16.

Bryan poussa un cri étranglé. Sean fit volte–face, prenant soudain conscience de sa présence.

— MacAllistair! s’écria–t–il.

Bryan dévorait Jessica des yeux.

— Igrainia ! murmura–t–il.

— Je vous interdis de me juger ! Quoi que vous puissiez penser, vous vous trompez.

— Absolument, renchérit Maggie.

Sean posa la main sur l’épaule de sa femme.

— Laisse–les résoudre ce problème seuls, Maggie.

— Alors qu’il n’a qu’une idée en tête : la tuer ?

Mais Bryan n’avait prêté aucune attention à cet échange. Il fixait Jessica sans ciller et la jeune femme était parcourue d’un frisson glacé. Elle n’avait jamais eu aussi peur depuis des décennies, voire des centaines d’années, peur non pas d’une agression physique, mais d’un danger bien plus profond, menaçant le plus intime de son âme.

Tout à coup, ils entendirent, dans l’escalier, une petite voix appeler :

— Maman ?

Jessica se tourna alors vers Maggie et Sean :

— Bryan et moi allons vous quitter pour discuter ailleurs.

— Je ne te laisse pas partir avec lui ! objecta Maggie.

— Ça se passera très bien, ne t’en fais pas…

Maggie ouvrit la bouche pour protester, mais son mari l’interrompit.

— Il faut régler ça entre vous, effectivement. Mais rappelez–vous que la priorité, c’est de neutraliser le Maître. La situation est très grave. Je vous demande de ne pas l’oublier. Je me fais bien comprendre ?

— Vous avez raison, approuva Bryan, en se tournant vers lui.

Puis il fixa Maggie pour ajouter :

— Jessica n’a rien à craindre de moi. En tout cas pour l’instant.

— Pour l’instant ? répéta Maggie, prête à contre– attaquer.

— Ça ira, répéta Jessica, en s’approchant d’elle pour la serrer dans ses bras.

— Maman !

Jessica glissa son bras sous celui de Maggie, rassurante, et l’entraîna vers l’escalier.

— Tout se passera très bien, je te le promets.

— Je n’en crois rien, chuchota Maggie. Tu es amoureuse de lui, exactement comme autrefois, et il va en profiter pour endormir ta méfiance. Ensuite, il te tuera.

— Je ne suis pas naïve à ce point, Maggie. Sinon, je n’aurais pas survécu aussi longtemps.

— Seulement parce qu’il ne savait pas où tu étais, ni même que tu existais encore.

— Tu oublies que moi aussi, je pourrais le tuer, lui rappela Jessica.

— Sauf que tu ne le feras pas.

— Va t’occuper de ta fille, Maggie. Je te promets d’être prudente.

Maggie s’engagea dans l’escalier à l’instant où Sean et Bryan sortaient de la cuisine. Elle se retourna pour leur jeter un regard furibond.

— Je crois que vous allez devoir chercher un autre hébergement, lança–t–elle à Bryan.

— Le problème n’est pas là pour l’instant, Maggie, dit encore Jessica. Notre priorité, c’est de neutraliser le Maître, rappelle–toi.

— Sois de retour ici pour 3 heures cet après–midi, Jessica, lui dit Sean. A ce moment–là, j’en saurai plus et nous pourrons échafauder un plan, au lieu de nous contenter d’attendre sa prochaine manœuvre.

Il ajouta à voix basse :

— Ou ses prochains crimes…

— Entendu, je serai là, promit–elle.


Lorsqu’ils furent tous deux dehors, ils se dirigèrent directement vers la voiture de la jeune femme.

— C'est votre mode de déplacement habituel ? demanda Bryan, en se dirigeant vers la portière côté passager.

— Que voulez–vous insinuer ? Que d’ordinaire, je me transforme en brouillard ? Que je change de forme à volonté ?

— Je suis certain que vous en êtes capable.

— Oui, j’en suis capable. Est–ce que je le fais pour autant ? Rarement. Uniquement lorsque c’est nécessaire. D’ailleurs, j’adore ma voiture. Montez donc et allons–y, répondit–elle d’un ton affable. Et vous ? Quel genre de super–héros êtes–vous ? Pouvez–vous sauter d’un seul bond par–dessus un building ?

— Uniquement lorsque c’est nécessaire.

Son visage s’assombrit.

— Jessica… Je suis convaincu que quelqu’un, dans votre entourage, œuvre pour le compte du Maître. Etes– vous vraiment sûre de Stacey ?

— Je ne vous permets pas d’insinuer ce genre de chose !

