RÉHABILITATION
(1973)
Voici donc la nouvelle qui a reçu le Grand Prix de la science-fiction française en 1974.
La lettre du jeune soldat à ses parents est un thème traditionnel de l’humour populaire. Gérard Klein fait plus que renouveler le sujet en le transposant dans un avenir lointain et un cadre galactique : il le sublime.
Je me bornerai à noter une phrase de ce chef-d’œuvre : « … c’était une grande merveille que Dieu ait donné à l’homme le pouvoir de refaire ce qu’il avait défait… » et à citer en parallèle le premier paragraphe du roman de Barry N. Malzberg, Apollo et après ?{30} : « J’aimais le capitaine à ma façon, tout en connaissant sa folie, le pauvre type. Ce n’était pas totalement sa faute : il faut tenir compte des conditions. Et les conditions étaient épouvantables. Ça ne réussira jamais. »
Chers parents,
Quand on est entré dans la zone de frikill, on a cessé de se marrer. On nous l’a annoncé à censuré parsecs de la Terre dans le censuré quadrant de la galaxie censuré. Bien sûr, on était encore loin de la région des combats pour autant qu’on puisse parler de front dans une guerre interstellaire où les opérations se ramènent surtout à des coups de main. Un accrochage par-ci par-là, le nettoyage d’une base ennemie quand on parvient à la détecter. Du travail de routine. Mais quand même, on s’est senti l’estomac noué. Ce n’est pas qu’on risque grand-chose à bord d’une unité comme le SS Richard-Nixon, trente kilomètres de long, vingt-cinq mille hommes d’équipage et cinq mille combattants. J’ai oublié la masse exacte, mais ça doit dépasser largement les dix gigatonnes. À bord, l’atmosphère est plutôt détendue. Comme dit le commandant : « Quand les gars partent pour une croisière de dix ans, il faut qu’ils se sentent chez eux. » Et rien n’est trop bon pour nous et quelquefois ça me fait mal au ventre de penser à toutes les privations que vous devez endurer sur Terre à cause de cette saleté de guerre. Mais on dit, ici, dans les hautes sphères, que la fin approche. On a flanqué récemment de méchants coups à ces sales xénos et ils ne seront pas longs à mettre les pouces. Du moins, c’est ce qu’ils feraient s’ils en avaient. Mais ils trouveront bien quelque chose du même genre.
On était en train de bien rigoler quatre autour de deux gentilles filles du service du moral quand l’inter a jeté la nouvelle. Dur. Ça a jeté un froid. Aucun de nous n’était de service, mais on a tous débandé aussi sec. Le cœur n’y était plus. Je suis sorti voir comment les autres prenaient la chose, le temps de zipper mon short. Certains des bleus étaient plutôt pâles. Il y en a qui ont retiré leur insigne de pacifiste. Moi pas. Je tiens à ce qu’on connaisse mes opinions. Je pense que si chacun était resté chez soi, la guerre n’aurait pas éclaté. Mais ça ne m’empêche pas de faire du bon boulot et d’être bien noté. Je passe au moins une heure chaque trentaine auprès d’une machine à enseigner et j’espère bien sortir programmeur série A lors de la prochaine session. Comme ça, de retour sur Terre, je serai sûr de trouver du boulot bien payé, ou à défaut sur un des nouveaux mondes. D’après ce que j’en sais, la vie n’y est pas toujours marrante, mais il n’y a qu’à se baisser pour y ramasser du blé.
Je ne sais pas si vous savez ce que c’est qu’une zone de frikill. D’après les instructions, c’est une région de l’espace virtuellement contrôlée par l’ennemi, où l’on a le devoir de détruire tout ce qui bouge. Inclusivement tout ce qui vit sur les planètes qu’on peut rencontrer, et c’est comme ça qu’il nous est arrivé une drôle d’histoire mais que finalement on a fait du beau boulot.
L’idée est que l’ennemi s’est infiltré dans la région, et qu’il a pu prendre contact avec les populations indigènes s’il en existe et les dresser contre nous. Il profite de la main-d’œuvre ou des matières premières, ou encore il installe des bases secrètes qui peuvent causer aux nôtres de sérieux ennuis. Pour empêcher ça, on pratique ce qu’on appelle la cautérisation. Quand on a cautérisé une planète, il ne reste plus rien, ni personne, dont l’ennemi puisse se servir. Bien entendu, comme le rappelle le commandant dans son sermon dominical chaque fois qu’il en a l’occasion, c’est une mesure extrême et il convient de ne l’appliquer qu’avec prudence. Aux termes de la constitution, toute vie est sacrée et toute vie intelligente doit être spécialement préservée. C’est pour cette raison que chaque fois qu’on découvre une civilisation inconnue, on y dépose des instructeurs qui l’équipent et qui l’entraînent pour qu’elle puisse se défendre contre les xénos et leur tyrannie. Je ne suis pas toujours d’accord avec ce que cela donne, vu mes idées et vu les résultats que j’ai quelquefois eu l’occasion de constater, mais je crois sincèrement qu’il n’y a rien d’autre à faire puisque les xénos ne respectent rien de ce qui nous est le plus sacré, ni la liberté, ni la religion de la vie. Je n’ai jamais entendu parler, par exemple, d’un xéno qui soit pacifiste. À vrai dire, je ne sais pas grand-chose sur les xénos, sinon qu’ils ressemblent à un croisement entre un crabe et une ortie, qu’ils vivent dans des espèces de termitières et qu’ils nous ont attaqué les premiers. Comme le dit l’aumônier, nous pourrons leur pardonner ce qu’ils ont fait à la vie quand nous les aurons écrasés.
Bien entendu, sitôt l’état de frikill proclamé, nous sommes entrés en période d’alerte orange et nos habitudes s’en sont trouvées un peu bouleversées. Dix heures de service par trentaine, ce n’est pas du tout la même chose que six. Le navire a été divisé en tranches et on a distribué des badges pour passer de l’une à l’autre. À tout hasard, on a participé inopinément à deux exercices de sauvetage et d’évacuation, mais personne n’a pris ça très au sérieux. Les combattants se sont vu interdire presque tout le quartier des loisirs, histoire de leur donner une peu de mordant, mais comme je ne suis qu’un technicien, cela ne me concernait pas. J’ai reçu un badge bleu qui me permettait d’aller presque partout sauf dans des endroits où de toute façon je ne vais jamais. Bref, après quelques jours, on aurait cru que rien n’avait changé.
Puis on est tombé sur une planète habitée.
J’étais à mon poste et je fourrais dans une machine des tas de trucs assommants relatifs à l’état des stocks quand le gong a résonné. Les lumières ont changé de couleur et on a su qu’on était en alerte rouge.
J’ai demandé à Ric, mon voisin, qui en est à sa troisième campagne :
— Qu’est-ce que tu crois ? Qu’on est tombé sur de la merde ? Qu’on risque une attaque ?
Il a dit sans cesser de mâcher sa gomme, tranquille :
— T’es pas fou. Dans ce secteur ? Un nid de rats, voilà tout ce que c’est.
J’ai réfléchi un moment, puis j’ai dit :
— La deuxième planète autour de ce soleil de type G. Tu crois que les xénos y sont ?
Il a haussé les épaules.
