XX

C’est le jour suivant qu’eut lieu chez Mercurot le dîner où Catherine rencontra le lieutenant Desgouttes-Valèze. Ils sortaient ensemble le lendemain matin au Bois de Boulogne. Le surlendemain, Catherine était la maîtresse du jeune officier.

Cette fille folle et enthousiaste, qui s’était jetée passionnément aux hommes, venait de traverser près de deux ans de chasteté. C’était pour elle-même monstrueux et presque incompréhensible. Maintenant, nue à côté de son amant endormi, elle rêvait, assise sur le lit de passage ; tout naturellement, elle avait couché avec un officier. Cela la troublait et l’irritait. Est-ce qu’elle était une fille à soldats ? Celui-ci était simplement un enfant blond, émerveillé, et qu’elle n’avait qu’à regarder pour que la vie lui remontât au visage. Un joli garçon. Ceux qui avaient commandé le feu aux mines de la Lena étaient peut-être aussi jolis garçons que Fernand. Car il s’appelait Fernand.

Suivait-elle une destinée, elle qui avait été d’abord à Jean Thiébault ? Dans ce lit, sentant près d’elle la jambe de cet inconnu d’hier, elle pensait encore à Victor. C’était surtout Victor, l’inaccessible Victor, qui avait fait que dès les premiers mots d’amour elle s’était abandonnée à ce jeune cavalier, tout étonné d’un si rapide triomphe. Les mots d’amour… l’amour… Ah ! le mot amour était pour la vie teinté d’avoir passé entre les lèvres du petit Soudy, ce gamin tendre qui avait la vérole et la tuberculose, et qu’on allait tuer un de ces petits matins.

Elle dit tout haut : “L’amour !” et contempla Fernand.

Les épaules de l’homme, jeunes et fortes, sortaient du drap, et la tête jetée de côté plongeait dans l’oreiller, avec la bouche mi-ouverte. Il dormait comme ils dorment tous. Catherine revoyait le sommeil de Régis, de Paul Jonghens, de Devèze, de bien d’autres, dans celui de Fernand. Celui-ci, comme tous les autres, avait pu la faire crier, il n’avait pas pu l’attendrir.

Il ne se réveilla pas quand elle se leva. Il avait bien fait l’amour, il pionçait. Elle s’habilla, s’arrêtant comme une voleuse. En bas, le garçon la regarda drôlement.

Le soir même elle filait à Berck. Elle ne répondit pas aux lettres du lieutenant Desgouttes-Valèze.

C’est de Berck que Catherine vit se dérouler cette sanglante fin d’avril où sombra Bonnot. Après Soudy, dès le début du mois les arrestations s’étaient multipliées : Carouy vendu par un camarade, Callemin vendu par une femme. Mais là-dessus, au cours d’une perquisition à Ivry, le sous-chef de la Sûreté, Jouin, se trouvant soudain en face de Bonnot, est abattu de deux balles de revolver. Ainsi se termine la rivalité qui déchirait la police. Le réseau des délations s’est si vite resserré qu’il faut croire à un incroyable amas de traîtrises subites, si l’on n’admet pas que tout le long de leur terrible et grande aventure ces héros dévoyés aient été suivis pas à pas par les hommes de cette police qui faisait semblant de les rechercher.

Qui avait amené Jouin le 24 avril chez le revendeur Cauzy où il se rencontra avec la mort ? Trop bien, et pas assez renseigné. Il est envoyé dans une maison d’Ivry, parce que de toute la France c’est là qu’on soupçonne que se trouvent les papiers du vol de Thiais, qui remonte au 3 janvier. Et de toute la France, voilà que c’est cette maison qu’a choisie Bonnot pour se cacher. Mais Jouin n’a-t-il pas reçu de son chef une leçon publique ? Il est un fonctionnaire discipliné, il va là où on l’envoie. Il y trouve la mort.

L’héritage du gouvernement Caillaux dans la police est ainsi liquidé. Xavier Guichard prend en main l’affaire. En quelques jours il en finira avec Bonnot ; suivant sa propre expression, il n’est pas seulement un bon policier, mais un bon fonctionnaire. Et le 29 avril, l’hallali sonne à Choisy-le-Roi. Il faut maintenant supprimer Bonnot, il ne peut plus servir les fins d’une police unifiée. On connaît la honteuse histoire de cet assaut donné par deux compagnies de la Garde Républicaine, d’énormes forces de police et de gendarmerie, sous l’œil de Lépine et de ce même Lescouvé, autour duquel, vingt-deux ans plus tard, devaient se débattre à nouveau les mystères de la magistrature et de la police française, au lendemain des jours de Février.

