Chapitre 14 : Le couloir de traversée des anciens

 

   Mais pourquoi aurions-nous besoin de prendre son balai ? s’exclama Ralph, le lendemain matin au petit déjeuner. (Il se pencha à travers la table pour approcher de lui un plat de saucisses.) Ça sera bien plus difficile à voler que le sac de Jackson. D’ailleurs, les garçons n’ont même pas le droit d’aller dans les dortoirs des filles. Nous n’arriverons jamais à approcher ce balai. Et puis, nous avons déjà la robe. Ils ne peuvent rien faire s’ils n’ont pas les trois reliques.

 

   C’est le bâton de Merlin, répondit James, voilà pourquoi nous devons le récupérer. C’est un des plus puissants objets magiques du monde. Tu as vu ce que Tabitha Corsica a fait avec pendant le match ? Et je ne parle pas seulement d’attirer le vif d’or sans même le regarder. Toute son équipe semble y répondre, du moins, leurs balais le front. À chaque moment, chaque joueur sait exactement ce qu’il faut faire – c’est de la magie vraiment puissante ! Pour le moment, Corsica n’utilise son balai que pendant les matchs de Quidditch, mais tu veux vraiment laisser un objet pareil dans les mains d’une fille comme elle ? Elle fait quand même partie du Mouvement du Progrès.

 

Ralph prit un air buté. Zane posa sa tasse de café, et fixa la table pour dire :

 

   Je ne sais pas trop… commença-t-il.

 

   Quoi ? demanda James, avec impatience.

 

   C’est que… (Zane releva les yeux.) Tout semble trop facile, vraiment. D’abord, il y a le copain de Ralph, le chasseur de pierres, qui lui donne son sac, juste au bon moment. Et je trouve qu’on a vraiment eu de la chance avec ce sortilège de Visum-Ineptio. Et si tu réfléchis bien, il y a un peu trop de coïncidences ! Tu as deviné l’endroit où était caché le trône de Merlin, d’abord en apercevant la reine vaudou sur le lac la première nuit, ensuite en tombant sur cet article de la Gazette du sorcier qui relatait l’effraction du Ministère. Et maintenant, comme par hasard, nous découvrons que le balai de Tabitha est aussi le bâton de Merlin ? Je suis désolé, James, mais ce complot n’est vraiment pas très bien organisé si trois bricolins de première année l’ont si rapidement découvert.

 

   D’accord, (James était furieux,) nous avons peut-être eu de la chance. Et alors ? On a quand même travaillé très dur, et été très prudents dans nos plans. De plus, on a raison, pas vrai ? Même si les complices de Merlin ont été trop arrogants pour se cacher – parce qu’ils croyaient que personne ne les découvrirait jamais – ça n’empêche pas ce complot d’exister, pour de vrai. Tu as vu ce qui m’est arrivé en ouvrant le sac de Jackson ? Et encore, je ne vous ai pas raconté ce qui s’est passé l’autre jour !

 

Ralph sursauta si fort qu’il faillit renverser son jus de citrouille. Durant une seconde, ses yeux s’écarquillèrent, presque hantés, puis il se reprit.

 

   L’autre jour ? Quand ?

 

   Le soir où nous sommes allés, toi et moi, voir Hagrid, juste après que je t’ai laissé, répondit James.

 

Puis il raconta aux deux autres comment les couloirs de Poudlard s’étaient transformés autour de lui, et comment il s’était retrouvé dans la forêt, devant l’île de la Caverne du Secret. Il évoqua le spectre mystérieux qui lui avait ordonné de ramener la relique, la robe de Merlin. Zane l’écouta avec un intérêt passionné, mais le visage de Ralph resta livide et figé.

 

Quand James eut terminé, Zane demanda :

 

   Tu penses vraiment que c’était une dryade ?

 

   Je ne sais pas. (James haussa les épaules.) Je suis certain qu’elle ressemblait à celle que nous avons vue ensemble dans la forêt. Mais elle était différente, aussi. Son aura vibrait, si tu vois ce que je veux dire. Je pouvais le sentir sur ma peau.

 

   C’était peut-être un rêve, dit Zane d’un ton prudent. En tout cas, ça y ressemble.

 

   Ce n’était pas un rêve ! J’étais dans le couloir qui mène à la tour Gryffondor. Je ne suis pas somnambule.

 

   Je disais juste ça comme ça, dit Zane en baissant les yeux.

 

   Quoi encore ? insista James. Tu penses que toute cette histoire au sujet de Merlin est une invention ? Alors comment expliques-tu que j’aie disparu de ma chambre, sous vos yeux à tous les deux, et que le fantôme de Cédric Diggory ait dû venir me chercher ?

 

   Bien sûr, tu as raison, mais ça paraît quand même dingue. Où étais-tu vraiment ? Dans la forêt, ou bien dans le couloir ? Qu’est-ce ce qui est vrai ? On peut se demander si tout n’est pas une illusion. Tu ne penses qu’à ça, James, alors peut-être…

 

Depuis un moment, Ralph étudiait avec application son assiette vide. Il parla sans lever les yeux.

 

   Ce n’était pas un rêve.

 

Les deux autres, avec un bel ensemble, se tournèrent vers lui.

 

   Et comment tu le sais, Ralph ? demanda Zane.

 

   Parce qu’il m’est arrivé la même chose, soupira Ralph.

 

James écarquilla les yeux, et en resta bouche bée.

 

   Tu as vu la Caverne du Secret ? Et aussi la dryade ? Mais pourquoi ne nous as-tu rien dit, Ralph ?

 

   Je ne savais pas ce que c’était ! protesta Ralph, en le regardant. Je n’étais pas avec vous deux quand vous vous êtes allés dans la forêt, je te le rappelle, aussi je n’ai pas vu l’île ni rencontré la première dryade. Ça s’est passé la semaine dernière, quand je retournais vers les caveaux, vers la salle commune de Serpentard. Tout à coup, les couloirs se sont effacés, et transformés en arbres, exactement comme tu viens de le décrire, James. J’ai vu une île, et une dame – euh, un esprit des bois – mais je ne les ai pas reconnus. J’ai cru que c’était un fantôme. Elle m’a dit de lui ramener la relique, mais j’ai eu peur. Je n’ai pas l’habitude de vivre des trucs bizarres, des trucs magiques, ni de quitter mon corps comme ça. J’ai voulu courir, et tout à coup, je me suis retrouvé devant la porte de ma salle commune, et tout était normal autour de moi. Pour te dire la vérité, j’ai cru que je devenais fou, que toute cette magie qu’on pratiquait tous les jours en classe commençait à me bricoler le cerveau. Tu sais, ça me fait vraiment plaisir de voir que tu as vécu la même chose. C’est rassurant.

 

   Ouais, j’imagine, dit Zane, en hochant la tête.

 

   Mais pourquoi toi ? demanda James. Tu n’as pas la relique, c’est moi qui l’ai

 

Zane pencha la tête de côté, avec la grimace comique qu’il affichait toujours quand il réfléchissait intensément.

 

   Peut-être y a-t-il une réponse toute simple, proposa-t-il, peut-être est-ce simplement parce que Ralph est un Serpentard. Après tout, au cours du débat, il était dans l’équipe contre Petra et moi. Peut-être que ça le met dans la position du maillon faible. Peut-être espèrent-ils le pousser à nous trahir, à voler la robe pour la rapporter dans l’île. Je ne le dis pas que tu le ferais, Ralph, dit Zane en se tournant vers son copain.

 

   Sûrement pas ! dit Ralph. Je n’ai pas la moindre intention de toucher ce truc.

 

   D’accord, c’est logique, admit James. Mais alors pourquoi n’as-tu rien eu, toi, Zane ?

 

Zane afficha un air béat, les yeux levés au plafond.

 

   Parce que je suis aussi pur que la neige qui vient de tomber. De plus, je ne remettrai jamais un pied sur cette île horrible. Une fois me suffit.

 

   Je ne pourrais pas voler la robe de Merlin, dit Ralph, le front plissé, même si je le voulais. Maintenant que tu as mis le sortilège du verrou, Zane, il n’y a que James qui puisse ouvrir sa malle.

 

   Tu pourrais emporter la malle, je suppose, répondit James. Quand on le veut vraiment, on trouve toujours un moyen.

 

   Heureusement, je ne le veux pas, dit Ralph, très sérieusement.

 

Zane repoussa loin de lui sa tasse de café vide.

 

   La dryade – du moins, si c’en était bien une – ne sait pas forcément que nous avons rajouté un sortilège supplémentaire sur la malle. Mais le fait que vous ayez tous les deux été emmenés là-bas signifie que quelqu’un veut vraiment récupérer cette relique, et qu’il sait que nous l’avons. Si ce n’est pas Jackson, ou un de ses complices, qui est-ce ?

 

   Rappelle-toi ce que nous a dit la première dryade, la verte ? dit James. D’après elle, les arbres se sont réveillés, mais la plupart d’entre eux ne sont pas… Comment a-t-elle exprimé ça ?

 

Zane hocha la tête, il se souvenait.

 

   Elle a dit que les vieux arbres étaient en colère, qu’ils avaient « tourné » – ça fait penser à du lait après la date de péremption, non ? En clair, certains arbres sont devenus mauvais. Ils sont du côté du chaos, et de la guerre. Crois-tu que cette nouvelle dryade bleue que Ralph et toi avez rencontrée soit l’une des méchants qui prétendait être gentille ?

 

   Ça paraît logique, dit Ralph. Elle était magnifique, avec un grand sourire et de beaux yeux, mais j’ai eu très nettement le sentiment que si je ne lui rapportais pas la relique, ce sourire pouvait disparaître très très vite. En fait, ça m’a fichu la trouille. Ça… et ses ongles. (Il frissonna.)

 

   Alors, il n’y a pas seulement les complices du complot et nous, dit Zane le visage grave. Les esprits des bois sont impliqués. Et qui sait, peut-être y en a-t-il d’autres. En fait, peut-être que tout le monde magique va devoir choisir son camp.

 

   Tu vois, dit James, avec force, ça prouve que ces reliques sont incroyablement puissantes. Dans de mauvaises mains, qui sait les dommages qu’elles pourraient créer ? C’est bien pour ça que nous devons récupérer le bâton, et non le laisser à Tabitha.

 

   Je ne comprends pas pourquoi tu n’en parles pas à ton père, intervint Ralph. C’est son travail de gérer ce genre de problèmes, pas vrai ?

