Le règne de François Ier, situé au carrefour des destinées du peuple français, a été brutalement coupé en deux tranches inégales. Cette coupure — je dirai plutôt : cette blessure — a pour nom PAVIE.
Depuis la journée du 24 février 1525, on avait pris coutume de dire, en parlant des choses de ce règne, avant ou après Pavie. C’est à ce titre qu’elle trouve, cette journée, sa place parmi les « trente » de la présente collection. Le lecteur est donc convié à assister à une rencontre historique qui, pour me servir de la formule juste et frappante de l’auteur de ce livre, fut une sorte de match de football, dont la France était devenue l’enjeu1. Dans les quelques pages qui vont suivre, il s’agit tout simplement d’esquisser, aussi sommairement que possible, la toile de fond, appelée à servir de décor aux troubles péripéties de ce jeu déconcertant, magistralement mises en lumière par le grand écrivain qu’est Jean Giono.
François Ier s’était vu décerner par la postérité le titre flatteur de « père des lettres ». Celui de « père des rentes » lui pourrait être attribué avec au moins autant de raison. C’est à lui, en effet, que doit son existence toute une catégorie spéciale de la société française qui, jusqu’à ces derniers temps, avait formé une de ses plus solides assises.
Mais, procédons par ordre. Nous sommes en 1512 : la plus sombre des sombres années du règne de Louis XII. La France, prise dans l’engrenage italien, se débat au milieu de difficultés inextricables. Le roi, dont la santé décline de plus en plus, est aux abois. L’été approche et, avec lui, les combats décisifs. Et l’argent manque cruellement. Tout le monde se dérobe : gens de finances, gens d’Église, gens de robe. On les a tous taxés, et plutôt deux fois qu’une. Mais leurs bourses ne s’ouvrent plus que très parcimonieusement. Alors on a recours au remède classique : la « crue » de la taille 2 . Le 15 juin (mille deux cents mercenaires étrangers réclament leur solde), une « crue » de 300 000 livres est décrétée 3 . Aussitôt après on réimpose le clergé : 320 000 livres. Le 8 juillet, la Chambre des comptes est sommée de vider ses « fonds de tiroir ». Et voici le coup de massue : la perte du Milanais. Résultat — un des résultats — la solde de cinq cents mercenaires entretenus jusqu’alors par ce duché, tombe à la charge du trésor français. Bref, en dix-huit mois, du 1er juillet 1511 au 31 décembre 1512, les dépenses « extraordinaires », autrement dit militaires, s’élèvent à 2 700 000 livres. Elles seront de 4 213 449 livres pour les douze mois de l’année 1513 4 . En mourant, Louis XII laisse à son successeur 1 800 000 livres de dettes et un déficit de 1 400 000 livres.
Au lieu de chercher à assainir la situation financière en réduisant les dépenses et en freinant le gaspillage des deniers publics, le mentor du jeune roi, Antoine Du Prat 5 , ne fait qu’encourager les prodigalités de celui-ci.
En 1519 l’élection impériale manquée de François Ier coûta au trésor français 400 000 écus, dont 360 000 durent être empruntés à des banquiers italiens. En 1520 on dépensa pour l’entrevue du Camp du drap d’or plus de 200 000 livres, et il fallait trouver de l’argent pour les préparatifs de la guerre contre Charles Quint, désormais imminente. On y pourvut par une crue de taille de 400 000 livres et on obtint 600 000 livres par des emprunts chez les banquiers habituels. L’argent fondit en quelques mois, et l’année suivante, quand les hostilités commencèrent, la caisse était presque vide. Il fallait pourtant payer les troupes, équiper une flotte, entretenir les bonnes dispositions des princes allemands et des cantons suisses. Alors tout est mis en œuvre. On diffère certains payements venus à échéance et le remboursement des sommes empruntées, on anticipe sur la taille de 1522, on crée, pour les vendre aussitôt, de nouveaux offices, on aliène des parties du domaine (ce qui va réduire les recettes des années à venir), on engage les fermes et les aides 6 , on vend des anoblissements, on se fait « prêter » par les riches bourgeois leur vaisselle d’argent qui est envoyée à la fonte.
La guerre se prolongeant, François Ier fait main basse sur les trésors des églises. Une grille d’argent que Louis XI avait donnée à l’église de Saint-Martin-de-Tours, et que le Bourgeois de Paris estime à 60 000 livres dans son Journal7, prit le même chemin. « Environ trois semaines après, rapporte ledit Bourgeois, le Roi envoya quérir trois ou quatre apôtres d’or qui étaient en reliques en l’église épiscopale à Laon, dont il y en avait douze, mais les autres n’étaient qu’en argent, par quoi furent délaissés8. » En Normandie on enleva les cloches des églises pour les transformer en pièces d’artillerie.
Tout ceci, en comparaison de ce qu’on dépensait journellement pour la guerre, était peu de chose. François Ier finit par s’en rendre compte et résolut d’avoir recours aux « grands moyens ». Il s’adressa à ceux de ses sujets qui se trouvaient être en possession d’une certaine fortune et fit appel à leur patriotisme. « Et furent plusieurs manants et habitants de la ville, rapporte le Bourgeois de Paris, mandés de par le roy pour parler à lui ; et leur demanda argent à prêter, aux uns 1 000 livres, 800 livres, 500 livres, et ainsi d’autres sommes, et aux marchands, avocats, procureurs, huissiers, notaires et autres gens. »
Cette démarche royale n’ayant pas donné des résultats satisfaisants, François Ier imagina de substituer à son propre crédit celui de la ville de Paris. Il fit venir les représentants de la commune et leur déclara qu’il attendait d’eux un prêt de 200 000 livres. Les municipaux firent une contre-proposition : la somme demandée pourrait être fournie en échange d’une rente annuelle de 25 000 livres. Quant au capital, il devait être spécialement gagé par des revenus énoncés dans des lettres patentes délivrées par le roi.
Ces conditions furent acceptées. Il était entendu que ladite somme « ne se pourrait bonnement fournir sans être taxée particulièrement sur chacun des manants et habitants puissants d’aider le Roy ». La ville de Paris fut en outre autorisée à délivrer des rentes à toutes les personnes qui apporteraient leur argent, à raison de 100 livres pour 1 200 livres versées. De la sorte le roi traitait directement avec les prévôts et les échevins sans connaître les bailleurs. Cette fois les bourgeois donnèrent leur argent, préférant avoir affaire à leurs propres élus, mieux placés pour veiller à la régularité de l’opération. La création de rentes sur l’Hôtel de Ville transformait ainsi la dette du roi en dette de l’État 9 . François Ier en usa à plusieurs reprises et laissa à son successeur 75 000 livres de rentes annuelles à payer à la ville de Paris.
Dans son Journal Louise de Savoie prétend que durant les années 1515-1522, elle et son fils furent « continuellement dérobés par les gens de finances ». C’est pour empêcher leurs fraudes et malversations que François Ier, peut-être à l’instigation de sa mère, résolut de bouleverser complètement le système de l’administration financière, établi par Charles VII. Des lettres patentes du 18 mars 1523 créèrent l’office de trésorier de l’Épargne et receveur général des parties casuelles et inopinées des finances. Dans ces mêmes lettres François Ier tint à donner les raisons qui, à l’en croire, l’avaient incité à avoir recours à cette mesure. Les malversations, y lit-on, sont surtout faciles sur les deniers provenant des ressources exceptionnelles dont le maniement est confié « à tant de mains que n’en avons la certitude et connaissance telle qu’elle appartient ». Pour y mettre de l’ordre il faut les faire « lever et tenir en une main seulement ». Mais la principale raison donnée était la nécessité de constituer une réserve d’espèces, destinée à subvenir sans entrave aucune aux frais de la guerre. Les difficultés d’argent où François Ier se débattait depuis l’ouverture des hostilités étaient attribuées par lui au fait qu’il ne disposait pas de « deniers en réserve ni épargne pour subvenir en affaires de telle promptitude et importance ».