— Peut-être. Peut-être pas. Et même s’ils n’y sont pas, dans ce secteur, elle ne peut nous servir à rien. Alors, si elle peut leur être utile, il vaut mieux la nettoyer.
Je me suis tu un moment.
— Et s’il y a des gens ? j’ai dit.
— Et après ? C’est pas des gens comme toi et moi, non ? Pas des humains.
Après, je l’ai bouclée pendant un bon moment.
Mais tout de même, je pensais à ces êtres s’il y en avait sur cette foutue planète et à la religion de la vie, et je me suis dit qu’il vaudrait mieux pour tout le monde qu’il n’y ait personne, je veux dire pas la moindre trace de vie, sur ce foutu caillou. Et puis on m’a coupé l’accès à l’ordinateur parce qu’on en avait besoin pour analyser les paquets de données sur la planète dont on approchait et que l’état des stocks pouvait attendre, et je n’ai plus rien eu à faire. J’aurais préféré m’occuper l’esprit, même à une tâche idiote, mais ce n’était pas possible, je n’avais qu’à attendre des instructions, ou j’aurais bien voulu prendre un hallu mais en période d’alerte rouge, c’est strictement interdit et le type qui se fait piquer est bon pour aller au sol à la première occasion. Au sol, c’est-à-dire dans un des nids de puces que nous plantons un peu partout et où le pourcentage de pertes dépasse largement les cinquante.
J’étais au mess, en train de déjeuner, quand on a annoncé qu’il y avait de la vie sur cette planète. Je m’en doutais depuis le début, depuis que je savais que nous approchions d’une étoile de type G, parce que j’ai acquis pas mal de notions d’astrobiologie à force de discuter avec des types dont c’est le métier, et qu’il y a neuf fois sur dix des planètes autour de telles étoiles et que la vie se développe presque toujours sur la deuxième ou la troisième, à partir du centre du système. Notre soleil est une étoile de type G et c’est pour ça que la vie est apparue sur notre Terre et sur Mars où elle n’a pas tenu le coup. C’est aussi pour cette raison que le commandant avait choisi de foncer vers cette étoile. Les xénos, tout comme nous, ne s’intéressent guère qu’aux étoiles de type G, même s’ils ne peuvent vivre que sur des mondes beaucoup plus froids que la Terre, comme les satellites de Jupiter ou, à la rigueur, Pluton. Les astrobios disent qu’il y a peut-être des formes de vie très différentes autour de soleils d’autres types mais que tout le monde s’en cogne, sauf les scientifiques, parce que nous n’avons pas les moyens de coloniser ces planètes ni même d’y mettre le pied. Après la guerre, disent-ils, quand on aura les moyens, on verra. Mais pour l’instant, on se bat pour des rochers d’un type bien particulier.
L’inter diffusait en tridi une partie d’échecs vu que c’est un jeu qui intéresse pas mal de gars ici, moi compris. La fille qui commentait la partie s’est excusée de l’interruption et nous a dit qu’on allait voir des images de la planète. Comme on se trouvait encore à plusieurs dizaines d’heures-lumière de la planète, les images ne seraient qu’en bidi. Mais de toute façon dans l’espace, on perd le sens des volumes.
L’image était nette et claire. Un monde qui tourne dans l’espace, c’est toujours impressionnant. D’abord on a vu qu’un point orange, puis un rond minuscule qui a viré lentement au mauve et qui se trouvait à peine entamé d’un croissant de nuit. C’était forcé parce que nous venions de derrière le soleil autour duquel tournait cette planète, par mesure de précaution. Nous ne risquions rien, en principe, puisque les gars de la détection n’avaient décelé aucun signe d’activité intelligente dans toute la gamme des ondes électromagnétiques et encore moins du côté des tachyons et que les habitants de cette planète, s’il y en avait, ne devaient pas disposer d’une technologie bien avancée, comparativement à la nôtre ou à celle des xénos. Mais les instructions sont les instructions. S’il y avait des astronomes là-bas, ils ne pourraient pas repérer le Richard-Nixon, à moins d’être drôlement doués et de regarder le soleil en face. Ensuite, bien sûr, si nous approchions plus près, nous serions obligés de contourner leur soleil, en s’écartant un peu du plan de l’écliptique, ce qui est le meilleur moyen de passer inaperçu. Et de toute façon, alors, pour eux, il serait trop tard.
Mais sur le coup je ne pensais pas à tout ça. Je regardais ce monde qui devenait lentement bleu, auréolé de la ouate oblongue de son atmosphère, et je pensais à la Terre. Je n’avais plus faim.
Les gens, autour de moi, avaient aussi cessé de manger. Nico, qui est une gentille fille, et que j’aime bien avoir pour moi tout seul une nuit de temps en temps, tortillait sa serviette en papier avec autant de fureur qu’elle en met à jouir. Elle avait les yeux cernés. Planète mère, je jure qu’elle mouillait.
Mais je n’avais pas envie d’aller y voir. Je pensais tout le temps, comme une imprimante détraquée : Planète mère, faites qu’il n’y ait personne là-dessus.
Puis les capteurs de sondes ont relayé ceux du navire et c’était comme si nous avions fait un bond en avant de milliards de kilomètres. La planète était énorme, on aurait cru qu’on allait la toucher, bleue, mais d’un bleu différent de celui de la Terre, avec une nuance de mauve et dans le halo qui l’entourait une pointe d’orange dans le blanc. Le tout serti dans le noir de l’espace.
Puis l’image a changé sur l’écran. Quatre planètes dansaient sur l’écran, quatre fois la même planète, mais vue sous quatre angles différents à partir des sondes qui la prenaient en tenaille. La nuit, le jour, le crépuscule et l’aube. Les pôles et l’équateur, tout y était. Et bien que les sondes fussent encore à des millions de kilomètres, on pouvait voir les nuages, on pouvait entrevoir de grandes étendues désertiques, et des montagnes, et de grandes surfaces vert moutarde qui devaient être des mers.
Et je pensais : Planète mère, faites qu’il n’y ait personne là-dessus.
Là-haut, dans le carré des officiers, ils devaient déjà savoir, mais ils nous laissaient mijoter dans la merde, le truc psychologique. Pour que tout le monde en vienne à se dire au plus profond de lui-même : Merde, cette planète, si nous ne pouvons pas l’avoir, nous ne laisserons pas les xénos l’avoir non plus.
On peut avoir envie d’une planète comme d’une fille, quand on est un homme. Et on peut avoir tellement envie d’une fille qu’on préférerait qu’elle crève plutôt qu’un autre l’ait. Pas un copain, bien sûr, mais un salopard, un ennemi, un xéno. Et les xénos s’intéressent aux planètes, pas aux filles.
Et puis on a vu la végétation, tout d’un coup, comme de la mousse sur le flanc d’une montagne, on ne pouvait pas être sûr, il fallait que ce soit une forêt gigantesque pour qu’on la distingue à cette échelle, le diamètre apparent de la planète sur l’écran ne dépassait pas beaucoup les quatre mètres, et tout de suite après, sur l’image adjacente, j’ai vu une bosse grandir sur le bord du disque et j’ai cru d’abord à une catastrophe, à une éruption, quelque chose d’impossible, mais j’ai compris que c’était une lune et j’ai été sûr que c’était bien de la végétation cette mousse, une lune comme celle de la Terre, quoique plus petite apparemment et plus proche, difficile à dire à l’œil nu, et je me suis demandé pourquoi elle n’était apparue jusque-là sur aucune des projections, question d’angle de prise, ou plutôt, non, là-haut, ils nous avaient laissé ignorer l’existence de cette lune jusqu’au bon moment. Un soleil de type G, des mers, une lune, tous les ingrédients nécessaires à l’apparition de la vie, d’après les astrobios. Il y faut des marées qui laissent cuire une soupe bien épaisse au fond des flaques oubliées. Ils ne voulaient pas, là-haut, que nous comprenions trop vite. Ils savent bien que nous avons appris quelques petites choses à force et que nous pouvons additionner deux et deux. Mais ils tiennent par-dessus tout à leur façon de raconter leur petite histoire.