 

   Oui, mais les Aurors doivent suivre une procédure, dit James, d’un ton las. Mon père viendrait avec toute une équipe pour fouiller le château. Jamais, même si nous lui donnons la robe comme preuve, il n’accepterait de récupérer le balai de Tabitha juste parce que nous lui dirons que c’est le bâton de Merlin. Il insisterait pour analyser une source de magie inhabituelle. Et ça prendrait des jours. À mon avis, Tabitha aurait largement le temps de faire disparaître son balai avant la fin de l’enquête. De plus, Jackson et Delacroix s’enfuiraient immédiatement, s’ils devinaient des ennuis à venir. Et ils recommenceraient leur complot ailleurs – peut-être dans ce couloir de traversée des anciens – pour essayer une fois encore de ramener Merlin. Bien sûr, sans la robe, ils ne réussiraient pas, mais alors le trône et le bâton seraient perdus à jamais, cachés je ne sais où, sous le contrôle des mages noirs.

 

   D’accord, d’accord, admit Ralph avec un soupir, tu m’as convaincu. Nous allons devoir récupérer le bâton de Merlin, et le prendre à Corsica. Mais ensuite, c’est terminé, promis ? Nous donnerons les deux reliques à ton père et à ses pros. Ils feront le nettoyage, et deviendront des héros. Qu’est-ce que vous en dites ?

 

   Oui, je suis à fond pour, approuva Zane. On récupère le balai, et on transmet tout. James ?

 

   D’accord, dit James. Comment on fait ? Vous avez des idées ?

 

   Ce ne sera pas facile, affirma Ralph. Avec le sac de Jackson, nous avons eu de la chance, mais cette fois, il nous faudrait vraiment un miracle. Les dortoirs des Serpentard sont bourrés de sortilèges de garde, d’amulettes « anti-espion », et autres. Il y a tellement de magie qu’on l’entend bourdonner. Je n’ai jamais rencontré des gens aussi soupçonneux.

 

   Pas étonnant, dit Zane d’un ton docte. Vu ce qu’ils font aux autres, les Serpentard s’attendent à la même chose. Mais n’oublions pas une chose, plus importante encore que la récupération du bâton de Merlin.

 

   Tu crois ? demanda James. Je ne vois rien de plus important que ça.

 

   Il nous faut bien garder la seule relique que nous ayons, répondit Zane, en regardant James dans les yeux. Surtout si les autres savent déjà que nous l’avons, et qu’ils essayent de vous convaincre de la leur rapporter. Je ne sais pas quel genre de magie ils ont utilisé sur vous, mais vous transporter tous les deux jusqu’à l’île à partir des couloirs du château ne me paraît pas être à la portée du premier sorcier venu. Vous êtes d’accord ?

 

James et Ralph se regardèrent, acquiescèrent, et se tournèrent vers Zane qui continua :

 

   Vu que le transplanage est impossible dans l’enceinte de Poudlard, il s’agit d’une autre forme de magie. Un truc énorme. Et ils peuvent recommencer.

 

   Je n’avais pas pensé à ça, admit Ralph, tout pâle.

 

   Peut-être que ça ne marche qu’une seule fois ? proposa James, mais sans y croire.

 

   Je l’espère pour vous, dit Zane, qui regardait ses deux copains, l’un après l’autre, mais ils vous ont déjà posé la question gentiment. À mon avis, s’ils recommencent, le ton sera très différent.

 

Soudain, James eut une idée qui le fit frissonner.

 

   Quoi ? demanda Ralph, envoyant son visage se décomposer.

 

   Une Projection Spectrale à Distance, murmura James d’une voix étranglée. C’est comme ça que le professeur Franklyn a appelé le pouvoir de Delacroix quand elle utilise une image d’elle-même. C’est un peu différent du transplanage, parce qu’elle n’envoie pas réellement ses atomes, mais plutôt une sorte de fantôme. Pourtant, cet hologramme peut paraître solide et emporter des objets. J’ai vérifié. C’est un peu comme une marionnette, qu’on utilise de loin. Je pense que c’est ce qu’elle a fait pour récupérer le trône de Merlin au Ministère, et le cacher sur l’île sans se faire repérer.

 

   Oui, nous sommes déjà tombés d’accord là-dessus, dit Zane les sourcils froncés. Et alors ?

 

   Et alors, je crois que c’est comme ça que Ralph et moi avons été envoyés jusqu’à la Caverne du Secret. Ralph, tu as dit avoir « quitté ton corps », pas vrai ? Et si c’était exactement le cas ? Peut-être avons-nous été forcés d’avoir une Projection Spectrale à Distance ? C’est nos hologrammes qui ont été envoyés dans la forêt, mais nos corps sont bel et bien restés dans le couloir, juste… pétrifiés et décérébrés.

 

De toute évidence, Ralph était horrifié par cette hypothèse. Mais Zane y réfléchissait intensément.

 

   Ouais, ça me paraît une explication logique. Vous avez, tous les deux, indiqué être seuls dans les couloirs. Il n’y avait personne pour vous voir plantés là, comme des statues, pendant que vos âmes – esprits, ou autre chose, je ne sais pas – se baladaient dans la forêt, jusqu’à la Caverne du Secret.

 

   Si c’est le pouvoir de Delacroix, dit Ralph, qui tremblait toujours, tu penses qu’elle sait que nous avons récupéré la robe ?

 

   Peut-être, répondit James. Elle est aussi sournoise qu’une mygale. Elle peut avoir tout compris, sans même le dire à Jackson. Peut-être est-ce une question de rivalité et de pouvoir.

 

   Une chose est certaine, alors, annonça Zane, il ne faut pas que vous restiez seuls, ni l’un ni l’autre. À mon avis, ceux qui sont derrière tout ça tiennent à garder l’affaire secrète. C’est pour ça qu’ils ont attendu de vous rencontrer seuls. Si vous restez toujours entourés d’autres élèves, peut-être n’y aura-t-il pas d’autres tentatives.

 

Ralph était devenu aussi blanc qu’une statue.

 

   À moins qu’ils ne soient vraiment vraiment désespérés.

 

   Effectivement, approuva Zane, ça reste une possibilité. Mais dans ce cas, nous ne pouvons rien y faire. Alors, autant espérer que ça n’arrivera pas.

 

   Pas à dire, ça me rassure drôlement, gémit Ralph.

 

   Allez, dit James, qui se leva, ayant fini de déjeuner. Il se fait tard, et les elfes de maison commencent à nous regarder d’un sale œil. D’ailleurs, autant ne pas se faire repérer. Si on traîne trop, tout le monde va deviner qu’on manigance quelque chose.

 

Les trois garçons sortirent dans les jardins où les accueillit l’air froid et glacé. Durant un moment, ils parlèrent d’autres choses. Puis, chacun d’eux ayant différentes obligations liées à sa maison, ils passèrent le reste de la journée sans se revoir.

 

La semaine suivante fut très occupée, et leur frustration ne fit que croître. Neville Londubat ne soumettait que rarement ses classes à un devoir, mais quand c’était le cas, il était difficile et demandait beaucoup de travail. James dut passer un temps fou à la bibliothèque, à faire des recherches sans fin sur les différents usages du Spionuspertuis. Ça n’aidait pas les choses que chaque partie du Spionuspertuis – feuilles, tige, racines, et même les graines – avait des propriétés différentes et variées. James fut surpris d’apprendre que cette petite plante guérissait les maladies de peau tout en fournissant une cire magique d’entretien pour les balais. James venait juste d’ajouter une 79ème entrée sur sa liste quand Morgane Patonia s’assit devant lui, à la table où il travaillait, en poussant un énorme soupir. Morgane était en première année, à Poufsouffle, et elle partageait le cours de Botanique avec James. Elle aussi avait dû travailler au même devoir.

 

   Le professeur Londubat nous a demandé de ne détailler que cinq usages, dit-elle en examinant la liste interminable que James avait gribouillée. Apparemment, tu n’as pas écouté.

 

   Cinq ? répéta James, d’une voix faible.

 

Dans le regard que Morgane lui jetait, il lut un dédain amusé.

 

   Le professeur Londubat nous a demandé d’écrire au sujet du Spionuspertuis parce que c’est l’une des trois plantes les plus utiles de tout le monde magique. Si nous devions décrire chacune de ses propriétés, le devoir deviendrait une véritable encyclopédie. Tu es idiot ou quoi ?

 

James se sentit piquer un fard.

 

   Non, je le savais, mentit-il, avec une arrogance qui sonnait faux. Mais j’ai oublié parce que le sujet m’intéressait. En fait, quand je travaille, je le fais à fond. Je ne vois pas ce qu’il y a de mal à ça !

 

Morgane ricana, manifestement enchantée que James ait perdu tant de temps pour rien. Quelques minutes plus tard, James rangea ses affaires, et remonta jusqu’à la salle commune de Gryffondor, à la fois ennuyé et soulagé. Au moins, il avait terminé son devoir. Et puisqu’il avait déjà détaillé vint-trois usages du Spionuspertuis, peut-être aurait-il même des points de bonus. James espérait simplement que Neville ne devinerait pas que son trop long devoir provenait d’un manque d’attention en classe.

 

Deux fois déjà, au cours des derniers jours, James avait croisé le professeur Delacroix dans les couloirs du château, avec la sensation pénible qu’elle le surveillait. Il n’avait jamais vu les yeux de la sorcière posés sur lui, mais comme elle était aveugle, ça ne signifiait rien. James n’oubliait pas la façon dont, le soir du dîner officiel dans les quartiers américains, Delacroix avait manipulé la soupière de gumbo, et distribué la soupe à la louche de son horrible baguette tordue sans jamais en répandre une seule goutte. Il gardait la certitude que Delacroix avait des moyens de « voir » qui ne dépendaient pas de ses yeux sans vie. En fait, voilà qui expliquait qu’elle soit la seule à avoir remarqué la différence du sac de Jackson. Le sortilège de Visum-Ineptio ne fonctionnait que sur les yeux des sorciers. Et pourtant, Delacroix n’avait rien dit, ce qui était étrange. James se demandait parfois s’il ne devenait pas paranoïaque. De plus, comme Zane l’avait signalé, quelle différence ça faisait-il ? Peut-être était-ce la reine vaudou qui avait voulu forcer Ralph et James à rapporter la robe dans la Caverne du Secret, peut-être était-ce quelqu’un d’autre. Depuis leur aventure, les deux garçons restaient sur leur garde, et évitaient de se retrouver seuls. Aussi, peu importait d’où venait la menace.

 

James avait été surpris de réaliser à quel point il était difficile d’être toujours entouré d’autres élèves. Dans une école aussi grande que Poudlard, on aurait pu croire le contraire. Mais maintenant qu’il faisait attention, James se rendait compte qu’il était seul plusieurs fois par jour, dans les couloirs, dans les jardins – pour voir Hagrid ou se rendre aux cours de Botanique dans les serres – ou simplement la salle de bain, durant la journée. C’était plutôt pénible de devoir sans arrêt veiller à être accompagné, mais Zane y tenait fermement, à la grande surprise de James.

