Chapitre 8 : La Caverne du Secret
Grawp s’agenouilla, pour permettre à Zane, James et Chateaubourg de monter sur son dos. James et Zane s’installèrent chacun sur une épaule, agrippés à la chemise rugueuse du géant pour ne pas tomber. Quant à Chateaubourg, sans se soucier du ridicule, il resta sur le dos de Grawp, comme un enfant porté par son père. Il tenait à bout de bras sa baguette allumée, projetant devant le géant un halo de lumière qui leur permettait de voir à quelques mètres et d’étudier le sol autour d’eux. Le sorcier dirigea Grawp vers le lac. Alors qu’ils se mettaient en route, James jeta un coup d’œil en arrière : Harry et Ted n’avaient pas encore trouvé le moyen monter sur les épaules de Prechka.
— Tu ne crois pas qu’on devrait prendre une échelle ? s’écria Ted.
— Il faut juste la convaincre de se pencher et de poser les mains par terre, répondit Harry en gesticulant en direction de la géante.
Prechka s’était agenouillée, certes, mais son attention avait été distraite par le jardin potager de Hagrid. Elle venait d’arracher une pleine poignée de ses citrouilles, racines comprises, et les mâchonnait avec entrain.
— Ça va aller, ça va aller, affirmait Hagrid d’une voix calme. Penche-toi un peu. Voilà. Oh, attention !
Il y eut un craquement sonore. Prechka avait posé la main sur le toit de la cabane à outils, la détruisant complètement.
— Tant pis, dit Hagrid, tapotant gentiment le coude énorme de Prechka. Maintenant, vous deux pouvez monter plus facilement. Utilisez le mur qui reste comme marchepied.
Prechka cherchait déjà à se redresser. Harry et Ted n’eurent que le temps de se précipiter sur ses épaules. Puis Grawp pénétra dans le bois, à l’est du lac, et la densité des arbres empêcha James de voir ce que devenait son père.
Grawp prenait un soin étonnant à baisser la tête et éviter les branches basses qui auraient pu renverser ses trois passagers. À chaque pas, James sentait le poids énorme du géant résonner sur le sol, très bas en dessous, mais, assis sur sa large épaule, il n’était pas secoué comme on aurait pu le croire. Chateaubourg dirigeait Grawp d’une voix calme, sa tête près de celle du géant, au niveau de l’oreille. Suivant ses instructions, Grawp parcourut des zigzags réguliers en approchant du lac, puis il retourna vers l’épaisseur des bois, pour fouiller le périmètre alentour. Leurs progrès étaient lents, et le balancement monotone du pas de Grawp rendit vite James somnolent. Il secoua la tête pour s’éclaircir les idées, puis étudia à nouveau le sol devant lui, cherchant l’un des indices que son père leur avait décrits. Pour ne pas s’endormir, il expliqua à Zane et à Titus comment il avait aperçu l’intrus sur le terrain de Quidditch. Il leur parla de la caméra, et des deux occasions précédentes où il avait vu le même inconnu aux alentours et à l’intérieur du château.
— Tu as déjà vu trois fois cet homme, alors ? demanda Chateaubourg de sa grosse voix.
— Oui, admit James.
— Et à part ton père, ce soir, personne d’autre que toi ne l’a jamais vu ?
James se sentit plutôt mal à l’aise devant cette insistance, mais il répondit franchement :
— Non. Personne.
Ensuite, tous trois restèrent silencieux un moment. D’après les estimations de James, ils avaient parcouru environ un tiers du périmètre. Il avait, de temps à autre, quelques aperçus du château, quand ils se rapprochaient de la rive du lac, et que la vue se dégageait devant eux. Les bois paraissaient déserts, hélas, et tout était normal. Il y avait quelques craquements furtifs de créatures nocturnes ; des grenouilles coassaient dans les roseaux. Chaque fois que James étudiait la pénombre, aux abords du halo de lumière, il voyait voler des papillons de nuit et des oiseaux, qui ne semblaient pas inquiets. Personne n’était passé dans ce bois – du moins pas récemment.
— Arrête-toi, Grawp, dit tout à coup Chateaubourg d’une voix brusque.
Le géant obéit, et resta immobile, tournant juste la tête pour regarder autour de lui. James remarqua que sa large oreille était sale, puis il chercha à comprendre ce qui avait alerté Titus. L’Auror était figé, comme s’il écoutait attentivement quelque chose. Quelques secondes passèrent. James était conscient qu’il fallait se taire. Tout à coup, non loin de là, un bruit se rapprocha, un bruissement de feuilles mortes. Il y eut une sorte de grincement – ou de cliquètement – puis plus rien. Ni Grawp ni Chateaubourg ne remuaient. James vit l’Auror tourner lentement la tête, cherchant à déterminer l’origine de ce bruit inconnu.
Les sons recommencèrent, plus proches, mais toujours cachés par l’obscurité. C’était devant eux, là où le sol formait une petite butte, qui leur cachait la vue. D’après James, il y avait quelque chose d’inhumain dans le grincement qu’ils avaient entendu. C’était trop… rapide. Il sentit ses cheveux se hérisser sur sa nuque.
Chateaubourg tapota légèrement la nuque du géant, puis il désigna le sol en silence. James sentit Grawp s’accroupir, avec une souplesse qui, à nouveau, le surprit. Quand Grawp posa les mains à terre, les feuilles mortes crissèrent doucement sous son poids. Sans bruit, Chateaubourg descendit du dos du géant. Les yeux durs de l’Auror restaient fixés sur la butte.
— Vous deux, restez avec…
Il fut interrompu par une agitation soudaine, bien plus près cette fois. James réussit à discerner quelque chose. Les feuilles mortes s’envolaient à l’ombre de la butte. Une… bête courait à une vitesse inquiétante entre les arbres, écrasant les buissons. Elle semblait énorme, avec beaucoup trop de pattes. Une curieuse lueur bleuâtre émanait de la chose, et clignotait au rythme rapide de ses mouvements. Quand la bête approcha, Chateaubourg se plaça devant Grawp et ses deux passagers. Avec l’économie de mouvements d’un Auror confirmé, il agita sa baguette et envoya un sortilège de Stupéfixion dans les buissons devant lui. La créature modifia sa course, contourna la zone éclairée, et plongea dans un ravin. Il était facile de suivre sa piste grâce à la lumière bleue clignotante. Maintenant dirigée vers le haut, elle éclairait les branches des arbres tandis que la bête s’enfonçait dans le bois.
— Vous deux, restez avec Grawp, gronda Chateaubourg en se lançant au pas de course derrière l’animal. Grawp, si tu vois approcher quoi que ce soit, écrase-le.