Naturellement, ils avaient gardé le plus beau pour la fin. Une des quatre images s’est mise à grandir tellement vite qu’elle a dévoré les trois autres et que les bords du disque ont disparu. Je tombais comme une pierre, quelqu’un a renversé son verre et j’ai senti un liquide brûlant qui coulait sur ma cuisse gauche mais je n’ai rien dit, ni rien fait, et Nico a pris ma main droite et l’a mise où il fallait, et ensemble nous avons crevé les nuages, les couleurs ont changé un peu à cause des filtres dont sont équipées les sondes pour voir même à travers la vapeur d’eau, et plongé, plongé, un fil rose est devenu une rivière mauve, qui sinuait à travers une espèce de tapis-brosse bleuâtre, et nous avons vu des points bouger dans cette savane, des bestioles qui galopaient comme si elles se savaient observées du fin fond de l’espace, mais non, elles suivaient leur petit bonhomme de chemin, comme on dit, et je me suis frotté la cuisse gauche et Nico a serré plus fort ma main droite entre ses cuisses et j’ai cru qu’elle allait m’écraser le poignet entre ses doigts, et nous sommes tombés en plein, comme par hasard, sur un village qui ne ressemblait pas plus à un village qu’on pouvait s’y attendre, des mottes de terre pas plus hautes qu’une chaloupe de sauvetage, bariolées de couleurs violentes et percées de trous à différentes hauteurs. Et nous nous sommes approchés encore, l’image est devenue moins nette, à cause du grossissement, et j’ai vu les gens, non les natifs, non d’habitude on dit les rats, quoique le terme officiel soit natifs, et je me suis dit tandis que ma main broyée allait venait furieusement, ils ne sont peut-être pas plus intelligents que des castors ou que des rats, ils ressemblaient un peu à des ours et en même temps à des kangourous. Ils paraissaient entièrement couverts d’un pelage bleuté, presque de la même teinte que le tapis-brosse de la savane, résultat probable d’un processus évolutif et protection possible contre des prédateurs, et ils avaient quelque chose qui ressemblait à des mains et ils tenaient dans ces mains, ou entre leurs mâchoires, des ustensiles, ou des outils. J’en ai remarqué un sur le sommet d’une motte qui était occupé à la repeindre soigneusement, il a levé la tête, pas d’yeux ou cachés dans le pelage bleuté, et il a entrouvert sa gueule et j’ai cru, Planète mère, qu’il disait quelque chose et que je l’entendais, un grognement, mais les sondes étaient à des millions de kilomètres de son village, un petit gémissement étouffé, Nico, bien sûr, à côté de moi, et elle a lâché ma main, laissé ma main se retirer d’elle.
Et je me suis dit : Planète mère, j’ai été baisé sur toute la ligne…
C’était tout pour le moment. Fin du spectacle. Officiellement, les sondes étaient affectées à d’autres tâches, procédaient à des relevés topographiques. Ceux qui ont pu ont terminé leur déjeuner. Moi pas. Quand je suis sorti du mess, j’ai croisé un type qui devait être un officier à voir ses cheveux ras et sa tenue réglementaire. Il a froncé le sourcil en me regardant, il a ouvert la bouche, mais il n’a rien dit. Machinalement, j’ai zippé mon blouson presque jusqu’au col et on ne pouvait plus voir ma plaque de pacifiste, et c’est à peine si je la sentais encore ballotter au bout de sa chaîne sur mon estomac, et je me le suis reproché quand, aux toilettes, après avoir pissé et m’être lavé les mains, j’ai vérifié la bonne tenue de mes tresses. Merde, un homme a droit à son apparence.
Je me trouvais dans une salle de culture physique en train de travailler mes abdominaux sous une gravité triple, et croyez-moi, ce n’était pas de la tarte, quand le commandant s’est adressé à tout l’équipage.
Il avait mis son grand uniforme et pris sa voix des grandes occasions.
— Mes amis, il a dit, pour la première fois au cours de cette campagne, nous nous trouvons en face d’une situation délicate et complexe qui, comme vous le savez tous, n’est pas pourtant sans précédent. Cette situation peut me conduire à exiger de chacun de vous, sans aucune exception, les plus grands sacrifices. Nous vivons tous un moment solennel de l’histoire humaine puisque nous avons découvert dans l’univers une nouvelle fois une espèce intelligente. Avant toute autre considération, je tiens à en féliciter tous les officiers, sous-officiers et hommes d’équipage, combattants et techniciens, du SS Richard-Nixon, sans la coopération et l’abnégation desquels cet exploit serait demeuré impossible. La Terre, sachez-le, est aujourd’hui fière de vous.
Et patati et patata. Parti comme ça, il peut parler pendant des heures. Il sait, parce que les psychologues le lui ont dit et comme ils me l’ont avoué en cachette, qu’une seule de ses phrases sur trois, en moyenne, est écoutée par quelqu’un. Aussi il s’arrange pour répéter trois fois les mêmes choses sans que ça se remarque trop. Remarquez, c’est plutôt un brave type. Il sait fermer les yeux et la seule fois où je l’ai vu autrement que sur un écran, il m’a serré la main. Il a regardé mon insigne de pacifiste et il s’est fendu la gueule. Gentiment. J’ai failli le lui donner, j’en ai toute une réserve et d’ailleurs en fabrique qui veut dans les ateliers. Mais je me suis dit qu’il ne pourrait pas le porter. Honnêtement.
Là, sur l’inter, il avait plutôt l’air emmerdé. Pas du tout devoir, discipline, sacrifice, non, emmerdé. C’est un homme, ce type-là.
J’ai coupé la gravité trois et j’ai fait semblant de l’écouter, comme les autres. Il disait :
— D’ici quelques heures, nos sondes auront achevé leur travail d’exploration à distance et nous saurons tout ce qu’il est humainement possible de savoir sur ses habitants. D’ores et déjà les sociologues ont déterminé le degré de civilisation des natifs que vous avez pu voir et qui constituent l’espèce dominante sur ce monde. Ils se trouvent encore à un stade relativement primitif. Leurs agglomérations les plus importantes ne réunissent pas plus de cinquante à soixante mille individus. Ils vivent essentiellement de la chasse, de la pêche et d’une forme originale d’agriculture dont il serait fastidieux de vous exposer les détails maintenant. Leur industrie est peu importante. Il semble, je dis bien, il semble, qu’ils n’aient jamais eu de contacts avec l’extérieur. Nos investigations se poursuivent sur ce point dont vous connaissez l’importance. Il résulte de tout ceci que nous sommes théoriquement à même d’apporter une aide considérable à ces natifs, d’abord pour assurer leur développement, et leur faire faire un bond en avant de plusieurs millénaires, ensuite pour les équiper et les entraîner en vue d’une confrontation avec un envahisseur.