 

   Même si nous avons récupéré la relique par une série de hasards chanceux qui fichent un peu la trouille, je ne veux pas la perdre maintenant par simple négligence, dit-il à James un jour, en l’accompagnant jusqu’aux serres, pour son cours avec Neville. Après tout, c’est bien de la négligence qui risque de compromettre leur complot pour ramener Merlin. Ça nous a aidés. Pas besoin de perdre cet avantage.

 

Un jour, James prit Ralph et à Zane à part et leur expliqua ce qu’était un Charme Protéiforme, pour communiquer entre eux secrètement, en cas d’urgence. James avait commandé chez Weasley, Farces pour Sorciers Facétieux trois canards en celluloïd, une de leurs nouveautés. Il en distribua un à chacun des deux autres.

 

   Le Charme Protéiforme signifie que quand je serre mon canard, les deux vôtres couineront aussi, expliqua James, en faisant une démonstration.

 

   Coin-coin. Va te faire voir, émirent les trois canards en même temps.

 

   Génial, dit Zane, qui immédiatement, serra le sien, provoquant d’autres joyeuses insultes. Donc, si l’un de vous deux se trouve seul, ou a besoin de moi pour l’accompagner aux toilettes, il suffit de faire « coin coin », et j’arrive en courant, c’est ça ?

 

   Berk, dit Ralph, en regardant son canard d’un air dégoûté. Franchement, je déteste. J’ai l’impression d’avoir trois ans.

 

   Hey, ça vaut mieux que de te faire embarquer à nouveau par cette dryade bizarroïde, dit Zane, puis il haussa les épaules. Mais si tu préfères…

 

   Je n’ai pas dit ça, répondit Ralph, mécontent. C’est juste que je déteste ce truc.

 

Zane se tourna vers James.

 

   Mais si ça couine, comment saurais-je lequel de vous deux a besoin de moi ?

 

James sortit un marqueur noir, et dessina un petit J sur la tête de son canard.

 

   Regarde sur le tien, ce que j’écris sur un des canards apparait immédiatement sur les deux autres. Quand tu entendras un « coin coin », vérifie sur la tête, pour savoir quelle initiale il y a.

 

   Super, dit Zane, d’un air réjoui.

 

Il brandit son canard, et le serra, comme pour un salut.

 

   Coin-coin. Crottes de doxys ! annonça gaiement la bestiole.

 

   D’accord, dit James, en rangeant son canard dans son sac à dos. N’oubliez pas que nous devons uniquement nous en servir en cas d’urgence. C’est bien compris ?

 

   Pourquoi ne se contentent-ils pas de faire « coin coin » ? demanda Ralph, en rangeant aussi le sien.

 

   Demande ça aux Weasley, dit James, en agitant la main, pour montrer qu’il n’en savait rien.

 

Au début, aussi bien James et Ralph trouvèrent très difficile de devoir sans arrêt veiller à avoir quelqu’un (ou même Zane) pour les accompagner. Mais peu à peu, ils s’habituèrent, et finirent même par apprécier. Zane restait dans un coin de la salle de bain quand James prenait un bain, et lui faisait réviser ses leçons en posant des questions, l’entraînant à la bonne prononciation des sortilèges défensifs, des termes de Métamorphose, et des différentes restrictions. Par hasard, James apprit que les élèves de Poufsouffle qui avaient Botanique avec lui – dont Morgan Patonia – étaient en classe de Sortilèges juste avant. En quittant sa classe de Métamorphose, James devait donc se précipiter jusqu’à la salle du professeur Flitwick, pour être accompagné par Morgane et ses amis jusqu’aux serres, évitant ainsi de se retrouver seul dans les jardins.

 

Peu à peu, la routine s’installa, et James et Ralph finirent par oublier que ça avait commencé comme une corvée. Plusieurs semaines passèrent. L’hiver s’adoucissait, on sentait déjà dans l’air la promesse du printemps. Et pourtant, aucun des trois garçons n’avait encore trouvé le moindre plan pour récupérer le balai de Tabitha Corsica. Ils se mirent cependant d’accord, à contrecœur de la part de Ralph, sur la nécessité d’une reconnaissance des lieux.

 

   Je n’aime pas ça du tout, dit Ralph, en emmenant les deux autres jusqu’à la salle commune de Serpentard. Je n’ai pas vu le moindre visiteur entrer ici depuis des mois.

 

   Ne t’inquiète pas, Ralphie, dit Zane, mais sa voix était moins confiante que d’habitude. Nous avons la carte magique de James. Nous allons à nouveau vérifier, mais il est évident que la plupart de tes copains sont dehors, sur le terrain de Quidditch, occupés à regarder les essais de Serpentard pour le tournoi final. Tu es d’accord, James ?

 

James avait dans les mains la Carte du Maraudeur. Il l’étudia tout en marchant.

 

   Oui, d’après ce qui est écrit ici, il n’y a que deux ou trois personnes dans le dortoir de Serpentard. Et aucun n’est dangereux.

 

   Tu es certain que cette carte marche encore ? insista Ralph, avant de plonger son anneau dans l’œil du serpent sur l’énorme porte de bois. Je croyais que tu ne te rappelais même pas la phrase code que ton père utilisait.

 

   Mais si, regarde, ça marche, répondit James, furieux.

 

En vérité, il avait des doutes au sujet de la carte. Il avait retrouvé la phrase pour la faire marcher, - « Je jure solennellement que mes intentions sont mauvaises » – et vu se dessiner sur le parchemin vierge le plan du château. Malheureusement, ainsi que son père l’avait craint, il y avait eu des changements depuis que Lunard, Queudver, Patmol et Cornedrue l’avaient créée, plus de quatre décennies plus tôt. Plusieurs secteurs de la carte étaient complètement vierges, avec une note indiquant : « Dessins à refaire, voir Mr Patmol et Cornedrue. » James en avait conclu que son grand-père, dont il portait le nom, et Sirius Black, avaient été les deux sorciers qui avaient conçu la carte. Tous les deux étaient morts depuis longtemps, aussi personne n’était capable de redessiner les secteurs manquants. A d’autres endroits, bougeaient des points noirs, chacun accompagné d’un nom écrit en lettres minuscules indiquant ce que faisaient tous les sorciers du château. Ils se déplaçaient le long des couloirs ou dans les salles, mais tout disparaissait s’ils s’aventuraient dans une zone vierge. Fort heureusement, la salle commune et les dortoirs de Serpentard se trouvaient sous le lac, et de ce fait, avaient subi fort peu de dommages durant la bataille de Poudlard. D’après ce que Ralph avait appris, seule l’entrée principale avait été détruite. Sur sa carte, James voyait le dédale des chambres, des couloirs, et des salles de bain.

 

Le serpent géant lové sur la porte d’entrée posa les questions habituelles. Ralph y répondit, expliquant que James Zane étaient des amis à lui. Comme la première fois, les yeux lumineux du reptile examinèrent un long moment les deux intrus, avant d’ouvrir le système compliqué de verrous qui sécurisaient la porte.

 

En traversant la salle commune, apparemment déserte, les trois garçons ressentirent le même sentiment de malaise. La lumière verdâtre qui filtrait à travers les eaux du lac par le plafond vitré laissait dans la pièce des ombres sinistres. Dans l’âtre immense, le feu était presque éteint, et seules quelques braises y rougeoyaient encore. Pour la première fois, James remarqua que la cheminée, sculptée en marbre, représentait la bouche ouverte d’un gigantesque serpent.

 

   Ça doit faire un drôle d’effet de lire un livre devant cet antre du diable, murmura Zane, en passant devant le feu. Alors, où gardent-ils leurs balais, Ralph ?

 

Ralph secoua la tête.

 

   Je te l’ai déjà dit, je n’en sais rien. Je sais seulement qu’il n’y a pas de casiers communs, comme à Gryffondor ou à Serdaigle. Les Serpentard ne se font pas confiance les uns aux autres. Chacun un placard privatif, dans sa chambre, avec une clé magique. De plus, il y a un entraînement de Quidditch en ce moment précis, aussi aucun balai n’a dû rester ici.

 

   Nous ne sommes pas venus pour piquer le balai, répondit Zane, tout en inspectant la salle commune. C’est juste une reconnaissance pour voir où ils les cachent.

 

Même en plein jour, en ce début du printemps, la salle commune de Serpentard restait glauque.

 

   Lumos, dit James qui leva sa baguette au-dessus de sa tête. Ce couloir doit mener au dortoir des garçons, c’est ça, Ralph ?

 

   Oui. Et le dortoir des filles se trouve de l’autre côté, en haut des escaliers.

 

Suivant la direction indiquée, Zane traversa la pièce.

 

   Un raid pour piquer les culottes des filles de Serpentard, murmura-t-il, je suis pour.

 

   Attends ! s’écria James. Il doit y avoir une protection. Aucun garçon n’est autorisé à monter dans le dortoir des filles, et c’est valable dans les quatre maisons. Si tu essayes, tu vas déclencher une alarme.

 

Zane s’arrêta, jeta un coup d’œil vers James, avant de considérer, à nouveau, les escaliers.

 

   Zut. Ils pensent vraiment à tout.

 

   D’ailleurs, dit Ralph, qui n’avait pas bougé, par ici, on dit des shortys.

 

   C’est du pareil au même... marmonna Zane.

 

   Et si nous revenions à notre problème, dit James, aussi fort qu’il l’osa. Je vous rappelle que nous sommes ici pour trouver un plan pour récupérer le balai de Tabitha. Même si, pour commencer, nous devons nous contenter de deviner où elle le garde.

 

   Crois-le ou pas, dit Zane d’un air hautain, mais c’est exactement à ça que je pensais. Après tout, elle peut parfaitement dormir avec son balai. Et si ce n’est pas le cas, elle doit l’avoir à portée de la main. C’est pour le découvrir que je veux monter dans le dortoir des filles.

 

James secoua la tête.

 

   C’est impossible. Mon père avait de la chance d’avoir tante Hermione. Il devait l’envoyer pour vérifier ce genre de choses. Nous sommes coincés.

 

James avait à peine terminé sa phrase qu’il y eut un bruit dans les escaliers. Les trois garçons se figèrent, l’air coupable, inquiets de qui arrivait. A petits pas précipités, un minuscule elfe de maison apparut, tenant en équilibre sur sa tête un seau avec une serpillière. L’elfe s’immobilisa en réalisant que les trois garçons la regardaient fixement.

 

   Toutes mes excuses, jeunes maîtres, dit-elle d’une voix fluette. J’étais juste montée récupérer le linge à laver.

 

Ses yeux globuleux passaient de l’un à l’autre des garçons. Elle semblait surprise d’attirer à ce point leur intérêt. James réalisa qu’elle était sans doute habituée à être ignorée. Après tout, elle travaillait pour des Serpentard.

 

   Aucun problème, Miss… ?

 

Zane s’interrompit et s’inclina, avant d’avancer d’un pas.

 

L’elfe ne répondit pas. Elle surveillait Zane avec une consternation grandissante.