— Pourquoi pas ? Elle vous connaît bien, elle connaît tous vos déplacements…

— Impossible. Je l’ai rencontrée par la paroisse, si vous voulez savoir.

— Par la paroisse ?

— Vous ne comprenez vraiment rien! s’écria–t–elle impatiemment.

— Excusez–moi, mais j’ai rarement croisé, au cours des siècles passés, des vampires qui allaient à l’église.

— A combien d’entre eux avez–vous posé la ques– tion?

Il ne répondit pas.

— Ça ne peut pas être Stacey, réaffirma–t–elle avec conviction. Gareth et elle veillent sur moi depuis des années.

— Ne soyez pas si naïve, Jessica. Quelques années, ça ne veut rien dire, pour le Maître !

Il garda le silence un moment, puis explosa :

— Bon sang ! La haine qu’il me voue confine à la folie. Il ne lui a pas suffi de vous voir morte : il a aussi fallu qu’il vous convertisse au Mal, pour la seule raison que je vous aimais. Et maintenant, sa rancune à votre égard l’emporte sur tout le reste. Je me blâme de la situation. J’aurais dû savoir qu’il rôdait ici. J’aurais dû surveiller Mary moi–même, sans la quitter d’une semelle, dès l’instant où il l’a mordue. Je n’aurais jamais dû échouer en Transylvanie.

Elle l’écouta s’adresser tous ces reproches, stupéfaite. Il semblait bien plus en colère contre lui–même que contre elle. Il s’était exprimé presque comme s’ils pouvaient redevenir alliés, comme s’il commençait à croire que même après avoir souffert d’une contagion malfaisante, on pouvait y échapper par le seul fait de sa volonté.

— C'est moi qui suis à blâmer, pas vous, répondit–elle. Mais ça ne nous avance à rien de nous jeter la pierre.

— Exact. Alors… qui ?

— Comment ça, « qui » ?

— Qui, dans votre entourage, aide le Maître ? D’après vous, il ne peut s’agir ni de Stacey, ni de Gareth, bien qu’ils soient vos intimes. Depuis combien de temps les connaissez–vous exactement ?

Elle garda le regard fixé sur la route.

— Gareth travaille pour moi depuis dix ans. Stacey, depuis quelques années.

— Bobby Munro ! s’écria soudain Bryan.

— Bobby?

— Pourquoi pas ?

— Parce qu’il vient souvent chez moi, qu’il aime Stacey, que c’est un bon flic ? C'est aussi ridicule que si vous suggériez Big Jim !

Voyant qu’il ne disait rien, elle protesta :

— Ce n’est pas lui non plus, voyons ! Big Jim est l’un des plus braves types que je connaisse !

Nouveau silence.

— Il y a toujours la possibilité que ce soit quelqu’un d’autre, un inconnu.

— Certes, fit–il d’un ton qui prouvait qu’il n’y croyait pas, c’est possible, mais ce n’est pas probable.

— Je sais jauger les gens qui m’entourent. Mon expé– rience remonte à plusieurs siècles. J’ai appris à connaître la nature humaine.

— Personne ne connaît vraiment complètement les autres.

— Pour un champion de l’angélisme, je vous trouve bien cynique ! fit–elle remarquer d’un ton froid.

— Je ne suis pas un ange, lui rappela–t–il.

— Exact. Vous êtes un guerrier au service du Bien. Cela devrait vous convaincre qu’il peut y avoir aussi un peu de bon chez les autres.

Ils étaient arrivés devant chez elle. Elle remonta l’allée et coupa le contact. Ils restèrent assis un moment dans la voiture. Bryan observa la façade un moment, puis tourna les yeux vers elle.

— Je reconnais une chose, c’est que votre maison est bien protégée contre les vampires. Comment arrivez–vous à y entrer vous–même ?

— Décidément, vous êtes obtus !

Elle sortit de la voiture et se dirigea vers le porche en redressant les épaules, indignée. Il se précipita, l’attrapa par le bras et l’obligea à s’arrêter. Elle s’apprêtait à l’en– voyer au diable, quand elle comprit que ce n’était pas à elle qu’il en voulait.

— Attention ! Soyez prudente, même ici, marmonna– t–il, tout en regardant autour de lui, la mâchoire serrée, suspectant le danger. Il y a un vampire tout près, reprit–il. Et ce n’est pas vous dont je parle.

Elle le retint, alors qu’il allait se précipiter à l’inté– rieur.

— C'est Mary, dit–elle.

— Quoi !

— Tout va bien. Nous la tenons sous contrôle.

— Il faut la détruire !

— Non. Je l’aurais fait moi–même la nuit où elle est venue, s’il l’avait fallu. Moi aussi, j’ai cru d’abord qu’elle voulait nuire. Mais ce n’est pas le cas, Bryan.