Je n’ai pas retenu tout ça de mémoire, évidemment, mais après, je suis allé rechercher le discours du commandant dans les archives, tellement ça m’a paru beau, après.
— Toutefois, il a dit, et là sa voix a paru se briser, je porte, nous portons tous, de graves et lourdes responsabilités. Vis-à-vis de la Terre et vis-à-vis de l’espèce humaine, de vos parents, de vos amis, de tous ceux qui vous sont chers. Nous sommes en guerre. Il se peut, je dis bien il se peut, que l’ennemi ait déjà réussi à s’infiltrer dans cette population, qu’il soit en train de l’armer, de l’entraîner et de la dresser contre nous, bien que nous n’ayons manifesté aucune intention hostile. Il se peut qu’il soit en voie de le faire ou à tout le moins qu’il se trouve en mesure d’y parvenir dans un avenir indéterminé. Il disposerait alors d’une base formidable qui lui permettrait de menacer directement nos avant-postes et nos expéditions.
J’ai pensé, avenir de mes fesses. Ces gens-là n’ont jamais vu personne, personne qui soit venu de l’espace, et sauf déveine fantastique, ils ne recevront plus la visite de personne. Ou pas avant mille ans. Quand nous serons tous morts. Mais je le voyais venir.
— Nous nous trouvons, vous le savez tous, dans un secteur que nous ne pouvons abandonner en aucune façon à l’ennemi, où nous ne pouvons rien laisser subsister qui puisse lui être utile. C’est à ce prix que nous parvenons à préserver de ses atteintes la Terre et ses extensions. Il est donc possible que nous soyons obligés de procéder à la cautérisation de cette planète.
Il l’avait dit, Planète mère, il l’avait dit, et avec l’air de s’excuser. Ces gens-là ne nous ont rien fait et ils sont bien incapables de nous faire quoi que ce soit, mais ils pourraient bien un jour tomber sous la coupe des xénos et nous asticoter la plante des pieds, alors mieux vaut les écraser préventivement à coups de talon.
Il a ajouté :
— Bien entendu, je n’ai pas qualité pour prendre seul une telle responsabilité. La Terre est tenue informée seconde par seconde de chacune des données que nous recueillons. C’est à ses représentants qualifiés qu’il incombe de prendre la décision. Et lorsque nous recevrons l’ordre du Grand Quartier Général, il nous faudra l’exécuter, quel qu’il soit, pour le salut de la Planète mère. Je compte que chaque homme fera son devoir et je vous remercie de votre attention.
Un type, à côté de moi, qui s’agitait sur un cheval mécanique, a dit, d’une voix plate, si plate que je n’ai pas su s’il était pour ou contre : Chouette boulot en perspective.
Moi, j’ai rien dit. J’avais rien à dire. Je savais ce qui allait se passer. Mais pas tout.
Ce qui manque le plus, dans ces cas-là, c’est la défonce. J’aurais voulu décoller, planer, ficher le camp dans l’espace intérieur qu’on trouve parfois plein de saloperies, mais au moins ce sont des saloperies qui vous appartiennent et qui n’ont de conséquences pour personne. Mais pas question. Ils ont rationné même les tranques, parce que d’aucuns s’en envoient par poignées et se mettent dans des états comateux. J’ai bien tâté de l’alcool, mais ils y fourrent tant d’antalc que même si le goût y est, l’oubli reste au fond du godet. Reste la musique, mais en alerte rouge, pas question de dépasser les 80 décibels. Et si l’on tripote un peu les connexions, la machine vous chuinte d’un air poli, désolé, monsieur, dans les circonstances présentes, il ne vous est pas possible de dépasser le seuil du confort. Je suis allé voir Nico et quand elle m’a dit que ma plaque de pacifiste lui égratignait les seins et que j’ai pas voulu l’ôter, elle m’a foutu dehors.
Et puis l’ordre est arrivé. Cautérisation.
Nous nous sommes approchés de la planète. Beaucoup. Plus de précautions à prendre. Le second a dit dans l’inter : Tous les non-combattants qui ne sont pas de service et qui ne désirent pas suivre les opérations peuvent demeurer dans leurs quartiers.
Comme je n’étais pas de service, c’était ce que j’avais décidé de faire, au début. Puis je suis allé voir. Puisque de toute façon ça se passait sous nos pieds, autant voir et savoir. On ne rase pas une planète tous les jours.
Ce n’était pas beau. Mais j’ai vite trouvé ça fascinant. Les opérateurs au service de prises de vues connaissent leur métier. Ils font ça pour les actualités, les archives, l’histoire. Ils balançaient en polyvision et tridi six images simultanées sur le grand écran du mess. On ne savait plus où donner du regard. Le vaisseau survolait la planète à une altitude moyenne de l’ordre de vingt mille kilomètres, pour ne pas surcharger les structures, à cause de la limite de Roche, mais c’était amplement suffisant pour bien distinguer les détails, surtout quand les images provenaient des sondes, ou plutôt des piranes, qui sont des espèces de sondes mais beaucoup plus grosses, bien équipées pour le nettoyage, et télécommandées des postes de combat. Les piranes travaillaient beaucoup plus bas, dans l’atmosphère, parfois au ras du sol, et j’avais chaque fois l’estomac retourné quand on fonçait sur une montagne, parti pour le crash et une ressource impeccable juste au dernier moment. Ils ont commencé par nettoyer les villes, par humanité, m’a-t-on dit, parce que comme ça, les natifs n’auraient pas le temps de s’angoisser à l’idée que leur planète entière était en train d’exploser. J’aurais cru qu’ils feraient ça à coup d’atomiques, mais non, les cibles n’étaient pas assez importantes et les calculateurs logistiques prêchent toujours en faveur de l’économie des moyens. Ils ont retourné les mottes au projecteur sonique, on les voyait trembler et se fissurer, s’ouvrir et s’effondrer, et ils ont brûlé les restes au rayon thermique. On a vu des points bleus qui couraient vers la campagne, par endroits, il y en avait tellement que le sol paraissait agité d’un frémissement, et je me suis dit, ils ont vraiment l’air de rats, mais ça ne durait jamais longtemps parce que les rayons les rattrapaient et que de toute façon les piranes lâchaient dans l’atmosphère des tas de poisons, en particulier des produits destinés à catalyser l’oxygène si bien que l’air devient irrespirable, mort. Les rats, en bas, galopaient pour rien. Ils n’avaient pas l’ombre d’une chance. Mais évidemment ils ne pouvaient pas le savoir.
Au début, j’avais la gorge serrée, mais je me suis détendu peu à peu et j’ai commandé un café bien fort, ça n’avait pas l’air vrai, pas plus en tout cas que tout ce qu’on voyait aux actualités à la maison, et je n’arrivais pas à croire que j’y étais pour de bon, que ça se passait à l’instant même, au-dessous de moi, puis j’ai ressenti une espèce de chaleur, je me suis dit, planète mère, j’y suis, j’assiste à une des grandes batailles de l’histoire humaine et si je reviens, je pourrai raconter ça à mes petits-enfants et même peut-être en faire un article ou un livre.
Remarquez, ils devaient bien être dix mille, à bord du Nixon, à se dire exactement la même chose au même moment.