Chateaubourg était un homme massif, mais malgré sa taille, il courait de façon remarquablement rapide. En quelques secondes, il avait disparu, tout comme la créature. Il n’y avait plus aucun bruit dans la forêt. Les deux garçons sautèrent des épaules du géant, et s’avancèrent vers le ravin pour y jeter un coup d’œil prudent.
— Qu’est-ce que c’était ? demanda Zane d’une voix hésitante.
James secoua la tête.
— À mon avis, mieux vaut ne pas savoir. En tout cas, ça n’était pas ce que nous cherchions.
— Encore heureux ! affirma Zane, avec force.
Un moment encore, les deux garçons surveillèrent le ravin où Chateaubourg et la bête avaient disparu. Autour d’eux, résonnaient les sons habituels d’une vie nocturne active, les grenouilles coassaient, les papillons voltigeaient comme si rien ne s’était passé. James et Zane n’entendaient rien, ne voyaient rien.
— Jusqu’où va-t-il poursuivre ce truc ? demanda enfin Zane.
Fataliste, James haussa les épaules.
— À mon avis, jusqu’à ce qu’il le rattrape.
— Et si c’est la bête qui attrapait Chateaubourg en premier ? s’inquiéta Zane avec un frisson. Tu sais, je trouvais beaucoup plus rassurant d’être sur les épaules de Grawp. Si on remontait ?
— Bonne idée, approuva James. (Il se retourna). Hey, Grawp, veux-tu…
Il s’arrêta net. Le géant avait disparu. Durant quelques secondes, trop horrifiés pour parler, les deux garçons regardèrent fébrilement autour d’eux.
— Là ! dit Zane tout à coup, pointant du doigt la direction du lac.
James se tourna et vit Grawp, sur la rive. Il escaladait d’énormes rochers couverts de mousse et des arbres tombés. Les deux garçons se précipitèrent. Ils durent contourner une pierre aussi haute qu’une maison derrière laquelle ils avaient vu disparaître le géant. Mais Grawp s’était encore écarté pour fouiller la terre sous un arbre mort. Puis il avança plus loin.
— Qu’est-ce qu’il fabrique ? s’écria Zane exaspéré. Où va-t-il ?
— Grawp ! appela James à mi-voix. (Il hésitait à crier, ne souhaitant pas attirer l’attention d’autres créatures monstrueuses.)
La nuit était de plus en plus dense. D’épais nuages noirs avaient caché la lune, réduisant les bois à une masse obscure et menaçante.
— Grawp ! Répéta James, viens ici. Qu’est-ce que tu fais ?
Plusieurs minutes encore, Zane et James furent contraints de suivre les traces du géant, se frayant péniblement un chemin le long des rives du lac, passant au milieu des ronces, escaladant à grand peine des troncs d’arbres que le géant avait enjambés d’un pas. Ils réussirent enfin à le rejoindre, au bord de l’eau, dans une petite anse. Quelques îlots boisés, non loin de là, leur coupaient la vue de la rive d’en face. L’air, gorgé d’humidité, avait des relents de mousse. Alentour, les insectes bourdonnaient activement. Planté devant un énorme tronc noueux, Grawp dépouillait ses branches de leur noix, avant de les enfourner dans sa bouche, coques y compris. Lorsque les garçons arrivèrent près de lui, encore haletants, il mâchait avec entrain, produisant de nombreux craquements.
— Grawp ! S’écria Zane, cherchant à retrouver son souffle. Qu’est-ce que tu fais ?
En entendant sa voix, le géant baissa les yeux, et son visage exprima sa surprise.
— Grawp faim, répondit-il. Grawp sentir nourriture. Grawp manger et attendre. Petit homme revenir.
— Grawp ! Maintenant, nous nous sommes perdus. Titus ne nous retrouvera pas. Il ne sait pas que nous sommes partis, cria James, en essayant de contrôler sa colère.
Avec une expression placide, Grawp continua à le regarder – et à manger.
— Bon, laisse tomber, dit Zane. Maintenant qu’on est là, autant qu’il boulotte ses noix, ensuite, nous lui demanderons de nous ramener là où Titus nous avait dit de l’attendre.
L’Américain se laissa tomber sur un rocher, et examina de plus près les égratignures et les bleus récoltés après sa course derrière le géant. James fit une grimace mécontente, mais ce serait inutile de discuter avec Grawp, il le savait.
— Très bien, admit-il d’un ton sec. Mange, Grawp, et ensuite, tu nous ramèneras. D’accord ?
Grawp poussa un grognement d’agrément. Il tirait si fort vers lui une des plus grosses branches du noyer qu’il provoqua un craquement bruyant.
Frustré, James s’aventura près de l’eau, repoussant les mauvaises herbes et les joncs pour avancer. Ici, le lac ressemblait davantage à un marais, il n’y avait qu’une faible profondeur d’eau stagnante entre la berge et le premier des petits îlots. Ce n’était qu’un bout de terre inculte qui émergeait du marécage, avec des buissons serrés et quelques arbres. En fait, l’îlot devait même se trouver sous l’eau la plupart du temps. A trois mètres de là, James vit plusieurs arbres tombés, renversés sans doute par un récent orage. James pensa que leurs racines n’avaient pas trouvé à s’accrocher dans la terre inondée. Dans cette nuit si noire, la scène était à la fois sinistre et terrifiante.
Quand la lune apparut, James décida qu’il était temps de rentrer. Il ne voulait pas que Chateaubourg se lance à leur recherche. Mais alors qu’une lumière argentée émergeait des bois, James se figea. Un frisson de terreur le secoua de la tête aux pieds. La forêt était soudain parfaitement silencieuse, immobile, comme morte. Plus un animal ni un insecte ne bougeait. James lui-même semblait transformé en pierre, et seuls ses yeux affolés fouillaient activement l’ombre sous les arbres. D’ailleurs, le silence n’était pas le seul changement dans la forêt. Tout s’était figé, et ce n’était pas normal.
— James ? (La voix de Zane, dans le silence, parut inquiète et tendue.) Tu ne trouves pas… je crois… il y’a quelque chose d’étrange. Et… c’est quoi ce truc dingue ?
Zane venait de rejoindre James au bord du lac.
— Quoi ? demanda James en le regardant. Quel truc dingue ?
Il suivit le regard de Zane et poussa un cri étouffé. L’îlot proche de la berge avait changé d’aspect. James n’arrivait pas exactement à définir la nature de cette différence, mais ce qu’il avait cru être un alignement normal d’arbres et de buissons avait pris, au clair de lune, un tout autre aspect. On aurait dit une ancienne structure bien organisée. Il était difficile de ne pas voir des piliers et des portes, des gargouilles et des contreforts, le tout forgé dans le bois naturel et le sol de l’île, comme si ce n’était qu’une illusion d’optique.