 

   Pardon, jeune maître ?

 

   Quel est votre nom, Miss ? insista Zane.

 

   Ah – euh… Figule, jeune maître. Je m’excuse. Figule n’a pas l’habitude que ses maîtres lui adressent la parole.

 

Tout en parlant, l’elfe devenait de plus en plus nerveuse.

 

   Je vous crois sans peine, Figule, dit Zane, d’un ton aimable. Vous savez, je fais partie d’une organisation qui s’appelle… euh…

 

Il se tourna vers James, les yeux écarquillés. James se souvint soudain d’avoir raconté aux deux autres que sa tante Hermione avait créé une organisation pour obtenir aux elfes de maison des droits et un nouveau statut.

 

   Oh, bafouilla James, oui. La S.A.L.E. La Société d'Aide à la Libération des Elfes.

 

   Exactement, approuva Zane, qui se retourna vers Figule. (L’elfe grimaça.) La S.A.L.E. Vous en avez sans doute entendu parler ? Nous aidons ceux qui veulent être aidés.

 

   Figule n’a besoin de rien, jeune maître. De rien du tout. Et Figule a beaucoup de travail à accomplir.

 

   C’est exactement ce que je voulais démontrer, ma chère Figule. A la S.A.L.E. nous cherchons à alléger le travail des elfes de maison. Et pour vous démontrer ma bonne volonté, j’aimerais vous porter ce seau.

 

Figule parut horrifiée.

 

   Oh non, jeune maître. Figule ne veut pas que le maître se moque d’elle.

 

James comprenait ce que Zane cherchait à faire, avec son cinéma, mais il doutait que ça fonctionne. Les elfes de maison, surtout ceux qui travaillaient chez les Serpentard, étaient souvent maltraités, et leurs maîtres se moquaient d’eux sans pitié. Figule était terrorisée au point qu’elle semblait prête à fondre en larmes.

 

Zane s’agenouilla, pour regarder dans les yeux le petit être tout tremblant. Figule était toujours sur la seconde marche des escaliers.

 

   Figule, je ne veux pas vous créer de problèmes, ni me moquer de vous. Je vous le promets. Je ne suis pas un Serpentard, mais un Serdaigle. Vous connaissez les Serdaigle ?

 

   Figule les connait, jeune maître. Figule va aussi chercher le linge à laver chez les Serdaigle, le mardi et le jeudi. Les Serdaigle mettent moins de parfum que les Serpentard.

 

L’elfe bafouillait un peu, mais elle semblait plus calme.

 

   J’aimerais vous aider, Figule. Il y a sûrement davantage à porter. Je peux aller le chercher.

 

Figule serra très fort les lèvres, de toute évidence écartelée entre deux maux : la peur d’être piégée, et l’obligation d’obéir à ce qu’on lui demandait. Ses yeux énormes, aussi gros que des balles de tennis, scrutaient le visage de Zane, puis elle finit par hocher la tête, timidement.

 

   Parfait ! s’exclama Zane, gentiment. Figule, vous êtes une très bonne... euh – elfe. Il y a encore du linge dans les dortoirs, non ? Je vois que vous avez entassé un premier tas près de la porte. Je vais chercher le reste.

 

Il fit le geste de monter les escaliers.

 

   Oh non, jeune maître, attendez ! s’écria Figule, la main levée. (Le seau, sur sa tête, vacilla et elle le rattrapa d’un geste preste.) Le jeune maître va franchir la zone interdite. En principe, Figule n’a pas le droit d’être aidée. Aussi personne ne doit le savoir.

 

Figule sauta légèrement les dernières marches, puis se tourna vers les escaliers. Elle claqua des doigts. Il y eut un changement immédiat. Comme si un interrupteur avait été baissé, pensa James. Et pourtant, la lumière de la pièce n’en fut pas modifiée.

 

   Maintenant, le charme de Limitation n’est plus, et le jeune maître peut monter, mais je vous en prie… (À nouveau, l’elfe semblait hésiter entre deux impulsions contraires.) Ne touchez que le panier. Figule l’emmènera ensuite jusqu’à la cave.

 

Elle souhaitait manifestement se débarrasser le plus vite possible de ce problème délicat.

 

   Bien sûr, répondit Zane avec un sourire. (Sans même marquer une pause, il posa le pied sur la première marche. Rien ne sonna.) Je reviens tout de suite, dit-il derrière son épaule, puis il monta l’escalier.

 

James poussa un long soupir, et entendit, derrière lui, Ralph faire la même chose. Figule regarda Zane disparaître dans les escaliers, avant de se tourner, l’air inquiet, vers les deux garçons. Ralph haussa les épaules et tenta de sourire. James trouva que son rictus n’était pas très convaincant. Figule ne sembla pas le remarquer. Elle trottina dans la salle commune, passa derrière les meubles, souleva sans problème un énorme panier, et ajouta son contenu à la pile près de la porte.

 

   James, dit calmement Ralph, la carte.

 

James hocha la tête, et à nouveau, surveilla la Carte du Maraudeur. En premier, il vérifia la zone en haut à droite, où plusieurs rectangles réguliers indiquaient le terrain de Quidditch et les gradins. Il y avait des dizaines de noms écrits côte à côte, la plupart dans les gradins, mais quelques-uns s’agitaient sur le terrain. La session d’entraînement des Serpentard n’était pas terminée, bien que peu de joueurs soient encore sur leurs balais. Ils étaient probablement près des gradins, à discuter d’une stratégie quelconque. Inquiet, James étudia les noms, et trouva Squallus, Frelon, Norbert et quelques autres qu’il ne reconnut pas.

 

Figule leva les mains – avec le même geste que James avait souvent vu aux elfes de maisons de la Grande Salle pour réunir les nappes après les repas. Immédiatement, la pile de linge sale se resserra en une grosse boule, un drap l’enveloppa et se noua aux quatre coins. Figule jeta une poudre rose sur l’énorme ballot, et à nouveau, claqua des doigts. Le linge sale disparut, probablement pour réapparaître dans les sous-sols. Nerveusement, l’elfe se tourna vers les escaliers.

 

   Alors ? demanda Ralph à James d’une voix tendue.

 

   Je ne vois pas Tabitha, répondit James, en tentant de garder son calme. Ni Philia Goyle. Elles semblent avoir quitté le terrain.

 

   Comment ça ? Où sont-elles ?

 

   Je ne sais pas. Je ne les vois pas sur la carte.

 

Figule s’était tournée pour les regarder, les yeux écarquillés, comme aux aguets. Elle dut sentir que quelque chose n’allait pas, et que la situation s’aggravait. James étudiait attentivement la Carte du Maraudeur, cherchant les zones vierges pour voir si Goyle et Corsica n’allaient pas en sortir. Il surveillait tout particulièrement la porte de la salle commune des Serpentard.

 

   Oh non ! s’écria-t-il tout à coup, en ouvrant des yeux affolés. Elles sont devant la porte, elles arrivent. Qu’allons-nous faire ?

 

   Range cette carte, dit Ralph, le visage livide. Zane ! Hurla-t-il, dans les escaliers, reviens immédiatement.

 

Il n’y eut aucune réponse.

 

Figule se tordit les mains, exprimant une folle panique.

 

   Maîtresse Corsica revient ? Figule a mal agi. Figule va être punie !

 

Elle fit un bond jusqu’aux escaliers et claqua des doigts. À nouveau, il y eut ce subtil changement dans l’atmosphère, comme si un rayon invisible avait été remis. James devina que le charme de Limitation était à nouveau en place. Des pas rapides et des voix étouffées retentirent, aussi bien à l’étage qu’à la porte d’entrée de la salle commune. James replia rapidement la Carte du Maraudeur, qu’il enfouit dans son sac à dos. Ralph se jeta sur le canapé le plus proche où il affecta une pose nonchalante. La porte s’ouvrit au moment où James remettait son sac sur son épaule. Il se retourna.

 

Tabitha Corsica et Philia Goyle venaient d’entrer. Dès qu’elles virent James, elles se turent. Tabitha, vêtue d’une cape de sport et d’un pantalon collant, portait son balai sur l’épaule. Ses cheveux étaient attachés en une queue de cheval serrée. Même après avoir volé à pleine vitesse en jouant au Quidditch, sur son balai si magique, elle semblait aussi fraîche et nette qu’une tulipe. Elle parla la première :

 

   James Potter, dit-elle aimablement, ayant presque instantanément récupéré de sa surprise. Quel plaisir !

 

   Qu’est-ce que tu fais là ? demanda Philia, les sourcils froncés.

 

   Philia, ne soit pas grossière, dit Tabitha, qui traversa la pièce et passa devant James. Mr Potter est le bienvenu chez nous, comme nous le serions chez les Gryffondor. Si les élèves ne se serrent pas les coudes en ces temps difficiles, où irions-nous ? Bon après-midi, Mr Deedle.

 

Sans quitter le canapé Ralph, croassa quelque chose, l’air mal à l’aise et coupable. Philia continuait à fixer James avec une expression hostile, mais sans dire un mot.

 

   Quel dommage pour l’équipe Gryffondor, dit Tabitha, en accrochant la cape dans un coin de la pièce. En temps normal, on s’attend surtout à un match Gryffondor versus Serpentard pour le tournoi. Tu ne crois pas, Ralph ? Tes amis doivent être bien tristes après leur défaite, James. Offre-leur toutes nos sympathies. Au fait… (Tabitha retraversait la pièce, se dirigeant vers les escaliers qui montaient au dortoir des filles.) J’ai vu plusieurs joueurs Serdaigle sur le terrain, pendant notre entraînement. Mais votre ami, Zane, n’y était pas. Étrange, non ? L’auriez-vous vu ?

 

Elle surveillait le visage de James, en tapotant le sol de son bâton.

 

En signe de dénégation, James secoua la tête, sans oser ouvrir la bouche.

 

   Hum, murmura Tabitha songeuse. De plus en plus étrange. Tant pis. Viens, Philia.

 

Horrifié, James regarda les deux filles commencer à monter les escaliers. Il réfléchit fébrilement, cherchant à inventer une diversion rapide, sans rien trouver.

 

   Coin-coin. Va te faire voir, couinèrent soudain deux voix étouffées.

 

Les deux filles se figèrent. Philia, encore sur la première marche, tourna la tête, folle de colère. Tabitha, un peu plus haut, pivota plus tranquillement, affichant une expression d’étonnement poli.

 

   Tu m’as parlé ? dit-elle lentement à James.

 

   Ah… non. (James toussota, gêné.) Désolé. J’ai un… euh – un chat dans la gorge.

 

Tabitha le regarda un long moment, puis elle pencha la tête et étrécit les yeux en surveillant Ralph. Finalement, elle continua son chemin, et disparut dans l’escalier, suivie par Philia, qui jeta derrière elle un dernier regard furibard. Quelques minutes plus tard, leurs pas retentirent au premier étage. Il n’y eut aucun cri, aucun bruit de lutte.