L’Épargne était donc soustraite à l’autorité des généraux des finances. Les commis à la perception des « parties casuelles et inopinées », comprises dans les attributions du trésorier de l’Épargne, devaient remettre directement à lui les sommes recouvrées par eux. Les mandements royaux portant assignation de payement devaient être adressés désormais, de même, directement à lui. Aucune attache n’était plus nécessaire pour leur donner force exécutoire et valeur justificative.
Étaient considérés comme du ressort de l’Épargne :
a) Les décimes demandés en 1523 aux gens de l’Église ;
b) La contribution accordée en 1521 par les villes franches pour la solde des troupes ;
c) L’emprunt de 50 000 livres imposé aux détenteurs des offices royaux ;
d) L’emprunt demandé à titre personnel à de simples particuliers ;
e) Produits casuels provenant d’aliénations du domaine.
L’accent, on le voit, est porté sur le caractère particulier et exceptionnel des recettes destinées à alimenter l’Épargne. Mais six mois n’étaient pas encore écoulés que des lettres patentes adressées à tous les receveurs de tailles ordonnaient à eux de verser au trésorier de l’Épargne les deniers provenant du terme de la taille exigible le 1er septembre 1523. Le 15 novembre suivant, d’autres lettres patentes leur enjoignaient de faire de même pour les deniers du terme du 1er décembre anticipé au 15 octobre. Enfin des lettres analogues furent adressées aux receveurs des aides et aux grènetiers 10 , leur ordonnant d’envoyer directement à l’Épargne le produit de leur encaissement pendant le dernier quartier de 1523.
De la sorte les receveurs généraux se trouvaient dépouillés de toutes attributions de recouvrement, et le trésorier de l’Épargne devenait le receveur unique et universel aussi bien des revenus « casuels et inopinés » que de ceux des tailles, aides et gabelles. Du même coup se trouvaient confondues les deux administrations, jusque-là profondément distinctes, des ressources dites ordinaires et de celles dites extraordinaires. Il n’y avait plus dans toute l’étendue du royaume que des receveurs subalternes communiquant sans nul intermédiaire avec un chef comptable suprême investi des pouvoirs les plus étendus.
Les contrôleurs généraux disparaissaient comme les receveurs. Le trésorier de l’Épargne recouvrait les deniers par ses simples quittances sans avoir à solliciter les décharges d’autres fonctionnaires. Ce qui était un coup dur porté aux trésoriers de France et aux receveurs généraux. Le privilège d’entériner de leurs attaches les mandements royaux ordonnant des opérations de caisse leur était également enlevé. La comptabilité se trouvait ainsi réduite à sa plus simple expression. Pour les recettes, les quittances du trésorier de l’Épargne valaient justification. Pour les dépenses, un mandement du roi au même rendait tout payement régulier.
De cette manière François Ier avait tout son argent sous la main. Cette centralisation des fonds publics lui permettait, dès que cela lui semblait bon, de connaître l’état de ses finances, et, pour rendre plus fréquents ces contrôles, il ordonna que tous les huit jours le trésorier lui rende compte des deniers encaissés dans le courant de la semaine 11 .
L’homme à qui le roi avait jugé bon de confier cette nouvelle et si importante fonction s’appelait Philibert Babou. C’était le mari d’une des maîtresses de François Ier 12 , qui voyait ainsi dignement récompensée sa très empressée complaisance. Babou se montra dans l’exercice de sa charge exécuteur docile et obéissant des volontés de son maître. Quand le roi partait en guerre, il le suivait avec ses coffres. Comme François Ier il fut fait prisonnier à Pavie. Bientôt libéré, Babou gagna Lyon où se trouvait Louise de Savoie. Là fut installé le trésor de l’Épargne. Pour des raisons demeurées inconnues, il fut remplacé à partir du 11 mai 1525 par Me Guillaume Preudhomme, général des finances de Normandie.
L’ordonnance du 7 février 1532 fit perdre à l’Épargne son caractère ambulatoire. Ses caisses cessèrent de suivre le roi dans ses déplacements. Un local spécial fut aménagé au Louvre pour les coffres, et leurs clefs furent confiées au premier et au second président de la Cour des comptes, « pour être ouverts et fermés iceulx coffres en leur présence », spécifiait ladite ordonnance. Mais ces deux personnages n’étaient que des simples gardiens des clefs. C’est Preudhomme qui faisait ouvrir les coffres, qui en mirait l’argent sans leur demander leur avis. Lui-même n’était pas obligé de résider auprès de ses coffres. Tout comme par le passé il se déplaçait à la suite de la Cour afin d’y pourvoir aux dépenses journalières du roi et de lui fournir son argent de poche.
Les prescriptions restrictives de l’ordonnance du 7 février 1532 ne furent pas longtemps respectées. Le 10 mars 1533, François Ier décide de réserver dix mille écus de la recette à son usage personnel sans les déposer aux coffres 13 . Le 4 avril suivant il prescrit de payer 15 000 livres à M. de Guise « nonobstant l’ordonnance sur les coffres du Louvre », et le lendemain, de même, 12 000 livres à Mme de Nevers. Et l’on ne fait plus déranger les deux présidents pour ouvrir et pour fermer les coffres.
L’ordonnance qui avait créé la charge de trésorier de l’Épargne visait une autre cible encore. Elle servit à préparer le terrain à un sinistre règlement de comptes, en réduisant à néant la situation d’un homme qui, depuis cinq ans, avait la haute main sur les finances du royaume. J’ai nommé Jacques de Beaune, baron de Semblançay.
Grâce à son crédit personnel, à ses alliances de famille qui l’apparentaient à toute l’aristocratie financière française, à ses relations avec les principales banques étrangères où il avait des intérêts, Semblançay apparaissait, surtout depuis 1521, lorsque les malheurs militaires et diplomatiques étaient venus accabler François Ier, comme le sauveur de l’État, sa dernière espérance 14 .
Les services que le roi sollicitait de lui dépassaient de beaucoup ceux qu’on était en droit d’exiger d’un fonctionnaire des finances, même le plus haut placé. C’est sa fortune personnelle, le crédit dont il jouissait en France et à l’étranger qu’on entendait mettre à contribution. Peu importait la régularité des procédés et François Ier n’hésitait pas à lui écrire : « Ne vous souciez de rien, car je vous satisferai et garantirai de toutes choses15 », tout en lui témoignant sa plus vive reconnaissance.
