus, aussi je vous conseille d’être respectueux, chaque fois que vous aurez à vous adresser à lui.

 

Le visage du professeur Jackson resta aussi impassible que du granit, comme s’il était depuis longtemps imperméable aux plaisanteries de son confrère. Il s’inclina lentement, avec une certaine grâce, tandis que son menton levé et ses yeux noirs surplombaient la foule de sa hauteur.

 

   Ensuite, continua le petit professeur, en gesticulant le bras tendu, voici le professeur de Divination, de Sortilèges Avancés, et de Parapsychologie à Distance, Desdemone Delacroix. Je dois vous signaler qu’elle fait aussi un délicieux gumbo, (NdT : ragoût ou soupe épicée originaire de la Louisiane française,) bien qu’il soit plutôt… euh… chaleureux. Bien entendu, je ne suis pas certain que vous aurez tous l’occasion d’y goûter.

 

Quand la femme à la peau foncée, avec un turban sur les cheveux, adressa un sourire à son confrère, la chaleur de son expression la transforma complètement. De vieille sorcière squelettique, elle devint tout à coup une grand-mère un peu desséchée, mais agréable et malicieuse. Puis elle tourna ses yeux aveugles vers la foule, en continuant à sourire. James se demanda vraiment comment il avait pu croire que ce regard laiteux avait été le même que celui qui l’avait scruté, sur le lac, la nuit précédente. De plus, elle venait juste d’arriver. En aucun cas, se raisonna-t-il, elle ne pouvait avoir été déjà là la veille.

 

   Et enfin, dit le petit professeur, permettez-moi de me présenter. Je suis votre nouveau professeur de Défense contre les Forces du Mal, et également directeur des débats à Alma Aleron. Un autre de mes titres, non officiel mais cependant important, est arbitre au jeu d’échec des sorciers. Benjamin Amadeus Franklyn, à votre service, termina-t-il, en s’inclinant, les bras étendus, tandis que ses cheveux gris lui cachaient le visage.

 

   Voilà, c’est à lui que je pensais, chuchota Ralph d’une voix excitée. Sa tête est sur tous vos billets de banque, espèce d’andouille, continua-t-il, en envoyant dans les côtes de Zane un coup de coude qui faillit le renverser.

 

 

Quelques minutes plus tard, les trois garçons escaladaient les escaliers en direction de la salle commune des Serdaigle.

 

   Benjamin Franklyn ? ne cessait de répéter Zane en secouant la tête. Ce n’est pas possible. Ce ne peut être lui. Il aurait au moins… (Il réfléchit un moment, le front plissé.) En fait, je n’en sais rien, mais il serait vieux. Vraiment très très vieux. Encore plus que McGonagall. C’est dingue quoi, c’est… impossible.

 

Ralph essayait de suivre le rythme des deux autres, mais il haletait.

 

   Une fois de plus, je t’affirme que ces sorciers – dont nous faisons désormais partie – ont une longévité qui n’a rien à voir avec la normale. En fait, en y réfléchissant, ça n’est pas du tout étonnant. Ben Franklyn a tout à fait le comportement d’un sorcier, quand on lit dans les livres d’histoire moldue ce qu’il a accompli. Écoute, ce mec-là a quand même réussi à capturer la foudre avec une clé accrochée à un cerf-volant !

 

James ne semblait pas convaincu.

 

   Je me souviens que ma tante Hermione m’a parlé d’un très vieux sorcier dont ils avaient découvert l’existence durant leur première année. Il me semble qu’il s’appelait Nicolas Flanelle – ou un truc du genre. Il avait inventé une pierre magique qui le rendait quasiment immortel. Bien sûr, c’est le genre de truc qui finit toujours par tomber dans de mauvaises mains, alors, au final, il a été obligé de la détruire. Et ensuite, comme tout le monde, il est mort. Du coup, je pense qu’il est probable que plusieurs sorciers et sorcières ont trouvé d’autres moyens de prolonger leur vie, même sans l’aide de la pierre de Flanelle.