— Je ne suis pas certain d’apprécier ce que je vois, insista Zane, à voix basse. Surtout le pont.
James regarda plus attentivement. Les arbres tombés dans l’eau reliaient l’îlot à la terre ferme, en une sorte de pont naturel, et son aspect avait également changé. Deux larges troncs formaient un passage. Au-dessus, les branches étaient tressées en une tête de dragon, gigantesque et stylisée. Un rocher noir qui surgissait entre les racines tordues représentait l’œil de la bête. Deux autres arbres, tombés en biais, créaient l’arcade de la mâchoire supérieure ouverte, jetant sur le bois noirci une ombre menaçante. On aurait cru cette mâchoire prête à se refermer sur quiconque osant poser un pied sur le pont.
James avança prudemment vers l’étrange structure.
— Hey, tu n’as quand même pas l’intention de marcher là-dessus ? demanda Zane. Si tu veux mon avis, ce ne serait pas sain du tout.
— Allez, dit James sans se retourner. Je croyais que tu voulais vivre des aventures franchement dangereuses.
— Tu sais, en y réfléchissant, ce genre de choses se déguste à très petite quantité. Et cette bestiole qu’on a croisée tout à l’heure me suffit largement. Pas besoin d’en rajouter.
Sans l’écouter, James contourna un buisson épineux, quelques arbustes maigrelets, puis il se trouva planté devant les mâchoires du dragon, face au pont en bois. De près, l’illusion était encore plus parfaite. Des branches de bouleau formaient des poignées lisses et faciles d’accès. Les deux troncs d’arbres à l’horizontale étaient proches l’un de l’autre, et des lianes nouées et des feuilles recouvraient leurs surfaces, y formant un souple tapis.
— D’accord, dit James, reste là. J’y vais.
Il comprenait l’appréhension de Zane à s’aventurer plus avant, et ne lui en voulait pas. Mais pour lui, le mystère était une attraction à laquelle il ne pouvait résister. Il posa le pied sur le pont.
— Aaah, flûte ! gémit Zane, en le suivant.
Sur l’île, de l’autre côté du pont, de la vigne vierge lourdement chargée de feuilles formait une immense porte d’entrée, aux arcades compliquées. En dessous, l’ombre était dense et impénétrable. James avança plus près, et vit que les racines dessinaient sur la porte des signes reconnaissables.
— Regarde ! dit-il en chuchotant, j’ai l’impression qu’il y a quelque chose d’écrit. C’est un poème, ou des runes… je n’arrive pas bien à voir.
Pourtant, dès que James déchiffra le premier mot, le reste du poème apparut clairement, alors qu’il plissait les yeux depuis plusieurs minutes pour mieux voir. Il lut à voix haute :
Sous la lumière de Sulva
Je trouverai la Caverne du Secret
Et quand la nuit correspondra au moment attendu
Je quitterai enfin mon sommeil profond
Pour trouver l’aube et le soleil
Sans que rien ne manque à mes reliques
Ce sera une nouvelle vie et une ère étrangère
Quand s’ouvrira le couloir de traversée des anciens
Quelque chose, dans la nature de ce poème, fit frissonner James.
— Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Zane, après avoir relu deux fois l’inscription.
James haussa les épaules.
— La seule chose que je sais, c’est que Sulva est un ancien mot qui désigne la lune. Donc, pour les premières lignes, j’imagine qu’on ne peut voir cet endroit que quand la lune est pleine – comme ce soir. Ça doit être vrai, d’ailleurs, parce que quand je suis arrivé au bord du lac tout à l’heure, cet îlot paraissait simplement abandonné et désert. À mon avis, ça doit être aussi la Caverne du Secret, mais cette découverte ne m’avance pas beaucoup.
Zane se pencha en avant.
— Et que penses-tu de ça : « Pour trouver l’aube et le soleil » ? Peut-être devrions-nous revenir quand il fait jour ? Franchement, cette idée me plaît bien.
Sans répondre à Zane, James posa la main sur la lourde porte, et poussa de toutes ses forces. Le bois émit un sourd craquement, mais sans céder. Par contre, le geste de James provoqua une réaction de l’îlot. Un grondement terrifiant naquit sous les pieds des deux garçons. Quand James baissa les yeux, il fit un bond en arrière. Des racines jaillissaient sous le pont. La vigne vierge rouge sombre qui formait la porte s’agita, puis émit un crépitement comme un journal jeté au feu. Des ronces avancèrent, menaçantes, garnies d’épines d’une affreuse couleur violette et qui semblaient venimeuses. James les regarda grossir, les yeux écarquillés. En quelques secondes, elles avaient recouvert la porte, cachant les mots du poème. Sous leurs pieds, le sol ne bougeait plus.
— Eh bien, voilà qui règle la question, dit Zane, d’une voix curieusement haut perchée. (Derrière James, il commença à reculer prudemment.) Je pense que cet endroit exige notre départ, et vite.
— Attends, je voudrais essayer autre chose, dit James. (Il sortit sa baguette de sous sa cape, et sans trop réfléchir, la dirigea vers la porte.) Alohomora.
Quand la lueur dorée émise par la baguette toucha les ronces, leur réaction fut immédiate et très violente. Elles rejetèrent le sortilège, qui explosa en étincelles furieuses. Puis toute l’île frissonna, et la menace muette devint plus pesante. Il y eut un halètement, comme un millier de personnes se mettant à respirer en même temps, puis une voix surnaturelle chuchota :
— Allez-vous-en !
Sous la véhémence de l’ordre, James vacilla en arrière, heurtant Zane. Les deux garçons, s’écroulèrent sur le pont qui frémit sous leur poids. James, horrifié, vit les arbres bouger au dessus de lui. On aurait dit que la mâchoire supérieure du dragon se démantibulait. Les branches déchiquetées et pointues ressemblaient de plus en plus à des dents.
— Allez-vous-en ! Répéta l’île.
Le son semblait provenir d’un million de petits êtres mauvais qui chuchotaient en même temps.
Puis le plancher du pont se souleva, se détachant de la berge. La mâchoire supérieure descendit d’un cran, prête à s’écrouler pour dévorer les deux garçons. Ils reculèrent précipitamment, tombant l’un sur l’autre, et se jetèrent juste à temps sur la berge. Le pont s’effondra. Les mâchoires gigantesques claquèrent avec un bruit affreux. Branches cassées et morceaux d’écorce furent projetés alentour, retombant sur James et Zane qui reculaient précipitamment, sur les fesses, poussant des talons parmi les herbes folles, tandis que leurs mains dérapaient dans les feuilles mortes et les aiguilles de pin.