J’ai vidé le café d’un trait et j’ai essayé d’analyser mes sentiments comme on nous l’avait recommandé à l’université, pendant la session de trois semaines de création littéraire. Mais j’ai trouvé que je n’en avais pas. Je regardais les six images qui racontaient toujours la même histoire, à peu de chose près, et je ne ressentais rien. Comme si tout mon cerveau s’était calé au fond de mes yeux. Je me disais que des tas de gars sauraient trouver les mots pour évoquer le tragique de la situation, la fin d’une civilisation, la mort d’une espèce, et s’exclameraient à propos de la puissance de l’homme ou pousseraient des cris de rage, ou seraient capables de tirer des larmes des yeux de leurs lecteurs à faire monter le niveau des océans, et tutti quanti. Mais moi pas. Alors j’ai regardé ma montre et j’ai vu qu’une heure exactement s’était écoulée depuis le début des opérations.
Quelqu’un m’a tapé sur l’épaule et j’ai reconnu Tad, un sergent pointeur, un copain. En général les relations ne sont pas très bonnes entre combattants et techniciens à cause de l’esprit de corps et parce que les combattants considèrent les techniciens comme des civils, des planqués, alors qu’en fait on court exactement les mêmes risques. Mais vu mon absence de préjugés, je me suis fait des amis dans tous les corps et j’ai remarqué qu’au fond les combattants envient un peu les techniciens à cause de leurs connaissances supérieures et que c’est surtout de là que vient leur mépris. Je me garde bien d’étaler ma science devant un type comme Tad, sauf quand il me le demande, et c’est comme ça que j’explique nos bonnes relations. Et puis Tad aime bien les pacifistes. Il dit qu’il respecte toutes les formes de courage et que le courage des opinions en est une. Il m’a confié une fois qu’il regrettait de ne pas avoir de pacifiste dans son unité.
Il venait de terminer son premier tour et il avait droit à un quart d’heure de pause et il était passé au mess prendre une tasse de café, histoire de se détendre. Nous avons bavardé de choses et d’autres qui n’ont pas d’intérêt particulier, et c’est à peine s’il surveillait les écrans de temps à autre. Au bout de dix minutes, il s’est levé et il m’a dit : « D’ici, tu ne vois pas grand-chose. Si tu veux, tu viens avec moi. Tu verras ce que ça donne vraiment. »
Je n’ai qu’un badge bleu, mais quand nous sommes arrivés à l’entrée de la tranche de combat, qui m’est normalement interdite, il a dit au type de garde : T’occupe pas, c’est un pote. Si quelqu’un te cherche des crosses, envoie-le-moi.
L’autre n’a pas insisté.
On est monté dans un godet qui s’est intégré dans une chaîne, presque le même modèle qu’on voit sur Terre, dans le métro, mais en plus rapide. Dans les deux sens, la plupart des godets étaient pleins de types qui bavardaient, tranquilles, ou qui se saluaient quand ils tombaient sur un copain. Je me faisais un peu petit à cause de ma tenue et de mes cheveux, vu que la quasi-totalité était en treillis de combat, mais pour ainsi dire personne ne m’a regardé. J’ai quand même laissé ma médaille pendouiller à l’abri de mon blouson parce que je me suis dit que ce n’était pas l’endroit ni le moment de faire du prosélytisme.
Au bout d’un kilomètre à peu près, on est descendu et on a emprunté des coursives à n’en plus finir. Puis on est arrivé aux cabines de combat. J’avais toujours cru qu’elles se trouvaient sur le pourtour du vaisseau, mais sur le coup je n’en étais plus si sûr. Ce n’était rien de bien spectaculaire. Des portes qui donnaient sur des pièces basses de plafond, baignées d’une lumière bleue, et d’où sortaient les voix de types qui énonçaient des suites de chiffres et de lettres. Ou qui se lançaient des vannes dans un argot incompréhensible. Chaque métier a son langage.
Et puis Tad m’a poussé dans une cabine, le type qu’il venait relever a ronchonné à propos de l’horaire, mais Tad l’a remis au pas en deux mots, il s’est assis dans un fauteuil bien rembourré, s’est vissé sur le crâne une espèce de casque, a vérifié l’inclinaison de son siège et a glissé ses mains dans des espèces de gants. Devant lui, il y avait des tas d’écrans, dont certains seulement montraient le paysage, les autres étant couverts de chiffres et de courbes que j’aurais sans doute pu interpréter vu ma formation, mais je n’avais pas l’esprit à ça.
Moi je me tenais debout derrière lui, un peu tassé, essayant de ne toucher à rien. Le pirane que pilotait Tad, à des milliers de kilomètres de distance, survolait une côte passablement désertique, puis il a obliqué probablement parce qu’il avait reçu des instructions nouvelles, dans son casque, on a sauté des falaises, et on a foncé au-dessus d’une broussaille rousse d’un modèle que je n’avais encore jamais vu et qui me piquait les yeux rien que de la regarder. Puis il a ralenti et on est tombé droit sur le village. Exactement pareil à celui qu’on avait vu la première fois, sauf que le paysage différait et qu’on ne pouvait pas confondre. Les natifs n’avaient même pas remarqué le pirane. C’était normal parce qu’à la vitesse à laquelle on était arrivé, le bruit du coucou avait pris du retard. On est passé tellement vite que je n’ai pas bien pu voir ce que faisaient les natifs, sinon qu’ils semblaient occupés à dépecer une espèce d’animal à côté d’un grand feu, et chose curieuse, le ventre ouvert de la bête paraissait plein de graines ou de tout petits animaux. Je me suis dit une seconde que Tad allait les laisser tranquilles, mais il a amorcé un grand virage, une courbe serrée, vraiment impeccable, tout en freinant sec, et là j’ai vu les natifs aussi bien que si on allait leur serrer la main et je jure, planète mère, qu’ils n’ont pas d’yeux. Mais d’une manière ou d’une autre, ils nous avaient repéré et ils se sont éparpillés dans toutes les directions et je crois bien que j’ai entendu Tad me dire entre ses dents : Attends, tu vas rigoler. Il en a cadré un, il a fait quelque chose, pressé un bouton, et j’ai vu un pinceau de lumière rouge toucher le natif, un zigzag vite fait, et le type, non le rat, est tombé par terre en deux morceaux, coupé aussi net qu’avec un rasoir. Ça giclait partout sur le sol, et planète mère, au moins ce n’était pas rouge, et je me suis dit c’est probablement du cuivre qu’ils ont dans le sang, pas du fer, comme nous, parce que ça tirait sur le bleu. Et les deux morceaux continuaient à gigoter et j’ai eu envie de dégueuler, mais touché mon insigne sous mon blouson, et j’ai tenu bon en me disant, c’est la dernière fois, c’est la dernière fois, le mouvement va l’emporter et on mettra fin à toute cette merde, et de toute façon on avait dépassé les morceaux du type et Tad venait d’en épingler une douzaine d’un coup, d’un seul trait de pinceau. Il a tourné la tête vers moi et il a dû voir la gueule que je faisais et il m’a dit : « Tu sais, je pourrais les effacer tous d’un coup, mais de toute façon, ils doivent tous y passer, alors autant se marrer. Ils ont pas le temps de souffrir et d’ailleurs c’est des rats, rien que des rats. Tu veux pas essayer ? »
Il m’a empoigné et il m’a collé dans un fauteuil, à côté du sien, que j’avais même pas remarqué à cause des écrans, il m’a mis un manche dans la main et il m’a dit : « Je pilote et tu nettoies. Tu vas voir, c’est facile. Tu collimates sur l’écran, devant toi, l’objectif bien au centre du réticule en branlant ton manche et tu pousses le bouton au bon moment. T’as déjà dû faire ça dans les machines à sous, non ? Attends, je te cadre un bon morceau. »
Et il m’a amené droit sur un natif qui sautait dans la broussaille en poussant devant lui toute une volée de petits rats. Mi-ours bleus, mi-kangourous, je l’ai déjà dit, et les petits avaient encore plus l’air de kangourous. Planète mère, je me suis dit, c’est une bonne femme et sa marmaille, et on arrivait dessus et j’ai cru qu’on allait la percuter et je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai pressé le bouton, doux qu’il était comme si mon doigt s’enfonçait dans du beurre, et je l’ai raté, je veux dire je l’ai eu qu’à une patte, et il est tombé par terre avec de grands gestes et je me suis dit, je peux pas le laisser comme ça, et j’ai bougé le manche et cette fois je l’ai eu en plein, je l’ai coupé en deux, et planète mère, j’ai vu quelque chose sortir de la blessure, ou d’une poche, si cette chose-là était foutue comme un kangourou, gros comme une puce et ça sautait tant que ça pouvait et c’est Tad qui l’a eu. Avec les autres, parce que moi je pleurais à chaudes larmes et je ne voyais plus rien.