« Monsieur de Semblançay, écrivait François Ier le 16 octobre 1521, vous m’avez tant de fois et en toutes mes affaires, mêmement aux plus nécessaires, si bien secouru et aidé de vous et de vos amis et crédit, que ne sera jamais que ne vous aie en estime et réputation de meilleur serviteur de mon État que j’aie, ni que saurais avoir en mon royaume, et serais ingrat si ne reconnaissais envers vous et les vôtres… un service que je ne mettrai jamais en oubli. »
Tout en gérant les comptes du roi et de sa mère, Semblançay s’occupait également de ceux du connétable de Bourbon dont il était l’homme de confiance et le conseiller écouté. Il se peut que le conflit qui venait d’éclater entre François Ier et celui qui ne voulut pas devenir son beau-père ait contribué à éveiller la méfiance du roi. En tout cas la lettre qu’il écrivit à Semblançay le 2 août 1523 rendait un son nouveau. « Je donnerai à connaître à mes serviteurs, y disait François Ier, que je ne veux plus être trompé. » Et voici qu’au début de 1524 on apprend qu’une commission particulière est instituée, chargée d’examiner les comptes de Semblançay.
Celui-ci, pendant les premières années de la guerre, avait fait un certain nombre de payements pour le compte du roi et dont le total atteignait presque 2 millions. Plus exactement : 1 958 968 livres. En même temps il avait reçu, en plusieurs fois, 1 045 020 livres. Semblançay se trouvait donc finalement créancier du roi pour la somme de 913 948 livres. Ce qui compliquait les choses, c’est qu’ayant puisé dans les fonds de Louise de Savoie, il se trouvait débiteur envers elle de 708 097 livres. Mais, en confondant le compte de François Ier avec celui de sa mère, il gardait à son actif205 851 livres, sans compter les nouvelles avances accordées par lui et dont le total montait à 275 026 livres 16 .
Semblançay récusa trois membres de la commission. Sa demande, transmise au roi, fut rejetée. François Ier y vit un artifice destiné à « délayer ladite commission », et pour prémunir ses membres de nouvelles chicanes il les autorisa à user de la contrainte envers Semblançay, en le faisant mettre en prison, le cas échéant, et en saisissant ses biens.
L’examen des documents produits par Semblançay, pas plus que l’enquête à laquelle la commission fit procéder ne révélèrent rien qui pourrait lui être reproché. Le 27 janvier 1525 les commissaires rendirent leur jugement définitif. Le procureur du roi était condamné à rembourser à Semblançay toutes les sommes dues à lui, soit 913 348 livres d’une part et 219 026 livres représentant le montant de ses prêts postérieurs de l’autre. Ce qui lui assurait une créance sur le roi immédiatement exigible de 1 132 374 livres. Il demeurait, par contre, chargé de 708 097 livres envers Louise de Savoie.
François Ier, furieux, fit appel de ce jugement. Puis ce fut Pavie et il eut d’autres soucis en tête. Semblançay, de son côté, s’occupa activement à réaliser les créances qui lui appartenaient tant sur le roi que sur divers particuliers. Il n’en ménageait aucun, étant d’ailleurs lui-même pressé par les banquiers étrangers pour les opérations de la trésorerie royale garanties par lui. Cette insistance pour obtenir le remboursement de la dette du roi ne devait pas manquer de suggérer aux administrateurs des finances royales le dessein de se soustraire par n’importe quel procédé à cette obligation. Dès le retour de François Ier en France, certaines rumeurs mises en circulation dans les milieux de la Cour faisaient prévoir un nouveau procès. Semblançay en eut vent et, inquiet, prit des précautions pour dissimuler sa fortune. Il n’eut pas le temps de la mettre à l’abri tout entière. Le 13 janvier 1527, on vint l’arrêter.
Les commissaires de 1524 appelés normalement à instruire et à juger son procès apparurent suspects au roi et furent remplacés par des juges triés sur le volet. Les charges les plus graves furent accumulées sur Semblançay : malversations et fraudes de toutes sortes, faux, trafics d’influence, tentatives de corruption et, puisque, dans l’occurrence, il s’agissait de finances royales, crime de lèse-majesté. On l’accusa de plus d’avoir tenté de dissimuler ses richesses par la reconnaissance de dettes imaginaires, payements et ventes fictives, contrats antidatés, etc.
Semblançay se défendit avec la dernière énergie. Il discutait âprement, une à une, les charges, leur opposant des explications détaillées, citant des faits, produisant des pièces de comptabilité. Ses explications parurent plausibles et firent écarter les accusations relatives à ses opérations financières. Restaient à sa charge certains faits qui pouvaient, à la rigueur, être considérés comme des incorrections blâmables.
Semblançay était à la fois banquier et général des finances. En tant que banquier il était l’associé de plusieurs banques étrangères et faisait par leur intermédiaire des opérations dans lesquelles il agissait en même temps comme représentant du roi. Les sommes qu’il inscrivait dans ses comptes pour le payement des intérêts échus des emprunts contractés par lui au nom du roi de France étaient effectivement payées, mais, en fait, c’était Semblançay lui-même qui les encaissait, du moins en partie, sous le nom de ses associés. Quant aux autres accusations, elles revenaient à peu de chose : quelques tapisseries offertes par un fournisseur de munitions, deux chevaux et quinze aunes de velours reçus en présent. De tels profits étaient courants à l’époque. Pour résumer, si aucun fait délictueux ne pouvait lui être imputé, certains procédés peu délicats, dont il avait fait usage dans l’exercice de ses fonctions, appelaient un blâme. Mais François Ier avait juré sa perte.
Le jugement, d’un laconisme étrange, ne mentionnait aucun des griefs compris dans l’acte d’accusation, comme si les juges, incapables de motiver leur conclusion, ne faisaient que se conformer à la volonté de leur maître. Semblançay était tout simplement « convaincu des larcins, faussetés, abus, malversations et maladministrations ès finances du roy », sans autre précision quelconque. En conséquence, il était privé de toutes ses charges et dignités, dépouillé de ses biens et condamné à être pendu.
Semblançay fit appel au parlement. Ses juges, sans y renvoyer son affaire, en référèrent au roi. De son côté Semblançay lui écrivit de sa prison la lettre, maintes fois reproduite depuis, où il rappelait ses services passés et les faveurs dont l’avait honoré François Ier. Celui-ci ne se laissa guère émouvoir et donna l’ordre de hâter l’exécution.
Un témoin oculaire, Me Nicolas Versoris, avocat au parlement de Paris, en a fait le récit dans son Livre de raison :
« Le dit sieur Saint Blancet, après qu’il fut défait et dévêtu de l’ordre de chevalerie, fut mené du château de la Bastille, lui étant sur sa mule, la tête nue, ayant assez longue barbe toute blanche17… par la grand’rue Saint-Antoine et de là à la porte de Paris où lui fut fait son cri fort ignominieux, à savoir pour les pilleries et larcins commis des deniers du Roy et ici et de là fut mené par la grand’rue Saint-Denis au gibet de Paris, où, après qu’il eut fait plusieurs oraisons et pris moult sagement sa mort et fortune en patience18, finablement fut pendu et étranglé, auquel exploit de justice [je] fus présent. »
Quelle que puisse être l’importance du fait financier durant le règne de François Ier, c’est l’introduction en France de la Réforme luthérienne qui en constitue le facteur dominant : événement capital qui laissera une empreinte profonde sur la vie spirituelle et politique des Français pendant au moins deux siècles et demi. La question qui se pose ici est de savoir dans quelle mesure François Ier en fut concerné et quelle est la part de responsabilité qui lui incombe dans les atrocités qui avaient marqué la marche de la Réforme pendant son règne. Là encore, PAVIE va tracer une sorte de ligne de démarcation entre le jeune monarque d’avant, léger, superficiel, mais sachant ne pas demeurer sourd aux appels pressants de sa sœur Marguerite dont on se plaît à souligner la bienfaisante influence, et le souverain aigri, désabusé, d’après, porté à l’injustice et à la cruauté dès qu’on parvient à lui persuader que son autorité et son prestige personnel sont en jeu.