 

   Peut-être devrais-tu demander un autographe à ce professeur sur un billet de 100 $, dit Ralph en regardant le jeune américain.

 

   Je n’ai pas 100 $. J’ai donné mon dernier billet de 5 $ au petit portier-elfe. Et c’est tout ce qui me restait.

 

   Ce n’est pas un portier, dit James, qui cherchait toujours à en convaincre Zane.

 

   Et alors ? Il nous a pourtant tenu la porte, répondit Zane sans se démonter.

 

   Pas du tout ! C’est Ralph qui l’a renversé en ouvrant trop fort le panneau. Il n’essayait pas de nous tenir la porte, mais juste de se relever.

 

   Peu importe. Je n’ai plus un sou. J’espère simplement que le service n’en souffrira pas.

 

Zane s’arrêta devant la porte qui menait à la salle commune des Serdaigle. Il y avait un heurtoir en forme de tête d’aigle, qui parla tout à coup d’une voix stridente :

 

   Quelle est la signification du chapeau dans la maîtrise de la magie ?

 

   Ah, zut, se plaignit Zane, dire que les premières questions sont censées être faciles.

 

   Tu es certain que nous avons le droit d’être ici ? demanda Ralph, qui s’agitait d’un pied sur l’autre. Quelles sont les règles au juste, pour aller dans une autre salle commune que la sienne ?

 

   Il n’y a aucune règle, du moins je n’en connais pas, répondit James. C’est juste que la plupart des élèves ne le font pas.

 

Sa réponse ne parut pas rassurer Ralph. Il jeta un coup d’œil inquiet de chaque côté du couloir.

 

   Le chapeau.... le chapeau… Marmonnait Zane les yeux fixés sur ses chaussures. Chapeau-chapeau-chapeau. Le lapin sort du chapeau. On garde des choses sous son chapeau. Hum… c’est probablement un genre de métaphore. On porte un chapeau sur la tête… Et le cerveau est aussi dans la tête, sous le chapeau. Hum…

 

Tout à coup, il claqua des doigts, et releva la tête pour regarder l’aigle sur le heurtoir.

 

   Il est impossible de sortir quoi que ce soit de son chapeau à moins de l’avoir déjà dans sa tête.

 

   C’est une réponse grossière, mais néanmoins acceptable, répondit le heurtoir, tandis que le loquet cliquetait, et que la porte s’ouvrait en grand.

 

   Waouh ! S’écria James, en suivant Zane dans la salle commune. Tu es certain que tes parents sont des Moldus ?

 

   Eh bien, expliqua Zane d’un ton dégagé, comme je te l’ai dit, mon père travaille dans le cinéma, et ma mère a des pouvoirs extrasensoriels – je t’assure, elle arrive à tout deviner, malgré la validité des excuses que j’invente – aussi, d’une certaine façon, j’ai été bien préparé pour le monde magique. Voilà, c’est la salle commune des Serdaigle. Il n’y a pas d’électricité, ni de distributeur de Coca-Cola, mais nous avons une très chouette statue et une cheminée qui parle. La nuit dernière, j’y ai vu mon père. À mon avis, il s’adapte un peu trop facilement à tout ça.

 

Zane leur fit visiter toutes les pièces de Serdaigle, inventant (de toute évidence) certaines des réponses quand il les ignorait. Puis Ralph et Zane essayèrent d’apprendre à James à jouer au rami, mais il ne réussit pas à s’intéresser à des cartes – roi, dame et valet – qui ne s’attaquaient pas entre elles. Quand ils en eurent assez, Ralph les emmena tous dans la salle commune de Serpentard, les faisant passer à travers un labyrinthe de passages étroits, dans les sous-sols du château. Les trois garçons s’arrêtèrent devant une grande porte qui bouchait la fin d’un long couloir. Au milieu du panneau, il y avait une sculpture en cuivre représentant un serpent enroulé sur lui-même, dont la tête triangulaire pointait en avant de façon menaçante, la bouche ouverte.

 

   Oh, c’est vrai, marmonna Ralph.