Mais sous eux, le sol bougeait encore. Des racines émergèrent de la poussière, des crevasses s’ouvrirent dans la terre. James eut la sensation que la rive se dissolvait sous ses pieds. Son pied tomba dans un trou, et il l’en arracha de justesse, évitant la racine qui s’était déjà tendue pour le retenir. Il recula, cherchant à retrouver la terre ferme, mais sans y parvenir. Une sorte d’avalanche le ramena vers le bord de l’eau. D’ailleurs, la surface bouillonnait, créant un trou boueux et effrayant. Les pieds des deux garçons s’enfoncèrent dans la vase… Elle les aspirait, prête à les engloutir. Zane tendit un bras vers la berge, essayant d’échapper aux sables mouvants. James chercha une prise autour de lui, mais rien ne semblait solide désormais. Même les racines des arbres, révélées par les failles du sol, devenaient molles et sans consistance sous ses doigts, couvertes d’une répugnante substance gluante qui moussait un peu partout.
Et tout à coup, par miracle, surgit Grawp. Il tomba à genoux, s’agrippa d’une main à un tronc d’arbre, puis de l’autre, récupéra Zane, plus proche de lui. Le géant arracha le garçon de la vase, et le mit à l’abri sur son épaule. L’Américain s’accrocha à deux mains à la chemise de Grawp qui se penchait à nouveau, pour attraper James, déjà presque immergé par les sables mouvants. Quand James émergea de la boue, une horrible racine poilue jaillit de l’eau et s’agrippa à sa cheville, cherchant à le ramener sous l’eau. Son corps resta un moment écartelé entre la racine et le géant. La force de la traction était telle que James craignit de finir en deux morceaux. La racine finit par glisser, toujours agrippée à quelque chose. James baissa les yeux, et vit sa chaussure disparaître sous l’eau stagnante.
Alors que Grawp commençait à se relever, de nouvelles racines jaillirent du sol tout autour de lui. D’énormes tentacules de bois s’enroulèrent autour des jambes du géant. Elles poussaient de plus en plus vite, resserrant leur prise sur le tissu de son pantalon auquel elles s’agrippèrent en y plantant leurs épines. Grawp poussa un rugissement de douleur et de colère, puis il tira violemment, déchirant son pantalon, et arrachant du sol quelques racines. Mais leur force et leur nombre étaient trop, même pour lui. Le géant retomba à genoux, puis fut penché de force en avant tandis que d’autres tentacules lui entouraient la taille et remontaient le long de son échine. Agrippés aux épaules du géant, James et Zane surveillaient leur approche. Les racines cherchaient toujours à les atteindre. Grawp hurla quand un nouveau tentacule s’enroula autour de son cou, attirant son visage vers une faille qui béait devant lui.
James faillit glisser son perchoir quand le géant tomba, attiré vers le sol par la force des multiples racines qui l’étouffaient peu à peu. Tout à coup, il y eut un brillant éclair d’un vert doré, accompagné par une vibration en sourdine. Aussitôt, racines et tentacules reculèrent, comme repoussées par la lumière. Peu à peu, elles lâchèrent prise, manifestement à contrecœur, et reculèrent, libérant leur proie. De nouveaux éclairs lumineux frappèrent celles qui s’attardaient. Chaque lueur repoussa davantage la masse grouillante, les plus petites racines s’écroulèrent, sans vie, les plus grandes se contentèrent de s’enterrer à nouveau dans le sol, en produisant un gargouillement immonde.
Grawp, Zane et James s’étaient d’abord écroulés, puis ils reculèrent le plus loin possible de la rive maudite, jusqu’à la terre ferme. Ils restèrent un moment étendus, le souffle court, parmi les feuilles mortes et les branches cassées. James roula ensuite sur lui-même, et se mit à genoux, il y avait devant lui une haute silhouette dont l’aura brillait faiblement, de cette même lumière d’un vert doré qui avait repoussé les racines. Au travers, James aperçu une forme qui, un peu comme un arc-en-ciel, à la fois attirait et renvoyait la lumière. On aurait dit une femme, très grande, très mince, vêtue d’une longue tunique d’un vert sombre qui semblait provenir directement du sol. Elle avait des cheveux vert pâle qui flottaient comme une auréole autour de sa tête. Elle était merveilleuse, mais son expression était sombre.
— James Potter, Zane Walker et toi Grawp, fils de la terre, vous êtes en danger ici, ce soir. Il vous faut quitter les bois. Aucun humain n’est plus à l’abri désormais sous cette ramée.
James se remit péniblement debout.
— Qui êtes-vous ? Que s’est-il passé ?
— Je suis une dryade – une nymphe de la forêt. J’ai réussi à faire taire la Voix de l’Île, mais mon pouvoir sur elle ne durera que peu de temps. Chaque jour, elle devient de plus en plus impatiente.
— Une nymphe de la forêt ? demanda Zane, tandis que Grawp le remettait sur ses pieds, plutôt brutalement. C’est comme un fantôme ? Je ne savais pas que les arbres avaient des fantômes.
— Je suis une dryade, un esprit des bois, attachée à un seul arbre. Tous les arbres de la forêt ont leur esprit, mais après des siècles et des millénaires de sommeil, notre pouvoir a peu à peu diminué. Jusqu’à maintenant. Naïades et dryades ont été réveillées, et nulle d’entre nous ne sait pourquoi. Les rares humains qui autrefois communiquaient avec les arbres ont disparu, et leur science est oubliée. Nous appartenons au passé. Et pourtant, nous avons été rappelés.
— Rappelés par qui ? demanda James.
— Pour le moment, nous l’ignorons, et je peux vous assurer que nous avons tout tenté pour le savoir. Il y a une discordance parmi nous. Beaucoup d’arbres se souviennent de la scie des hommes, qui se soucient fort peu de veiller au reboisement. Les arbres les plus vieux sont en colère, ils ont tourné et souhaitent la perte des humains. Ce sont eux qui gagnent pour l’instant. Vous avez été soumis à leur colère, mais pas de la façon dont ils l’auraient voulu.
— Que voulez-vous dire, « ce sont eux qui gagnent » ? demanda Zane. (Il fit un pas en avant, les yeux plissés pour mieux voir la magnifique dryade.) Quel est cet endroit ? Cette île étrange ? Que signifie « le couloir de traversée des anciens » ?
