8.
Il la prit dans ses bras et ce fut comme si un souffle de feu l’emportait. Il lui souleva le menton, la sentit elle aussi trembler de tous ses membres.
Sa bouche trouva la sienne, se posa sur ses lèvres dont il accueillit la douceur avec un frémissement de plaisir. Il savoura la sensation de ce corps tendu, tout entier collé à lui, de ses courbes tout à la fois souples et fermes. Durant quelques secondes, la jeune femme parut n’offrir que ses lèvres closes, avant, finalement, de les entrouvrir. Alors, il explora doucement sa bouche, suggestif. Elle répondit avec passion, passant contre la sienne une langue brûlante, excitante. Alors, tout céda en lui. Il fit glisser sa main le long de son dos gracile, caressa son visage puis sa nuque, sa chair douce et chaude. Il sentit qu’elle le prenait elle aussi par le cou, lui étreignait les épaules, descendait dans son dos, agaçant du bout de ses ongles la moindre de ses terminaisons nerveuses. Il lui renversa légèrement la tête, écartant ses lèvres des siennes, le souffle haletant, pour plonger son regard dans le sien, avec une question muette.
Elle lui effleura la joue en guise de réponse, comme si elle aussi avouait avoir besoin de bien plus qu’un regard : de toucher, d’explorer, de donner libre cours au désir palpitant qui croissait entre eux de seconde en seconde. S'ils se méfiaient l’un de l’autre, à l’instant présent, cela ne comptait plus. C'était balayé par la bourrasque de leur désir, par l’ombre rougeâtre de la nuit qui montait comme une vague.
Il la souleva de terre. Elle avait un corps dense, sans mollesse, et pourtant elle lui sembla aussi légère qu’une plume.
Sans se consulter, ils choisirent sa chambre à elle.
Bryan y entra, tenant toujours Jessica dans ses bras. Le vaste lit aux draps clairs les attendait, baigné des reflets pourpres de la lune. Leurs peignoirs tombèrent à leurs pieds, révélant leurs corps nus que la lueur nocturne semblait embraser.
Elle le caressa de ses mains brûlantes, éveillant en lui un désir incandescent, une soif intangible, irrépressible. Il voulait tout connaître de son corps, éprouvait le besoin farouche d’assouvir la passion qui enflammait chaque parcelle de son être. Le plaisir était presque douloureux ; l’expectative plus torturante encore. Il retrouva la bouche de Jessica, s’y plongea, emporté par l’ardeur avide avec laquelle elle lui répondait. Il parcourut fébrilement son corps de caresses, tantôt aguichantes, tantôt exigeantes, puis fit descendre ses lèvres chaudes vers sa taille, le long de ses hanches. Il ressentait dans sa chair le moindre des mouvements de la jeune femme, ses seins palpitant à chacune de ses inspirations, l’étreinte de ses cuisses, le frôlement de ses doigts sur sa peau, tentateurs, suggestifs. Elle fit courir sa bouche sur ses épaules, dans le creux de son cou, sur sa gorge…
Il haletait, fébrile, résistant de moins en moins à un désir à chaque instant plus impérieux. Elle passa les mains sur son torse, puis dans son dos, et de nouveau sur son torse, traçant un cercle embrasé, voluptueux. Avec un gémissement, il parcourut frénétiquement son corps, sa bouche, ses mains, puis descendit, explora ses chairs les plus intimes, d’abord légèrement, puis avec passion, soulevé par la suavité exquise des sensations qu’ils éprouvaient. Il étreignit ses hanches, elle enfonça les doigts dans ses épaules, agitée de soubresauts, articulant des mots sans suite qui ne disaient rien et signifiaient tout…
Ils roulèrent l’un sur l’autre et elle le chevaucha. La pénombre rougeâtre soulignait de manière surnaturelle sa grâce ondoyante, la perfection angélique de sa silhouette. Il distinguait, malgré l’obscurité, son regard tout à la fois résolu et vulnérable. Jamais, de toutes ces années, il n’avait autant désiré une femme, autant eu profondément besoin d’elle. L'espace d’une seconde, d’un éclair teinté de pourpre, elle resta figée, puis il la saisit par les hanches, la ramena sous lui et la pénétra, la sentant transportée comme lui d’une fièvre qui balayait tout. Sans cesser de la caresser, il lui souleva la tête, noua ses lèvres contre les siennes. Le sang courait dans ses veines comme des braises, attisé par le vertige de leur baiser, la volupté enflammée de leur étreinte. Finalement, il céda, explosa, mourut en elle.