Plus de mille hommes suffirent à en abattre un seul. Un seul homme suffit à montrer d’une façon éclatante la bassesse et la lâcheté de cette police française, si forte, quand il s’agit de faire des faux, de glisser un revolver dans la poche d’un ouvrier qu’on arrête, de pousser au crime ou à l’attentat ceux qui ne savent plus, face aux banquiers, aux industriels, aux provocateurs, s’il est un bien et s’il est un mal ; un seul homme suffit à éclabousser, de son sang et de sa cervelle, les défenseurs d’un ordre, qui deux ans plus tard allait s’auréoler de millions de cadavres.

Mais avec Bonnot, en France, agonise l’anarchie. Avec Bonnot, ce qui-tombe c’est cette conception même qui poussait Libertad à nier la division du monde en classes, à demander à la fois la suppression du banquier et du contrôleur de métro.

Le calme relatif des premiers jours de mai fut pour Catherine une période de cauchemar. Bataille pour bataille, elle comparait deux défaites : la grève des taxis, le drame de Choisy-le-Roi. Tout le romantisme de sa jeunesse était pour qu’elle applaudît encore à la chute des Titans, à l’épopée d’éclair qui avait pendant cinq mois sinistrement illuminé un monde. Mais à ce va-tout, à ce qui perd gagne, à ce pile ou face, s’opposaient les cent quarante-quatre jours de lutte des chauffeurs. Elle ne pouvait plus avoir ce mépris des petites tâches quotidiennes, ce mépris des syndicats, du socialisme, qu’elle avait éprouvé jadis avec toute la supériorité de quelqu’un qui s’en passe, et qui mange après tout chaque jour. Elle avait vu de trop près cette autre forme d’héroïsme. Une lettre de Victor qu’elle reçut vers le milieu de mai disait : “Maintenant on s’est mis à recruter pour le syndicat. J’ai fait une réunion de garage…” Où sont les Titans d’aujourd’hui ? Tandis qu’elle lisait ce mot très simple, avec une émotion dont elle ne comprenait pas elle-même le fondement, à Nogent-sur-Marne, commençait le siège de la maison où étaient réfugiés Valet et Garnier. Cette fois, on employa les mitrailleuses. Cela passa Choisy-le-Roi en horreur. De Paris, en auto, étaient venus des gens du monde qui avaient des relations à la Préfecture et dans la presse. Les petits-fils des Versaillais accouraient prendre une leçon de guerre civile, comme ils avaient été deux mois plus tôt à Vincennes, comme ils allaient le 14 juillet à Longchamp prendre une leçon de patriotisme. Aux yeux de ces gens, qui avaient délaissé le théâtre pour un spectacle plus réel, qu’on ne s’y trompe pas ! les bandits étaient surtout des ouvriers rebelles. Ce n’est pas pour rien que les propriétaires apprennent à leurs chiens à mordre tous les hommes en casquette. Garnier et Valet, donc, à trois heures du matin, moururent.

À Berck, M. Baisedieu se faisait insupportable. La mitoyenneté des villas rendait les choses plus gênantes. Un jour, au début de juin, Catherine était dans son jardin que ne cloisonnait du jardin Baisedieu qu’une haie de buis ; de son enclos, le propriétaire eut un accès de rage à la vue de sa locataire. La paralysie générale le guettait, il faut dire, l’estimable croupier en retraite. Peut-être aussi était-ce le regret cuisant d’être lié à Mme Baisedieu qui lui faisait haïr si violemment les jolies femmes. Toujours est-il que sur un échange très banal de réflexions, une observation de sa part, à laquelle Mlle Simonidzé avait répondu avec sa voix hautaine et chantante, Baisedieu se mit à hurler :

“Putain ! Putain ! Putain !”

Ce n’était pas par le bon caractère que brillait Catherine, mais aussi mettez-vous à sa place. Elle avait une canne à la main, parce qu’elle allait partir en promenade, et Baisedieu derrière la haie jardinait. Elle ne fit ni une ni deux : fendant les fusains comme une vague, elle passa chez son propriétaire et lui cassa son gourdin sur la figure.