La doctrine luthérienne pénètre en France vers 1518, par la Suisse, par les Pays-Bas, par les vallées vaudoises19. Les étudiants allemands, nombreux à Paris et, surtout, à Orléans, les marchands d’outre-Rhin, en relation d’affaires avec les grands centres du Dauphiné et du Languedoc, en sont les agents de diffusion les plus actifs. Au bout de deux ans le nom de Luther devient familier à la grande masse des Parisiens. Pour eux c’est « un théologien hérétique qui dit beaucoup de choses contre la puissance du pape et fait tout plein de livres, le voulant diminuer ». Ainsi s’exprime le Bourgeois anonyme de Paris, que le lecteur connaît déjà, dans son Journal, tout en constatant que ces livres se trouvent répandus « par tout le royaume de France ». Mais voilà qu’au début du mois d’août 1521 (le 3, un samedi), les habitants de la capitale entendent à tous les carrefours sonner les trompettes du parlement de Paris et les crieurs officiels annoncer que tous ceux qui ont chez eux « aucuns livres de Luther » doivent les déposer audit parlement dans un délai de huit jours et sous peine de prison et d’une amende de cent livres.
Dès lors, la langue française se trouve enrichie d’un nouveau vocable : luthérien. Il connaît aussitôt une grande vogue. La plupart qui s’en servent sont loin de savoir exactement ce que cela veut dire. Mais, très rapidement, on se met d’accord pour en faire le synonyme de mauvais catholique, sans chercher à déterminer les nuances. Et, pourtant, il y en avait, et qui ont besoin d’être notées.
L’écho des trompettes parlementaires avait provoqué une nette discrimination dans le milieu des luthériens. Trois catégories se dessinèrent : 1o les sympathisants, personnages éminents et souvent haut placés (la sœur du roi, l’évêque Briçonnet, le grand humaniste Guillaume Budé, etc.) qui, sans apporter leur adhésion formelle à la nouvelle doctrine, en favorisaient discrètement l’essor, tout en évitant de se compromettre par des actions ou des gestes tant soit peu intempestifs ; 2o les prosélytes, engagés à fond, mais fermement résolus à s’abstenir de toute opposition active, et prêts à subir avec résignation les épreuves que le Seigneur jugerait bon de leur infliger ; 3o face à ces « non-violents » une minorité agissante d’« extrémistes », composée de militants isolés, animés d’un esprit combatif qui ne connaissait pas de limites et se recrutant essentiellement parmi les artisans et les ouvriers, peu aptes à s’attarder dans des discussions subtiles sur des problèmes abstraits. Ce qu’ils retenaient de l’enseignement de Luther, dans la mesure où il leur parvenait, c’était qu’un chrétien n’avait pas besoin d’un intermédiaire pour communiquer avec son Dieu, que le pape était un homme comme les autres, la mère de Jésus une femme comme les autres et dont le culte était un défi à celui du Christ, de même quant aux saints : vénérer leurs images c’était retomber dans l’idolâtrie, de même quant à la messe : y assister c’était participer à une profanation du sacrifice par lequel Jésus avait sauvé le genre humain. Et ils tenaient à manifester la sincérité de leur foi par des actes.
C’est ainsi qu’à Meaux, un simple cardeur de laine, Jean Leclerc, attaque le pape dans un véhément discours, devant les portes de la cathédrale où vient d’être apposée une affiche publicitaire invitant les chrétiens au nom du Saint-Père à acheter des indulgences. Emporté par son zèle, il arrache l’affiche. On l’arrête. L’évêque Briçonnet veut se montrer indulgent. Leclerc ne sera que fouetté cinq jours de suite. Mais au troisième, il eut le front marqué au fer rouge. Pendant qu’on procédait à cette opération, une voix de femme se fit entendre, partie de la foule des badauds assemblés au pied de l’échafaud : « Vive Jésus et ses enseignes ! » C’était celle de sa mère.
Rendu à la liberté, Leclerc se réfugie à Metz. En déambulant à travers les rues, il tombe sur une statue de la Vierge. C’est plus fort que lui : il la brise. La justice du duc de Lorraine ne sera pas lente à lui régler son compte : on lui coupe le poing sacrilège, on lui arrache le nez, on lui tenaille les bras et la poitrine. Après quoi, on le jette dans les flammes. C’est le premier « luthérien » français livré au bûcher.
Peu de temps après, toujours à Meaux, un paysan, Denis dit de Rieux, parce que natif du village de ce nom, arrivé à la conviction que la messe n’était qu’une parodie indécente de la passion du Christ, voulut en faire part à l’évêque et, s’étant posté sur son passage, entreprit la démonstration de sa thèse. Le prélat essaya de le faire taire. L’autre ne voulait rien entendre. Il fallut bien le livrer à la justice, qui, naturellement, l’envoya au bûcher. On se servit de cette occasion pour expérimenter un nouveau procédé de supplice. Ficelé, tel un ballot de marchandises, et suspendu à une potence, le détracteur de la messe fut soulevé en l’air et plongé pour quelques instants dans le feu. Recommencé trois fois, cet exercice semble avoir donné toute satisfaction aux expérimentateurs. On y aura fréquemment recours dorénavant.
Pendant quelques années on n’a fait brûler et torturer que de petites gens. En 1529, monte sur le bûcher un noble personnage : le chevalier Louis de Berquin. Ce gentilhomme comptait parmi les hommes les plus instruits de son temps. S’étant lié d’amitié avec Érasme, c’est par lui qu’il eut la révélation de la doctrine luthérienne, dont il devint aussitôt un adepte passionné. À tel point qu’il se mit à traduire les écrits de Luther et à les publier à ses frais.
D’abord les « sorbonistes » n’osèrent pas s’attaquer à lui. Berquin avait de puissantes relations à la Cour. Marguerite le protégeait, il était personnellement connu du roi. Mais en 1522 la conjoncture avait changé. La situation militaire s’étant brusquement détériorée fit peser sur le royaume les menaces d’une double invasion. On n’en rendit pas responsables la légèreté de François Ier et l’impéritie de ses généraux. On voulut y voir le châtiment de Dieu irrité par la tolérance de l’hérésie luthérienne. Seule son extermination radicale saurait apaiser la colère du ciel. Tel était le point de vue énoncé du haut de toutes les chaires de France.
La chasse aux luthériens s’était intensifiée dans le courant de l’année 1523. Les rigueurs dont les autorités ecclésiastiques entendaient frapper Berquin devaient, dans leur esprit, servir de salutaire exemple aux « crypto-luthériens », dont le nombre ne cessait de croître. Une perquisition eut lieu à son domicile. Parmi les manuscrits saisis figuraient ses traductions des écrits de Luther frappés d’interdit. Les commissaires chargés de leur examen présentèrent un rapport accablant. Berquin fut arrêté et enfermé dans la tour carrée du Palais. Marguerite intervint et obtint de son frère l’ordre de transférer le prisonnier au Louvre pour être jugé par le Grand Conseil, lequel le mit en liberté incontinent.