— La durée de vie des hommes sur la terre est courte, mais nous autres, dryades des arbres, regardons les années passer comme s’il s’agissait de jours. Pour vous, les étoiles semblent immobiles, mais nous étudions les cieux comme une chorégraphie, dit l’apparition d’une voix douce, presque rêveuse. Depuis notre réveil, la danse des étoiles est devenue plus agitée. Les astres proposent des milliers de futurs, tous plus sombres les uns que les autres pour le monde des hommes. Tout se décidera bientôt. Il n’y a qu’un seul destin favorable. Tous les autres vous apporteront des bains de sang ; des pertes innombrables ; de grandes douleurs ; des temps bien funestes ; la guerre, la terreur et la violence ; des tyrans ; des famines… Tout sera déterminé à la fin de ce cycle. Nous autres, les arbres, ne pouvons qu’en être spectateurs, mais certains, parmi nous, restent fidèles au souvenir de l’harmonie qui régnait jadis entre les hommes et la flore. Aussi, quand le temps viendra, nous vous aiderons autant que possible.
James se trouvait presque hypnotisé par la voie de la dryade, mais il ressentit en l’écoutant un accès de désespoir – et une frustration de plus en plus importante.
— Vous avez dit qu’il existait une chance d’éviter la guerre ! s’écria-t-il. Que pouvons-nous faire ? Comment pouvons-nous influencer le destin ?
Le visage de la dryade s’adoucit. Ses immenses yeux liquides eurent un sourire triste.
— Il n’y a aucune chance de prédire les conséquences des actions entreprises, répondit-elle. Peut-être ce que tu fais déjà aidera-t-il à préserver la paix. Peut-être, les mêmes choses amèneront-elles la guerre, quelles que soient tes bonnes intentions. Tu dois faire ce que tu sais faire, l’esprit ouvert et le cœur pur.
Zane ne put retenir un rire moqueur.
— Sensei, voilà qui ne nous aide pas beaucoup !
Aucun des deux autres ne lui prêta la moindre attention.
— Il y a bien plus de danger en attente dans la trame du destin que tu ne le sais déjà, James Potter, dit la dryade en avançant si près de James que son aura éclaira le visage du garçon. L’ennemi de ton père – celui qui ignorait tout de l’amour – est mort, mais son sang bat encore dans un cœur différent. Le sang de ton pire ennemi est toujours en vie.
James sentit ses genoux vaciller. Il faillit tomber à la renverse, et tendit la main, pour se retenir à un tronc d’arbre.
— Vol-Voldemort ? bredouilla-t-il dans un chuchotement horrifié.
La dryade hocha la tête, refusant de toute évidence de prononcer ce nom.
— Son grand projet d’immortalité a échoué, à cause de ton père. Mais cet homme avait des ressources innombrables. Il avait préparé autre chose. Un successeur, un héritier. Son sang bat encore aujourd’hui dans un cœur différent, à moins d’un kilomètre d’ici.
— Qui ? demanda James, les lèvres tremblantes, d’une voix à peine audible. Qui est-ce.
Mais la dryade se contenta de secouer la tête, tristement.
— Je n’ai aucun moyen de le savoir à distance. Il me faudrait être en sa présence pour le reconnaître. Il y a d’autres arbres qui s’opposent à nous, qui restons fidèles aux hommes. Nos ennemis limitent notre vision, et maintiennent beaucoup d’entre nous dans un sommeil artificiel. Nous savons simplement que ce cœur bat, tout près, mais rien de plus. Tu dois faire attention, James Potter, et te tenir prêt. Le combat de ton père est terminé. Le tient va commencer.
La dryade commençait à faiblir. Elle ferma les yeux, comme prête à s’endormir, ou à s’évaporer.
Du côté du lac, il y eut un sourd craquement, puis un bruit d’eau.
— D’accord, dit Zane avec un entrain forcé, et si nous remontions sur les épaules de notre petit copain, Grawp, pour ficher le camp d’ici ? Je tiens vraiment à oublier définitivement tout ce qui concerne cet endroit. Pas toi ?
Peu après, avant même d’être revenus à leur point de départ, Grawp et ses deux passagers rencontrèrent Titus Chateaubourg. Le visage de l’Auror était crispé de fureur, mais il se contenta de dire :
— Vous allez bien ? Tous ?
— À peu près, répondit Zane, perché sur une épaule du géant. Mais laissez-moi vous dire que nous avons vécu quelque chose de franchement surprenant.
— J’imagine, grommela le sorcier à l’adresse des garçons.
Quand Grawp se pencha, pour permettre à Chateaubourg de monter sur son dos, Zane tendit la main pour l’aider. Il faillit au contraire se retrouver par terre.
— Alors, haleta-t-il, pantelant sous l’effort, avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ? D’ailleurs, c’était quoi ?
— Une araignée géante, répondit Chateaubourg de sa grosse voix. Probablement un des descendants de Aragog. Depuis une vingtaine d’années, ces saletés deviennent de plus en plus incontrôlables. Celle-ci avait trouvé un nouveau jouet. (Chateaubourg tenait à la main quelque chose que James reconnut, la petite caméra vidéo que l’intrus avait utilisée sur le terrain de Quidditch.) Quand j’ai rattrapé la bestiole, cet appareil fonctionnait encore, avec l’écran allumé. Il a été cassé pendant que je… euh… m’occupais de l’araignée. J’imagine qu’elle a dû faire un dernier bon repas.
James ne put retenir un frisson d’horreur. Quant à Grawp, imperturbable, il rebroussa chemin à travers bois.
— Vous croyez vraiment que ce mec a été… mangé ?
Chateaubourg avait la mâchoire serrée.
— C’est la vie, James. Pour te dire la vérité, les araignées ne sont pas carnivores. Elles se contentent d’aspirer le jus de leur proie. C’est une manière de mourir plutôt désagréable, mais au moins, cet intrus n’est plus un problème pour nous.
James ne répondit pas. Il avait la très nette sensation que, bien au contraire, les véritables problèmes venaient juste de commencer.
Le mercredi matin, James se sentit à la fois mollasson et fébrile en pénétrant au petit-déjeuner dans la Grande Salle. C’était une matinée maussade, avec un ciel bas et sombre qui semblait peser sur la pièce. La pluie tombait derrière les fenêtres. Ralph et Zane étaient assis à la table des Serpentard. L’Américain soufflait sur sa tasse de café, comme tous les jours, et Ralph pelait une orange avec un couteau à beurre – il en faisant un massacre. Les deux garçons restaient silencieux. Zane n’était jamais au mieux de sa forme le matin, et il s’était couché la veille aussi tard que James. Ni Zane ni Ralph ne levèrent les yeux, et James en fut soulagé. Il était toujours en colère contre Ralph, dégoûté de son attitude. Et plus grave encore, il était déçu et malheureux de cette trahison. Il essaya de ne pas en vouloir à Zane d’être assis à côté de Ralph, mais en réalité, il était trop fatigué, et la rancune paraissait un effort inutile. Son humeur actuelle n’avait pas besoin d’aggravation.
