Dans ses bras

Le médecin vient de lui annoncer le verdict. Un arrêt cardiaque, un cerveau qui souffre. L’incertitude complète quant à l’avenir.

Julie pleure en silence. Une nouvelle fois, l’espoir s’écroule et elle glisse à nouveau dans ce tourbillon qui l’aspire vers le fond. Ses ongles raclent les bords pour tomber un peu moins vite. Ça fait mal.

Ce qui la trouble le plus, c’est ce sentiment qu’elle a eu en le voyant lui sourire, comme s’il était venu lui dire au revoir. Et puis ces deux mots : « Laissez-moi. » Mais Julie ne peut pas se résoudre à cette option. Une mère ne peut pas laisser partir son enfant ! Ce n’est pas dans l’ordre des choses. C’est contre nature. On n’est plus dans les pas du destin, là, on est dans l’insoutenable égarement, dans le hors-piste avec l’avalanche et l’enfouissement assuré.

On n’est nulle part, d’ailleurs.

Dans l’indéfinissable.

Dans l’impensable.

Dans l’insurmontable.

 

Quand elle revient vers son fils, ce maudit respirateur sonne encore. Il a du mal à garder un bon taux d’oxygénation, et l’infirmière doit sans arrêt modifier les réglages de l’appareil.

– Voulez-vous le prendre un peu dans vos bras ?

– C’est possible ? Enfin, je veux dire avec tous ces tuyaux, ce n’est pas trop compliqué ?

– Ça n’est pas simple, mais je peux chercher de l’aide, et nous nous débrouillerons.

– Alors oui, j’aimerais.

Quelques instants plus tard, Julie est assise dans le fauteuil, Lulu dans ses bras. En effet, ça a été plutôt compliqué. Déplacer ce petit corps inerte, qui semble peser deux fois plus que son poids, et réussir à faire suivre les tuyaux, tous les fils, sans rien débrancher, sans que rien ne tire. Mais Julie est heureuse de l’avoir contre elle. Tout contre. Ça faisait longtemps.

 

Mais Lulu n’est plus un petit bébé de quelques kilos. Au bout d’une heure, les bras ankylosés de Julie s’affaissent imperceptiblement. Mais elle tient, l’infirmière a rajouté quelques coussins sous les coudes, elle savoure cet instant, elle peut bien avoir mal, ce n’est pas grave. Elle serait même bien prête à prendre toute la douleur de son fils ! Son coma et sa colonne en miettes, tout !

L’infirmière qui était venue pour lui demander si tout se passait bien s’apprête à repartir.

– Monsieur Forestier a téléphoné pour prendre des nouvelles, précise-t-elle. Il a dit qu’il ferait un saut d’ici peu, il n’avait pas beaucoup de travail cet après-midi.

– C’est gentil de sa part.

– Je crois qu’il s’est attaché à Ludovic, il a un lien particulier avec les enfants, mais à ce point, c’est rare. Allez, je vous laisse un peu, sonnez si ça ne va pas…

Julie se remet doucement de ses émotions. Elle observe son fils, là, dans ses bras, en se remémorant ces longs moments qu’il avait passés ainsi, quand il était tout bébé, repu, après la tétée, ou ivre de fatigue.

Elle n’a encore prévenu personne de ce qui s’est passé, tout est allé si vite. Elle le fera ce soir.

Julie est étonnamment sereine, malgré l’incertitude qui plane sur l’avenir.

L’instant présent.

Elle est bien, là, avec lui.

Elle est bien.

 

Julie a téléphoné à Paul en sortant du service, à Manon en rejoignant sa voiture. Elle a longuement expliqué la situation en arrivant chez Jérôme.

La même réaction à chaque fois. Stupéfaction, dépit, encouragements.

Si seulement tout cela pouvait changer le destin de Ludovic.

Julie s’isole rapidement dans sa chambre. Elle n’a plus la force de rien, s’allonge tout habillée sur le lit, attrape son coussin et y plonge son visage pour étouffer son cri puissant et profond.

La haine pour ce chauffard sans conscience.

La haine.

 

Une heure plus tard, elle est dans sa voiture, sur la route, vers l’hôpital. Ils lui ont dit un jour qu’elle pouvait venir quand elle voulait.

Elle veut.

Elle ne peut pas faire autrement. Une force invisible lui dit d’aller passer la nuit là-bas, avec lui, contre lui.

Tout contre.