La police de Berck, qui n’avait pas oublié le jour de la venue de Soudy dans la ville, saisit cette splendide occasion de se-débarrasser d’une personne suspecte, contre laquelle on n’avait jamais rien eu de positif. N’est-ce pas, il n’y avait pas seulement violences à cet excellent M. Baisedieu, mais il y avait bris de clôture. Catherine était de nationalité russe. Elle fut expulsée avec deux ans d’interdiction de séjour.

Elle s’en fut à Londres, où elle logea dans un petit hôtel de Soho. C’est là qu’elle demeura jusqu’à l’hiver. La vie du monde coulait toujours aussi sanglante et chaotique, mais d’un pays tout à fait étranger pour elle, les événements avaient une autre couleur. Il y avait dans une traverse de Tottenham Court Road un hôtel-restaurant où dînaient des gens du monde et les artistes. Une espèce d’aquarium international avec des palmiers et des pots d’argent. Une cousine de Miss Baxton l’y avait menée, et Catherine y revint souvent avec un jeune peintre qui lui avait parlé dans la rue parce qu’il l’avait prise pour une Française.

Garry Lytton était très beau à la manière de Cambridge. Son sport était l’aviron. Il avait gagné le match annuel sur la Tamise. Ils s’embrassèrent au cinéma. L’été venait. Il fit inviter Catherine à des week-ends chez des amis à la campagne. Garry fut pour Catherine la solution commode d’un problème. Elle regardait son beau garçon assez stupide, et elle pensait : L’amour…

Cette période de sa vie fut consacrée à la lecture. Tandis que Garry peignait ou ramait, elle lisait. Elle passait de longs jours dans les bibliothèques. Elle étudiait l’histoire du mouvement ouvrier. En parlant à Paris avec Victor, elle avait éprouvé la honte de ses ignorances. Il y a tant de choses, que les ouvriers savent, à quoi ils font allusion parce que cela touche à l’histoire de leur classe, et qu’on ignore quand on n’a d’autre éducation que celle de la bourgeoisie.

Londres est plein de souvenirs, non seulement des souvenirs de l’histoire sanglante de ses rois, de l’histoire de ses fêtes, mais aussi des vies de ceux qui s’y sont cachés. Et ces souvenirs-là que personne ne fait revivre y attendaient Catherine avec un charme plus fort que le brouillard. Londres est la ville des émigrés politiques. Leurs ombres dans Covent-Garden, dans l’East End plein de Juifs et de romances, avaient pour elle un chatoiement de moire. Tout le monde qui fuyait Paris et M. Thiers tournait encore ici pour elle. Elle y rechercha les traces de la petite Laura qui était morte l’autre hiver. C’est ainsi qu’elle entendit la voix de Marx.

Il y a des livres qui ferment un monde. Ils sont un point final, on les laisse et on s’en va. Plus loin, ailleurs, n’importe ! Il en est d’autres qui sont les portes de notre propre pays. Pourquoi fût-ce plus particulièrement Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte qui joua ce rôle pour Catherine ? Il faudrait savoir où s’en allaient ses pensées dans la petite chambre de Soho où dès huit heures on la réveillait pour lui apporter un pot d’eau chaude.

C’est donc dans ce Londres, où une fille comme elle, une Russe, venait, au temps de la Commune, apporter à Marx le message des insurgés, une belle fille, qui avait des parents riches, là-bas chez les tzars, que Catherine commença à douter pour de bon de l’anarchie. Toute l’histoire de la dernière année enfin se résumait à ses yeux. Par des Géorgiens exilés, elle se lia avec des socialistes anglais, elle rencontra des Russes du parti ouvrier socialiste. En septembre, tandis que Garry s’en allait en Irlande chez une tante à héritage, elle s’en fut visiter le Pays Noir : dans l’aire minière du Pays de Galles, elle vit des hommes rudes et des femmes comme elle ne soupçonnait point qu’il y en eût. Elle toucha le fond de la misère. L’épuisement de la dernière grève y était lisible comme une maladie sur un visage d’enfant. Dans ces régions où chaque année, sur le travail forcené des mineurs, on prélève non seulement les bénéfices des compagnies, mais des millions pour les propriétaires de terrains, dont plusieurs membres de la famille royale, la mortalité était monstrueuse : elle l’est encore. Catherine descendit dans les puits avec les chefs des Trade-Unions. Elle suivit une campagne de meetings. Ici plus que jamais elle retrouvait la leçon initiale, celle de Cluses. Partout le prolétariat était à l’image de ce grand enfant qu’elle avait vu tomber.