Obéissant au conseil à lui donné de se faire oublier pendant quelque temps, Berquin se retira dans ses terres en Artois. Mais il ne put se résigner à abandonner la plume, et il reprit sa tâche de traducteur, d’Érasme cette fois. L’année 1524 passa tranquille. Celle qui suivit fut néfaste à Berquin. Après le désastre de Pavie, la terreur s’aggrava. Les malheurs publics augmentant, la recherche des responsables fut poussée plus activement que jamais. Le 10 avril, soit six semaines après la catastrophe, le parlement de Paris, dont la moitié des membres étaient des ecclésiastiques, adressa à la régente Louise de Savoie un mémoire qui insistait sur la gravité du mal et déplorait que « la malice du temps » eût fait tirer des prisons « par puissance souveraine et absolue » de dangereux délinquants. Ce qui donna de l’audace aux autres. Il serait donc indispensable de créer une haute commission composée de quatre juges nommés par le pape et assistés de quelques conseillers au parlement, et dotée de pouvoirs illimités. La régente obéit et le nouveau tribunal entra en fonction.
Le jour même de son installation, la Sorbonne censurait trois livres d’Érasme qui « blessaient les oreilles pieuses ». Il devait être rigoureusement interdit de les traduire et imprimer. Or, c’étaient justement les ouvrages que Berquin était en train de traduire. Les menaces de la Sorbonne le laissèrent parfaitement indifférent. Non seulement il ne renonça pas à sa tâche, il entreprit, en plus, une apologie de ses idées, dénonçant par la même occasion les intrigues des « sorbonistes », instigateurs de son procès. Érasme, dont la plume savait avoir de grandes audaces, était d’un naturel plutôt timoré. Il écrivit à Berquin, lui conseillant de renoncer à son apologie et de ne pas le mêler, lui Érasme, à ses affaires, « ce qui pouvait être, ajoutait l’illustre humaniste, aussi dommageable à l’un qu’à l’autre ». Berquin n’en tient nul compte. Alors il est réinstallé dans sa cellule de la Conciergerie et son second procès commence.
Marguerite, alertée, obtint de son frère, en captivité à Madrid, l’ordre de suspendre la procédure. Les représentants du pape, sous prétexte qu’on avait abusé de la confiance du roi, passent outre et rendent la sentence : les livres de Berquin seront brûlés, Berquin lui-même devra reconnaître que sa condamnation est justifiée. Il refusa. Le retour de François Ier permit à Marguerite d’arracher une seconde fois Berquin des prisons de la Conciergerie.
De nouveau, on lui conseille de se taire et de se faire oublier. Peine perdue. Non seulement il continue à protester contre la sentence qui le frappe, il attaque ses juges, exigeant la condamnation de leurs propositions estimées par lui calomnieuses et impies.
Cette fois une forte pression fut exercée sur le roi pour le faire repentir de sa clémence. On était au lendemain de la grande explosion révolutionnaire qui avait secoué l’Allemagne. On lui fit entendre qu’elle était le résultat de la propagande luthérienne et que la révolte contre l’Église aboutissait nécessairement à la révolte contre l’État. Comme par hasard, sur ces entrefaites, une statue de la Vierge, placée à l’angle d’une rue du Marais, fut mutilée pendant la nuit. Le parti orthodoxe ne manqua pas d’exploiter l’événement. On fit des processions expiatoires durant une semaine entière. Quand, peu de temps après, il fut question de reprendre le procès de Berquin, François Ier n’osa plus s’y opposer.
Le 16 avril 1529, les commissaires rendirent leur sentence : Berquin était condamné à la prison perpétuelle après avoir fait amende honorable et vu ses écrits brûlés. S’il refusait de se soumettre à cette peine, une autre, plus grave, pourrait être décrétée.
Berquin déclina la compétence des juges du pape et en appela au Grand Conseil. Sans doute espérait-il qu’une fois de plus il allait bénéficier de la protection royale. Mais François Ier se reposait alors à Blois. Le Grand Conseil, en son absence, ne pouvait pas se permettre de défier le pape, en cassant la sentence de ses délégués. Il tint à régler l’affaire d’urgence, afin de ne pas laisser aux amis de Berquin le temps d’atteindre le roi. Contrairement aux usages, son appel fut jugé dès le lendemain et rejeté. Aussitôt la Commission remplaça la prison à perpétuité par une condamnation à mort devant être exécutée le jour même. Elle le fut.
Loin de les en détourner, le supplice de Berquin ne fit que stimuler les vocations de l’apostolat luthérien. À Alençon, où il y eut une église clandestine « plantée » du temps de Marguerite, la statue de la Vierge et celle de saint Claude avaient été enlevées par effraction de l’église qui les abritait. On les retrouva accrochées à deux gouttières. Une commission d’enquête vint de Paris. Les nommés Laignel et Coumyn, reconnus instigateurs de l’entreprise, eurent, pour commencer, le poing droit coupé et cloué à un poteau devant l’église profanée. Ensuite, on les étrangla à l’endroit même où ils avaient attaché les deux statues. Ensuite, ils eurent la tête tranchée. Ensuite, leurs corps furent suspendus aux fourches patibulaires. Cela le 12 septembre 1534. Un mois après éclata l’Affaire des Placards. L’importance qu’elle revêt dans l’histoire de la Réforme en France et les répercussions qu’elle a eues sur le comportement de François Ier envers les protestants, m’oblige à entrer dans quelques détails que le lecteur est prié de ne pas négliger.
La discrimination dans les milieux luthériens entre les « non-violents » et les « extrémistes », dont il a été question plus haut, ne fit que s’accentuer au cours des années qui avaient suivi l’exécution de Berquin. Tandis que les premiers se bornaient à se réunir une ou deux fois par semaine pour lire en commun l’Évangile et méditer sur les vertus de la religion pure, les seconds cherchaient à la servir, cette religion, par des actes qui étaient sévèrement jugés par certains esprits sages et pondérés.
L’introduction de la « littérature luthérienne » en France et sa diffusion étaient devenues extrêmement difficiles depuis les récentes mesures de rigueur arrêtées par le parlement conjointement avec la Sorbonne. Cela ne pouvait plus se faire que par petits paquets enfouis parmi les marchandises diverses, transportées par des militants mués en colporteurs. Les lots une fois arrivés à destination, des équipes de distributeurs bénévoles se chargeaient de leur distribution. Les uns et les autres, aussitôt pris, allaient sur le bûcher inévitablement, mais il y avait toujours suffisamment de volontaires pour remplir cette tâche. Enfin, les imprimeurs suisses, tout en tenant pour un grand honneur de travailler au salut des âmes, ne négligeaient pas leurs intérêts commerciaux et tenaient à être rétribués en bonnes espèces sonnantes. De même, il fallait défrayer les colporteurs et les distributeurs. Il y eut donc aussi des collecteurs, chargés de recueillir les dons, principalement chez les sympathisants et les « non-violents », qui, en versant leur quote-part, s’estimaient quittes et autorisés à persister dans leur résistance passive. Et, en marge de toutes ces catégories, des éléments de choc, peu nombreux encore mais de plus en plus remuants. Ceux-là, les colloques édifiants, l’exégèse des Livres saints ne les intéressaient guère. Composés en grande majorité de parents et d’amis, parfois de disciples des brûlés, souvent recherchés eux-mêmes par les sbires de la Tournelle, ils avaient déclaré une guerre sans merci à l’Église « papiste » et à ses acolytes. Mais leurs moyens de combat étaient bien limités : brisement de statues, lacération d’affiches 20 … L’Affaire des Placards allait marquer un tournant dans leur activité destructrice.