Bon sang, oui, il pourrait mourir pour elle. Si seule– ment…
Sa jouissance l’avait emporté infiniment plus loin que l’apaisement abandonné qui, d’ordinaire, suit l’extase. Le sexe, cette chose si naturelle, si instinctive, plus ou moins belle selon qu’elle s’accompagnait ou non d’amour, ne lui avait jamais procuré de telles sensations.
Jessica, tendue contre lui comme un arc, poussa un léger cri dont l’écho le fit vibrer. Il s’allongea à ses côtés, sans se résoudre à la lâcher, et la serra étroitement tandis que les battements de son cœur, peu à peu, s’atténuaient, que la course du sang dans ses veines ralentissait. Il se sentit flotter dans un tiède océan de bien–être. De fugaces images du passé lui traversaient l’esprit, femmes d’une nuit croisées et aussitôt disparues, amours trouvées et perdues, et il médita sur l’abîme qui séparait le sexe cru de l’amour physique partagé.
Jessica restait silencieuse, immobile.
Il se demanda à quoi elle songeait, certain qu’une introspection identique suivait chez elle l’embrasement qui les avait transportés.
Les minutes s’écoulèrent. Leurs corps se détendirent.
La lueur écarlate de la lune inondait maintenant la pièce.
Jessica soupira, se lovant plus étroitement encore contre lui.
Il devait parler. Il s’humecta les lèvres, puis se noya dans le vertige de ce corps tiède serré contre le sien.
Au diable les paroles !
Sans rien dire, il la reprit dans ses bras, sentit qu’elle frôlait ses lèvres du bout de la langue, puis son torse, puis…
Le désir resurgit comme une flamme. Tout s’évanouit autour d’eux, ne laissant plus subsister que leurs deux êtres enlacés. Il y eut de nouveau un frémissement qui se déchaîna, roula, culmina, puis la jeune femme se laissa une fois de plus aller contre lui, dans le silence.
La nuit s’écoula, dans sa splendeur cramoisie. A l’aube, il comprit qu’elle s’était endormie. Alors il se laissa aller à son tour au sommeil.
Des visions vinrent hanter ses rêves. Visions du passé, mais aussi des temps à venir, si frappantes qu’il s’éveilla en sursaut. Jessica dormait toujours, pelotonnée contre lui. Il se leva sans bruit, décidé à regagner sa chambre, devinant qu’elle préférerait sûrement que personne ne sache ce qui s’était passé.
Il sortit par la porte–fenêtre et se glissa dans sa chambre. Il se sentait las, mais trop tendu pour se rendormir. Après avoir pris une douche et s’être habillé, il descendit au rez–de–chaussée. De la cuisine provenaient une musique, jouant en sourdine, et le bourdonnement d’une conver– sation.
Préférant rester seul, il sortit marcher dans les rues.
La Nouvelle–Orléans qu’il avait connue subsistait dans le fond, mais ici ou là avait entièrement changé de visage. Certains quartiers étaient restés intacts tandis que d’autres, détruits par l’ouragan, ne redeviendraient jamais les mêmes.
Il songea qu’on aurait pu en dire autant de lui.
***
Jessica s’éveilla lentement, engourdie, étrangement détendue, reprenant peu à peu conscience de ce qui l’entourait. Elle n’avait pas envie de sortir de son lit. Elle voulait jouir encore du bien–être qui l’emplissait, un bien–être bien plus qu’érotique : gratifiant. Elle se sentait protégée, baignée dans une chaleur douce, sécurisante… riche du pur bonheur d’un échange, d’une présence.
Puis elle se gourmanda. Sans Bryan, au moins, elle se remettait à raisonner normalement.
Elle bondit hors du lit en regardant l’heure. La matinée était bien avancée. Ce n’était pas grave : elle était connue pour se lever tard.
A l’évidence, Bryan s’était éclipsé discrètement. Elle soupira. Libre à lui. Quelle importance ? Elle était majeure et vaccinée. Elle avait le droit de faire l’amour avec qui elle voulait.
Pourtant, avec le jour, les questions revenaient, toujours aussi cruciales. Qu’était–il réellement venu faire à La Nouvelle–Orléans ? Quel genre d’enquête menait–il ?