En avançant jusqu’à la table des Gryffondor, James jeta un coup d’œil vers l’estrade. Il ne vit ni son père ni Titus Chateaubourg. Malgré leur coucher tardif de la veille, les deux sorciers avaient déjà déjeuné. Ils avaient dû se lever à l’aube et, à l’heure actuelle, ils travaillaient sans doute. James ressentit une soudaine mélancolie à l’idée que son père et Titus affrontaient tous les deux une journée active, remplie de rendez-vous intéressants et d’intrigues secrètes, tandis que lui-même était à peine debout, et que les heures à venir seraient consacrées aux cours et au travail scolaire. Il trouva un siège, et fut aussitôt entouré par les bavardages habituels des autres Gryffondor. Sans y participer, James se mit à manger d’un air morne.
La nuit précédente, en rentrant de l’expédition au bord du lac, James avait dû passer deux heures avec Titus Chateaubourg, son père, et la directrice McGonagall. En approchant du château, Titus avait envoyé un signal rouge de sa baguette, pour rappeler Harry, Ted et Prechka, ainsi que Hagrid et Snob. Quand tous furent, une fois de plus, rassemblés devant la cabane de Hagrid, la directrice libéra les deux géants. En remerciement de leurs efforts, elle leur offrit un plein baril de Bièraubeurre. Ensuite, le petit groupe s’était entassé dans la cabane de Hagrid, autour de sa large table en bois rugueux, devant du thé bien fort fait par le demi-géant – le breuvage avait un aspect louche, légèrement trouble, et un goût de médicaments. Par prudence, aucun sorcier n’accepta les biscuits durs et rassis que leur proposa Hagrid.
Ce fut Titus Chateaubourg qui parla le premier. Il expliqua aux autres comment il avait entendu l’araignée, avant de la poursuivre, laissant les deux garçons sous la protection de Grawp. En entendant ça, Harry s’agita nerveusement dans son siège, sans faire de commentaire. Après tout, c’était de lui que venait la suggestion que James accompagne l’expédition. Il avait aussi accepté, un peu à contrecœur, la présence de Zane. En voyant l’Américain rentrer dans la cabane derrière James, la directrice lui avait jeté un long regard pénétrant. Cette fois, McGonagall se tourna vers Chateaubourg, et lui demanda comment il avait réussi à se débarrasser de l’araignée.
Les yeux durs de l’Auror brillaient un peu quand il répondit :
— La meilleure façon de tuer une araignée qui ne tient pas sous une botte est de lui faire sauter les pattes. Évidemment, au début, c’est difficile. Mais moins elle en a, moins elle gigote.
En larmes, Hagrid se passa la main sur le visage.
— Pauvre vieil Aragog ! S’il avait vécu pour voir ce que ses petits étaient devenus, ça l’aurait tué. Cette araignée a agi comme le font toutes les araignées. Il est difficile de l’en blâmer.
— L’araignée avait récupéré la caméra de l’intrus, dit Harry, en baissant les yeux sur l’objet posé sur la table. (La lentille était éclatée, et l’écran à l’arrière craquelé.) Maintenant, nous sommes au moins certains que cet homme s’est bien sauvé vers le lac et les bois.
— C’est une horrible façon de mourir, remarqua McGonagall. Personne ne mérite ça.
L’expression de Harry ne changea pas.
— Nous ne sommes pas certains que cette araignée a bien tué cet homme.
— J’ai quand même un doute, grommela Chateaubourg. Je vois mal cette bestiole emprunter la caméra pour filmer ses gosses à la maison. Les araignées ne sont pas particulièrement accueillantes. Et elles ont toujours faim.
Harry hocha la tête, en réfléchissant.
— Tu as probablement raison, Titus. Mais il reste quand même une chance que l’intrus ait perdu ou jeté sa caméra en s’enfuyant, et que l’araignée l’ait trouvée. Je préfère maintenir une sécurité plus serrée pendant un moment, Minerva. Nous ne savons pas encore comment cet homme est entré, ni qui il était. Jusqu’à ce que nous ayons ces renseignements, il vaut mieux assumer qu’il y a un risque.
— Ce qui m’intéresse surtout, dit la directrice, en regardant la caméra posée sur la table, est de savoir comment cet appareil a pu fonctionner aux alentours du château. Tout le monde sait que l’électronique moldue supporte très mal un environnement magique.
— Effectivement, tout le monde le sait, madame la directrice, grommela Chateaubourg. Mais peu de sorciers le comprennent. Les Moldus sont de plus en plus inventifs avec leurs appareils. Ce qui était vrai autrefois ne l’est plus actuellement. Et nous savons que les sortilèges de protection érigés autour du château ne sont plus aussi sûrs depuis la Bataille. Et même, pour tout dire, depuis la disparition du vieux Dumbledore, que Dieu ait son âme.
James pensa à la GameDeck de Ralph, mais il préféra de ne pas en parler. La caméra vidéo cassée suffisait à prouver que certains appareils modernes moldus fonctionnaient bel et bien aux alentours de Poudlard.
Enfin, l’attention des adultes se porta vers James et Zane. James expliqua comment Grawp s’était écarté pour chercher de la nourriture, et comment lui et l’Américain avaient dû le suivre, se retrouvant ainsi au bord du lac, face au curieux petit îlot dans le marécage. Zane intervint alors dans sa narration, décrivant l’île et le pont. Il passa sous silence le fait que James ait tenté d’ouvrir la porte en utilisant sa baguette. A posteriori, c’était une action téméraire et stupide, et James la regrettait. Pourtant, sur le cou, il avait agi d’instinct. Les deux garçons, parlant l’un après l’autre, décrivirent la tête du dragon enchanté qui formait le pont, puis les tentatives de les engloutir, d’abord entre les mâchoires de la bête, puis avec les tentacules qui émergeaient du sol et avaient failli les attirer dans des sables mouvants. Pour terminer, James répéta ce que l’esprit des bois lui avait dit.
— Des naïades et des dryades ? s’exclama Hagrid, très étonné. (Les deux garçons se turent, et le regardèrent avec des yeux éberlués. Hagrid continua :) Quoi ? Elles n’existent pas ! Ce ne sont que des légendes et des mythes. Pas vrai ?
La dernière question du demi-géant s’adressait aux adultes présents.
— Les bois, au bord du lac, sont une extension de la Forêt Interdite, dit Harry. S’il y a un endroit sur terre où des êtres comme les naïades et les dryades existent encore, c’est bien là. Pourtant, même si c’est vrai, depuis des siècles et des siècles, les esprits des bois sont restés invisibles. Du coup, il est normal que nous les prenions pour un mythe.