Le fait matériel se présente ainsi : dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, des équipes de colleurs apposèrent un certain nombre de placards simultanément dans plusieurs quartiers de Paris, sur les murs des églises et des édifices publics, de même que dans de nombreuses villes de province.
D’où venait l’initiative ? Crespin, dans son Histoire des Martyrs persécutés, rapporte qu’un groupe de fidèles, se voyant privé de toute « exhortation21 » à la suite de la pénurie extrême de prédicateurs, prit la décision d’éditer et de faire répandre le plus largement possible une profession de foi luthérienne. Ayant réuni les fonds nécessaires, ce groupe entra en relation avec un imprimeur de Neuchâtel qui se chargea de la réalisation matérielle de l’entreprise. Une fois l’impression terminée et les exemplaires livrés à Paris, ce texte fut communiqué à des « gens de jugement » qui le trouvèrent trop agressif et s’efforcèrent de convaincre ses promoteurs de ne pas le diffuser, parce que cela ne ferait qu’animer la rage de leurs persécuteurs. « Toutefois, ajoute Crespin, le zèle ou plutôt l’impétuosité d’aucuns qui ne regardaient qu’à leurs affections bouillantes le gagna. » Et les choses suivirent leur cours.
Voyons à présent ce qu’était au juste ce texte. Première constatation : destiné essentiellement aux masses, il ne pouvait pas être rédigé dans un style élégant et briller par l’étalage d’une érudition théologique. Donc, une langue simple, nette, n’hésitant pas devant l’emploi des expressions dont la véhémence ne manquera pas de choquer les « gens sages ». À commencer par le titre dont l’agressivité donne le ton de l’ouvrage : ARTICLES VÉRITABLES SUR LES HORRIBLES, GRANDS ET IMPORTABLES ABUS DE LA MESSE PAPALE, INVENTÉE DIRECTEMENT CONTRE LA SAINTE CÈNE DE NOTRE-SEIGNEUR, SEUL MÉDIATEUR ET SEUL SAUVEUR JÉSUS-CHRIST.
Pour rendre son propos plus aisément assimilable, l’auteur22 va procéder par articles. Il y en a quatre :
1. Jésus a donné son corps, son âme, sa vie et son sang pour la rédemption des hommes. C’est là un sacrifice « très parfait ». Le renouveler au moyen d’un simulacre c’est laisser entendre qu’il est insuffisant et imparfait 23 . Rien qu’à y songer, c’est commettre « un horrible et exécrable blasphème ». Il en résulte que le pape et « toute sa vermine de cardinaux, d’évêques et de prêtres, de moines et autres caphards, diseurs de messes », ne sont que des « faux prophètes, damnables trompeurs, apostats, loups, faux pasteurs, idolâtres, séducteurs, menteurs et blasphémateurs exécrables, meurtriers des âmes, renonceurs de Jésus-Christ, de sa mort et passion, faux témoins, traîtres, larrons et ravisseurs de l’honneur de Dieu et plus détestables que les diables ».
2. On a voulu persuader aux chrétiens que Jésus-Christ est contenu et caché « en chair et en os » sous les espèces de pain et de vin. Or, la Sainte Écriture enseigne qu’après sa résurrection Jésus-Christ est monté au ciel. « Par quoi il s’ensuit bien que si le corps est au ciel il n’est pas en la terre, et s’il est en la terre il n’est point en ciel ; car, pour certain, jamais un véritable corps n’est qu’en un seul lieu pour une fois. » Et puis à qui ferait-on croire qu’un homme adulte puisse se tenir caché « en un morceau de pâte ».
3. Les prêtres catholiques ont l’audace de dire qu’après avoir « soufflé ou parlé » sur le pain et sur le vin, il n’y a plus ni pain ni vin, mais Jésus-Christ caché et enveloppé. C’est là une « doctrine de diables ».
4. L’esprit de la messe est tout contraire à celui de la sainte Cène. Le sens de celle-ci est que Jésus est notre nourriture spirituelle et éternelle. Elle est le symbole « de la grande union en laquelle tous, d’un même esprit, nous devons vivre et mourir ».
Et c’est alors la fameuse péroraison : « Le fruit de la messe est bien autre. Par elle toute connaissance de Jésus-Christ est effacée, la prédication de l’Évangile est rejetée et empêchée, le temps est occupé en sonneries, hurlements, chanteries, vaines cérémonies, luminaires, encensements, déguisements et telles manières de sorcelleries par lesquelles le pauvre monde est, comme brebis et moutons, misérablement trompé, entretenu et pourmené et par ces loups ravissants mangé et dévoré. Et qui pourrait dire ni penser les larcins de ces paillards ? Par cette messe ils ont tout empoigné, tout détruit, tout englouti… Par elle ils vivent sans souci, ils n’ont besoin de faire rien, d’étudier encore moins, que voulez-vous plus ? Il ne se faut donc émerveiller si bien fort ils les maintiennent, ils tuent, ils brûlent, ils détruisent, ils meurtrissent comme brigands tous ceux qui à eux contredisent, car autre chose ils n’ont plus que la force. Vérité leur défaut. Vérité les menace. Vérité les pourchasse. Vérité les épouvante. Par laquelle briefvement seront détruits. Fiat. Fiat. Amen 24 . »
Les afficheurs bénévoles (il se trouva parmi eux un procureur du roi et un riche marchand drapier) avaient bien choisi l’heure : dans la nuit du samedi au dimanche. Ainsi, en se rendant le matin à la messe, les fidèles purent aisément prendre connaissance de ces placards. Quant aux autorités municipales, elles ne se montrèrent pas très pressées à donner l’ordre de les arracher. Peut-être les avait-on averties assez tardivement en raison du repos dominical. Toujours est-il que les Parisiens eurent largement le temps non seulement de lire les Articles mais encore d’en prendre copie. C’est ce qui allait permettre, au cours des journées suivantes, d’en multiplier la diffusion.
Dès lundi matin, le parlement mit l’affaire en délibération. Le samedi 24 octobre, les trompettes résonnent dans la cour du Palais. Des hérauts montés sur la pierre de marbre annoncent que « s’il y avait personne qui sût enseigner celui ou ceux qui avaient fiché lesdits placards, il leur serait donné cent écus. Ceux qui les recéleraient seraient brûlés. »
Aussitôt les dénonciations pleuvent. Les prisons se remplissent. On arrête au hasard, mais presque uniquement les petites gens et, bien entendu, des libraires et des imprimeurs. Les procès commencent dès les premiers jours de novembre. À la date du 6 décembre, un honorable gentleman en résidence à Paris écrit à un sien ami habitant Londres : « Ici on brûle les hérétiques chaque jour 25 . »
Et le roi ?
En ces jours de l’automne finissant, François Ier goûtait les doux plaisirs d’un aimable farniente sur les bords de la Loire. Il fut scandalisé en découvrant un exemplaire des Articles dans sa propre chambre à coucher. Cependant il ne s’en émut pas outre mesure. Du moment que le parlement se montrait disposé à sévir avec la dernière rigueur et qu’un châtiment exemplaire allait frapper ces insolents hérétiques, il s’estima satisfait et, pour mieux stimuler le zèle du lieutenant criminel, Jean Morin, fit augmenter de 600 livres son traitement annuel.