Qui était–il vraiment ?
Tournant et retournant ces interrogations dans sa tête, elle entra sous la douche. Qu’allait–elle faire, maintenant ? Quelle conduite adopter ?
D’abord, cesser de se tourmenter sur la tournure sexuelle qu’avait prise leur relation. Elle avait bien d’autres soucis en tête. Mary, pour commencer. Les deux voyous du parking ensuite. La teinte du ciel nocturne, les événements de Transylvanie…
Et… Bryan MacAllistair.
En fait, quel que soit l’angle par lequel on étudiait la situation, tout ramenait à lui.
Sean observait Cal Hodges, le plus grand et le plus maigre des deux jeunes gens arrêtés le jour précédent. D’ordinaire, les suspects installés seuls dans une pièce d’interrogatoire se montraient nerveux. Celui–ci restait immobile.
Presque comme s’il était en transes.
Quelques minutes plus tôt, Sean avait regardé le début de l’interrogatoire, mené par l’un de ses officiers. Cal s’était borné à quelques haussements d’épaule, suivis d’un sourire sournois et d’un commentaire : « Si on levait la main sur lui, il porterait plainte pour brutalité policière. »
L'officier était sorti de la pièce et avait rejoint Sean derrière le miroir sans tain.
— Il ne nie rien, il n’avoue rien non plus. Même quand je lui dis que son complice a passé un accord avec le procureur et l’a dénoncé, il se contente de hausser les épaules.
— Quand est–ce que l’avocat arrive ?
— D’un instant à l’autre.
— Est–ce que Cal a déclaré qu’il ne parlerait qu’en sa présence?
— Même pas.
— Je vais faire une tentative…
Sean entra dans la pièce, s’assit en face de l’inculpé qui devait avoir à peine vingt ans. Cal le regarda d’un œil atone. Ses pupilles étaient marron clair, presque jaunes. Comme celles d’un serpent, songea Sean, pour se reprendre aussitôt : non, ses yeux étaient normaux. Seule l’attitude du jeune homme leur donnait cet aspect déroutant.
— Que faisiez–vous dans les locaux de l’hôpital ?
— Qui vous a dit que j’y étais ?
— Une infirmière vous a vus.
Cal, avec un petit sourire satisfait, secoua la tête.
— Elle n’aurait pas pu me reconnaître.
Sean se pencha jusqu’à le toucher. La conversation, il le savait, n’était pas enregistrée.
— Est–ce que vous étiez là sur commande, Cal ?
Le sourire de l’autre s’élargit.
— Sûrement pas. J’étais là de mon propre chef. Jolie fille, cette psychologue, hein, lieutenant ? Super nichons.
Il se pencha à son tour.
— Je ne vous dis pas ce que j’aurais pu lui faire, si j’en avais eu le temps…
Sean se retint pour ne pas le gifler. C'était exactement ce que ce voyou attendait. Il se renfonça sur sa chaise, sourit à son tour et répliqua d’une voix douce :
— Tu n’es pas un vampire, mon pote. Juste une vermine. Et quelqu’un se sert de toi.
Ces paroles touchèrent un point sensible. Cal battit des paupières, ouvrit et ferma la bouche. Puis, furibond, il secoua de nouveau la tête.
— L'heure du vrai pouvoir va sonner, déclara–t–il avec emphase.
— Mais tu ne seras plus là pour voir ça. Dommage, hein ? fit négligemment Sean.
— Pourquoi ? Vous allez me tirer dessus, espèce de sale flic ?
— Sûrement pas. Je ne vais pas gâcher une balle. Non, tu es juste trop stupide pour qu’un puissant, quel qu’il soit, te fasse confiance.
— Allez vous faire f…
On frappa à la porte. Sean se mit debout. L'avocat avait dû arriver.
— Bonne chance, vermine !
Il gagna la porte, fit une pause :
— Si la frousse te prend et que tu te décides à parler, préviens les gardes. A mon avis, ça ne va pas tarder et alors…
Il ouvrit la porte. L'avocate commise d’office était une jeune femme d’une extrême maigreur qui lui faisait toujours penser à un rat en train de courir dans une cage sans savoir comment sortir.
— Bonjour, maître, lança–t–il.