Cependant à travers l’Europe l’écho des blessés et des mourants des Balkans se traînait. De guerre en guerre, le feu, qui semblait s’apaiser par instants, renaissait comme une soif inextinguible. Le monde avait des poussées brusques d’herpès un peu partout : un accès brutal de fièvre, puis ça se localise, et ce n’est pas encore pour cette fois le grand typhus qu’on a craint. Joris de Houten, de passage à Londres pour affaires, vint voir Mlle Simonidzé.

Elle n’avait guère envie de sortir avec lui, elle avait comme cela des arrière-pensées sur lui et ses rapports avec Lépine. Mais quoi, on était en Angleterre ! Et puis elle était fatiguée de Garry. Cela ferait une soirée sans lui.

Joris connaissait le petit restaurant près de Tottenham Court Road, et cela lui paraissait le fin du fin, il ne voulait pas dîner ailleurs. Ils n’y furent pas plus tôt attablés que d’une table voisine des mains se tendirent. Deux Français, des amis de Joris.

Brunel, brûlé à Paris, ne l’était pas pour ses anciens clients qui l’avaient toujours connu comme usurier, et à qui le scandale n’apprenait rien. Le comte d’Évreux d’ailleurs disait : “J’ai les idées larges, moi. Je dînerais bien avec mon bottier.” En fait, chargé d’une mission en Angleterre, il avait été heureux d’y retrouver Brunel, qui lui facilitait matériellement une aventure à laquelle il tenait. Londres est d’un cher ! Et puis il faut voir comme les Anglais vivent. Brunel aussi semblait avoir à Londres une sorte de mission. Il avait un peu changé de nom. On l’appelait Brunelli maintenant. En fait, c’était son nom véritable. Il était Niçois.

Le dîner, au bout du compte, fut assez ennuyeux, parce que ces messieurs parlèrent sans arrêt bourse et pétroles, le cours de la Shell, les affaires Mantacheff, etc. Ils étaient aussi inquiets sur la question d’une guerre prochaine que Keir Hardie ou Tom Mann.

Brunelli demanda à Mlle Simonidzé l’autorisation de venir lui présenter ses hommages. Évidemment c’était un personnage douteux, et pas très recommandable, mais il avait une bonne humeur qui changeait Catherine de Garry. Et puis il ne respectait rien, il avait un cynisme qui flattait souvent les idées de la jeune femme. Ils sortirent plusieurs fois ensemble en octobre et novembre. Ils se rencontraient au Café Royal, dînaient dans Leicester Square, allaient au music-hall, et même dans les boîtes de ce faux Montmartre qui ferme tôt. Ils parlaient politique, et Brunelli disait qu’il adorait le socialisme au champagne.

Catherine le méprisait, et ces sorties contrastaient très singulièrement avec ses occupations, ses fréquentations habituelles. Mais il y avait en elle une espèce de besoin, une contradiction. Elle n’était pas libérée des choses qu’avaient aimées sa mère et son père, le propriétaire de puits de Bakou. Elle se reprochait parfois d’être là, en décolleté, avec ce bandit en smoking, dans une loge de Piccadilly. Elle revoyait le sud de Londres, au-delà de la Tamise, où elle avait été le jour même. Mais qu’y faire ? Elle aimait, à la fois, et haïssait le luxe. Elle voulait certains soirs oublier la misère. Son socialisme n’était pas encore de très bon teint.

Et puis elle se jetait à n’importe quoi, pour se distraire d’une idée profonde qu’elle ne s’avouait pas. Au bout du compte il n’y avait pas grande différence entre la passion qu’elle apportait à l’étude et la folie de ces soirées. Tout lui était égal, maintenant que rien ne la rapprochait plus de Victor.

Cependant un certain instinct lui fit éconduire Brunelli qui la courtisait. Il s’acharnait, d’ailleurs. Parfois elle se disait pourquoi pas ? Mais elle avait Garry Lytton. Il la préserva de cette erreur. Simplement parce qu’elle faisait suffisamment l’amour. Brunelli devait aller en Suisse à la mi-novembre. Il répétait tout le temps à Catherine qu’il fallait venir avec lui parce qu’elle se trouverait tout juste à Bâle où il allait y avoir un congrès international des socialistes.