— Il n’y a pas de…

— Inutile de me redire qu’il n’y a pas de bons vampires.

— Jessica !

— Quoi donc ?

— J’essaye de vous croire, je vous le jure. Mais vous avez intérêt à prévenir Mary et tous vos petits camarades qu’au premier faux pas, ils seront éliminés.

— En retour, sachez que si vous attaquez l’un d’entre nous sans qu’il y ait eu la moindre provocation, je n’aurai pas plus de scrupules à votre égard !

— Je n’en ai pas le moindre doute. Mais vous rendez–vous compte du danger que vous courez, maintenant que vous avez laissé entrer Mary ?

— Mary passe la journée à dormir.

— Le Maître peut entrer dans ses rêves.

Elle se figea. C'était vrai : le Maître avait ce pouvoir. Il avait bien pénétré dans les siens pour y faire surgir des images cauchemardesques du passé. Une intrusion qu’elle avait alors, stupidement, attribuée à Bryan.

— Vous êtes réellement menacée, insista–t–il à voix basse.

— Oui, par vous.

— J’ai dit que je ne chercherai pas à vous éliminer. Je ne suis pas un menteur.

— Oh, non, vous êtes un parangon de vertu ! railla– t–elle.

Il éclata de rire.

— Je n’irais pas jusque–là. Mais je sais tenir parole.

Elle gravit les marches du porche. Stacey lui ouvrit la porte et les regarda l’un après l’autre.

— Tout va bien ? lui demanda Jessica.

La jeune femme hocha la tête, l’air anxieux cependant.

— Eh bien, Mary est en sécurité… En tout cas, j’ai fait tout ce qu’il fallait pour.

— Je suis sûre que c’est parfait…

— J’espère. J’ai veillé à ce qu’elle soit bien repue, autant que si elle avait mangé une dinde entière. Le ventre plein, elle risque moins de répondre à un appel, n’est–ce pas ?

— Elle s’est même très bien défendue contre le Maître jusqu’à maintenant, commenta Jessica. Je n’avais jamais vu de cas semblable.

— Sauf un. Le tien !

Bryan émit un grognement sceptique.

— Où est Gareth ? demanda encore Jessica.

— Il monte la garde auprès de Mary, Jeremy et Nancy. Si Mary représente le moindre danger, il fera ce qu’il faut, même si Jeremy s’y oppose.

— Dans ce cas, je vais aller dormir un peu. Réveille–moi vers 2 heures, s’il te plaît…

— Il y a du nouveau ?

— Sean et Maggie explorent certaines pistes, lui répondit Jessica, en posant sur son bras une main qu’elle voulait rassurante. Ils savent ce qu’ils font.

Elle se retourna vers Bryan :

— Je vais me coucher. Bonsoir.

Quand elle arriva à la porte de sa chambre, il était sur ses talons.

Elle le fixa avec colère :

— Que voulez–vous ?

— Vous êtes vraiment certaine de pouvoir faire confiance à Stacey et Gareth ?

Elle soutint son regard.

— Absolument certaine. Comment avez–vous pu durer si longtemps, sans vous rendre compte qu’il faut parfois faire confiance aux autres ? Nous ne vivons pas dans une tour d’ivoire. Moi, en tout cas, je n’en ai pas l’intention.

Elle entra dans sa chambre et poussa le battant, mais il était entré à son tour.

— J’ai besoin de repos, Bryan…

— Je sais. Mais vous êtes en danger. Je ne vous lais– serai pas seule.

— D’après Maggie, si je cours un danger, c’est avec vous.

— Le Maître est à l’affût, répondit–il à voix basse.

Il fit le tour de la chambre, regarda dans le placard, dans la salle de bains et sous le lit.

— Je ne pense pas qu’il soit caché là–dessous, Bryan. Il a d’autres modes opératoires !

— C'est un bon matelas. Vous ne dormez pas dans un cercueil, donc ?

— Plus personne ne dort dans un cercueil ! Enfin, aucun des vampires que je connais, en tout cas.

— Et ce vieux coffre, sous le sommier, que contient–il ? Un peu de terre d’Ecosse, j’imagine ?

Ce fut au tour de Jessica de hausser les épaules.

— Je suis vraiment étonnée que vous n’ayez pas réduit mon mobilier en miettes pour voir ce que vous pourriez trouver, depuis le temps que vous êtes ici.