 

   Coin-coin Tu es minable, dirent à nouveau les deux canards, enfouis dans les sacs des deux garçons.

 

   Il est complètement taré ! marmonna Ralph, qui se redressa d’un bond et attrapa son sac. Qu’est-ce qu’il fabrique ?

 

   Viens, dit James, en plongeant vers la porte. S’il est encore là-haut, nous ne pouvons pas l’aider.

 

Quittant la salle commune, ils se précipitèrent ensemble dans le couloir, et coururent au hasard, un long moment avant de s’arrêter. La respiration coupée, le cœur battant, ils récupérèrent chacun leur canard, et les examinèrent, bien qu’ils soient identiques. Il y avait un seul mot écrit à l’encre noire sur le dos de chaque canard : « Lingerie ».

 

   Il est complètement taré, répéta Ralph, mais cette fois, il riait. Figule a dû l’expédier au lavage, avec le reste des draps sales. Tu ne crois pas qu’on devrait le laisser là-bas ?

 

   Non, dit James avec un grand sourire. Il vaut mieux qu’on le récupère avant que les elfes ne le fichent dans une de leurs machines. D’accord, il le mérite, mais je tiens quand même à savoir ce qu’il a appris.

 

Les deux garçons s’élancèrent, et passèrent un bon moment à se repérer dans les couloirs du sous-sol. James dut s’arrêter une fois pour demander son chemin à un écuyer qui servait un essaim de chevaliers en plein festin. Il obtint une réponse sèche et impatientée.

 

 

   Et j’ai à peine eu deux minutes pour jeter un coup d’œil avant de voir Figule remonter les escaliers comme un boulet de canon, expliqua un peu plus tard Zane aux deux autres, qui venaient de le rejoindre dans la lingerie. Elle m’a jeté de la poudre rose sur la tête, et pfut ! je me suis retrouvé ici.

 

Ralph regardait autour de lui avec des yeux écarquillés. Il y avait d’énormes cuves de cuivre plantées sur des feux gigantesques. Et partout, des elfes de maison s’activaient comme des fourmis, ignorant avec application les trois garçons. Deux elfes, plantés sur un échafaudage au dessus des chaudrons, jetaient de pleines barriques de lessive dans l’eau bouillante. De grosses bulles savonneuses s’envolaient, et retombaient comme des flocons de neige sur la tête des garçons.

 

   Je vous assure, après deux minutes, tout ça devient franchement pénible à regarder, dit Zane d’un ton aigre. Surtout quand ces Lilliputiens refusent de vous laisser partir.

 

Effectivement, trois elfes de maison surveillaient Zane d’un regard suspicieux, à la limite de l’hostilité.

 

   Figule a envoyé un humain dans la lingerie, aussi nous le garderons ici jusqu’à ce que quelqu’un nous explique la raison de son intervention, dit le plus vieux du groupe – et le plus grincheux – d’une voix rocailleuse. C’est la règle, vous savez. Les humains ne doivent pas intervenir dans le travail des elfes de maison. C’est dans le Code des Us et Coutumes de Poudlard, section 30, paragraphe 6. Et vous deux, qui êtes-vous ?

 

James et Ralph échangèrent des regards surpris. Puis Ralph répondit :

 

   Nous sommes ses… euh, ses amis. Nous sommes venus le récupérer.

 

   Vraiment ? demanda l’elfe en lui jetant un regard pénétrant. Figule dit que cet humain a essayé de faire son travail. Elle dit qu’il a parlé de la libération des elfes, et d’autres bêtises. Elle est tout à fait bouleversée. Je ne veux pas que ce genre de choses se reproduise. Nous avons un accord avec l’école.

 

   Il ne le fera plus, dit James, d’un ton apaisant. Il voulait bien faire, mais il est Américain, et ne connaît pas à nos coutumes. Je suis désolé. Nous allons vous laisser travailler tranquille. Ça n’arrivera plus.

 

Si Zane parut plutôt vexé, il eut le bon sens de se taire. Le vieil elfe fronça les sourcils, et scruta un long moment son visage. James était plutôt surpris. Il avait l’habitude des elfes serviles, polis, grincheux parfois, mais toujours prêts à obéir. Mais ici, dans leur royaume, les règles semblaient différentes. D’après leur meneur, les elfes avaient signé un accord avec Poudlard. On aurait presque pu les croire syndicalisés, avec comme règle principale que personne n’ait le droit d’intervenir dans leur travail. Peut-être voyaient-ils ça comme une garantie d’emploi ? James se demanda ce que sa tante Hermione en dirait : était-ce une amélioration, ou un retour en arrière ?

 

Le vieil elfe finit par marmonner :

 

   Je ne suis pas certain de bien agir, mais je vous offre, à tous les trois, le bénéfice du doute. Vous êtes en probation. Dans le futur, à la moindre interférence avec le protocole des elfes, je me plaindrai de vous à la directrice. Nous avons signé un accord, vous savez.

 

   Oui, j’avais cru comprendre, marmonna Zane qui leva les yeux au ciel.

 

   Vous ne savez même pas nos noms, signala Ralph. Comment pourrions-nous être en probation si vous ne nous connaissez pas ?

 

James, effondré, lui envoya un coup de coude.

 

Le vieil elfe adressa un sourire grimaçant à ses compères, qui lui répondirent de la même façon.

 

   Nous sommes des elfes, dit-il ensuite aux trois garçons. Maintenant, disparaissez. Et j’espère bien ne jamais vous revoir.

 

Les couloirs qui conduisaient à la lingerie étaient – ce qui paraissait logique – petits et étroits, avec des marches d’escaliers peu profondes, ce qui força les trois garçons à les escalader prudemment.

 

   Je ne sais pas trop si je dois te féliciter ou te taper dessus, annonça Ralph à Zane. Tu as failli nous faire prendre par Corsica et Goyle.

 

   Mais j’ai quand même réussi à pénétrer dans le dortoir des filles, signala Zane avec un grand sourire. Et franchement, qui d’autre peut s’en vanter ?

 

   Qui le voudrait ? ajouta James.

 

   Soyez gentils, sinon je ne vous dirai pas ce que j’ai découvert.

 

   Tu as intérêt à ce que ça vaille le coup, marmonna Ralph.

 

   En fait, pas du tout, soupira Zane. Le dortoir des filles a d’énormes penderies en bois, à côté de chaque lit. Quelques-unes d’entre elles étaient ouvertes, et j’ai pu regarder à l’intérieur. Disons que je sais dorénavant où Tabitha Corsica garde son balai.

 

Ils étaient arrivés en haut des minuscules escaliers, devant une porte que James poussa, heureux d’avoir quitté le bruit et l’humidité oppressante de la lingerie.

 

   Qu’est-ce que tu veux dire au juste ?

 

   Eh bien, ces penderies sont magiques, bien entendu, même si elles ne vous emmènent pas dans un conte de fée. La première où j’ai regardé paraissait plutôt un salon de beauté, on aurait vraiment cru l’intérieur d’un magasin. Une autre était très féminine, dans le genre gothique-vampire. Il y avait une bouteille de « crème à disparaître », sur la coiffeuse, et je ne pense pas qu’il s’agissait d’une métaphore.

 

   Et toutes les filles ont ce genre de penderie ? demanda Ralph.

 

   C’est bien ce qu’il m’a semblé.

 

   Nos chances de pouvoir remonter dans le dortoir des filles avoisinent le zéro pointé, annonça James, en fronçant les sourcils. Et même si c’était le cas, comment savoir quelle penderie appartient à Corsica ? Elle n’est pas du genre à la laisser ouverte.

 

   Je vous avais dit que ce serait quasiment impossible, rappela Ralph.

 

   Il y avait une drôle d’odeur là-haut, dit Zane. Comme dans les placards de ma grand-mère.

 

   On s’en fiche ! s’exclama James. Pourrais-tu arrêter de nous donner des détails inutiles. C’est sérieux. Nous ne savons toujours pas où est le couloir de traversée des anciens, ni quand Jackson et Delacroix ont prévu de réunir les trois reliques. En fait, ça pourrait même être ce soir.

 

   Et alors ? intervint Ralph. Tu as dit qu’il ne pouvait rien faire sans les trois reliques.

 

Zane arrêta de faire le pitre, et redevint sérieux.

 

   D’accord, mais s’ils essayent, et que rien ne marche, ils risquent de cacher les deux autres reliques, et nous ne les retrouverons jamais.

 

Ralph leva les mains.

 

   D’accord, alors pourquoi ne pas envisager une autre tactique ? Après tout, Corsica sort bien son balai de cette penderie de temps à autre, non ? Aujourd’hui, elle l’avait avec elle. Pourquoi ne pas le lui prendre pendant un match de Quidditch.

 

   J’adore cette idée ! dit Zane, avec un grand sourire. En fait, ce que j’aimerais vraiment, c’est le prendre quand elle vole, à trente mètres du sol.

 

   Encore une fois, c’est impossible ! s’exclama James, frustré. Même au temps de mon père, il y avait des sortilèges de protection tout autour du terrain, pour empêcher les tricheurs d’intervenir durant le match. Je me souviens qu’une fois ou deux, des mages noirs lui ont jeté un sort, pour le faire tomber de son balai. Une autre fois, ils ont lâché des Détraqueurs sur le terrain, au milieu des élèves. Depuis, il y a des charmes de Limitation. Aucun sortilège ne peut y entrer ou en sortir.

 

   C’est quoi, un Détraqueur ? demanda Ralph, les yeux écarquillés d’horreur.

 

   Crois-moi, Ralph, tu n’as pas envie de le savoir.

 

   D’accord, dit Zane, maussade, alors nous revoilà au point de départ. Je n’ai pas d’autres idées.

 

Quand Ralph s’arrêta soudain, au beau milieu du couloir, Zane lui rentra dedans de plein fouet. Vu que Ralph était bien plus lourd, Zane rebondit, et recula de plusieurs pas à. Ralph n’avait même pas semblé remarquer le choc. Il avait les yeux fixés sur un tableau du couloir. James suivit son regard et vit que c’était celui devant lequel ils s’étaient arrêtés un peu plus tôt, pour demander leur chemin jusqu’à la lingerie. Le même écuyer s’y trouvait, dans le coin arrière de la peinture. Si James l’avait remarqué à l’aller, c’était uniquement pour l’interroger. Au fil des semaines, il s’était peu à peu habitué à cette sensation persistante d’être observé par plusieurs tableaux de l’école. L’écuyer rendit à Ralph son regard, d’un air mécontent. Sans se laisser perturber, les chevaliers levaient leurs chopes, tout en tournant, au-dessus du feu, une broche où rôtissait une dinde. Plusieurs d’entre eux se tapaient allègrement sur le dos, malgré leurs lourdes armures.