Et Tad m’a dit, comme à un copain : « T’en fais pas. Écoute, de toute façon, ils doivent tous y passer. Et moi, je suis pas un salaud. Je les fais pas durer, comme certains. Je fais les choses proprement. Si tu n’aimes pas la chasse, tant pis pour toi. »
Et pour me faire plaisir, il a tout brûlé, d’un seul coup, sur des kilomètres carrés. Et il m’a dit : « Écoute, je savais pas. Excuse-moi, j’aurais dû m’en douter. Évidemment, faut avoir l’habitude. »
Et moi je lui ai dit : « C’est pas de ta faute, Tad, c’est pas de ta faute. »
Et je suis resté là, à regarder, parce que Tad devait finir son tour avant de me raccompagner et que je n’aurais pas su retrouver mon chemin dans cette partie du vaisseau deux fois grand comme Manhattan que je ne connaissais pas et que j’aurais risqué des tas d’ennuis. Mais Tad, parce qu’il est un copain, n’a plus cherché de villages, il s’est contenté de lâcher des bombes à catalyse au-dessus des forêts, et ça m’était égal de les voir pourrir tout d’un coup, l’automne et l’hiver à la fois, et se ramasser en une bouillie blanc-bleu qui d’en haut faisait penser à la neige. J’ai regardé les écrans couverts de courbes et de chiffres et j’ai commencé à comprendre et au bout de l’heure, je savais qu’il n’y avait plus personne en bas. Plus un natif. Plus un rat. Et j’ai cru que c’était fini. Mais ce n’était que le commencement.
Moi, j’avais les nerfs tellement en pelote que j’ai pris la direction du Parc Central. Ça m’a fait du bien et ça m’a donné à réfléchir, parce que là, j’ai retrouvé la Terre, l’herbe, les fleurs, les arbres de la Terre. Et un vrai soleil qui planait dans un ciel d’azur avec juste ce qu’il faut de petits nuages blancs, arrondis sur les bords et propres. Ici tout est vrai, pas trace de similis comme on en voit de plus en plus souvent dans les parcs de la Terre, sous prétexte que le plastique est inusable et que ça demande moins d’entretien. Ici, tu peux enfoncer tes doigts dans la terre et te salir les mains, tu peux cueillir un brin d’herbe et le mâchonner entre tes dents. Il y a des endroits où on peut tondre le gazon soi-même, ou apprendre à tailler les arbres, sous la conduite de jardiniers. Quelquefois, on obtient l’autorisation de cueillir un fruit soi-même, une pomme bien rouge, ou une poire bien lourde et dont tu sens le jus sucré te couler le long du menton rien qu’à la regarder, ou, dans un autre coin, un de ces petits citrons verts qui t’agacent les dents mais qui te font penser, quand tu en suces un, que plus jamais tu n’auras soif de ta vie.
Ce n’est pas tellement grand, mais si bien fait qu’au bout de quelques pas, tu as l’impression que ça s’étend sans limites et que tu as toute la planète autour de toi. Tu peux te rouler dans l’herbe, ou sur la mousse, et un peu partout, il y a des coins tranquilles où tu peux emmener une fille, ou un gars, selon ton sexe ou tes goûts.
Je me promenais là-dedans presque tout seul, vu l’alerte, et je pensais que c’était ça la Terre, et que ça valait la peine qu’on la défende, même si je savais que c’était fait pour et que ce n’était pas vrai, que sur Terre, dans la plupart des endroits, si tu grattes le sol, tu t’uses les ongles sur du béton, et qu’avant de monter à bord du Nixon, je n’avais jamais vu d’arbres que dans des pots. Mais je pensais que c’était ça la vraie Terre, l’idée de la Terre, le paradis terrestre, quoi, et que quand cette saloperie de guerre serait finie, on devrait s’arranger pour que ce soit partout comme ça, un jardin qui n’ait pas l’air d’en être un. Il y a un endroit presque entièrement dépourvu de végétation, seulement du sable soigneusement ratissé où personne n’oserait mettre les pieds, et au milieu un filet d’eau qui glougloute et de grosses pierres moussues et tu jurerais qu’elles sont là depuis mille ans, ou plus, même si tu sais que le Nixon n’a été construit et armé que depuis moins de vingt ans. Tu t’assois au bord, sur un banc de bois, et tu attends, tu n’as même plus envie de penser, tu écoutes le silence, tu ne désires plus rien, tu oublies tous tes ennuis, et tu as l’impression d’être immortel. Le temps ne passe presque plus jusqu’au moment où tu te dis, merde, je vais louper ma vacation. Il paraît que ce sont des Japonais qui ont arrangé cet endroit, comme tout le Parc, d’ailleurs, et moi je dis que ces gars-là sont drôlement forts, plus forts que nos artistes qui bricolent avec des bouts de métal, des sons et de la couleur. Ceux-là ont travaillé avec la Terre, les matériaux même de la Terre, et quand tu t’es bien fondu dans le paysage, tu sais que ça vaut la peine de défendre la Terre à n’importe quel prix, et c’est là le truc psychologique, mais tu as beau en être conscient, tu ne peux pas y échapper. J’ai vu une bestiole, une espèce de coccinelle qui courait dans l’herbe, entre mes souliers, et pour rien au monde je ne l’aurais écrasée. Pas parce que je suis pacifiste ni même à cause de la religion de la vie. Mais parce qu’elle venait de la Terre.
Comme moi.