 

Il releva sa manche, exhibant un nouvel anneau à sa main droite. La pierre était une grosse émeraude, en forme d’œil, avec une pupille verticale. Ralph pressa soigneusement la pierre dans l’une des orbites du serpent. Aussitôt, l’autre œil s’éclaira d’une lumière verte.

 

   Qui ssersse à entrer issi ? siffla la tête de serpent d’une petite voix aiguë.

 

   Moi. Ralph Deedle. Serpentard. Première année.

 

L’œil vert étincela, en se dirigeant sur James et Zane.

 

   Et qui ssont sses deux-là ?

 

   Mes amis. Je… euh… me porte garant pour eux.

 

L’œil brillant étudia les deux garçons, l’un après l’autre, pendant une période qui devint vite inconfortable. Puis, finalement, il clignota. Il y eut différents cliquètement, tandis que des verrous se libéraient tout le long de la porte. Puis le panneau s’écarta et s’ouvrit.

 

La salle commune des Serpentard occupait une large salle voûtée, en pierre et d’aspect gothique, qui (de toute évidence) se trouvait sous le lac. Au plafond, il y avait d’épais vitraux teintés en vert, d’où la lumière du soleil filtrait à travers les eaux profondes. Il en résultait une lueur verdâtre qui illuminait les immenses portraits de Salazar Serpentard et de sa progéniture. Même Ralph paraissait nerveux en faisant le tour des différentes pièces avec ses deux amis. Il n’y avait que quelques rares élèves dans la salle principale, vautrés avec indolence sur les canapés de cuir. Ils suivirent des yeux Zane et James, un sourire mystérieux aux lèvres, mais sans aucune réflexion. Ralph leur marmonna un salut étouffé.

 

Aux yeux de James, le dortoir des Serpentard ressemblait à la cabine d’un pirate, très riche, et doté de goûts dispendieux. La pièce était immense, avec un plancher de bois sombre et un plafond bas d’où pendaient des lanternes en forme de gargouilles. Les lits étaient vastes et confortables, en bois d’acajou, avec quatre piliers sculptés pour soutenir à chaque coin le baldaquin. Sur les voilages vert sombre, l’emblème de la maison Serpentard était brodé en grand. Les trois garçons se jetèrent en riant sur le lit bien net de Ralph.

 

   Les gars, ici, sont de vrais durs, admit Ralph à voix basse, en indiquant les trois autres lits de la pièce. Pour vous dire la vérité, je ne me sens pas vraiment à l’aise. Je préfère la salle commune des Serdaigle.

 

   Je n’en suis pas certain, dit Zane, en jetant un coup d’œil émerveillé autour de lui. Le décorateur ici a fait un super boulot. Bien sûr, il ne doit pas être évident de dormir avec tous ces animaux empaillés sur les murs. Dis-moi, c’est vraiment un dragon ?

 

   Oui, répondit Ralph d’une voix étranglée. Les autres les ont rapportés de chez eux. Dans leur famille, la chasse au dragon est un sport reconnu.

 

James fronça les sourcils.

 

   Je croyais que la chasse au dragon avait été interdite. C’est illégal.

 

   Oui, chuchota Ralph tristement. Et c’est justement ce qui les attire. Toutes les familles de ces mecs possèdent des réserves privées où ils peuvent tirer tout ce qu’ils veulent. Un autre, dans une chambre d’à côté, possède le crâne d’une licorne. Avec la corne – du moins, il affirme qu’elle est vraie. Ça m’étonnerait, parce que la corne d’une licorne est bien trop utile dans le monde magique pour rester accrochée à un mur. Et puis, regarde ça, derrière le lit de Tom ! C’est la tête d’un elfe de maison. Quand ils tuent leurs elfes, ils les empaillent. Tu sais, j’ai vraiment l’impression que cette tête me suit des yeux.

 

Ralph frissonna, puis il décida en avoir déjà trop dit. Il serra les lèvres, et jeta un regard inquiet à ses deux amis.