— Je n’ai pas eu de soupçons tout de suite, avoua–t–il. J’avais l’esprit occupé par autre chose. J’aurais dû deviner plus tôt, cela dit. Même après toutes ces années…

— Je n’ai pas deviné non plus, répondit–elle. Le… le temps guérit beaucoup de blessures. Sauf…

— Sauf ?

Oui, songea–t–elle, j’aurais dû comprendre, quand j’ai ressenti de nouveau ces émotions enfouies depuis des siècles.

Elle avait une absurde envie de fondre en larmes. Elle n’aurait jamais pensé le revoir, tant elle était sûre de sa mort. Et maintenant…

— Rien.

Il la fixa puis, voyant qu’elle restait coite, sortit sur le balcon examiner le ciel. Elle le rejoignit.

— Il n’est pas là, dit–il.

— Vous êtes sûr ?

Il hocha la tête, l’air grave.

— Oui. Mais il est venu il n’y a pas longtemps. Au début, je n’y ai pas cru. Je suis si obsédé par cette traque que j’ai pensé que mon imagination me jouait des tours. J’avais tort : il est bel et bien venu. Au moins, il ne peut pas entrer. Ou alors, il peut, mais il préfère attendre.

— J’opte pour la première hypothèse, répondit–elle. Les amis qui veillent sur moi savent très bien me protéger.

— Ont–ils réussi à vous protéger de moi ?

Rien n’aurait pu me protéger de vous, Ian…

— Vous n’êtes pas un vampire… Quant au Maître, il n’est pas là parce que nous sommes en plein jour. Il est obligé de dormir.

— Ah bon ? Vous êtes active pendant la journée, vous, pourtant, et vous êtes aussi vieille que lui.

— Je pense que certaines femmes se froisseraient du compliment !

Il ignora son sarcasme.

— Disons que vous êtes, comme lui, dotée de très grands pouvoirs, rarement égalés.

— Vous avez raison de souligner que s’il est très fort, il n’est pas le seul.

— J’ai tout de même peur pour vous.

— Peur pour moi ? Ou peur de moi ?

Il secoua la tête sans répondre.

Elle revint dans sa chambre. Il la suivit en refermant soigneusement la porte–fenêtre et, pendant un long moment, inspecta les guirlandes d’ail et les croix ouvra– gées accrochées tout autour.

— Intéressant, murmura–t–il.

— Ne pensez–vous pas que s’il existe un Etre suprême qui œuvre pour la paix dans le monde, cela veut dire que toutes les créatures sensibles peuvent faire à la fois le Bien et le Mal ?

Il la prit aux épaules et plongea son regard dans le sien.

— Je crois ce que je vois, répondit–il.

— Mais la foi implique de croire à ce que l’on ne voit pas, dit–elle avec douceur.

— Vous n’avez pas l’air d’avoir beaucoup de foi en moi, ce soir.

— Comment le pourrais–je ? Vous avez admis que l’un de vos principaux buts dans la vie est de m’éliminer.

— J’ai dit aussi que je ne le ferai pas.

— Pour l’instant !

— Notre priorité est de venir à bout du Maître. Définitivement.

Il avait toujours les mains posées sur ses épaules. Leurs visages se touchaient presque. Ses yeux… Comment avait–elle pu ne pas les reconnaître ?

Sa mémoire l’avait trahie et seul son instinct lui avait soufflé la vérité. Maintenant, elle tremblait tout entière. Etait–ce dû à la passion, ou aux mises en garde de Maggie ?

En tout cas, il ne fallait pas céder. Elle n’osait pas prendre le risque… Pourtant, malgré elle, elle lui caressa le visage.

S'il n’avait pas, à cet instant, murmuré un mot fatidique, elle aurait pu encore reculer. Mais il le prononça :

— Igrainia…

Il y avait, dans sa voix, un désir poignant, venu du fond des âges, le rappel frémissant de ce qu’ils avaient partagé et perdu.

Elle resta immobile. Elle n’aurait pas bougé, même s’il lui avait plongé un épieu dans le cœur. Il lui prit le visage entre les mains et lui caressa les joues avec une tendresse infinie. Sans même s’en rendre compte, elle se retrouva serrée contre lui. Il se pencha et leurs lèvres se joignirent en un profond baiser. Le désir monta lentement, puis les embrasa. Elle crispa ses mains dans les cheveux de Bryan et leur baiser se prolongea, incandescent.

Ils se dépouillèrent ensuite de leurs vêtements qui voltigèrent au sol, puis se retrouvèrent nus dans les bras l’un de l’autre et plus rien ne compta.

Rien.

Rien d’autre que cette chaleur qui les enfiévrait, cette frénésie avide.