Cette perspective ne déplaisait pas à Catherine, mais elle ne voulait pas y aller avec Brunelli.

Brunelli, au hasard d’une soirée, peut-être légèrement gris, s’était mis à parler de son ancienne femme. Une sentimentalité soudaine, brusque et profonde, l’avait saisi. Tout n’était donc pas complètement mauvais dans cet homme ? Catherine découvrait ce Brunelli nouveau pour elle avec une curiosité assez grande. Elle avait entendu parler de Diane, elle l’avait même défendue jadis, on s’en souvient, contre Desgouttes-Valèze, et puis voilà que ce personnage s’éclairait singulièrement. Drôle d’amour que celui de Brunelli ! Mais cet homme bizarre et cynique qui avait bien volontiers partagé Diane avec Wisner se remettait très mal d’une séparation définitive, d’avec cette femme plus forte que lui en affaires. Elle était en Égypte pour l’heure.

Cette faiblesse découverte établissait un lien inattendu entre Georges et Catherine.

Là-dessus une lettre de Victor donna à Catherine une nostalgie extraordinaire de Paris. On parlait de plus en plus de la guerre. Maintenant les alliés de la veille s’entr’égorgeaient dans les Balkans. C’était drôle, mais quand il s’agissait de la guerre, Catherine pensait invinciblement à Victor. Garry Lytton était vraiment trop idiot !

Quand Brunelli fut sur le point de partir, Catherine lui annonça soudain : “Vous savez ? Je vous accompagne. Mais jusqu’à Paris seulement. J’y reste deux jours, et je reviens ici…” Il crut un instant que c’était arrivé, elle le repoussa gentiment, mais fermement. “Non, mon vieux, bas les pattes ! – Vous savez, dit-il, c’est la première fois de ma vie que ça m’arrive. – Quoi ? Jeune ingénu ! – … d’être rabroué comme ça. – Eh bien, ça vous fera les pieds.”

Ils arrivèrent dans un Paris de mi-novembre, Catherine prit une chambre dans un hôtel près de l’Étoile sous le nom de Ketty Simon. Pour deux jours, elle n’aurait pas d’histoire. Elle avait envoyé un mot à Victor. Elle ne verrait pas sa famille.

Brunelli tomba chez elle à l’improviste. Il était très gai, très entreprenant. Elle n’avait qu’une idée, qu’il s’en aille. Mais c’était comme un fait exprès, il s’incrustait. Elle faisait semblant de ne pas comprendre ses plaisanteries, assez grossières. Lui, il commençait à s’énerver. Il avait compté comme ça sur le dernier moment pour s’envoyer cette petite. Qu’est-ce qu’elle avait à ne pas vouloir ? Ensuite, elle retournait à Londres, et lui partait.

Tout d’un coup, il perdit patience et la saisit dans ses bras par-derrière. Il enfouissait sa bouche moustachue dans le cou de la jeune femme. Elle se cabra et le rejeta violemment. Elle était furieuse. “Sors d’ici, sors d’ici, chien !” Il s’avançait, ne croyant pas à une colère si violente. Il reçut sa main en plein dans la gueule.

“Ah ! si c’est comme ça, ma fille !”" dit-il, dégrisé. Il prit son chapeau, son pardessus, et sortit.

Le soir même, un inspecteur de police se présentait chez Mlle Simon, et la priait de le suivre. Catherine coucha au Dépôt et le lendemain elle était à Saint-Lazare.

Une petite note dans les journaux tomba sous les yeux de Jean Thiébault. Jean vint à Saint-Lazare, il obtint la permission de parler à la prisonnière. Il y avait plusieurs années qu’ils ne s’étaient vus. La première parole du brillant officier d’état-major fut pour proposer une fois de plus à Catherine Simonidzé, interdite de séjour en rupture d’arrêt, de devenir la femme du commandant Thiébault. Elle le regarda avec une certaine émotion. Il avait vieilli. Ça ne devait pas être mal à lui de proposer ça. “Non, mon ami, dit-elle, jamais.”

Le commandant obtint l’élargissement de Catherine, qui fut refoulée sur la Belgique.

Elle n’avait pas vu Victor.