 

   Ouais, ça fout les jetons, admit James, en préférant ne pas parler à Ralph de ce qu’il savait au sujet de certaines familles de Serpentard. Mais je crois que c’est surtout pour faire de l’esbroufe.

 

   Qu’est-ce que c’est ? demanda tout à coup Zane, en bondissant sur le lit. Une GameDeck ? Génial. Et tu as en plus le modèle Wireless, qui permet la compétition Online.

 

Il fouilla dans le sac ouvert de Ralph, posé à côté du lit, et en sortit une petite boîte noire, de la taille d’un paquet de cartes à jouer – comme celle qu’ils avaient utilisées un peu plus tôt. Sur le devant, il y avait un petit écran, et un incroyable nombre de boutons de chaque côté.

 

   Dis-moi un peu, quel jeu as-tu enregistrés ? As-tu Armageddon Master III ?

 

   Non ! Cria Ralph qui arracha le boîtier des mains de Zane. Ne laisse personne voir ce truc. Ils ne supportent pas ce genre de choses ici.

 

Zane en resta éberlué.

 

   Quoi ? Mais pourquoi ?

 

   Comment le saurais-je ? Il paraît qu’il y a un problème entre les sorciers et les appareils électroniques. Tu es au courant ?

 

Ralph se tourna vers James, qui haussa les épaules.

 

   Je ne sais pas trop. En général, aucun sorcier n’a besoin d’électronique. Les téléphones, les ordinateurs, et tout ça, c’est pour les Moldus. La magie nous suffit. Du moins je présume.

 

Mais Ralph secoua la tête.

 

   A voir la réaction des autres hier, il doit y avoir autre chose. Ils m’ont parlé comme si j’avais apporté avec moi à l’école quelque chose de… dégoûtant. Ils m’ont dit que si je désirais devenir un véritable Serpentard, il me fallait oublier la fausse magie de ce genre d’appareils.

 

   Fausse magie ? répéta Zane, en regardant James.

 

   Oui, soupira-t-il, c’est ainsi que certains sorciers des familles les plus intégristes considèrent l’électronique moldue. Ils prétendent que ces machines ne sont que du toc, pour imiter la magie. Ils pensent que tout sorcier qui utilise de tels appareils est un traitre – à son sang, ou au monde magique en général.

 

   Oui, voilà, c’est exactement ce qu’ils m’ont expliqué, dit Ralph. Ils étaient plutôt… excités sur le sujet. Évidemment, j’ai tout de suite caché cet appareil. Je le redonnerai à mon père, aux prochaines vacances.

 

Zane poussa un long sifflement.

 

   Et ben dis donc, j’imagine que tes sorciers si orthodoxes n’ont pas dû apprécier de voir les Américains débarquer aujourd’hui dans des automobiles aménagées. Après tout, il n’y a pas plus moldu qu’une Dodge Hornet, non ?

 

James y réfléchit un moment.

 

   Oui, peut-être n’apprécient-ils pas trop, mais il y a une différence entre la mécanique et l’électronique. A leurs yeux, une voiture n’est qu’un assemblage de pistons et d’engrenages. Ils ne considèrent pas réellement ça comme de la fausse magie, juste comme un outil sans intérêt. En fait, ils sont vraiment braqués contre les ordinateurs et l’électronique.

 

   J’ai vu ça, haleta Ralph, les yeux fixés sur sa GameDeck. (Il la rangea dans son sac avec un soupir.) Bon, fichons le camp d’ici. Le dîner ne va pas tarder, et je suis mort de faim.

 

   Ralph, tu passes ton temps à manger, remarqua Zane en sautant hors du lit.

 

   C’est parce que je suis en pleine croissance, répondit Ralph, presque automatiquement, comme s’il avait l’habitude de cette réplique. C’est glandulaire. Et puis, la ferme.

 

   Ce n’était qu’une remarque, dit Zane, en levant les mains en signe de paix. Franchement, par ici, je trouve très rassurant d’avoir un copain qui a le volume d’un bulldozer.