— Je vous préviens, lieutenant, si vous avez…
— Je vous rassure. Je n’ai nullement violé les droits de la défense. Bonne journée…
Il lui céda le passage et regagna son bureau, pensif. Il y avait chez le jeune inculpé quelque chose qui semblait manquer. Ce n’était pas l’intelligence, même si, à l’évi– dence, il n’était pas un aigle. En fait, il semblait manquer de…
De substance.
Il s’assit lourdement dans son fauteuil et fut aussitôt distrait par Bobby Munro, qui entra en trombe.
— Lieutenant, ce que je vais vous dire ne va pas vous plaire. Pas du tout…
Sean se releva à demi. Juste derrière, il distinguait une silhouette que Bobby n’avait pas vue. Il jura intérieure– ment, maudissant son agent d’avoir laissé la porte ouverte. Trop tard, maintenant.
Bryan MacAllistair put entendre la même chose que lui.
— Bonjour…, fit Jessica, douchée, habillée, prête pour la journée, en entrant dans la cuisine.
Gareth grommela un vague « bonjour » tout en se versant du café, puis se tourna vers elle, le regard inquiet. Il lui en proposa une tasse, qu’elle accepta en souriant.
— Vous, je vous préviens ! fit–il, en la menaçant du doigt.
— De quoi donc ?
— Vous feriez mieux de vous montrer prudente, mam’selle. C'est tout ce que j’ai à dire.
Il la regarda un bon moment, l’air sombre, puis se servit une nouvelle tasse de café.
— Avec tout le travail que j’ai déjà ici, marmonna– t–il encore. Entre le jardin et le temps que tout ça me prend… Et maintenant, je vais me faire encore plus de souci pour vous !
— Je suis capable de veiller sur moi, Gareth !
— Peu m’importe. Je vous ai à l’œil.
Il sortit d’un pas résolu.
— Gareth !
Il se retourna.
— Merci.
Il lui sourit.
Stacey posa le journal qu’elle était en train de lire et leva vers Jessica un regard interrogateur.
Jessica sentit ses mains trembler légèrement. Avait–elle l’air si différent, ce matin ?
— Bonjour, Stacey, dit–elle d’une voix qu’elle s’appliqua à rendre naturelle.
Elle remarqua, sur le comptoir, des assiettes protégées d’un film alimentaire. Stacey avait préparé des pancakes et du bacon.
— Bonjour, répondit Stacey sans la quitter des yeux. Alors?
— Alors, quoi ?
— Ton agression d’hier soir… Comment est–ce que tu te sens ?
— Oh ! Ça !
Son aventure de la veille lui était totalement sortie de l’esprit. Voilà qui expliquait l’attitude de Gareth. Stacey et lui étaient au courant de ce qui s’était passé sur le parking de l’hôpital.
— Ce n’était rien de grave, vraiment, répondit–elle. Juste deux imbéciles déguisés en vampires de mauvaise série B.
Stacey secoua la tête.
— Gareth est dévoré d’inquiétude, tu sais. Il va passer la journée à explorer la maison pour s’assurer que tout est sécurisé.
— C'étaient deux petits voyous, Stacey, rien d’autre…
— Ne me prends pas pour une idiote, s’il te plaît ! Je te connais depuis assez longtemps pour avoir reconnu l’un des deux noms : on vient d’en parler à la radio. Cal, c’est ce gamin à qui tu es venue en aide, c’est bien ça ?
Jessica haussa les épaules.
— Ce n’est pas pour ça qu’il s’en est pris à moi. Je me suis juste trouvée au mauvais endroit, au mauvais moment.
— Il paraît qu’on les a vus rôder à l’hôpital… Tu crois qu’ils cherchaient à s’en prendre à Mary ?
— Qui sait ?
— Tu es menacée directement ? reprit Stacey à voix basse, en se penchant en avant. A cause de cette soirée en Roumanie ?
— Ne sois pas ridicule ! Il y a des soirées de ce genre dans le monde entier. Changeons de sujet, OK ? Notre pensionnaire est sorti ?
— Oui, et je suis vexée. Il n’a pas l’air intéressé du tout par nos délicieux petits déjeuners. J’ai l’impression qu’il aime bien se promener très tôt dans les rues, avant qu’il y ait du monde.
Jessica haussa les épaules, puis bâilla et s’étira.
— Quel est ton programme de la journée ? lui demanda Stacey.
— Je vais finir le maillot de bain de Maggie. Je le lui ai promis et ça traîne un peu. Après, je ne sais pas… Je referai peut–être un saut chez Sean et Maggie.