 

   Oh, génial ! grogna Zane. (Il se frottait l’épaule, là où il avait heurté Ralph.) Regarde ce que tu as fait, James. Maintenant Ralph, lui aussi, est obsédé par les peintures du XVème. En plus, ce ne sont pas les meilleures, si tu veux mon avis. Vous avez tous les deux le pire goût artistique que j’aie jamais rencontré.

 

James se rapprocha de la peinture sur le mur, et étudia l’écuyer qui restait dans l’ombre, un large torchon sur l’épaule. Aussitôt, l’homme recula d’un pas, et James fut certain que c’était pour tenter de se dissimuler davantage dans le fond du tableau.

 

   Qu’est ce qu’il y a, Ralph ? demanda-t-il.

 

   Je l’ai déjà vu auparavant, répondit Ralph, d’une voix distraite.

 

   Et ça ne m’étonne pas. En descendant, nous nous sommes arrêtés devant ce tableau, il n’y a pas dix minutes.

 

   Je sais, mais déjà à ce moment-là, il m’a paru familier. Je n’ai pas tout de suite trouvé pourquoi. Mais il avait une autre posture…

 

Ralph s’agenouilla tout à coup, et récupéra son sac à dos qu’il posa devant lui sur le sol. Il le dégrafa rapidement, et fouilla à l’intérieur, presque fébrilement, comme s’il était inquiet que l’idée soudaine qu’il venait d’avoir s’évapore avant qu’il puisse la vérifier. Il finit par sortir un livre, qu’il brandit d’un geste triomphant. Il se releva, et feuilleta les pages. Zane et James s’approchèrent de lui, essayant de voir par-dessus les larges épaules de leur ami. James reconnut le livre : c’était le vieux manuel de potion que ses parents avaient donné à Ralph pour Noël. Tandis que Ralph y cherchait toujours quelque chose, James vit les notes et les formules gribouillées dans les marges, mêlées à des diagrammes, à des dessins. Tout à coup, Ralph s’immobilisa. Il ouvrit le livre à deux mains, et très lentement, le leva pour le placer à côté de l’écuyer qui cherchait à se fondre dans le fond du tableau. James poussa un cri.

 

   C’est le même mec ! dit Zane, en le pointant du doigt.

 

Effectivement, dans la marge du livre de potion de Ralph, il n’y avait un vieux dessin au crayon qui représentait l’écuyer du tableau. C’était le même visage, le même nez trop long, la même posture boudeuse. La version peinte recula encore, comme pour s’éloigner du livre, puis traversa tout le tableau jusqu’à l’autre côté du cadre. On aurait presque dit qu’il courait. Il se cacha derrière un pilier. Les chevaliers, toujours en train de festoyer, l’ignorèrent complètement. James le regarda intensément, les yeux étrécis.

 

   Je savais bien qu’il me paraissait familier, dit Ralph d’un ton triomphant. Quand nous sommes passés la première fois, il avait une posture différente, aussi je n’ai pas réussi à le replacer. Mais cette fois, il avait exactement la même pose que sur mon livre. Franchement, vous ne trouvez pas que c’est bizarre ?

 

   Montre-moi ton manuel, demanda James.

 

Ralph haussa les épaules, et lui tendit le livre. James se pencha dessus, feuilletant les autres pages. Sur les cent premières pages, il y avait surtout des notes et des sortilèges, écrits et réécrits avec des encres de couleurs différentes, comme si l’auteur avait rajouté sans arrêt de nouvelles annotations. Au milieu du livre, cependant, se trouvaient surtout des dessins. Ils étaient à peine esquissés, mais plutôt précis. James en reconnut la plupart : la courtisane de la cour du roi ; la paysanne. Quelques pages plus loin, il trouva le sorcier grassouillet au crâne chauve, celui du tableau de l’Empoisonnement de Périclès. Encore et encore, il reconnut différents personnages, toujours accessoires, des tableaux de Poudlard, qui l’avaient récemment surveillé, et ses amis aussi, avec un intérêt avide et persistant.

 

   Incroyable, dit James, d’une voix basse et émerveillée. Ces dessins proviennent d’un nombre incroyable de tableaux de l’école.

 

Ralph se pencha à son tour sur le livre, puis leva les yeux sur la peinture. Il haussa les épaules.

 

   C’est bizarre, d’accord, mais ça n’a rien d’incroyable. D’après ce que j’ai compris, le propriétaire de ce livre était autrefois élève à Poudlard. Ton père disait même que c’était un Serpentard, comme moi – c’est d’ailleurs pour ça qu’il m’a donné ce livre. Et bien, cet ancien élève appréciait la peinture. Et il a copié plusieurs personnages sur son livre. Pas de quoi en faire un plat.

 

Zane étudia à nouveau au le dessin, puis le tableau, le front plissé. L’écuyer boudait toujours, caché derrière son pilier.

 

   Non, dit l’Américain, en secouant la tête. Ce ne sont pas des copies mais des originaux, ils se ressemblent tellement qu’on ne voit pas la différence. Ne me demandez pas comment je le sais, pour moi c’est évident. Celui qui a fait ces dessins était soit un faussaire de génie… soit le peintre lui-même.

 

Ralph y réfléchit un moment, puis secoua la tête à son tour.

 

   Je ne comprends pas, ça n’a aucun sens. Ces dessins proviennent de peintures d’un genre très différent, et d’époques tout aussi variées. Il n’est pas possible que le même sorcier en soit l’auteur. De plus, regarde, cette peinture est bien plus ancienne que ce livre.

 

   Bien sûr ! s’exclama James. (Il referma le livre des potions, avant de lire le titre inscrit sur la couverture.) Celui qui a fait ces dessins n’a pas peint tous les tableaux. Réfléchis un peu, il ne représente jamais un des personnages principaux, mais plutôt quelqu’un de caché dans le décor. Celui qui possédait ce livre a juste rajouté un personnage sur toutes ces peintures.

 

Zane releva un coin de sa bouche en plissant le front – sa grimace habituelle de concentration.

 

   Et quel est l’intérêt d’un truc pareil ? C’est comme des graffitis que personne ne remarque, sauf celui qui les a peints. Ce n’est même pas drôle.

 

James aussi réfléchissait dur. Il hocha légèrement la tête, comme pour prendre une décision, puis il regarda, une fois de plus, le livre qu’il tenait dans les mains.

 

   J’ai une idée, dit-il, les yeux plissés. Nous la vérifierons dès ce soir pour avoir une réponse définitive.

 

 

   Ralph, arrête ! se plaignit James dans un murmure impatienté. Tu me bouscules sans arrêt. En plus, tu fais bouger la cape. Je vois mes pieds.

 

   Ce n’est pas de ma faute, grogna Ralph. (Il se courba autant qu’il le pouvait.) Je sais bien que ton père rentrait là-dessous avec deux de ses copains, mais je te rappelle qu’il y avait une fille avec eux.

 

   D’accord, mais si tu mangeais un peu moins, marmonna Zane.

 

Ils étaient tous les trois arrêtés dans un couloir sombre, serrés les uns contre les autres sous la cape d’invisibilité. Un peu plus tôt, ils s’étaient retrouvés au bas des escaliers principaux. A part un moment tendu quand le préfet de Gryffondor – Steven Metzker, le frère de Noah – était passé devant eux en sifflotant (faux), ils n’avaient rencontré personne. Quand ils arrivèrent près de la statue du cyclope, James leur fit signe de s’arrêter. Maladroitement, les trois garçons se plaquèrent contre le mur, et James déplia la Carte du Maraudeur.

 

   Je ne vois vraiment pas pourquoi nous devons être trois, se plaignit Ralph. J’ai confiance en vous deux. Vous auriez pu simplement tout me raconter demain matin, au petit-déjeuner.

 

   Ralphinator, chuchota Zane, quand on a tout programmé, tu voulais participer. C’est un peu tard pour changer d’avis.

 

   Oui mais il faisait jour. Et je suis un trouillard, tu devrais déjà le savoir.

 

   Chut, dit James, mécontent.

 

Zane se pencha pour regarder la carte.

 

   Tu vois quelqu’un qui vient ?

 

   Non, répondit James, en secouant la tête, tout semble calme. Rusard est en bas, dans son bureau. Je me demande si ce mec dort ! Pour le moment, rien à signaler.

 

Ralph se redressa de toute sa taille, ce qui souleva la cape d’invisibilité du sol d’au moins 30 cm.

 

   Alors, quel est l’intérêt de rester là-dessous ?

 

   C’est la tradition, répondit James, sans quitter des yeux la carte.

 

   De plus, ajouta Zane, quel est l’intérêt d’avoir une cape d’invisibilité à notre disposition si nous ne l’utilisons pas pour jouer les fantômes dans les couloirs ?

 

   Peuh ! Je te signale que personne ne nous voit, signala Ralph.

 

James les entraîna sur la droite, et ils piétinèrent un moment les uns contre les autres. Très vite, ils arrivèrent devant la gargouille qui gardait l’escalier en spirale montant au bureau de la directrice. James savait que la statue, tout en restant parfaitement immobile, regardait leurs pieds qui dépassaient sous l’ourlet de la cape. Il espérait que le mot de passe n’avait pas changé depuis la dernière fois qu’il était venu voir McGonagall, quelques mois plus tôt, avec Neville.

 

Il s’éclaircit la gorge, et annonça d’une voix calme :

 

   Euh… Gallowater.

 

La gargouille était nouvelle – du moins elle avait été installée après la bataille de Poudlard, la précédente ayant été détruite. Elle leva la tête avec un grincement sinistre qui évoquait l’ouverture de la crypte d’un mausolée.

 

   Est-ce ceux qui portent du vert forêt, sur fond azur barré de rouge ? demanda la statue d’un ton mesuré. Je ne m’en souviens jamais.

 

Très inquiet, James se concerta un moment à mi-voix avec Ralph et Zane.

 

   Du vert forêt ? répéta-t-il. Je ne sais même pas de quoi elle parle. J’ai juste donné le mot de passe que Neville a utilisé pour monter.

 

   Et comment a-t-il répondu à la question ? demanda Zane.

 

   Il n’y a eu aucune question.

 

   Il me semble que ça évoque les teintes d’un tartan, marmonna Ralph. Ma grand-mère en a plusieurs, et c’est sa passion. Réponds juste oui.

 

   Tu crois ?

 

   Oui, je crois, mais je n’en suis pas certain. Si ça te chante, réponds non. On a une chance sur deux.

 

James se retourna vers la gargouille, qui semblait toujours fixer ses chaussures.

 

   Euh – oui, bien sûr.

 

   Parfait. (La gargouille lever les yeux au ciel.) Tu t’en sors bien.