— Qu’est-ce que tu insinues au juste, avec « même si c’est vrai » ? demanda James, un peu plus fort qu’il ne l’aurait souhaité. Nous l’avons vue ! Nous lui avons parlé !
— James, ton père est un Auror, rappela McGonagall pour l’apaiser. Il doit considérer toute les options. Actuellement, nous sommes tous plutôt tendus. Ce n’est pas pour douter de vous, mais nous devons simplement trouver l’explication la plus logique à ce que vous avez vu.
— Pour moi, l’explication la plus logique est de croire à ce que l’esprit nous a dit, marmonna James entre ses dents.
James avait fait bien attention de ne pas à rapporter à son père et aux autres les dernières phrases de l’esprit des bois, celles qui concernaient « le sang de l’ennemi qui battait dans un autre cœur ». Son silence provenait en partie des histoires que son père lui avait racontées, celles qui concernaient la façon dont, autrefois, le monde sorcier avait reçu l’annonce de la résurrection de Voldemort, juste après le Tournoi des Trois Sorciers. Le jeune Harry avait été traité de menteur, et discrédité. De plus, si son père avait déjà du mal à croire à la réalité de la dryade, il aurait encore plus de difficultés à accepter la suite : le retour de Voldemort, à travers un héritier de son sang. Mais en réalité, la véritable raison pour laquelle James avait gardé le secret sur cet épisode, était le souvenir des derniers mots que lui avait jetés l’esprit des bois : « Le combat de ton père est terminé. Le tient va commencer. »
Peu après, la conversation s’embourba, pendant que tout était vu et revu, et disséqué en détail. James ne tarda pas à s’ennuyer mortellement. Il aurait voulu rentrer au château, et pouvoir se coucher, mais plus que tout, il voulait être seul pour réfléchir en paix à ce que la dryade lui avait dit. Il voulait comprendre ce qui s’était passé dans l’îlot, ce que signifiait le poème. Il mourait d’envie de l’écrire tout de suite, pour bien s’en rappeler, alors qu’il était encore frais dans sa mémoire. Quelque part, James était certain que tout ceci jouait un rôle dans l’histoire d’Austramaddux, dans le complot fomenté par les Serpentard pour ramener Merlin, et provoquer une guerre avec les Moldus. James n’essayait même plus de remettre en question la véracité de sa théorie. Tout était évident, et il était le seul à pouvoir modifier le destin.
Enfin, les adultes arrêtèrent de parler. Ils avaient décidé que l’îlot mystérieux, aussi dangereux soit-il, n’était qu’une manifestation de plus des dangers bizarres et inexplicables qui attendaient les intrus dans la Forêt Interdite. D’ailleurs, c’était la raison pour laquelle elle était interdite ! Leur principale préoccupation était toujours de découvrir comment l’intrus était rentré dans le château, et de s’assurer que personne d’autre ne serait capable de suivre ses traces. Ce fut sur cette résolution que la réunion prit fin.
La directrice McGonagall raccompagna James, Zane et Ted jusqu’au château. Avant de les quitter, elle leur donna pour instruction de ne pas divulguer ce qu’ils avaient vu et entendu ce soir.
— Et c’est surtout valable pour vous, Mr Lupin, dit-elle d’un ton ferme. Je n’ai vraiment pas besoin de voir votre bande de hooligans galoper dans les bois au milieu de la nuit pour répéter l’expérience de Mr Potter et Mr Walker.
Fort heureusement, Ted eut le bon sens de ne pas discuter. Il hocha simplement la tête, et répondit poliment : « Oui, madame. ».
James ne revit son père qu’une seule fois au cours de son séjour, le soir même après les cours, au moment où Harry, Titus, et les deux représentants du ministère s’apprêtaient à quitter le château. Neville était revenu à Poudlard dans l’après-midi et, au moment des adieux, il accompagna James jusqu’au bureau de la directrice. Le groupe avait l’intention d’utiliser pour partir le réseau des cheminées, comme à son arrivée, et l’âtre de McGonagall était la mieux protégé du château. Si Neville trouvait toujours étrange que son ancien « professeur » McGonagall occupe désormais l’endroit qui portait toujours la marque de Albus Dumbledore, il n’en montra rien. Cependant, il resta un long moment près du portrait de l’ancien directeur.
— Il n’est pas là, une fois de plus, remarqua-t-il en se tournant vers Harry.
— À mon avis, il dort dans ce tableau la plupart du temps. Mais Dumbledore à des portraits dans tout le pays. (Harry poussa un soupir.) Sans même compter les anciennes cartes de Chocogrenouille. Il continue à y apparaître de temps à autre, juste pour s’amuser. Je garde toujours la mienne dans mon portefeuille, en espérant le voir.
Tout en parlant, Harry sortit son portefeuille et présenta la carte fanée qui se trouvait à l’intérieur. Le cadre était vide. Harry la rangea et sourit à Neville.
Quand Neville s’approcha du groupe réuni devant la cheminée, Harry s’accroupit devant son fils.
— James, je voulais te remercier.
James cacha de son mieux la fierté qu’il sentait brûler sur son visage.
— J’ai juste fait ce que tu nous as demandé.
— Je ne parlais pas seulement d’être venu avec nous la nuit dernière et de nous avoir aidés à mieux comprendre ce qui s’était passé, dit Harry, une main posée sur l’épaule de son fils. Je parlais surtout d’avoir repéré cet intrus sur le terrain, et de me l’avoir signalé. Et aussi d’avoir été assez attentif pour le remarquer deux autres fois. Tu as un œil vif et un esprit alerte, mon garçon. Bien sûr, ça ne devrait pas me surprendre. D’ailleurs, ça ne me surprend pas.
— Merci papa, répondit Harry, avec un grand sourire.
— Tu n’as pas oublié ce que je t’ai dit l’autre nuit, j’espère.
Non, James n’avait pas oublié.
— Je ne dois pas sauver le monde à moi tout seul, répéta-t-il de mémoire.
J’ai au moins Zane avec moi, pensa-t-il, sans l’exprimer à voix haute. Et peut-être Ted aussi, puisque Ralph m’a laissé tomber.
Harry serra son fils contre lui avec un sourire. Il avait toujours la main sur l’épaule de James quand il se releva, et marcha jusqu’à la cheminée.
— Dis à maman que tout va bien pour moi, et que je mange plein de légumes, dit James à son père.
— Et c’est la vérité ? s’enquit Harry, un sourcil levé.
— Eh bien, oui et non, admis James, un peu mal à l’aise parce que tout le monde le regardait.