— « Referai » ?
— J’y suis allée hier soir, prendre un café.
Après un moment d’hésitation, elle précisa :
— Avec Bryan.
— Ah bon ? Après qu’il est venu à ton secours ? Je croyais qu’il donnait une conférence…
— Sean et moi sommes allés l’écouter.
— Et tu ne m’as pas invitée ?
— Ça s’est décidé au dernier moment.
— Alors ?
Jessica sirota son café.
— Il est très bon. Il connaît vraiment bien son domaine.
— Tu as vu Bobby dans la salle ?
— Quel Bobby ? Le tien ?
— Je ne sais pas si on peut vraiment dire « le mien », fit Stacey en souriant. Mais c’est bien lui dont je parle, Bobby Munro.
— Je l’ai croisé dans les locaux de la police et il nous a dit qu’il partait pour un job en soirée. Je ne l’ai pas vu à la conférence. Il y était ?
— Oui. Il y est allé après avoir fini son travail, car il était dans le quartier. Il fait beaucoup de surveillances privées, en ce moment, pour des fêtes, des mariages, même des enterrements. J’espère que c’est pour acheter une bague, ou au moins pour un week–end à Las Vegas !
— Il t’aime, ne t’inquiète pas… Ça crève les yeux. En même temps, c’est un peu bizarre qu’il soit venu à la conférence sans te proposer de l’y rejoindre. Surtout qu’il n’a pas dû travailler beaucoup plus d’une heure, au total.
— Exactement. Tu te rends compte ? Tu vas au col– loque, mon petit ami y va et personne ne m’invite !
— Je t’aurais prévenue, si j’avais eu le temps.
— Ce n’est pas grave. J’irai écouter une autre confé– rence un de ces jours et je ne t’inviterai pas !
— Bryan est là pour tout le semestre, tu auras largement l’occasion. La salle était noire de monde. C'est sans doute pour ça que je n’ai pas vu Bobby et qu’il ne nous a pas vus non plus. Il y avait beaucoup d’étudiants, bien sûr, mais aussi une foule d’autres gens. Le sujet est fascinant.
— Tu crois qu’il y avait certains de tes cinglés, aussi?
— Je ne sais pas, mais ne les appelle pas des « cinglés ». Le sujet avait de quoi les intéresser, cela dit. Par exemple, Bryan a parlé de la différence entre les croyances profon– dément enracinées et les effets de mode ponctuels, comme c’est le cas actuellement pour ces soirées sur le thème des vampires.
— A ton avis, est–ce qu’il y a des choses qu’il sait et qu’il ne dit pas ?
— Je l’ignore, murmura Jessica, en s’enfonçant sur sa chaise.
— A vrai dire, il m’a demandé mon aide…
— Ton aide ? Pour quoi faire ?
— Il est convaincu qu’une soirée comme celle de Transylvanie va être organisée ici, à La Nouvelle–Orléans. Il pense que j’ai des chances d’en entendre parler par mes patients.
— Et c’est vrai ?
Jessica eut un geste évasif.
— Je n’ai pas le droit de révéler les confidences qu’on me fait dans la cadre d’une consultation.
— Tu es inquiète ?
Jessica opina.
— Oui. Un peu comme quand on sait pertinemment que quelque chose va arriver et qu’on se sent incapable de l’empêcher.
— Oui. Je me demande bien ce que ça cache, ces allées et venues incessantes de Bryan MacAllistair. Bobby l’a vu sortir du bureau de Sean…
— Qu’en pense–t–il ?
Stacey ouvrit la bouche pour répondre, mais Jessica la fit taire d’un froncement de sourcils. Elle venait de comprendre qu’elles n’étaient plus seules.
Bryan était de retour.
Jessica le regarda, sans d’abord penser à autre chose qu’à la nuit qu’ils venaient de passer ensemble. Elle se demandait s’il avait, lui aussi, l’impression d’avoir vécu un épisode unique, la rencontre de toute une vie, un moment radicalement différent d’une simple passade.
Car c’était bel et bien cela : elle sentait qu’ils étaient faits l’un pour l’autre et qu’aucune force au monde ne pourrait les séparer.
Puis l’atmosphère devenait pesante. Comme si quelque chose de dramatique se nouait.
Elle le comprit au regard sombre de Bryan, à sa gravité, ses traits tirés.
— Mary est morte, dit–il.