XIV

LES CORBEAUX

Paris les reprit doucement. Odile était partie pour de bon dans sa patrie. Jules loua un petit appartement et ils le meublèrent ensemble. Jim dessina le grand lit à deux que désirait Jules : bas, avec un demi-disque à chaque bout, et la meilleure literie de Paris.

Qui Jules y mettrait-il ? – On verrait bien.

Ils avaient assez des cafés, ils travaillaient ensemble, et séparément. Le dernier roman de Jules avait eu du succès. Il y avait décrit, dans une atmosphère de conte de fées, des femmes qu’il avait connues, avant le temps de Jim et même de Lucie.

Jim avait, en dehors de Jules, une vie sentimentale française, à laquelle Jules ne désirait pas être mêlé.

 

Jules vint passer un mois en Bourgogne dans une maison de la mère de Jim, seul avec lui. C’était l’automne. Ils firent à pied, parmi les feuilles rousses tombantes, un pèlerinage jusqu’à Vézelay. Ils chassèrent. Jules rabattait des lièvres que Jim tuait parfois et qu’ils mangeaient.

Un après-midi, ils marchèrent loin, seuls, dans la plaine neigeuse. Un nuage de corbeaux planait. Jim dit à Jules de s’envelopper dans sa longue pèlerine brune, de baisser le capuchon et de courir en clopinant, et en tombant tous les vingt pas, un moment immobile, comme un animal mourant. Jules joua bien ce rôle. Jim s’était caché à quelque distance. Il vit les corbeaux former un grand disque tournoyant et suivre Jules. Le centre de ce disque s’abaissait et prenait la forme d’une trombe, dont la pointe descendait vers Jules qui ne la voyait point.

Soudain elle fut proche, et le nuage forma un tourbillon bas, prêt à s’abattre sur Jules. Jim eut crainte pour lui : il l’imagina couvert par ces bêtes, soulevant son capuchon, et piqué aux yeux.

Il sauta hors de son trou et tira. Les corbeaux hésitèrent à peine. Il courut et tira encore. Les corbeaux, à regret, remontèrent.

Jules était content du succès de sa ruse, Jim était ému, comme par un symbole qu’il ne comprenait pas.

 

Ils virent des églises romanes. La Lucie qu’ils y évoquaient était plus ressemblante que celle de l’Acropole.