 

Au dîner, les trois garçons s’installèrent à la table des Gryffondor. James s’en inquiéta un moment, mais quand Ted apparut tout à coup, il lança une bourrade amicale dans le dos de Zane.

 

   Ah, notre petit lutin Serdaigle. Alors, comment ça se passe pour toi, dans la seconde meilleure maison de l’école ?

 

James remarqua ensuite que Zane et Ralph n’étaient pas les seuls élèves à s’être installés à d’autres tables que la leur.

 

Après le dîner, ils discutèrent de leur emploi du temps du lendemain. Zane serait avec James en Technomancie – avec le professeur Jackson – et un peu après, Ralph le retrouverait en Défense contre les Forces du Mal. Les trois garçons explorèrent ensuite la bibliothèque, en s’attardant à l’extérieur de la Réserve (la zone interdite) suffisamment longtemps pour que Mrs Pince, la bibliothécaire, les chasse avec une verte semonce. Puis ils se souhaitèrent mutuellement « bonne nuit », et partirent chacun de leur côté.

 

   Je te vois demain, avec le professeur Granit, annonça Zane, qui avait un don rare pour trouver des surnoms amusants.

 

Amusé, James le regarda monter vers l’escalier qui menait à la salle commune des Serdaigle.

 

Un peu plus tard, en pénétrant chez les Gryffondor, James y trouva Ted sur le canapé, le bras posé sur les épaules de Petra. Non loin de là, Sabrina et Damien, assis à une table, discutaient calmement en étudiant quelques papiers étalés entre eux deux.

 

   Alors, jeunot, tu es prêt pour tes premiers cours ? Ironisa Ted quand James s’approcha.

 

   Oui, je crois.

 

   Tu t’en sortiras très bien, dit Ted pour le rassurer. En première année, il s’agit essentiellement d’apprendre à utiliser sa baguette, avec en plus quelques cours théoriques. Attends un peu la quatrième année, quand tu devras affronter le professeur Trelawney.

 

   Au moins, cette année, ses cours seront partagés avec ce vieux sac d’os qui nous vient des États-Unis, dit Petra.

 

   Comment ça ? demanda James, les sourcils levés.

 

Ce fut Ted qui répondit.

 

   Apparemment, ils ont séparé les élèves en deux groupes. L’année dernière, les professeurs étaient Trelawney et Firenze, le centaure, mais il a démissionné à présent. Il est retourné avec son troupeau. Aussi, cette année, nous aurons avec Trelawney la reine vaudou, Mme Delacroix.

 

   Et je les vois très bien s’entendre comme les meilleures amies du monde, annonça Damien d’un ton philosophe. Comme les deux moitiés d’un tout. Comme de la poudre d’œuf de dragon et du suc de mandragore

 

James cligna des yeux, mais avant qu’il puisse demander à Damien ce qu’il voulait dire par là, Ted secoua la tête, avec un sourire moqueur.

 

   Allons, mon pote, utilise un peu ton imagination.

 

Quelques minutes plus tard, James quitta le groupe, et monta l’escalier vers sa chambre. Il se sentait bien, et envisageait le lendemain avec un mélange de nervosité et d’excitation. Pendant un moment, il resta immobile dans la pièce éclairée par la lune, savourant simplement le plaisir d’être ici, d’être un Gryffondor, et de commencer ses études. Il eut un moment d’anticipation joyeuse, à l’idée de toutes les aventures et les défis qu’il aurait à affronter dans les années à venir. Tout à coup, il regretta qu’il lui soit impossible de faire un bond dans l’avenir, afin de tout résoudre en même temps.

 

Noah sortit de la petite salle de bain, et entra dans la chambre. Après un coup d’œil en direction de James, il se jeta sur son lit.

 

   Oui, nous ressentons tous la même chose, de temps à autre, dit-il, comme s’il avait lu les pensées de James. Attends jusqu’à demain soir, et tu seras redevenu normal. Après plusieurs heures de cours, et des tonnes de travail à faire, c’est ce qui arrive aux meilleurs.

 

Sur ce, il se pencha et souffla la bougie posée à côté de son lit.