— Arrange-toi pour que ce soit vrai, dit Harry. Ensuite seulement, j’en parlerai à ta mère.
Puis il enleva ses lunettes, et les rangea dans la poche de sa cape. Quelques secondes plus tard, le bureau était vide. Du moins, il ne restait que la directrice McGonagall, Neville et James.
— Professeur Londubat, dit la directrice, je suppose qu’il serait aussi bien que vous entendiez de ma bouche ce qui s’est passé ici au cours des 24 dernières heures.
— Au sujet de l’intrus qui s’est introduit au château ? s’enquit Neville.
La directrice parut littéralement sidérée.
— Je vois. Peut-être alors n’est-il pas utile que je perde mon temps à tout vous expliquer. Dites-moi plutôt ce que vous d’avait déjà entendu, professeur.
— Rien de plus que ce que je vous ai dit, madame. Le bruit a couru parmi les élèves qu’un homme avait été vu – ou arrêté – hier pendant le match de Quidditch. La théorie générale est qu’il s’agit d’un agent sportif ou d’un journaliste qui cherchait à influencer le match. Bien entendu, c’est grotesque, mais j’ai pensé préférable de laisser les langues s’agiter sur une hypothèse invraisemblable plutôt que nier quoi que ce soit.
— Mr Potter serait sans nul doute d’accord avec vous, dit la directrice d’un ton sec. Cependant, puisque j’aurais besoin de vos services pour améliorer la sécurité aux abords du château, je pense préférable de vous expliquer exactement ce qui s’est passé. James, tu as encore un moment libre, j’espère. Je ne vais pas retenir le professeur bien longtemps, et il te raccompagnera ensuite.
Sans attendre de réponse, elle se tourna vers Neville, et se lança dans un compte-rendu détaillé de la nuit précédente.
Bien entendu, James connaissait déjà l’histoire, mais il eut la sensation qu’on attendait de lui qu’il s’écarte et reste près de la porte, le plus loin possible des deux adultes. C’était plutôt vexant. Il avait un certain sentiment de propriétaire envers l’intrus, après avoir été premier à le remarquer, après avoir été celui qui l’avait signalé à son père durant le match de Quidditch. Mais les adultes avaient l’habitude de ne pas accorder d’importance aux enfants. Même quand ce qu’ils rapportaient était exact, les adultes se chargeaient de l’affaire, et reniaient la participation des plus jeunes. James réalisa tout à coup qu’il y avait autre chose dont il n’avait fait tard à personne – du moins, à aucun adulte. Il s’agissait de ses soupçons concernant le complot des Serpentard au sujet de Merlin. Vu l’attitude de McGonagall, il avait l’intention de garder son secret jusqu’à avoir des preuves irréfutables.
James croisa les bras, et s’appuya contre le mur près de la porte. Puis il tourna la tête et vit Neville, assis devant le bureau de la directrice. Quant à McGonagall, elle arpentait la pièce tout en parlant.
— Alors Potter, quel mauvais coup manigancez-vous ?
James fit un bond en entendant cette voix basse et traînante. Il se retourna vivement, les yeux écarquillés. Mais la voix le coupa avant même qu’il puisse parler.
— Non, ne me demandez pas qui je suis, et ne me faites pas perdre mon temps avec des mensonges inutiles. Vous savez parfaitement qui je suis. Et je sais parfaitement, mieux encore que votre père, que vous manigancez quelque chose.
La voix provenait du portrait du professeur Severus Rogue. Ses yeux noirs examinaient James froidement, et sa bouche était pincée dans une moue désapprobatrice.
— Je… commença James. (Il s’arrêta net, avec le sentiment très fort que s’il mentait, le portrait le saurait.) Je ne veux pas en parler.
— Voilà une réponse plus honnête que celle que votre père aurait donnée au même âge, persiffla Rogue. (Il parlait à voix basse, pour ne pas attirer l’attention de McGonagall ou de Neville.) Quel dommage pourtant que je ne sois plus directeur, et vivant. Je pense que je trouverai comment vous extirper la vérité… de divers moyens.
— Vraiment ? Chuchota James, qui se sentait un peu plus courageux maintenant que son premier choc s’atténuait. Alors, j’imagine qu’il vaut mieux pour moi que vous ne soyez plus directeur.
Et s’il pensa aussi : « Et que vous soyez mort », James ne le dit pas. Il savait que son père avait un immense respect pour Severus Rogue. Il avait même donné son prénom à Albus.
— Ne tentez pas avec moi ce genre de remarques irrespectueuses, Potter, dit le portrait, mais il semblait plus fatigué qu’en colère. Au contraire de votre père, vous savez à quel point j’étais dévoué à Albus Dumbledore. Je tenais autant que lui à détruire Voldemort. Votre père croyait alors que toutes les batailles n’appartenaient qu’à lui. Il se montrait stupide et dangereux. Et ne me dites pas que vous n’aviez pas, il y a quelques minutes, exactement le même air.
James ne savait pas quoi dire. Il se contenta de soutenir le regard des yeux noirs du portrait, avec un front buté.
Rogue poussa un long soupir, quelque peu exagéré.
— Très bien, faites alors comme vous l’entendez. Tel père, tel fils. Aucun Potter n’est capable de retenir une leçon de ses erreurs passées. Mais sachez bien ceci : je vous surveillerai, comme j’ai surveillé votre père autrefois. Et si vos soupçons informulés se trouvent, contre toute attente, fondés, soyez bien assuré que j’œuvrerai dans le même sens que vous. Potter, essayez de ne pas répéter les erreurs de votre père. Essayez de ne pas laisser les autres payer les conséquences de votre arrogance.
Les derniers mots touchèrent leur cible. James crut que Rogue allait disparaître, après une telle salve, pour garder le dernier mot. Mais ce ne fut pas le cas. Il resta dans son cadre, avec le même regard noir et pénétrant qui devinait tout ce que James pensait. Et pourtant, il n’y avait aucune méchanceté dans ces yeux-là, malgré les mots très durs.
— Oui, finit par marmonner James. J’essaierai.
C’était une réponse misérable, et il en était conscient. Mais après tout, il n’avait que 11 ans.
— James ! dit Neville derrière lui. (James se retourna vers le professeur.) Dis-moi, tu as vraiment passé une nuit intéressante au bord du lac. Je suis très curieux de mieux connaître ces racines tentaculaires qui t’ont attaqué. Peut-être auras-tu le temps de m’en parler davantage.
— Bien sûr, répondit James, avec la sensation que ses lèvres étaient comme engourdies.
Quand il se retourna vers la porte, pour suivre Neville, Rogue était toujours dans son cadre. Et ses yeux noirs suivirent James jusqu’à ce qu’il quitte la pièce.
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