 

Elle se redressa et pivota sur elle-même, pour révéler les premières marches d’un escalier en colimaçon. Les trois garçons se précipitèrent, se heurtant les uns les autres. À peine étaient-ils dans l’escalier que les marches s’élevèrent d’elles-mêmes, lentement. Très vite, apparut le corridor qui menait au bureau de la directrice. Quand l’escalier s’arrêta, James et Zane perdirent à l’équilibre, bousculant à Ralph, qui marmonna quelques gros mots.

 

   Bon, j’en ai marre, dit-il furieux.

 

D’un geste vif, il arracha la cape, et poussa un cri étouffé. Les deux autres sortirent la tête des plis du tissu qui les aveuglait encore, et regardèrent autour d’eux pour savoir ce qui avait effrayé Ralph. Le fantôme de Cédric Diggory était juste devant eux, affichant un sourire malicieux.

 

   Franchement, vous devriez arrêter de nous faire peur comme ça, dit Ralph, encore haletant.

 

Désolé, répondit Cédric, de sa voix surnaturelle. On m’a demandé de venir ici.

 

   Qui vous l’a demandé ? s’enquit James. (Il s’appliquait à ne rien montrer de la frayeur que l’apparition lui avait causée, mais sur sa nuque, ses cheveux étaient encore tout hérissés.) Comment quelqu’un a-t-il pu savoir que nous allions venir ici ce soir ?

 

Cédric se contenta de sourire, puis il esquissa un geste en direction de la porte épaisse qui fermait le bureau de la directrice. Bien entendu, le panneau était verrouillé.

 

Comment comptez-vous entrer ?

 

James piqua un fard, parce qu’il n’y avait pas pensé.

 

   Je n’y ai pas pensé, admit-il. C’est fermé à clé ?

 

Oui, répondit Cédric, en hochant la tête. Mais ne t’inquiète pas. C’est sans doute pour te l’ouvrir que je suis là.

 

Le fantôme pivota sur ses talons, et traversa le bois sans difficulté. Peu après, les trois garçons entendirent les cliquètements du verrou qui se libérait. Le panneau s’ouvrit sans le moindre bruit, et Cédric, avec un sourire, leur fit signe d’entrer. James pénétra le premier dans la pièce, Zane et Ralph derrière lui. Les deux autres furent surpris que James se détourne immédiatement du bureau massif de la directrice. La pièce était très sombre, mais il restait quelques lueurs rougeâtres dans les braises de la cheminée. James alluma sa baguette, et la leva bout de bras.

 

   Potter, veuillez écarter cette baguette de mon visage, dit une voix menaçante et traînante. Vous allez réveiller tout le monde, et je présume que vous tenez à garder cette conversation privée.

 

James baissa sa baguette, et jeta un coup d’œil pour étudier les autres portraits. Tous dormaient, affalés dans des poses diverses. Certains ronflaient.

 

   Oui, vous avez raison, admit-il. Je suis désolé.

 

   Ainsi vous avez déduit une partie de la vérité à ce que je vois, dit le portrait de Severus Rogue, tandis que ses yeux noirs étaient rivés sur le visage de James. Veuillez m’indiquer ce que vous croyez savoir.

 

   Ce n’était pas franchement une déduction, dit James, qui jeta un coup d’œil en direction de Ralph. C’est lui qui a trouvé. Il possède votre livre.

 

Rogue esquissa une grimace dégoûtée.

 

   Diable, ce vieux manuel ne cesse de me causer des ennuis. Il n’en valait pas la peine. J’aurais dû le détruire à la première occasion. Veuillez continuer, je vous écoute.

 

James prit une profonde aspiration.

 

   Eh bien, je savais bien qu’il y avait quelque chose de louche… depuis que j’ai remarqué que plusieurs personnages nous surveillaient, dans les tableaux du château. Je savais aussi que tous me paraissaient légèrement familiers, même s’ils étaient très différents. Je ne pense pas que j’aurais trouvé tout seul la connexion, si Ralph ne m’avait pas montré ces dessins à la plume dans votre livre. Je sais que ce manuel de potion appartenait à un élève de Serpentard que mon père estimait beaucoup. Aussi, j’ai pensé à vous, et immédiatement, tout est devenu clair. C’est vous qui avez rajouté ces personnages dans les différents tableaux de Poudlard. Et ce sont des autoportraits. Vous vous êtes peint sous divers déguisements. Et puisque vous êtes l’artiste responsable de ces œuvres, personne d’autre ne peut plus détruire les peintures. De cette façon, vous vous êtes assuré le pouvoir de garder un œil sur ce qui se passait à Poudlard, même après votre mort.

 

Les sourcils froncés, Rogue étudiait James. Au bout d’un long moment, il hocha légèrement la tête.

 

   Oui, Potter, c’est exact. Bien peu le savait, mais j’avais un don pour la peinture. De plus, étant bien entendu un maître des potions, je n’ai eu aucun problème à créer la peinture magique nécessaire. Il m’a cependant fallu beaucoup de temps et de patience avant de pouvoir ajouter mon personnage et modifier les tableaux de l’école. Tout comme n’importe quelle matière, l’art s’acquiert par le travail et l’expérience. Mais je suis d’accord, vous n’auriez jamais rien découvert si mon arrogance aveugle n’avait pas permis à mon ancien manuel de me survivre. J’ai été un grand sorcier de mon vivant, mais une trop grande confiance en soi a provoqué la chute de génies bien plus importants. Peu importe, je dois avouer que mon plan a parfaitement fonctionné. Il m’a permis de tout surveiller discrètement – aussi bien vous en particulier que les autres résidents de cette école en général. Dites-moi un peu, pourquoi êtes-vous venu me rendre visite ce soir ? Pour vous vanter de votre découverte ?

 

   Non, affirma James. (Il s’arrêta net, ayant tout à coup du mal à exprimer ce qu’il était venu dire à Severus Rogue. Il craignait que l’ancien directeur ne lui éclate de rire au nez, au pire, ne refuse sa requête.) Je suis venu… nous sommes venus vous demander de l’aide.

 

L’expression du portrait ne changea pas. Mais Rogue étudia James, sérieusement, un long moment.

 

   Vous êtes venus me demander de l’aide, répéta-t-il, comme pour se faire confirmer ces paroles.

 

Quand James hocha la tête, en signe d’acquiescement, les yeux de Rogue s’étrécirent.

 

   James Potter, je n’aurais jamais cru que ce soit possible, mais ce soir, vous venez de m’impressionner. La pire faiblesse de votre père a toujours été son refus de demander de l’aide à ceux qui étaient meilleurs sorciers que lui, plus âgés, ou plus expérimentés. Bien sûr, à la fin, il a toujours eu besoin qu’on l’assiste, mais ses alliés payaient en général très cher leurs interventions. À ce qu’il semble, vous avez dépassé cette faiblesse, même si c’est à contrecœur. Si vous aviez eu cette brillante idée, quelques semaines plus tôt, nous n’aurions pas eu à vous sauver – au dernier moment, et par pur hasard – d’un sort pire que la mort.

 

À nouveau, James acquiesça.

 

   Oui, je vous remercie pour ça. Je sais que vous avez envoyé Cédric m’aider, quand nous avons ouvert le sac de Jackson.

 

   Potter, c’était un geste inconscient, et complètement idiot. Vous auriez dû le concevoir de vous-même, mais je dois avouer qu’une telle attitude de votre part m’aurait étonné. Cette robe est extrêmement dangereuse, et vous vous montrez incroyablement négligent en la gardant dans votre chambre. Je déteste devoir vous donner un tel conseil, mais vous devriez la remettre de toute urgence à votre père.

 

   Que savez-vous du complot de Merlin ? demanda James, très excité, sans s’attarder sur la critique.

 

   J’en sais très peu, hélas, à part l’amas de connaissances théoriques que j’ai accumulé, au cours de mes études sur le sujet, tout le long de ma vie. J’ai longuement décortiqué les complots ourdis durant les siècles précédents pour le retour de Merlinus Ambrosius. Je peux vous certifier que des recherches de ce genre vous seraient bien plus utiles que les fantasmes délirants qui vous animent actuellement, pour vous emparer du bâton de Merlin. C’est ridicule.

 

   Pourquoi est-ce ridicule ? demanda Zane, en s’approchant.

 

   Ah, voici le comique de la troupe, ricana Rogue d’une voix méprisante. Mr Walker, je présume.

 

   Sa question est valable, dit James, en regardant Zane. Le bâton de Merlin est encore plus dangereux que sa robe. Nous ne pouvons pas le laisser aux mains de gens qui s’imaginent que Voldemort n’était qu’un bienveillant sorcier, maltraité par l’histoire, animé d’idées nouvelles prônant une amitié universelle.

 

   Et qui peuvent être « ces gens » dont vous parlez, Potter ? aboya Rogue d’une voix trop douce.

 

   Eh bien, il y a d’abord Tabitha Corsica.

 

   Un telle calomnie sans preuve est bien digne d’un Gryffondor, dit Rogue en regardant James sans cacher son mépris.

 

   Une calomnie! s’exclama James. Quelle est la maison affirmant que les sorciers nés-Moldus n’ont pas les mêmes droits ou les mêmes talents que les pur-sang ? Quelle est la maison à avoir inventé le terme « sang-de-bourbe » ?

 

   Taisez-vous ! grinça Rogue, d’un ton menaçant. Je vous interdis de répéter ce terme devant moi, Potter. Vous croyez savoir ce dont vous parlez, mais laissez-moi éclairer votre ignorance en vous rappelant que votre connaissance est à sens unique. Il est facile de préjuger d’un individu en se basant sur sa maison, et c’est une autre des grandes faiblesses qu’avait votre père. J’aurais espéré de vous un autre comportement, surtout en voyant les amis que vous vous êtes choisis.

 

Les yeux noirs de Rogue se posèrent sur Ralph, qui restait figé derrière les deux autres, attentif et silencieux.

 

   Euh… bafouilla James. Ralph est différent.

 

Sans quitter le grand brun des yeux, Rogue répondit immédiatement.

 

   Vraiment ? Et en quoi serait-il différent, Mr Potter ? Qu’est-ce qui vous permet de croire que vous connaissez si bien les autres membres de la maison de Mr Deedle ? Dois-je poser la question directement à Mr Deedle ?

 

   Je sais ce que nous a dit l’esprit des bois, rétorqua James, de plus en plus en colère. Je sais que quelqu’un de la lignée de Voldemort vit actuellement au château. « Son sang bat dans un cœur différent ». L’héritier de Voldemort est vivant, et il se trouve parmi nous.

 

   Vous en êtes certain ? dit Rogue sèchement. Et comment savez-vous au juste que cet héritier est un enfant de Voldemort ? Ou même qu’il est un garçon ?

 

James ouvrit la bouche pour répondre, puis la referma. Il venait de réaliser que jamais la dryade ne leur avait donné de telles précisions.

 

   Euh… je… Ça parait logique.