C’est en prenant connaissance, au début de décembre, du rapport présenté par le chancelier Du Prat, qui insistait tout particulièrement sur les dangers de la propagande luthérienne ainsi que sur l’absolue nécessité de tout mettre en œuvre pour arrêter son essor, que le roi crut devoir durcir son attitude. Entre-temps, il s’était laissé influencer par son entourage de dévots et de dévotes. On sut entretenir et aiguillonner ses alarmes : la simultanéité de l’affichage non seulement dans plusieurs quartiers de Paris mais aussi dans diverses villes de province prouvait l’existence d’un vaste complot ; il ne s’agissait pas là d’une simple controverse dogmatique, il y allait de la sécurité de sa couronne, et on fit agiter l’épouvantail de la dictature des anabaptistes à Munster 26 . Tout cela pour lui démontrer que l’Affaire des Placards n’était que le prélude d’un profond bouleversement politique et social contre lequel il fallait sévir.
Dûment endoctriné, François Ier répondit à Du Prat en le félicitant de l’énergie déployée dans la lutte contre l’hérésie luthérienne. « J’en suis fort aise, lui écrivait-il, et ne me saurait-on faire chose plus agréable que de continuer, en sorte que cette maudite et abominable secte ne puisse prendre pied ni racine dans mon royaume. » Dès son retour à Paris, il se hâte de confirmer toutes les mesures répressives arrêtées en son absence. Une commission spéciale est créée pour juger uniquement les procès des luthériens. Puis c’est le décret du 13 janvier 1535 par lequel le « père des lettres » interdit l’impression d’aucun livre dans toute l’étendue du royaume de France 27 .
Tout cela ne suffisait pas. Il y avait déjà à cette époque des techniciens émérites de l’action psychologique, qui se rendaient compte de la nécessité de maintenir les fidèles dans un état d’alerte permanente. Le supplice des hérétiques était, certes, considéré comme un spectacle parfaitement édifiant, mais sa fréquence même menaçait de provoquer une lassitude chez les Parisiens. Il fut donc décidé de leur offrir une procession expiatoire telle qu’on n’en avait jamais vu. François Ier s’y prêta de bonne grâce, ayant cru trouver dans cette exhibition le moyen d’accroître sa popularité personnelle qui avait alors une nette tendance à baisser.
La procession fut fixée au 21 janvier. Dès le 18, un « cri » répété à tous les carrefours ordonna de nettoyer et de tapisser les rues sur le parcours du cortège. Une torche ardente devait être fichée devant la porte de chaque immeuble. Au jour dit, à neuf heures du matin, le cortège partit de Saint-Germain-l’Auxerrois en direction de Notre-Dame. Précédé de l’évêque de Paris qui tenait dans ses mains le Saint-Sacrement sous un dais porté par les trois fils du roi et le duc de Vendôme. François Ier marchait, tête nue, de noir vêtu, à pied, un cierge à la main, et à sa suite, s’allongeant en file interminable, les officiers de la Couronne, gentilshommes de la Cour, présidents, conseillers, échevins de toute sorte et de toute catégorie.
Après la messe solennelle à Notre-Dame, un dîner fut offert au roi dans la salle de l’évêché. Le repas terminé, on fit entrer les représentants des principaux corps d’État et les ambassadeurs étrangers. François Ier, un peu échauffé, prit la parole. Il remercia Dieu de lui avoir permis de déjouer « la machination de gens de petite condition » et engagea chacun à dénoncer les suspects d’hérésie. Quant à lui-même, « si mon bras était infecté de cette pourriture, s’écria-t-il, je le séparerais de mon corps ».
Le soir était venu. Des bûchers avaient été préparés le long du chemin que devait emprunter le carrosse royal pour retourner au Louvre. Au pied de chaque bûcher, on avait amoncelé des piles de livres contenant « la fausse et mauvaise doctrine de Luther ». Les victimes désignées attendaient, garrottées, l’accomplissement de leur destin : un receveur des deniers du roi, un clerc de greffier, un marchand de fruits, un faiseur de petits paniers, un menuisier et le chantre de la chapelle royale convaincu d’avoir introduit le « placard » dans la chambre du souverain. Le départ de François Ier de l’évêché servit de signal aux bourreaux. Le roi ayant manifesté le désir de voir les hérétiques en train de brûler, on prit soin de prolonger leur supplice en attendant son passage. Une relation quasi officielle, rédigée le lendemain, rapporte : « Et furent tenus en l’air liés en une potence chacun, sans les laisser choir jusques à la mort, que fut une chose fort piteuse de les voir remuer, crier et tourmenter 28 . »
Les exécutions en série qui se multipliaient en France provoquèrent une vive émotion au-delà du Rhin. Les princes luthériens furent unanimes à les réprouver. Le roi s’en montra bien ennuyé. En janvier 1534, il avait conclu un traité secret d’alliance avec eux. À cette occasion, leur représentant, le landgrave de Hesse, avait insisté auprès de lui pour que les persécutions religieuses cessent dans son royaume. François Ier qui, quelques semaines auparavant, s’était solennellement engagé envers le pape à user de tout son pouvoir pour extirper l’hérésie luthérienne en France 29 , ne fit nulle difficulté pour promettre aux Allemands juste le contraire. À son retour il avait donné l’ordre d’arrêter les persécutions en apparence. Et voilà que…
Pour récupérer les bonnes dispositions de ses alliés, François Ier eut recours à la plume de son négociateur attitré, Guillaume du Bellay. « M’a été chose très agréable et de singulier contentement, faisait dire celui-ci au roi, qu’il ne s’est trouvé entre les appréhendés nul homme de votre nation en coulpe ni soupçon de cet énorme et malheureux crime… Nul des vôtres n’a été persécuté, nul exécuté, en toutes nos prisons ne s’en trouvera un que je sache30. » Ce n’est pas tant les zélateurs d’une nouvelle religion que lui, François Ier, se voit dans l’obligation de punir, mais de dangereux rebelles qui méditaient de plonger son royaume dans la pire des anarchies31 à l’instar de ces criminels qui s’étaient révoltés contre l’ordre et la morale dans leur propre pays32.
Le roi ne s’arrêta pas là. Il voulut également gagner les bonnes grâces des dirigeants de la Réforme allemande. Un émissaire fut envoyé en Allemagne pour convaincre Melanchthon et Bucer de venir en France. Les deux théologiens se montrèrent fort hésitants mais finirent par céder.
La nouvelle que les deux représentants les plus autorisés de la Réforme acceptaient de venir discuter sur les moyens de s’entendre avec les catholiques, frappa de consternation les milieux militants français. De nombreuses protestations se firent entendre. La Sorbonne se chargea d’arranger les choses. Ses docteurs estimèrent que « Mélanchton et aucuns Allemands avaient sollicité le roi pour être remis en l’Église de laquelle ils s’étaient séparés ». C’est pourquoi ils firent savoir au roi qu’« il sera expédient et nécessaire que les susdits Allemands aient à vous envoyer par écrit et sous leur seing, tous et chacun, les doutes et articles desquels ils veulent être instruits ». François Ier comprit la leçon et s’inclina. « Votre avis, répondit-il aux sorbonistes, sur la venue de Melanchthon et autres docteurs d’Allemagne, nous a semblé très bon et très prudent. » Entre-temps, l’électeur de Saxe, Frédéric le Sage, qui voyait clair dans le jeu du roi de France, interdit à Melanchthon de se rendre à Paris. Au fond, François Ier dut être bien satisfait de la tournure que prenaient ainsi les choses. D’un côté il se voyait délivré des embarras qu’aurait pu lui susciter la Sorbonne ; de l’autre, il pouvait se prévaloir de ses intentions conciliantes auprès des princes allemands demeurés ses alliés.