Jessica explora son torse du bout des doigts, le sentit palpiter sous sa bouche, s’agenouilla pour glisser le long de son ventre frémissant. Il lui caressait les cheveux tandis qu’elle l’inondait de baisers, retrouvant des sensations oubliées, en découvrant d’autres. Elle descendit encore, jouissant du contact de ces muscles tendus, de cette peau ferme, recouverte de cicatrices…

Le temps lui semblait aboli. Elle avait l’impression que le vent des Highlands soufflait autour d’eux, comme s’ils avaient été nus sur la lande. Elle noua les mains autour de ses hanches et ce fut comme si toutes les nuances printanières d’une lointaine vallée se mettaient à chatoyer. Elle entendait le rugissement du tonnerre, le fracas des vagues contre la falaise, se replongeait dans l’innocence de sa jeunesse, dans l’amour confiant…

Inlassablement, elle parcourait son corps de la bouche et des doigts, aiguillonnée par les souvenirs. Bryan tressaillit et elle se retrouva soulevée dans ses bras puis allongée sur les draps frais, qui semblaient avoir le parfum oublié des bruyères couleur lavande. Leur désir, qu’elle avait attisé, décupla, se fit exigeant, sauvage. Bryan la parcourait des mains et des lèvres comme si tous les siècles écoulés n’avaient été qu’un prélude à ce seul instant.

Il avait toujours été un amant extraordinaire et il le prouva de nouveau, explorant de baisers brûlants ses seins, son ventre, le creux intime de ses cuisses. Puis il s’allongea sur elle, la pénétra et tous deux retrouvèrent la lande, la sensation rugueuse de la couverture de laine étalée sur le sol, le ciel tour à tour bleu et orageux, parcouru de nuages gris sombre, et leur jeune passion naissante, cet amour qui avait grandi et gonflé comme un fleuve, les liant à jamais…

Dans la vie comme dans la mort.

En même temps, le présent aussi était bien réel. Bryan la soulevait d’un tourbillon de jouissance purement char– nelle. Les draps, le soleil haut dans le ciel étaient tout aussi vrais que cet homme de chair et de sang, que cette passion déchaînée. Elle se sentit culminer à un zénith, un paroxysme qui la secoua comme si elle mourait de nouveau mais, cette fois–ci, emportée par une pure extase physique.

Elle s’accrocha à lui, stupéfaite du bonheur qui l’en– vahissait, si prégnant qu’elle avait l’impression de flotter sur un nuage argenté avant de redescendre lentement sur terre, dans son lit, dans sa chambre, dans sa maison du Quartier Français.

Et de se retrouver là, dans ses bras. Dans les bras d’Ian…

Mais la douleur revint bien vite. Dieu, cette souf– france ! Ses paupières picotèrent des larmes qu’elle n’osait verser.

Elle chuchota :

— Si vous devez le faire, faites–le maintenant.

— Quoi donc ? demanda–t–il, en se redressant sur un coude.

— Vous êtes un guerrier et je suis une vampire.

Penché sur elle, il la dévisagea un long moment sans rien dire.

— Parfois, dit–il enfin, un mince sourire aux lèvres, il faut faire confiance aux autres et avoir foi en ce que l’on ne voit pas.

Il se rallongea, en l’attirant contre lui. Elle resta immo– bile, songeant que s’il devait la tuer maintenant, cela n’aurait plus d’importance.

Elle serait heureuse de mourir dans ses bras.

— Si seulement…, murmura–t–il.

— Si seulement quoi ?

— Si seulement nous pouvions toujours rester ainsi.

C'était impossible. Ils le savaient tous les deux.

Elle ouvrit la bouche pour parler, mais il l’arrêta en posant les doigts sur ses lèvres et la serra plus étroitement.

— Nous devons nous reposer.

Elle acquiesça.

Elle l’avait cru mort. Elle s’était crue définitivement seule. Elle s’était battue pour se défendre, pour s’endurcir, avait appris à ne craindre aucun danger.

Mais maintenant, il était là, vivant…

Etait–ce le plus grand danger qu’elle aurait à affronter ?

Peut–être pas. Lovée dans la chaleur de ses bras, elle se sentait protégée, chérie comme elle l’avait été des siècles plus tôt. Il pouvait mourir pour elle.

Il l’avait déjà fait.

Aujourd’hui, cependant…

Tant pis ! Quoi que l’avenir leur réserve, elle voulait savourer cet instant, cette sensation d’être si totalement aimée.

Elle resta immobile, envahie d’une immense fatigue, puis finit par s’endormir.

Aucun cauchemar ne vint la hanter. Elle perçut seulement la voix de Bryan, tout près d’elle, qui murmurait :

— Igrainia…