Après, mais ça, je l’ai vu du mess ou on me l’a raconté parce que ça a duré des jours et des jours et qu’il fallait bien dormir de temps en temps, ils ont démoli les montagnes et vaporisé les mers. Ils ont déchiré l’atmosphère et ils l’ont envoyée se perdre dans l’espace. Ils ont épluché la planète comme on pèle une pomme et on a vu les grands segments des continents, comme les pièces détachées d’une carapace, partir à la dérive sur le magma. Et c’était beau, je vous jure, tout ce rouge, ce marron et ce noir, et j’aurais voulu être peintre pour mettre ça sur du papier, et j’ai regretté de n’avoir pas suivi plus attentivement les cours d’art graphique, à l’université. Puis je me suis dis que tout était fixé sur les hologrammes et que depuis belle lurette la peinture réaliste ne fait plus recette.
Vous vous demandez peut-être pourquoi on s’est donné tout ce mal, mais c’est logique. Si cette planète recélait des matières premières, il fallait pas que les xénos puissent en profiter. Et avec l’allure qu’elle prenait, jour après jour, ils n’auraient même pas osé s’en approcher. On aurait bien fait sauter la planète mais ça aurait pris trop de temps, et puis quelqu’un m’a dit qu’il y avait une loi qui l’interdisait. Je ne sais pas si c’est vrai, mais si cette loi existe, je suis pour.
Et après, pour finir, on a pris du champ, beaucoup de champ, et ils ont commencé à balancer des trucs en direction du soleil et de l’espace environnant, pour qu’il émette des rayons empoisonnés.
Ils ont juste commencé et c’était une bonne chose, parce qu’un message est arrivé de la Terre.
On s’était gourré.
Pas nous, bien sûr, mais quelqu’un sur la Terre, ou plus probablement au Grand Quartier Général, dans l’espace. Un micmac entre deux services ou un ordinateur mal programmé, ou une information qui avait fait un détour et qui s’était perdue. Allez savoir. La zone de frikill avait changé de place, et la planète qu’on venait d’arranger se trouvait maintenant dans un secteur ami, et les nôtres étaient juste sur le point de prendre contact avec les natifs, si même des instructeurs spéciaux d’une autre arme n’avaient pas déjà commencé. Ces gars-là sont tellement discrets, au naturel, qu’on avait fort bien pu les nettoyer avec le reste sans même s’en rendre compte.
Quand j’ai appris ça, je me suis marré comme une baleine. Tout ce boulot pour rien. On ne l’a pas su d’un coup, bien sûr, mais il y a eu du flottement quand les opérations ont été suspendues, temporairement à ce qu’ils disaient, et des bruits ont commencé à circuler. Puis le commandant a de nouveau fait un discours, l’air encore plus emmerdé que la première fois, et il a dit qu’une regrettable erreur avait été commise, sans que ç’ait été la faute de personne à bord, bien sûr, et qu’il convenait de la réparer et de procéder à une réhabilitation.
Réhabilitation. C’était un mot que je n’avais jamais entendu prononcer à propos d’une planète, mais il paraît que les instructions prévoyaient le cas. Cautérisation puis réhabilitation. Ordre, puis contrordre. C’est toujours comme ça dans l’armée. Mais dans le cas présent, le contrordre était venu un peu tard.
Le commandant a dit qu’il fallait procéder à une réhabilitation soignée et qu’il comptait qu’on y mettrait tout notre cœur. Il n’a pas ajouté, mais ça je l’ai appris plus tard, par des voies inofficielles mais généralement bien informées, que l’affaire risquait de faire un foin de tous les diables sur Terre, qu’une commission d’enquête venait d’être nommée et que le commandant pouvait bien y perdre ses galons et même se retrouver en cabane jusqu’à la fin de ses jours. Et nous avec, ou du moins mal notés. Ce n’était pas qu’on y ait été pour grand-chose, mais dans ces cas-là, il faut trouver vite fait un bouc émissaire et c’est toujours le lampiste qui trinque. Pour peu que la commission d’enquête débarque en quatrième vitesse, flanquée de journalistes, l’histoire promettait de tourner au scandale stellaire de première grandeur. L’opposition en profiterait au maximum comme de juste et crierait au génocide inutile, et le gouvernement, pour se dédouaner, ferait tomber des têtes.
Alors, valait mieux réhabiliter en douceur et en vitesse. Réhabiliter une planète, ça veut dire remettre les choses dans l’état exact où on les a trouvées. De prime abord, j’aurais pas cru ça possible, vu l’état du caillou, mais à bord d’un vaisseau comme le Richard-Nixon, il y a des tas de ressources, et, comme je l’ai dit, le cas était prévu.
D’abord, ils ont entrepris de récupérer tous les missiles qu’ils avaient envoyés vers le soleil et dans l’espace autour et ils se sont donné bien du mal pour neutraliser les effets des quelques-uns qui étaient arrivés un peu tôt à bon port. Puis ils se sont employés à draguer l’espace pour ramasser le plus d’atmosphère et de vapeur d’eau possible afin de n’avoir pas à trop tirer sur les réserves du bord. Comme les molécules n’avaient pas eu le temps de dériver bien loin, ils y sont arrivés à 99,9 % près. Puis on a remis les continents en place, au millimètre près. Le plus dur, ç’a été de bien ressouder les plaques et d’évacuer toute la chaleur en trop, pour permettre à l’atmosphère de tenir et à la vapeur d’eau de venir se déposer bien gentiment dans le creux des océans. En bas, il a plu des jours et des jours, un vrai déluge, rien de comparable avec la pire des moussons, sous les Tropiques, sur Terre, mais de vrais paquets d’eau, des lacs entiers qui dégringolaient du ciel et rebondissaient à des kilomètres d’altitude et finissaient par se tasser aux bons endroits.
Sur le grand écran du mess, on ne voyait pas grand-chose, une grosse boule de vapeur, mais c’était beau, je le jure, c’était beau comme la création du monde, et on a vu le plancher de nuées s’entrouvrir et la terre apparaître et les mers regagner leurs lits et l’aumônier n’a pas pu s’empêcher de citer la Genèse à qui voulait l’entendre et de dire que c’était une grande merveille que Dieu ait donné à l’homme le pouvoir de refaire ce qu’il avait défait, et que c’était une vraie bénédiction que la chance nous ait été offerte au moins une fois de construire plutôt que de détruire, et que nous servions tous bien la religion de la vie et pour la première fois, il ne m’a pas regardé de travers en apercevant ma plaque de pacifiste, mais il m’a pris par l’épaule avant que j’aie eu le temps de me tirer et il a marmonné : Bienheureux les pacifiques, car ils verront Dieu.
Puis ils se sont mis à reconstruire les montagnes, et heureusement qu’on avait les archives parce que, comme ça, on a tout pu remettre en place, jusqu’à la plus petite rivière, jusqu’au moindre glacier.
Ça commençait à prendre vraiment tournure. Je ne quittais pratiquement pas le mess, à cause du grand écran, j’en oubliais de bouffer, de dormir et de rigoler. Quand Nico est venue me prendre par la main et qu’elle m’a dit que ma plaque, après tout, elle s’en foutait, je l’ai tout de même suivie parce que je ne voulais pas qu’elle pense que je lui en voulais. Je me sentais merveilleusement bien, en paix avec tout le monde. La réhabilitation, c’était vraiment un chouette boulot. Mais je lui ai demandé de brancher l’écran, dans sa cabine, et tout le temps, j’ai eu l’impression de baiser avec la planète, et elle n’a pas protesté, et j’ai eu envie un moment qu’on appelle la planète Nico, puisqu’elle n’avait pas de vrai nom, seulement une tripotée de chiffres et de lettres. C’était une idée en l’air, bien sûr, parce qu’on ne donne de noms qu’aux extensions de la Terre, là où s’installent des humains, mais sur le moment, j’ai pensé que j’allais suivre la voie hiérarchique pour la soumettre au commandant. Puis j’ai laissé tomber.
