V

JULES ET LUCIE

Jules arrangea une excursion romantique dans les bois avec Lucie et Jim. Il inventa un conte de fées. Lucie était la fée, elle tenait Jules par une main et Jim par l’autre. C’était enfantin et charmant. La main de Jim aimait la main de Lucie. Ils étaient gênés par cette familiarité soudaine. Jules fut épanoui et il n’eut pas sa crise verbale.

Jim reçut un petit paquet. Il eut une légère surprise en reconnaissant la noble écriture de l’adresse. Lucie lui écrivait : « Je voudrais vous voir seul. Pouvez-vous venir chez moi demain soir vers dix heures ? Voici la clef de la porte cochère. »

Dans cette ville, ces portes étaient fermées le soir, et chaque locataire avait sa clef.

Jim, en avance par exception, fit les cent pas. Il tenait la clef dans sa poche et il pensait à Lucie et à Jules.

 

Le petit salon de Lucie était embelli par une sobre fresque qu’elle avait peinte elle-même. Lucie reçut Jim simplement.

— Nous n’avons jamais eu, dit-elle, l’occasion de nous rencontrer sans Jules. Je désire vous parler de lui. Une amitié vous unit et je souhaiterais un appui en vous. Il va venir dans ma ville natale, avec l’espoir que je lui permettrai de demander ma main à mon père. Je ne le permettrai pas. Je voudrais que vous soyez avec lui à ce moment-là… Il n’ose guère vous prier de l’accompagner…

— Pourquoi ? dit Jim.

— À cause de… Gertrude, dit-elle.

— J’y serai, dit Jim.

Elle lui offrit le thé. Ses objets, choisis, ses gestes, sa voix, tout cela reflétait une tradition calme et profonde, une atmosphère de méditation et de devoirs acceptés. Jim comprit à quel point Jules, en dehors même de la beauté de Lucie, avait besoin d’elle. Elle ne voudrait jamais l’épouser. Voulait-elle adoucir le plus possible la peine de Jules ? Ils parlèrent de lui, de ses poèmes.

Lucie en avait là quelques-uns qu’elle venait de recopier pour lui. Il ne pouvait y avoir de plus beaux manuscrits. Seulement alors, sous cette forme, Jules sentait ses poèmes nés au monde. L’écriture de Lucie, sans hâte et sans retouches, sans soin apparent et sans tare, allait droit au but, à travers les vallées infimes du papier bistre.

Jim envia Jules, quand Lucie revêtit en plus un des poèmes de sa voix, égale à son écriture. Tout en elle était égal.

Pourquoi Jules l’avait-il conduit vers ce sanctuaire ?

Jim demanda à Lucie de lui montrer ses peintures. Elle le fit. Elles étaient sobres et harmonieuses.

Jim ne pouvait plus s’en aller. Il fut minuit. Il prit congé, avec une piété envers Lucie.

 

Lucie rejoignit sa famille. Gertrude s’en fut à la campagne, avec son fils et un ami.