Sa tentative auprès des réformateurs allemands ayant échoué, François Ier croyait avoir désormais les mains libres. Les persécutions devinrent plus cruelles que jamais. C’est le massacre des colons vaudois établis en Provence qui revêtit un caractère particulièrement barbare. En dix jours, près de quatre mille personnes furent égorgées. Les survivants moururent de faim dans les campagnes, un arrêt du parlement ayant défendu de les secourir sous quelque forme que ce fût 33 . Cela en avril 1545.
Deux ans après, François Ier expira. Crespin rapporte qu’à son lit de mort il avait chargé son fils de punir « ceux qui sous son nom et autorité avaient fait ce dur esclandre ». Mais Guillaume Paradin, mieux au courant des choses de la cour, affirme que le dernier propos du roi a été : « Je n’ai point de remords en ma conscience pour chose que j’aie jamais faite. »
G. W.
1. Cf. infra, p. 91.
2. Cf. sur ce moyen « extraordinaire » de pressurer les contribuables, Georges Mongrédien, La Journée des Dupes, Gallimard, « Les Trente Journées qui ont fait la France », tome XIV, p. XXI de l’Introduction.
3. Déjà, le 10 février précédent, on avait exigé 300 000 livres au même titre.
4. Du 1er janvier au 12 septembre : 1 952 665 livres ; du 13 septembre au 31 décembre : 2 260 784 livres.
5. Un Auvergnat âpre, tenace, ambitieux, devenu à quarante ans premier président au parlement de Paris. Il fut choisi par Louise de Savoie en 1507 comme précepteur de son fils, lequel, dès son avènement, le fit chancelier de France.
6. Les fermes de Rouen sont cédées pour 42 000 livres ; les aides de Troyes pour 15 000 livres.
7. Environ 800 000 francs-or.
8. Éd. Bourrilly, p. 136.
9. Il y eut sous les règnes précédents, sous Charles VIII notamment, des emprunts gagés de la même façon, mais le contrat qui liait le roi et la ville conservait un caractère plus personnel et ne faisait pas engager aussi étroitement la responsabilité de l’État.
10. Officiers royaux préposés à la perception de la gabelle.
11. Le texte de l’ordonnance porte : « Si voulons et entendons que chaque sepmaine ledit trésorier de nostre Epargne nous rapporte ou à nostre Conseil les deniers reçus et baillez icelle sepmaine. »
12. Marie Gaudin, elle avait épousé Babou en 1510.
13. Cf. le Catalogue des Actes de François Ier à ladite date. Une erreur typographique a transformé les écus en livres tournois.
14. Terme employé par Louise de Savoie dans sa lettre à Semblançay, du 11 mai 1521.
15. Lettre du 27 août 1521.
16. Chiffres donnés par Semblançay dans les deux états présentés par lui à la commission.
17. La date exacte : de la naissance de Semblançay n’est pas connue, mais il devait avoir en 1527 au moins soixante-quinze ans.
18. Il resta exposé au gibet pendant six heures.
19. On a noté, pour l’année 1519, six cents exemplaires d’écrits de Luther expédiés en France par un seul imprimeur de Bâle. Il devait y en avoir bien d’autres.
20. Aucun acte terroriste destiné à venger les victimes suppliciées n’a été enregistré au cours de ces années de persécution.
21. Terme employé par les Réformés au lieu de « prédication ».
22. Un luthérien français, Antoine de Marcourt, qui, fuyant la persécution, avait quitté Lyon pour chercher refuge en Suisse. Il s’établit à Neuchâtel et y devint le premier pasteur de l’Église réformée de cette ville.
23. Interprétation stricte de l’Épître aux Hébreux, X, 10 : « Nous sommes sanctifiés par l’oblation que Jésus-Christ a faite une fois pour toutes. » Cf. X, 19.
24. J’ai suivi le texte du placard original découvert par le Dr Hans Bloesch et publié par lui dans le Musée neuchâtelois en 1943. Cf. pour les détails mon étude sur l’Affaire des Placards dans Réforme, du 10 juin 1960.
25. W. Penizon, Letters and papers, VII, p. 566.
26. Les prophètes hollandais Jan Beuckels, dit de Leyde, et Jan Matthis, assistés d’un Comité de douze Anciens, y détenaient le pouvoir depuis le début de l’année 1534 (cf. G. Walter, La Dictature des anabaptistes à Munster dans la Nouvelle Revue Française, décembre 1934).
27. S’étant ravisé au bout de six semaines, François Ier fit rapporter l’édit en question, espérant pouvoir effacer ainsi la honte de cette mesure à laquelle son nom demeurait attaché.
28. Procession générale faicte à Paris, le roi estant en personne le XXIIe [sic] jour de janvier 1535.
29. Lors de son entrevue avec Clément VII, à Marseille, en octobre 1533.
30. Ce qui était faux et Du Bellay le savait bien puisque c’est sur ses propres instances que des prisonniers allemands furent transférés en Allemagne pour y être jugés.
31. On avait fait répandre le bruit que dans la nuit du 17 au 18 octobre le Louvre serait pillé et toutes les églises incendiées (cf. la lettre du cardinal Granvelle à l’ambassadeur de l’Empire, du 5 au 10 janvier 1535, dans les Papiers du cardinal, t. II, p. 283).
32. Au quatorzième mois de leur dictature les anabaptistes de Munster continuaient toujours à résister victorieusement aux « forces de l’ordre ».
33. Vers la fin du XIVe siècle, un certain nombre de Vaudois fixés en Piémont avaient été envoyés par leurs seigneurs dans une des régions les plus stériles de la Provence. Ils surent transformer un sol aride en une campagne fertile. Dès qu’ils eurent connaissance de l’action de Luther, ils embrassèrent avec enthousiasme sa cause. Il y avait dans le voisinage des villages vaudois un bourg catholique, pauvre et misérable. Son seigneur, Jean Meynier, conseiller au parlement d’Aix, voyait avec jalousie la prospérité des Vaudois. Il fit rendre audit parlement un arrêt portant que leurs villages, ces « réceptacles d’hérésies », seront détruits, les forêts coupées, les arbres fruitiers arrachés, les principaux habitants mis à mort, leurs femmes et enfants bannis à perpétuité (1er novembre 1540). Cette mesure souleva un mouvement d’indignation en Allemagne et en Suisse. Des pétitions furent adressées à François Ier qui consentit à suspendre l’exécution de cet arrêt à condition que les Vaudois retournent aux « bonnes doctrines ». Mais Jean Meynier fit intervenir le cardinal de Tournon qui était devenu, depuis la mort de Du Prat, l’homme de confiance de François Ier. Il ne fut pas difficile de convaincre le roi que les Vaudois, alliés secrètement aux Suisses, étaient prêts à se révolter et méditaient même de s’emparer de Marseille. Prenant au sérieux cette fable absurde, François Ier ordonna l’exécution immédiate du sinistre arrêté. Et c’est Jean Meynier qui en fut chargé. Cf. Th. de Bèze, Hist. ecclés., I, p. 59-64.