Après, j’ai dû travailler comme un dingue parce qu’ils devaient puiser sec dans les stocks et faire tourner à mort les synthétiseurs pour reconstituer la terre arable, et en dessous, les ressources naturelles. Ce n’était pas de la petite bière vu qu’une planète c’est vraiment grand et qu’on était tellement pressés par le temps. On a fonctionné aux amphés, jusqu’à vingt heures par trentaine. Mais je n’ai entendu personne se plaindre. Vu le manque de personnel, on m’a nommé faisant fonction de programmeur série A en me laissant entendre que si je m’en tirais bien, la prochaine session ne serait qu’une formalité. Vous devez bien penser que j’ai mis la gomme. Je leur ai bâti un métagraphe de restructuration écologique qui était une vraie merveille. Quand les astrobios sont entrés dans la danse, c’est à peine s’ils l’ont retouché.
Ils disposaient des prélèvements effectués avant la cautérisation et ils n’ont pas eu trop de mal à fournir de la végétation en grande quantité, mais ils ont tout de même décidé, à cause du manque de temps, de planter sur la plus grande partie des terres arables, des similis qui s’élimineraient en quelques dizaines d’années et qui laisseraient place, progressivement, à la vraie végétation. Pour les forêts, en particulier, il n’y avait rien d’autre à faire. Ils ont reproduit aussi, à grande allure, à partir des spécimens qu’ils avaient récoltés, toute la faune sans même négliger des bestioles qu’on aurait pu, de mon propre point de vue, objectivement qualifier de vermines. Tout ça dans les proportions exactes qu’indiquaient les archives. Ils n’ont eu vraiment d’ennuis qu’avec les fossiles qu’ils ne pouvaient pas produire en quantités suffisantes et réintroduire partout aux endroits adéquats. J’en ai entendu un se marrer en disant que cette planète promettait de poser un sacré problème aux paléontologistes de l’avenir si jamais il en venait par là. Mais de toute façon, les fossiles, ça ne se voit pas du dehors.
Quand j’ai pu retourner au mess regarder le grand écran, tout avait l’air parfait. On s’y serait cru. La planète ressemblait trait pour trait à ce qu’on avait vu, la première fois. J’aurais juré que les arbres, même les similis, avaient été plantés au bon endroit, et qu’il n’y manquait pas une feuille, ou ce qui leur en tenait lieu. Les bestioles pouvaient même bouffer les similis en attendant que la vraie végétation reprenne le dessus. Il aurait fallu un microscope pour faire la différence.
Tout était parfait. Sauf un détail. Il n’y avait personne.
J’ai cru qu’on allait s’en tenir là, parce que malgré les possibilités de la technique, on ne ressuscite pas les morts. Mais je me trompais. C’étaient les natifs qui étaient le plus important. La touche finale. L’élément indispensable qui, seul, pourrait nous empêcher de passer en cour martiale, de retour sur Terre.
Notez qu’ils disposaient de toutes les données nécessaires. Même s’ils manquaient de spécimens parce que c’est aller contre la religion de la vie que de faire prisonniers des individus d’une espèce non belligérante, les astrobios conservaient en mémoire tout le capital génétique des natifs, variantes incluses, les sociologues connaissaient leur civilisation sur le bout du doigt, et les psycholinguistes les moindres nuances de leurs modes de communication. Et ce qui manquait, on pouvait facilement l’interpoler. Mais s’il est aisé de reconstituer des bestioles, il est plus compliqué de rebâtir toute une société. Surtout, ça prend énormément de temps. À cause de l’apprentissage. Si on avait eu devant nous un siècle ou deux, ou même quelques dizaines d’années, on aurait pu tenter le coup. Mais avec ces journalistes qui pouvaient débouler d’un jour à l’autre et que le GQG avait de plus en plus de mal à lanterner, on ne pouvait pas traîner.
Il y a eu des tas de discussions dont je n’ai eu que des échos, et finalement les cybernéticiens se sont mis à l’œuvre, et ils ont commencé à sortir des natifs en série. Des machines, mais à moins de leur ouvrir le ventre, impossible de voir la différence. Ils en ont fabriqué de toutes les tailles et tous les sexes nécessaires, ils leur ont bourré le crâne avec tout ce qu’ils devaient savoir. On a reconstruit les villes et les villages à l’identique, et les routes et les pistes, et on y a fourré les simili-natifs et ils ont commencé à fonctionner exactement comme si rien ne s’était passé.
Avec les mêmes traditions, les mêmes connaissances les mêmes recettes de cuisine et les mêmes façons de s’envoyer en l’air. Je jure que les originaux eux-mêmes s’y seraient trompés s’ils avaient pu se voir.
Et le plus beau, c’était qu’ils étaient plus solides que les vrais. Ceux qu’on avait nettoyés ne duraient pas plus de quinze à vingt ans, en moyenne. Mais les nouveaux vivraient des siècles, peut-être plus de mille ans. C’était obligatoire, parce qu’étant des machines, ils ne pouvaient pas se reproduire. Alors valait mieux faire du costaud.
Là, les sociologues et les cybernéticiens se sont engueulés parce que les premiers ont dit que ça allait donner une civilisation drôlement statique et les seconds que ce n’était pas si sûr et que d’ailleurs, ils s’en foutaient. Réhabiliter, c’était rebâtir à l’identique, à un moment donné, et rien de plus. Et les astrobios ont calmé tout le monde en disant qu’après la guerre, quand on aurait le temps et les moyens, on pourrait toujours remplacer les machines par des natifs biologiques de synthèse, et que l’évolution reprendrait ses droits, et qu’on pourrait même les améliorer un peu et leur faire faire un pas en avant de plusieurs milliers d’années, mais que comme ils étaient, en attendant, les natifs étaient parfaitement à même de remplir leur rôle et même d’être équipés et entraînés par nos soins en vue de résister aux xénos.
Moi, tout ce que je voyais, et c’est pas seulement une façon de parler, c’était qu’on avait remis exactement les choses en l’état, comme si on n’était jamais venu, et que c’est exactement ce que demandent les pacifistes, et quand on est parti, pour de bon, sans attendre la commission et les journalistes, et que j’ai vu, sur l’écran du mess, entre Tad et Nico, ce type assis sur le sommet de sa motte, tranquille, en train de la repeindre, juste comme celui qu’on avait vu en arrivant, et que je me suis dit qu’avec un peu de chance, il tiendrait bon pendant mille ans, je me suis mis à chialer. J’ai même pas entendu le commandant nous remercier et nous féliciter et nous dire qu’il y avait de la décoration et de l’avancement dans l’air.
On a vraiment fait du beau boulot. Et vous pouvez être fier de nous tous, ici. C’est tout ce que j’avais à vous raconter pour cette fois.
Il me reste à vous dire de ne pas vous inquiéter pour moi et que j’aimerais bien avoir de vos nouvelles, surtout de la frangine, et que je souhaite que vous recevrez cet enregistrement cinq sur cinq et que j’espère que vous ne souffrez pas trop des privations.
Je vous embrasse tous.