 

Rogue hocha la tête, avec une expression (à nouveau) dédaigneuse et hautaine.

 

   Vraiment ? Peut-être alors n’avez-vous rien appris. (Rogue poussa un grand soupir, et parut soudain étrangement déçu.) Que vouliez-vous me demander, Potter ? De toute évidence, vous avez l’intention de poursuivre à votre plan, quoi que j’en dise. Alors, autant en finir le plus vite possible.

 

Devant le portrait de l’ancien directeur, James se sentit soudain diminué. Les deux autres se tenaient derrière lui, et James réalisa que c’était à lui de parler. Après tout, cette bataille était essentiellement la sienne. Il avait un rôle à jouer pour s’opposer au retour de Merlin, mais il avait également un combat personnel à mener, contre l’ombre de son père qui pesait sur lui.

 

Il leva les yeux, et affronta le regard noir du portrait.

 

   Si nous ne pouvons pas récupérer le bâton de Merlin, j’ai besoin d’aller dans le couloir de traversée des anciens. Il faut les arrêter, avant qu’ils ne puissent cacher, à jamais, le bâton et le trône.

 

James entendit remuer Zane et Ralph derrière lui. Il se tourna vers eux.

 

   Je ne vous demanderai pas de m’accompagner, mais je dois y aller. Je dois essayer de les empêcher d’agir.

 

Rogue poussa un énorme soupir.

 

   Potter, vous êtes vraiment aussi prétentieux et inconscient que votre père. Rendez la robe ! Donnez-la à votre père ou à la directrice. Ils sauront quoi en faire. Et je les conseillerai. Il vous est impossible d’agir seul. Vous m’avez impressionné une fois, j’aimerais vous voir réussir cet exploit une seconde fois.

 

   Non ! affirma James avec force. Si je leur raconte tout, Jackson, Delacroix, et leurs autres complices s’enfuiront. Vous le savez aussi bien que moi. Et les deux autres reliques seront à jamais perdues.

 

   Sans les trois reliques réunies, le complot tombe à l’eau.

 

   Mais le pouvoir des reliques demeure, insista James. Chacune est un puissant objet magique. Nous ne pouvons pas les laisser utiliser par ceux qui veulent poursuivre l’œuvre de Voldemort contre les Moldus. Nous ne pouvons risquer que ces reliques tombent entre les mains de l’héritier de Voldemort.

 

   S’il existe ! aboya Rogue, les sourcils froncés.

 

   Nous ne pouvons pas courir ce risque, répéta James. Où est le couloir de traversée des anciens ?

 

   Potter, vous ne savez pas ce que vous demandez, dit Rogue, en se détournant.

 

   Nous le trouverons nous-mêmes, James, dit Zane en s’approchant. Nous n’avons pas besoin d’un vieux tableau grincheux pour nous le dire. Après tout, jusqu’ici, nous nous sommes débrouillés tout seuls. Nous continuerons.

 

   Si vous avez survécu jusqu’ici, gronda Rogue, furieux, c’est uniquement grâce à une chance incroyable et à diverses interventions de ma part. Veuillez ne pas l’oublier, mon garçon.

 

   C’est exact, dit Ralph. (Les deux autres se retournèrent pour le regarder, surpris de l’entendre enfin s’exprimer. Ralph déglutit péniblement, puis continua :) Oui, jusqu’ici, nous avons bien réussi. Je ne sais pas trop qui vous êtes, Mr Rogue, mais je vous suis reconnaissant de nous avoir aidés quand James a enfilé la robe de Merlin. Pourtant, je pense que James a raison. Nous devons essayer d’arrêter les complices, et de récupérer les deux autres reliques. Vous étiez un Serpentard, et vous avez dit vous-même que ce que les autres pensent des Serpentard est faux, parfois. Une des idées préconçues au sujet des Serpentard est que nous sommes égoïstes, et uniquement préoccupés de nous-mêmes. Je ne veux pas m’y conformer. Je ne veux pas que ce soit vrai. Je resterai avec James et Zane jusqu’au bout, même si nous échouons.

 

Rogue avait écouté ce discours (inhabituel de la part de Ralph) avec un regard d’acier et un visage dur. Quand Ralph se tut, le portrait regarda les trois garçons, un par un, puis il poussa un autre soupir las.

 

   Vous êtes tous les trois idiots, remarqua-t-il. Votre tentative est inutile, et dangereuse.

 

   Où est le couloir de traversée des anciens ? répéta James.

 

Rogue l’examina, puis secoua la tête.

 

   Comme je l’ai déjà dit, Potter, vous ne savez pas ce que vous réclamez.

 

   Pourquoi ? Intervint Zane.

 

   Parce que le couloir de traversée des anciens n’est pas un endroit, Mr Walker. Et vous devriez être le premier à le savoir. Si un seul d’entre vous avait un tantinet prêté attention en classe, durant ces derniers mois, vous l’auriez compris. Le couloir de traversée des anciens est un événement. Réfléchissez-y un moment, Mr Walker. Qui sont ces « anciens » ?

 

Zane cligna des yeux, et se mit à raisonner à haute voix.

 

   Les anciens, répéta-t-il, d’une voix songeuse. Attendez un peu… C’est ainsi que les astronomes du Moyen Âge appelaient les signes astrologiques, les planètes. Ils les appelaient les Anciens.

 

   Alors le couloir de traversée des anciens… (James se concentra, et tout à coup, il eut une révélation, et ses yeux s’écarquillèrent.) L’alignement des planètes ! Le couloir de traversée des anciens s’ouvrira dans les planètes seront alignées, et créeront dans le ciel une sorte de… couloir. Un passage.

 

   L’alignement des planètes, répéta Ralph, d’une voix émerveillée. Ce n’est pas un endroit, mais un moment.

 

Rogue regardait les trois garçons d’un regard dur.

 

   Non, pas vraiment, c’est plus compliqué que ça, dit-il d’une voix résignée. Bien sûr, il s’agit du moment où les planètes seront alignées, mais c’est aussi l’endroit où les trois reliques de Merlinus Ambrosius seront réunies. C’est alors, et seulement alors, que Merlin pourra revenir. Il faut toutes ces circonstances en même temps. Et, à moins que je ne me trompe, si vous tenez à poursuivre votre plan grotesque, il vous reste moins d’une semaine.

 

Zane claqua des doigts.

 

   C’est pour ça que la reine vaudou est de plus en plus excitée pour que nous découvrions l’heure exacte de cet alignement. Elle prétend que c’est une nuit que nous n’oublierons jamais, et c’est la vérité. Surtout si c’est le moment où les trois reliques sont réunies.

 

   Dans la Caverne du Secret, chuchota James. C’est la qu’ils iront. D’ailleurs, le trône s’y trouve déjà.

 

Les trois garçons se regardèrent et, en même temps, hochèrent la tête. James avait les joues brûlantes, et la tête qui tournait de peur et d’excitation. Une dernière fois, il regarda le portrait de Severus Rogue et dit :

 

   Merci.

 

   Ne me remerciez pas, Potter, et suivez plutôt mon conseil. Si vous avez l’intention de continuer, je ne pourrai plus vous aider. Personne ne le pourra. Ne soyez pas aussi fou.

 

James recula, éteignit sa baguette, et la rangea dans sa poche.

 

   Venez, dit-il aux deux autres. Il faut que nous rentrions.

 

Rogue surveilla James, tandis qu’il sortait de sa poche la Carte du Maraudeur et l’étudiait. Ce n’était pas la première rencontre de l’ancien directeur avec cette carte. Autrefois, à une occasion, la carte l’avait copieusement insulté. Après avoir vérifié que Rusard n’avait pas quitté son bureau, les trois garçons se dissimulèrent une fois de plus sous la cape d’invisibilité, puis quittèrent le bureau de la directrice et reprirent le couloir. Rogue envisagea un moment de réveiller le concierge, qui dormait dans son bureau, avec une bouteille à moitié vide de whisky-de-feu près de lui. Rogue avait ajouté un de ses alter ego sur une peinture de chasse, dans le bureau de Rusard. Il pouvait parfaitement se rendre dans ce tableau, et prévenir Rusard que trois élèves erraient dans les couloirs du château. À contrecœur, il décida de n’en rien faire. Étrange, mais ces petites vengeances mesquines ne l’amusaient plus. Il regarda, morose, le fantôme de Cédric Diggory – qu’il avait été le premier à reconnaître – refermer la porte de la directrice, remettant les verrous en état.

 

   Merci, Mr Diggory, dit tranquillement Rogue au fantôme, sans élever la voix, malgré les ronflements des autres portraits. Veillez à ce qu’ils retournent jusqu’à leurs dortoirs. En fait, faites ce que vous voulez. Je m’en lave les mains.

 

Sans répondre, Cédric hocha la tête. Rogue savait que le fantôme n’aimait pas lui parler. Étrange, mais un fantôme qui parlait à un tableau semblait troubler ce garçon. Peut-être parce que ni l’un ni l’autre des interlocuteurs n’était plus humain. Du moins, c’est l’explication que Rogue avait déduit de son comportement. Cédric disparut en traversant la porte.

 

Derrière Rogue, l’un des portraits arrêta de ronfler, sans plus prétendre dormir.

 

   Vous savez, il n’est pas comme son père, dit une voix songeuse.

 

Rogue s’installa plus confortablement dans son cadre.

 

   En tout cas, il a quelques-unes de ses pires caractéristiques. C’est un Potter.

 

   Ah-ah, et qui maintenant donne dans la calomnie facile ? se moqua l’autre voix.

 

   Il ne s’agit pas d’une calomnie, je l’ai surveillé. Il est aussi arrogant et inconscient que tous ceux qui portent ce nom-là. Et ne prétendez pas que c’est faux. Vous l’avez vu vous-même.

 

   Ce que j’ai vu, c’est qu’il est devenu vous demander votre aide.

 

   C’est vrai, admit Rogue à contrecœur. Peut-être a-t-il quelques qualités. Il ne me reste qu’à continuer ma tâche, comme de coutume. Je le surveillerai.

 

   Croyez-vous que lui et ses amis aient la moindre chance de succès ?

 

Rogue ne répondit pas, aussi le silence retomba un moment. Quelques minutes plus tard, la voix plus âgée reprit la parole :

 

   Il est manipulé. Et il ne s’en rend pas compte.

 

   Oui, acquiesça Rogue. Mais je n’ai pas vu l’intérêt de l’en prévenir.

 

   Vous avez sans doute raison, Severus. Vous avez un instinct très sûr pour ce genre de choses.

 

   C’est de vous que j’ai appris à ne pas dévoiler tous mes plans, remarqua Rogue. Vous étiez un maître en la matière, Albus. Je ne fais que suivre vos traces.

 

   Je n’en doute pas, Severus, répondit aimablement Albus Dumbledore dans son cadre.